NB: Le temps de sĂ©chage est beaucoup plus rapide sur un support Ă  fond fermĂ©. Pour un support Ă  fond ouvert, le badigeon est sec au toucher en 24 heures, mais en profondeur, est parfois nĂ©cessaire d’attendre 3 ou 4 semaines. Pendant ce temps, veillez Ă  ne pas donner de coups sur le mur On peut aussi patiner le badigeon pour obtenir

À l’aide d’un grand bain d’eau tiĂšde et de dĂ©tergent Ă  lessive, nettoyez le mur de la poussiĂšre et de toute autre saletĂ© qui s’y est accumulĂ©e. AprĂšs cela, vous devez rincer soigneusement le mur Ă  l’eau claire et le laisser bien sĂ©cher. Ensuite, vous pouvez commencer Ă  peindre. Comment peindre un mur granuleux ?Est-il nĂ©cessaire de poncer avant de peindre ?Comment lisser un mur irrĂ©gulier ?Comment avoir un mur lisse pour peindre ? en vidĂ©oComment faire un Rechampi parfait ?Comment peindre un mur irrĂ©gulier ?Quel produit pour lisser un mur ?Quelle peinture pour mur irregulier ? Comment peindre un mur granuleux ? Choisissez un rouleau spĂ©cial façade, Ă  poils longs. Les poils longs permettront vraiment une meilleure application de la peinture dans les aspĂ©ritĂ©s de l’enduit. Ceci pourrait vous intĂ©resser Comment dĂ©finir la poĂ©sie dissertation ? Cependant, cela ne suffit pas toujours. Appliquer la premiĂšre couche au rouleau en prenant soin de ne pas appliquer trop de peinture d’un coup. Comment peindre un mur qui n’est pas lisse ? Si les imperfections sont infĂ©rieures Ă  1 mm, un lĂ©ger ponçage suffit pour les lisser et peindre pour les masquer. S’ils sont compris entre 1 mm et 3 mm, vous utiliserez de la peinture comme enduit, et vous comblerez les creux avec du mastic. Comment lisser un mur granuleux ? À l’aide d’un rouleau, Ă©talez l’enduit verticalement et horizontalement pour rĂ©partir l’enduit uniformĂ©ment sur le mur et bien recouvrir l’enduit. Appliquer sur 1 mÂČ Ă  la fois pour avoir le temps de traiter le revĂȘtement avant qu’il ne durcisse. Terminer l’application verticalement pour faciliter le lissage ultĂ©rieur. Sur le mĂȘme sujet Comment bien faire cuire un steak sur le BBQ ? Quelle est l’art martial le plus efficace du monde ? Quel est le rĂŽle de l’extension d’un fichier ? Comment lire une clĂ© USB sur un ordinateur portable ? Quel substitut au tabac ? Est-il nĂ©cessaire de poncer avant de peindre ? Une fois que vous ĂȘtes convaincu de l’état de votre support, vous devez le poncer et le laver avant de le repeindre. Sur le mĂȘme sujet Quel est le navigateur le plus sĂ»r ? Pour faciliter l’application de la nouvelle peinture, nous vous conseillons de poncer le mur ou le plafond et de dĂ©poussiĂ©rer. Pourquoi poncer le mur avant de peindre ? Si vous souhaitez repeindre vos murs ou leur appliquer un enduit, il vous faudra les poncer. Cette Ă©tape est nĂ©cessaire car elle permet de prĂ©parer le mur et d’accrocher la peinture. MĂȘme si vous venez d’installer une nouvelle cloison sĂšche, poncer avant de peindre est toujours une bonne idĂ©e. Comment peindre sans poncer ? Si vous souhaitez peindre ou repeindre du bois sans poncer, il faudra opter pour une peinture Ă  l’eau. C’est une peinture en Ă©mulsion ou en dispersion Ă  base d’eau qui se dilue dans l’eau, d’oĂč son nom. Il est idĂ©al pour peindre le bois non poli. Comment repeindre une ancienne peinture ? Peindre un mur dĂ©jĂ  peint Étape 1 VĂ©rifiez l’état des couleurs. Étape 2 Si la peinture est en mauvais Ă©tat, retirez la peinture. Étape 3 Si la peinture est en bon Ă©tat, poncez le mur. Étape 4 Lavez le mur. Étape 5 Peignez le mur. Comment lisser un mur irrĂ©gulier ? Comment lisser un mur inĂ©gal ? Il suffit d’appliquer une couche plus Ă©paisse sur un mur inĂ©gal. Lire aussi Comment faire un virement avec IBAN ? Dans tous les cas, le revĂȘtement met 12 heures Ă  durcir avant d’ĂȘtre poncĂ© en larges mouvements circulaires, puis dĂ©poussiĂ©rĂ© Ă  la brosse et rincĂ© Ă  l’eau claire. Comment avoir un mur parfaitement lisse ? Pour prĂ©parer le mĂ©lange de lissage en poudre, versez d’abord de l’eau dans l’auge, puis saupoudrez la poudre en une fine brume. Remuez jusqu’à obtenir une pĂąte homogĂšne qui colle au couteau Ă  enrober sans couler. Appliquez la pĂąte Ă  lisser de droite Ă  gauche si vous ĂȘtes droitier ou inversement. Comment rĂ©parer un mur inĂ©gal ? La technique de nivellement des murs la plus courante est le nivellement. Cette opĂ©ration consiste Ă  poncer le mur afin que la surface ait un aspect trĂšs homogĂšne. Le but est d’égaliser le niveau afin d’obtenir un rĂ©sultat parfait. Comment faire un Rechampi parfait ? Commencez par le coin de la piĂšce, Ă  gauche ou Ă  droite, selon votre main. DĂ©gagez l’angle sur 6 Ă  10 cm de large Ă  environ 2 m linĂ©aires. Sur le mĂȘme sujet Comment masquer son numĂ©ro QuĂ©bec ? RĂ©servez un pinceau et remplissez la zone avec un rouleau d’égouttement. Continuez avec la repeinture qui est effectuĂ©e au fur et Ă  mesure que l’entreprise progresse. Comment peindre Rechampi ? Utilisez un gros pinceau type 6 ou 8. Collez la pointe de votre pinceau Ă  repeindre au bout du coin. Écrasez le pinceau dans l’évidement pour qu’il coule bien des deux cĂŽtĂ©s mur/mur ou mur/plafond et tirez le pinceau en appliquant suffisamment de peinture pour recouvrir le coin sans surcharger. Quelle taille de pinceau mettre en valeur ? Utilisez un pinceau, un pinceau plat de 50 mm est possible. Plongez un tiers des poils du pinceau dans le camion et faites doucement tourner le pinceau le long de la grille pour rĂ©partir la couleur sur tous les poils. Comment peindre droit sans dĂ©border ? ruban de peintre, Ă©galement connu sous le nom de ruban de masquage. Son utilisation est trĂšs simple il suffit de le coller sur le bord du mur que l’on ne souhaite pas peindre ou peindre dans une autre couleur, et le ruban adhĂ©sif sĂ©pare les deux couleurs et vous Ă©vite de renverser. Comment peindre un mur irrĂ©gulier ? Poncez bien la surface du mur avec du papier de verre ou une ponceuse Ă©lectrique. Insistez bien sur les parties enduites pour faciliter la capture de la peinture. Voir l'article Comment nettoyer bijoux argent terni ? Terminez en essuyant la poussiĂšre avec un aspirateur puis un chiffon lĂ©gĂšrement humide. Laisser sĂ©cher. Quelle couleur pour des murs inĂ©gaux ? Quelle couleur utiliser pour masquer les imperfections des murs ? L’enduit Ă  la chaux, le tadelakt et le stuc sont les plus recommandĂ©s pour ce type d’enduit. Quel produit pour lisser un mur ? L’enduit de lissage existe en poudre Ă  prĂ©parer ou en pĂąte prĂȘt Ă  l’emploi et s’applique sur des moyennes et grandes surfaces. Lire aussi Comment rĂ©ussir une vidĂ©o ? Ce type d’enduit est Ă©galement disponible en Kit Enduit Magic’Petits DĂ©fauts pour un lissage facile avec 80% de ponçage en moins et des rĂ©sultats garantis. Comment masquer les dĂ©fauts du mur ? Si votre mur est trĂšs abĂźmĂ© ou que vous rencontrez des problĂšmes d’assemblage parfait du mur, la solution la plus simple lorsque le mur est nettoyĂ© est d’installer un revĂȘtement mural qui non seulement masquera les dĂ©fauts de votre mur, mais contribuera Ă©galement Ă  dĂ©corer votre intĂ©rieur. Quel produit dois-je utiliser pour lisser les murs ? Le pelliculage est spĂ©cialement conçu pour prĂ©parer le mur et le lisser avant l’application de la peinture. Il est parfait pour une utilisation en intĂ©rieur. Le revĂȘtement filmogĂšne est plus facile Ă  utiliser dans une variĂ©tĂ© de situations. Quelle peinture pour mur irregulier ? Un alliĂ© contre les imperfections – la peinture mate ne reflĂšte pas la lumiĂšre, mais l’absorbe elle apporte ainsi un effet de profondeur dans la piĂšce, surtout si vous optez pour des couleurs affirmĂ©es. Ceci pourrait vous intĂ©resser OĂč est la commande Option sur Mac ? Comment peindre un mur inĂ©gal ? Poncez bien la surface du mur avec du papier de verre ou une ponceuse Ă©lectrique. Insistez bien sur les parties enduites pour faciliter la capture de la peinture. Terminez en essuyant la poussiĂšre avec un aspirateur puis un chiffon lĂ©gĂšrement humide. Laisser sĂ©cher. Quelle couleur pour les murs non lisses ? La peinture pour murs abĂźmĂ©s est un enduit trĂšs Ă©pais, qui peut couvrir les trous de surface et les microfissures, Ă©vitant ainsi le prĂ©-enduit et le ponçage. Le support doit prĂ©senter des imperfections mineures et superficielles pour que la peinture de rĂ©novation masque les imperfections et offre un rĂ©sultat optimal.

Appliquezau pinceau la sous-couche dans les angles des murs et sur les fissures. Utilisez un rouleau pour appliquer la sous-couche sur l’ensemble du mur par surfaces de 1m2. AprĂšs sĂ©chage, utilisez le pinceau pour appliquer la peinture dans les angles et sur les fissures. Appliquez la peinture au rouleau sur le reste du mur par surfaces de VidĂ©o VidĂ©o Conseils pour peindre un mur et un plafond - RIPOLIN Contenu Se prĂ©parer Ă  peindre le plafondPrĂ©paration de la chambreApprĂȘter et peindre le plafondTemps de sĂ©chageNettoyerPeignez-vous le plafond en premier ou en dernier ?De combien de couches de peinture un plafond a-t-il besoin ?Est-il difficile de peindre un plafond? Combien ça coĂ»te de faire appel Ă  un peintre pour peindre un plafond ?En clĂŽture InĂ©vitablement, le moment viendra oĂč le plafond aura besoin d'un nouveau travail de peinture. Avant de commencer un projet, il est utile de connaĂźtre tous les tenants et aboutissants, y compris combien de temps allouer ce projet potentiel. Alors combien de temps faut-il pour peindre un plafond ? Nous avons fait quelques recherches et avons les meilleures informations pour vous!Sauf circonstances imprĂ©vues, il faudra environ 30 minutes pour peindre le plafond d'une piĂšce de taille moyenne. Il est prĂ©fĂ©rable d'attendre au moins deux heures entre les couches de peinture ou d'apprĂȘt, ou jusqu'Ă  ce que la peinture soit sĂšche au toucher. Pour s'assurer que le travail est bien fait, une couche d'apprĂȘt et au moins une couche de peinture est que nous avons rĂ©pondu combien de temps il faut pour peindre un plafond, discutons des Ă©tapes un peu plus en dĂ©tail. Nous parlerons du temps de prĂ©paration, du temps de peinture et du temps de sĂ©chage pour donner une idĂ©e globale de la durĂ©e de l'ensemble du travail, ainsi que pour rĂ©pondre Ă  certaines questions supplĂ©mentaires que vous pourriez vous poser. Continuer la lecture!Se prĂ©parer Ă  peindre le plafondL'Ă©tape de prĂ©paration de la peinture du plafond prendra plus de temps que la peinture du plafond rĂ©el ! Avant de commencer, vous voudrez vous procurer tous les outils et la peinture nĂ©cessaires pour rendre le processus aussi fluide que possible. Vous aurez besoin des Ă©lĂ©ments suivants Peinture intĂ©rieureApprĂȘt intĂ©rieurToiles de protectionRuban de peintreEscabeauRouleau Ă  peinture avec rouleau d'extensionBac Ă  peinturePinceauServiettes en papier pour les dĂ©gĂąts errantsSavon Ă  vaisselle pour le nettoyagePrĂ©paration de la chambrePour prĂ©parer la piĂšce avec le plafond en question, enlevez un maximum de meubles. Cela vous donnera amplement d'espace pour vous dĂ©placer sans vous soucier de trĂ©bucher sur quoi que ce soit pendant la peinture. S'il y a quelque chose de trop gros ou difficile Ă  dĂ©placer, vous pouvez le laisser ; n'oubliez pas de le recouvrir d'une toile de protection. Une fois que vous avez dĂ©placĂ© autant de meubles que possible, couvrez Ă©galement tout sol exposĂ© avec des toiles de protection. Cela protĂ©gera le revĂȘtement de sol lorsque vous commencerez Ă  peindre. Voir cette toile de protection sur du ruban de peintre sur toute moulure couronnĂ©e ou au sommet des murs oĂč ils rencontrent le plafond. Si vous envisagez de peindre les murs aprĂšs le plafond, il n'est pas nĂ©cessaire de couvrir la jonction entre le mur et le plafond, Ă  moins que vous n'ayez une sorte de moulure. Voir la bande de ce peintre sur votre bac Ă  peinture d'apprĂȘt, mais pas au point de saturer votre rouleau. Faire glisser le rouleau sur la peinture ou l'apprĂȘt suffira Ă  faire le travail sans ce bac Ă  peinture sur Amazon. Voir cette amorce sur voulez savoir si votre hauteur sous plafond se situe dans la moyenne ? Lisez notre article Quelle est la hauteur de plafond standard ? »ApprĂȘter et peindre le plafondÀ l'aide du rouleau Ă  peinture, appliquez une couche d'apprĂȘt sur tout le plafond. Suivez les instructions du fabricant pour le temps de sĂ©chage avant de passer Ă  la partie peinture. Cela dure gĂ©nĂ©ralement environ deux heures, mais la meilleure chose Ă  faire est de toujours respecter les dĂ©lais du ce rouleau Ă  peinture sur passez Ă  la peinture. Commencez par peindre autour des bords de la piĂšce oĂč le plafond rencontre le mur. Peignez vers l'intĂ©rieur, environ deux Ă  trois pouces, Ă  l'aide du pinceau et de l'escabeau. Cela peut sembler fastidieux, mais cela garantira que les bords de la piĂšce sont bien enduits. Il est assez difficile d'obtenir les bords et les coins avec un rouleau. Voir cette peinture sur Amazon. Voir ces pinceaux sur Amazon. Voir cet escabeau sur fois les bords et les coins terminĂ©s, passez directement au rouleau Ă  peinture pour couvrir le reste du plafond. Portez une attention particuliĂšre Ă  l'endroit oĂč les rouleaux du rouleau Ă  peinture rencontrent les coups de pinceau. En manipulant ces zones alors que les bords sont encore humides, cela rĂ©duit le risque d'avoir des coups de pinceau visibles. Si vous utilisez un apprĂȘt puis peignez soigneusement, une autre couche de peinture ne sera pas nĂ©cessaire. N'hĂ©sitez pas Ă  laisser sĂ©cher le plafond et Ă  mettre une autre couche si vous le souhaitez de sĂ©chageComme mentionnĂ© briĂšvement ci-dessus, le plafond doit pouvoir sĂ©cher complĂštement entre les couches. Bien que le temps rĂ©el pour peindre le plafond soit minime, le temps de sĂ©chage entre les couches doit ĂȘtre d'au moins deux heures ou la durĂ©e dictĂ©e par le fabricant de l'apprĂȘt ou de la peinture. NettoyerUtilisez du savon Ă  vaisselle doux pour nettoyer votre pinceau, votre plateau et votre rouleau. Il est prĂ©fĂ©rable de le faire dans un grand Ă©vier ou une baignoire dans de l'eau chaude savonneuse. Faire le lavage immĂ©diatement est le meilleur moyen de s'assurer qu'il ne reste plus de peinture, car une fois la peinture sĂšche dans vos outils, elle est extrĂȘmement difficile Ă  enlever. Pressez et faites sonner le rouleau jusqu'Ă  ce que l'eau soit le plafond en premier ou en dernier ?Si vous peignez les murs de votre piĂšce ainsi que le plafond, il est prĂ©fĂ©rable de peindre d'abord le plafond. De cette façon, s'il y a des gouttes errantes sur les murs, vous pouvez facilement les couvrir lors de la peinture des murs. Cela vous aide Ă©galement Ă  sauter le ruban du peintre, Ă  moins, bien sĂ»r, que vous ayez une moulure couronnĂ©e. De combien de couches de peinture un plafond a-t-il besoin ?Dans l'ensemble, il est gĂ©nĂ©ralement recommandĂ© d'appliquer deux couches de peinture au plafond. Bien sĂ»r, ce nombre change si vous utilisez un apprĂȘt et dĂ©pend de la qualitĂ© de la peinture. Une peinture fine de qualitĂ© infĂ©rieure peut nĂ©cessiter plus de couches. Laisser le plafond sĂ©cher complĂštement entre les couches vous permet d'Ă©valuer adĂ©quatement si une autre couche est texture de votre plafond dictera Ă©galement le nombre de couches nĂ©cessaires. Par exemple, si votre plafond est texturĂ©, il faudra plus de peinture pour assurer une couverture adĂ©quate le long des parties difficile de peindre un plafond? Peindre un plafond peut parfois ĂȘtre difficile. Cela peut ĂȘtre fatiguant pour les bras et le cou, et certains plafonds avec beaucoup de texture peuvent rendre le travail plus difficile. De plus, peindre et prĂ©parer les bords et les coins de la piĂšce peut ĂȘtre fatiguant. Peindre le plafond est un animal diffĂ©rent de peindre les contourner la difficultĂ©, ne sautez pas l'amorce. Cela Ă©tablit une surface lisse et Ă©limine gĂ©nĂ©ralement la nĂ©cessitĂ© de plusieurs couches de peinture. Être probablement prĂ©parĂ© peut faire toute la diffĂ©rence. Passez la plupart de votre temps sur le travail de prĂ©paration proprement dit, qui peut prendre une Ă  deux heures entre le retrait des meubles et l'Ă©tape de de la peinture proprement dite, utilisez un rouleau rempli de peinture complĂštement Ă©tendu. Faites un motif en zigzag sur quelques centimĂštres carrĂ©s, puis passez sur la mĂȘme zone pour Ă©galiser la peinture. Ne laissez pas de taches, de peinture ou de lignes car elles sĂšcheront et laisseront des traĂźnĂ©es disgracieuses au plafond. Travaillez ces taches alors qu'il est encore humide. Concentrez-vous sur de petites sections et faites de votre mieux pour ne pas laisser de lignes Ă©videntes entre ces sections. C'est le meilleur moyen d'Ă©viter de faire plusieurs voulez plus d'informations sur la façon de peindre un plafond sans traces de rouleaux ? Lisez notre article Ă  ce sujet. Combien ça coĂ»te de faire appel Ă  un peintre pour peindre un plafond ?Pour embaucher un entrepreneur pour peindre votre plafond, attendez-vous Ă  payer entre 0,50 $ et 3,00 $ le pied carrĂ©. Cependant, certains facteurs affecteront ce nombre, comme un plafond texturĂ© ou une piĂšce plus petite. Si vous engagez quelqu'un juste pour peindre une petite piĂšce, le prix au pied carrĂ© coĂ»tera plus cher, de sorte que l'entrepreneur peut contourner le prix du carburant et des fournitures. Si vous avez un plafond de pop-corn, attendez-vous Ă  payer au moins 1,00 $ par pied carrĂ© au bas de l'Ă©chelle et 3,00 $ Ă  4,00 $ sur le haut de gamme. Si la piĂšce dans laquelle vous avez besoin de peindre le plafond mesure 12 pieds sur 12, attendez-vous Ă  payer un total de 72,00 $ Ă  432,00 $ plus le coĂ»t de la peinture pour que quelqu'un d'autre le fasse pour clĂŽturePeindre un plafond peut prendre beaucoup de temps, mais la plupart de ce temps provient d'un travail de prĂ©paration appropriĂ©. Bien que peindre le plafond soit plus difficile que peindre les murs, il s'agit d'un projet qui peut ĂȘtre abordĂ© et achevĂ© un aprĂšs-midi de week-end. PrĂ©parez ces bras et ces Ă©paules et peignez ce plafond ! LintĂ©gration d’une manucure ou d’une pĂ©dicure rĂ©guliĂšre dans votre emploi du temps et la frĂ©quence de ces soins dĂ©pendent gĂ©nĂ©ralement d’un certain nombre de facteurs, notamment de l’état de vos mains et de vos pieds et du soin que vous apportez Ă  vos ongles Ă  la maison. Mais mĂȘme si vous n’avez pas tendance Ă  avoir de mauvais ongles et que vous

.'j,'”, [ ;H7r Ă­ 'ns_rt’í{ L a/ A A PARIS, Chez DURAND, Libraire, rue duFoin.' M. D C C. L VIII. Avec Approbation & PrivilĂšge du Roi, ^ STADT Nj BIBLIOTHEK i S^XN ZURICH. / 1 J/- A Ă  A Ă  A* Ăą Ăą- Ăš Ăą ^ ^ Ă  Ă­fe Ă  sera remis dans 1c mĂȘme Ă©tat oĂč ^approbation y aura Ă©tĂ© donnĂ©e , Ăšs mains de notre trĂšs-cher 6 c fĂ©al Chevalier Chancelier de France, leĂ­icurDE Lamoignon ; & qu’ìl en fera ensuite remis deux exemplaires dans notre BibliothĂšque publique, un dans celle de notre ChĂąteau du Louvre , & un dans celle de notredit tres-cher 6 c fĂ©al Chevalier Chancelier de France , le sieur De Lamoignon. Le tout Ă  peine de nullitĂ© des PrĂ©sentes. Du contenu def- quelles Vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Exposant ou ses ayants causes , pleinement & paisiblement, fans souffrir qu’il leur Ă­oit sait aucun trouble ou empĂȘchement. Voulons que la Copie des PrĂ©sentes , qui fera imprimĂ©e tout au long, au commencement ou Ă  la fin dudit ouvrage soit tenue pour duement signifiĂ©e ; & qu'aux copies colla- lionnĂ©es par l’un de nos amĂ©s & fĂ©aux Conseillers & SecrĂ©taires » foi soit ajoutĂ©e comme Ă  l’original. Commandons au premier notre Huissier ou Sergent, fur ce requis, de faire pour l’exĂ©cution d’iceiles , tous actes requis 6 c nĂ©cessaires , lans demander autre permission , & nonobstant clameur de Haro f Charte Normande , & Lettres Ă  ce contraires Car tel est notre plaisir. DonnĂ© Ă  Choify , le douziĂšme jour du mois de Juin » Fan de grĂące 1758 ; & de notre RĂ©gnĂ© le quarante- troifieme. Par le Roi en son Conseil. ‱ LE BEGUE. RegifirĂ© sur le Regijlre XTV de la Chambre Royale dts Libraires & Imprimeurs de Paris 9 N 0 348 , fol. zii , conformĂ©ment aux anciens RĂšglements , eonfrmis par celui du x% fĂ©vrier 1727. A Paris le p Si fsfS, V. G. Le Merci ĂŻ. r 7 Syndic, DE Ă ĂąLL-Ă  D E L J ES PRI7 DISCOURS I. DE V ES P RIT EN LUI-MÊ ME. CHAPITRE PREMIER. N dispute tous les jours fur ce qu’on doit appeller Esprit chacun dit son mot ; personne n'attache les mĂȘmes idĂ©es Ă  ce mot , tk. tout le monde parle fans s’entendre. Pour pouvoir donner une idĂ©e juste & prĂ©cise de ce mot Esprit , & des diffĂ©rentes acceptions dans lesquelles on le prend, il faut d’abord considĂ©rer l’esprit en lui- ‱ mĂȘme. Tome I, A 2 De l’ E s p r i t. Ou l’on regarde l’esprit comme l’effet de la facultĂ© de penser & l’esprit n’est, en ce sens , que l’aflemblage des pensĂ©es d’un homme ou on le considĂ©rĂ© comme la facultĂ© mĂȘme de penser. Pour savoir ce que c’est que l’esprit , pris dans cette derniere signification , il faut connoĂźtre quelles font les causes productrices de nos idĂ©es. Nous avons en nous deux facultĂ©s , ou , si je Pose dire , deux puissances passives , dont Pexistence est gĂ©nĂ©ralement &c distinctement reconnue. v L’ame est la facultĂ© de recevoir les impressions diffĂ©rentes que font fur nous les objets extĂ©rieurs ; on la nomme finjĂŹbi- litĂ© phyjĂŹque, L’autre est la facultĂ© de conserver l'impression que ces objets ont fait fur nous ; on l’appeile mĂ©moire ; 6c la mĂ©moire n’est autre chose qu’une sensation continuĂ©e mais affoiblie. Ces facultĂ©s , que je regarde comme les causes productrices de nos pensĂ©es , & qui nous lont communes, avec les animaux, ne nous occasionneraient cependant qu’un trĂšs-petit nombre d’idĂ©es , si elles n’étoient jointes en nous Ă  une certaine organisation extĂ©rieure. Si la matiĂšre , au lieu de mains & de doigts flexibles, eĂ»t terminĂ© nos poignets. Discours I. 3 par un pied de cheval ; qui doute que les hommes lans art, fans habitations, fans dĂ©fense contre les animaux, tout occupĂ©s du foin de pourvoir Ă  leur nourriture Sc d’éviter les bĂȘtes fĂ©roces , ne fussent encore errants dans les forĂȘts comme des troupeaux fugitifs a ? a On a beaucoup Ă©crit fur l’ame des bĂȘtes on leur a tour-Ă -tour ĂŽtĂ© & rendu la facultĂ© de penser ; & peut-ĂȘtre n’a-t-on pas assez scrupuleusement cherchĂ©, dans la diffĂ©rence du physique de rhomme & de f animal, la cause de f intĂ©rioritĂ© de ce qu’on appelle FamĂ© des animaux, i°. Toutes les pattes des animaux font terminĂ©es ou par de la corne, comme dans le bƓuf & le cerf ; ou par des ongles , comme dans le chien & le loup ; ou par des griffes , comme dans le lion & le chat. Or , cette diffĂ©rence d’organifa- tion , entre nos mains & les pattes des animaux, les prive non-Ă­eulement, comme le dit M. de Buffon , presque en entier du sens du tact , mais encore de l’adresse nĂ©cessaire pour manier aucun outil & pour faire aucune des dĂ©couvertes qui supposent des mains. a°. La vie des animaux en gĂ©nĂ©ral plus courte que la nĂŽtre , ne leur permet ni de taire autant d’obfervations, ni, par consĂ©quent, d’avoir autant d’idĂ©es que rhomme. 3 0 . Les animaux , mieux armĂ©s , mieux vĂȘtus que nous par la nature , ont moins de besoins , & doivent par consĂ©quent avoir moins d’inven- tion fi les animaux voraces ont cn gĂ©nĂ©ral plus d’efprit que les autres animaux, c’est que la faim A ij 4 De l’ E s p r i t.' Or, dans cette supposition , il est Ă©vident que la police n’eĂ»t dans aucune l'o- toujours inventive , a dĂ» leur faire imaginer des ruies pour surprendre leur proie. 4°. Les animaux ne forment qu’une sociĂ©tĂ© fugitive devant l’homme , qui , par le secours des armes qu’il s’est forgĂ©es, s’est rendu redoutable au plus fort d’entr’eux. L’homme est d’ailleurs ranimai le plus multipliĂ© fur la terre ii naĂźt, il vit dans tous les climats , lorĂ­qu’une partie des autres animaux , tels que les lions, les Ă©lĂ©phants & les rhinocĂ©ros, ne se trouvent que sous certaine latitude. Or , plus l’efpece d’un animal sofceptiple d’ob- servation, est multipliĂ©e, plus cette eĂ­pece d’ani- tnal a d’idĂ©es At d esprit. Mais, dira-t-on , pourquoi les singes , dont les pattes font, Ă  peu prĂšs , aussi adroites que nos mains, ne Ă­ont-ils pas des progrĂšs Ă©gaux aux progrĂšs de rhomme ? C’est qu’ils lui restent infĂ©rieurs Ă  beaucoup d’égards ; c’est que les hommes font plus multipliĂ©s fur la terre ; c’est que, parmi les diffĂ©rentes especes de singes, ii en est peu dont la force soit comparable Ă  celle de l’homme ; c’est que les singes font frugivores , qu’iĂŹs ont moins de besoins , & par consĂ©quent moins d’invention que les hommes c’est que d’ailleurs leur vie est plus courte , qu’ils ne forment qu’une sociĂ©tĂ© fugitive devant les hommes & les animaux tels que les tigres, les lions, Lee; c’est qu’ensin la disposition organique de leur corps les tenant , comme les entants , dans un mouvement perpĂ©tuel, mĂȘme aprĂšs que leurs besoins font satisfaits , les singes ne font pas susceptibles de Y ennui qu on doit re- Discours I. 5 ciste Ă©tĂ© portĂ©e au degrĂ© de perfection oĂč maintenant elle est parvenue. 11 n’est aucune nation qui , en fait d’esprit, ne fĂ­ĂŹt restĂ©e fort infĂ©rieure Ă  certaines nations sauvages qui n’ont pas deux cents idĂ©es ÂŁ, deux cents mots pour exprimer garder, ainsi que je le prouverai dans le troisiĂšme Discours , comme un des principes de la perfectibilitĂ© de l’esprit humain. C’est en combinant toutes ces diffĂ©rences, dans le physique de l'homme & de la bĂȘte , qu’on peut expliquer pourquoi la sensibilitĂ© & la mĂ©moire , facultĂ©s communes aux hommes & aux animaux , ne font, pour ainsi-dire , dans ces derniers , que des facultĂ©s stĂ©riles. Peut-ĂȘtre m’objectera-t-on que Dieu , fans injustice , ne peut avoir soumis Ă  la douleur & Ă  la mort des crĂ©atures innocentes , Sc qu’ainsi les bĂȘtes ne font que de pures machines je rĂ©pondrai Ă  cette objection , que rĂ©criture Sc rĂ©gisse n’ayant dit nulle part que les animaux fussent de pures machines , nous pouvons fort bien ignorer les motifs de la conduite de Dieu envers les animaux , & supposer ces motifs justes. 11 n'est pas nĂ©cessaire d’avoir recours au bon mot du P. Malebranche, qui, lorfqu’on lui foutenoit que les animaux Ă©toient sensibles Ă  la douleur , rĂ©pondoit, en plaisantant, qu 'apparemment ils avaient mangĂ© -du sain dĂ©fendu. b Les idĂ©es des nombres, si simples, si faciles Ă  acquĂ©rir, &. vers lefqueiles le besoin nous porte fans cesse, font si prodigieusement bornĂ©es dans certaines nations , qu’on en trouve qui ne peuvent compter que juiqu’à trois , Si qui n’elĂ­priment les nombres qui vont au-delĂ  de trois, que par le mot de beaucoup, A ii; 6 De l’ Esprit. leurs idĂ©es, & dont la langue par consĂ©quent ne fĂŻĂŹt rĂ©duite, comme celle des animaux , Ă  cinq ou lix sons ou cris c, fi l’on retranchoit de cette mĂȘme langue les mots d 'arcs , de flĂšches , de filets, & c. qui supposent l’usage de nos mains. D’oĂč je conclus que , fans une certaine organisation extĂ©rieure , la sensibilitĂ© & la mĂ©moire ne seroient en nous que des facultĂ©s stĂ©riles. Maintenant il faut examiner si, par le secours de cette organisation , ces. deux facultĂ©s ont rĂ©ellement produit toutes nos pensĂ©es. Avant d’entrer Ă  ce sujet dans aucun examen, peut-ĂȘtre me demandera-t-on si ces deux facultĂ©s font des modifications dune substance spirituelle ou matĂ©rielle. Cette question , autrefois agitĂ©e par les philosophes fi , & renouvellĂ©e de nos jours, c Tels font les peuples que Dampierre trouva dans une iste qui ne produisoit ni arbre ni arbuste, & qui, vivant d u poisson que les flots de la mer jettoient dans les petites bayes de l’iste , n’avoient d’autre langue qu’un gloussement semblable Ă  celui du coq-d’inde. rf Quelque StoĂŻcien dĂ©cidĂ© que sĂ»t SĂ©nĂ©que , il n’étoit pas trop assurĂ© de la spiritualitĂ© de lame. u Votre lettre, Ă©crit-il Ă  un de ses amis , est arrivĂ©e » mal-Ă -propos lorsque je lai reçue, je meprome- v nois dĂ©licieusement dans le palais de l’espĂ©rance; Discours I. 7 n’entre pas nĂ©cessairement daas le plan de mon ouvrage. Ce que j’ai Ă  dire de l’esprit , s’accorde Ă©galement bien avec Fune & l’autre de ces hypothĂšses. J’ob- serverai seulement Ă  ce sujet, que , Ă­i l’é- glise n’eĂ»t pas fixĂ© notre croyance fur ce point, & qu’on dĂ»t, par les seules lumiĂšres de raison , s’élever jusqu'Ă  la comtois- sauce du principe pensant, on ne pour- roit s’empĂȘcher de convenir que nulle opinion en ce genre n’est susceptible de dĂ©monstration ; qu’on doit peser les rai- j> je m’y assurois de FimmortalitĂ© ' de mon ame ; v mon imagination doucement Ă©chauffĂ©e par les » discours de quelques grands hommes, ne dou- j» toit dĂ©ja plus de cette immortalitĂ© qu’iĂ­s pro- mettent plus qu’ils ne la prouvent; dĂ©ja je com- v mençois Ă  me dĂ©plaire Ă  moi-mĂȘme , je mĂ©pri- fois Ă­es-restes d’une vie malheureuse, je m’ou- » vrois avec dĂ©lices les portes de l’éternitĂ©. Votre v lettre arrive je me rĂ©veille ; & d’un songe Ă­i 3 amusant, il me reste le regret de le reconnoĂźtre >j pour un songe ». Une preuve , dit M. DeĂ­landes dans son histoire critique de la philosophie , qu’autrefois on ne croyoit ni Ă  FitnmortalitĂ© , ni Ă  l’immatĂ©rialitĂ© de l’ame, c’est que , du temps de NĂ©ron, l’on le plaignoit Ă  Rome que la doctrine de l’autre monde , nouvellement introduite, Ă©nervoit le courage des soldats , les rendoit plus timides , ĂŽtoit la principale consolation des malheureux , & doubloit enfin la mort,' en menaçant de nouvelles souffrances aprĂšs cette vie. 8 De l’ E s p r i t. sons pour & contre , balancer les difficultĂ©s, se dĂ©terminer en faveur du plus grand nombre de vraisemblances ; & par consĂ©quent ne porter que des jĂčgemens provisoires. II en seroit de ce problĂšme comme d’une infinitĂ© d’autres qu’on ne peut rĂ©soudre qu’à Paide du calcul des probabilitĂ©s e. Je ne m’arrĂȘte donc pas e II seroit impossible de s’en tenir Ă  l’axiome de DeĂ­cartes , &. de n’acquieĂ­cer qu’à l’éviĂąence. Si l’on rĂ©pete tous les jours cet axiome dans les Ă©coles , c’est qu’il n’y est pas pleinement entendu ; c’est que DeĂ­cartes n’ayant point mis, st je peux m’exprimer ainsi, d’enieigne Ă  l'hĂŽtellerie de l’é- vidence , chacun se croĂźt en droit d’y loger son opinion. Quiconque ne se rendroit rĂ©ellement qu’à l’évidence, ne seroit guere assurĂ©, que de sa propre existence. Comment le serĂłit-il, par exemple, de celle des corps ? Dieu , par fa toute-pu-jssance, ne peut-il pas faire fur nos sens les mĂȘmes impressions qu y exciteroit la prĂ©sence des objets ? Or, si Dieu le peut, comment assurer qu’il ne fasse pas Ă  cet Ă©gard usage de son pouvoir , 6c que touĂ­ ì’univets ne soit un pur phĂ©nomĂšne b D’ailleurs, si dans les rĂȘves nous sommes affectĂ©s'des mĂȘmes sensations que nous Ă©prouverions a la prĂ©sence des objets , comment prouver que notre vie n'est pas un long rĂȘve ? Non que je prĂ©tende nier l'existence des corps , mais seulement montrer que nous en sommes moins assurĂ©s que de notre propre existence. Or, comme la vĂ©ritĂ© est un point indivisible , qu’on ne peut pas dire d’une vĂ©ritĂ© quelle est plus ou moins vrw± Discours I. 9 davantage Ă  cette question ; je viens Ă  mon sujet ; & je dis que la sensibilitĂ© ĂŹi est Ă©vident que, si nous sommes plus certains de notre propre existence que de celle des corps , l’existence des corps n'est, par consĂ©quent, qu'une probabilitĂ© ; probabilitĂ© qui, sans doute , est trĂšs- grande , & qui, dans la conduite , Ă©quivaut Ă  l’é- vidence ; mais qui n’est cependant qu’une probabilitĂ©. Or, si presque toutes nos vĂ©ritĂ©s se rĂ©duisent Ă  des probabilitĂ©s , quelle reconnoissance ne de- vroit-on pas Ă  l’homme de gĂ©nie qui se charge- roit de conduire des tables physiques , mĂ©taphysiques , morales & politiques, oĂč seroient marquĂ©s avec prĂ©cision tous les divers degrĂ©s de probabilitĂ© , & par consĂ©quent de croyance, qu’on doit assigner Ă  chaque opinion ? L’existence des corps, par exemple , seroit placĂ©e dans les tables physiques comme le premier degrĂ© de certitude ; on y dĂ©termineroit ensuite ce qu'il y a Ă  parier que le soleil se levera demain, qu’il se levera dans dix , dans vingt ans, &c. Dans les tables morales ou politiques , on y placeroit pareillement, connue premier degrĂ© de certitude , l’existence de Rome ou de Londres , puis celle des hĂ©ros , tels que CĂ©sar ou Guillaume le ConquĂ©rant ; l’on descendroit ainsi par l’échelle des probabilitĂ©s ’jusqu’aux faits les moins certains ; & ensin jusqu’aux prĂ©tendus miracles de Mahomet, jusqu’à ces prodiges attestĂ©s par tant d’Arabes , &L dont la faussetĂ© cependant est encore trĂšs-pro- bable ici bas, oĂč les menteurs font si communs & les prodiges si rares. Alors les hommes, qui le plus souvent diffĂšrent de sentiment que par simpossibilitĂ© oĂč ils A v, io De l’ E s p r i t. physique &c la mĂ©moire , ou pour parler plus exactement, que la sensibilitĂ© seule sont de trouver des signes propres Ă  exprimer les divers degrĂ©s de croyance qu’ils attachent Ă  leur opinion , se communiqueroient plus facilement leurs idĂ©es ; puisqu’ils pourroient , pour m’ex- primer ainsi , toujours rapporter leurs opinions Ă  quelques-uns des numĂ©ros de ces tables de probabilitĂ©s. Comme la marche de l’esprit est toujours lente» & les dĂ©couvertes dans les sciences presque toujours Ă©loignĂ©es les unes des autres , on sent que les tables de probabilitĂ©s une fois construites , on n’y feroit que des changements lĂ©gers & successifs , qui consisteroient, consĂ©quemment Ă  ces dĂ©couvertes, L augmenter ou diminuer la probabilitĂ© de certaines propositions que nous appelions vĂ©ritĂ©s , & qui ne font que des probabilitĂ©s plus ou moins accumulĂ©es. Par ce moyen , PĂ©tĂąt de doute , toujours insuportable Ă  l’orgueil de la plupart des hommes, feroit plus facile Ă  soutenir alors les doutes ceste- joient d’ĂȘtre vagues ; soumis au calcul & par consĂ©quent apprĂ©ciables , ils se convertiroient en propositions affirmatives alors la secte de CarnĂ©ade, regardĂ©e autrefois comme la philosophie par excellence , puisqu’on lui donnoit le nom d ’étectĂŹve , feroit purgĂ©e de ces lĂ©gers dĂ©fauts que la querelleuse ignorance a reprochĂ©s avec trop d’aigreur Ăą. cette philosophie dont les dogmes Ă©toient Ă©galement propres Ă  Ă©clairer les esprits , & Ă  adoucir les mƓurs. Si cette secte , conformĂ©ment Ă  ses principes, n’admettoit point de vĂ©ritĂ©s , elle admettoit du moins des apparences, vouloir qu’on rĂ©glĂąt fa vie Discours I. n produit toutes nos idĂ©es. En effet, la mĂ©moire ne peut ĂȘtre qu’un des organes de la sensibilitĂ© physique le principe qui sent en nous doit ĂȘtre nĂ©cessairement le principe qui se ressouvient, puiĂ­que se ressouvenir, comme je vais le prouver, n'eiĂŹ proprement que sentir. Lorsque, par une suite de mes idĂ©es ou par TĂ©branlement que certains sons causent dans l’organe de mon oreille , je me rappelle l’image d’un chĂȘne ; alors mes organes intĂ©rieurs doivent nĂ©cessairement se trouver Ă  peu prĂšs dans la mĂȘme situation oĂč ils Ă©toient Ă  la vue de ce chĂȘne. Or, cette situation des organes doit incontestablement produire une sensation il est donc Ă©vident que se ressouvenir, c’est sentir. sur ces apparences , qu’on agĂźt lorsqu’il paroiffoit Í »lus convenable d’agir que d'examiner, qu on dĂ©- ibĂ©rĂąt mĂ»rement lorsqu'on avoit le temps de dĂ©libĂ©rer ; qu’on se dĂ©cidĂąt par consĂ©quent plus sĂ»rement , & que dans son ame on laiffat toujours aux vĂ©ritĂ©s nouvelles une entrĂ©e que leur serment les dogmatiques. Elle vouloit de plus , qu’on fĂ»t moins persuadĂ© de ses opinions , plus lent Ă  condamner celles d’autrui, par consĂ©quent plus sociable ; enfin que l’habitude du doute , en nous rendant moins sensibles Ă  la contradiction, Ă©touffĂąt un des plus seconds germes de haine entre les hommes. II ne s’agit point ici des vĂ©ritĂ©s rĂ©vĂ©lĂ©es, qui font des vĂ©ritĂ©s d’un autre ordre. A vj ii De l’ E s p r i t. Ce principe posĂ© , je dis encore que c’est dans la capacitĂ© que nous avons d’aperce- voir les ressemblances ou les diffĂ©rences, les convenances ou les difconvenances qu’onr entr’eux les objets divers , que consistent toutes les opĂ©rations de l’esprit. Or , cette capacitĂ© n’est que la sensibilitĂ© physique mente tout se rĂ©duit donc Ă  sentir. Pour nous assurer de cette vĂ©ritĂ©, considĂ©rons la nature. Elle nous prĂ©sente des objets ; ces objets ont des rapports avec nous & des rapports entr’eux ; la connois- sance de ces rapports forme ce qu’on appelle VEsprit il est plus ou moins grand , fĂ©lon que nos connoissances en ce genre font plus ou moins Ă©tendues. L’eĂ­prit humain s’éieve jusqu’à la connoissance de ces rapports ; mais ce font des bornes q u il ne franchit jamais. Audi tous les mots qui composent les diverses langues, & qu’on peut regarder comme la collection des signes de toutes les pensĂ©es des hommes, nous rappellent ou des images , tels font les mots, chĂȘne , ocĂ©an,soleil ; ou dĂ©signent des idĂ©es, c’est-Ă -dire , les divers rapports que les objets ont entr’eux , qui font ou simples , comme les mots , grandeur , petitesse , ou composĂ©s , comme , vice , vertu ; ou ils expriment enfin les rapports divers que les objets ont avec nous, c’eĂąr Discours I. i Ă -dire, notre action sur eux, comme dans ces mots , je brise , je creuse , je soulevĂ© ; ou leur impression fur nous, comme dans ceux-ci, je suis blessĂ© , Ă©bloui , Ă©pouvantĂ©. Si j’ai resserrĂ© ci-dessus la signification de ce mot, IdĂ©e , qu’on prend dans des acceptions trĂšs-diffĂ©rentes , puisqu’on dit Ă©galement VidĂ©e d'un arbre &c VidĂ©e de venu , c’cĂ­l que la signification indĂ©terminĂ©e de cette expression peut faire quelquefois tomber dans les erreurs qu’occafionne toujours l’abus des mots. La conclusion de ce que je viens de dire, c’est que , si tous les mots des diverses langues ne dĂ©signent jamais que des objets ou les rapports de ces objets avec nous & entr’eux , tout l'esprit par consĂ©quent consiste Ă  comparer & nos sensations & nos idĂ©es ; c’est-Ă -dire, Ă  voir les ressemblances & les diffĂ©rences , les convenances & les disconvenances qu’elĂ­es ont entr’elles. Or, comme le jugement n’est que cette appercevance elle- mĂȘme, ou du moins que le prononcĂ© de cette appercevance, il s’ensuit cjue toutes les opĂ©rations de í’esprit se rĂ©duisent Ă  juger. La question renfermĂ©e dans ces bornes, /'examinerai maintenant si juger n’est pas - sentir. Quand je juge la grandeur ou la couleur des objets qu’on me prĂ©sente } il est; i4 De l’ E s p r i t. Ă©vident que Ă­e jugement portĂ© fur les diffĂ©rentes impressions que ces objets ont faites fur mes sens, n’est proprement qu’une sensation ; que je puis dire Ă©galement, Je juge ou je sens que, de deux objets, l’un que j’appell q toise, fait fur moi une impression diffĂ©rente de celui que j'appelle pied ; que la couleur que je nomme rouge , agit fur mes yeux diffĂ©remment de celle que je nomme jaune ; & j ’en conclus qu’en pareil cas juger n’est jamais que sentir. Mais, dira- t-on, supposons qu’on veuille savoir si la force est prĂ©fĂ©rable Ă  la grandeur du corps, peut-on assurer qu'alors juger soit sentir ? Oui, rĂ©pondrai-je car, pour porter un jugement sur ce sujet, ma mĂ©moire doit me tracer successivement les tableaux des situations diffĂ©rentes oĂŹi je puis me trouver le plus communĂ©ment dans le cours de ma vie. Or juger, c’est voir dans ces divers tableaux, que la force me fera plus souvent utile que la grandeur du corps. Mais rĂ©pliquera-t-on, lorfqu’il s’agit de juger si, dans un roi, la justice est prĂ©fĂ©rable Ă  la bontĂ© , peut-on imaginer qu’un jugement ne soit alors qu’urte sensation ? Cette opinion, fans doute, a d’abord l’air d’un paradoxe cependant, pour en prouver la vĂ©ritĂ©, supposons dans un homme la connoissance de ce cru’on appelle le bien ĂŽc le mal ; ĂŽĂ­ que cet homme sache Discours I. 15 encore qu’une action est plus ou moins mauvaise, selon qu’elle nuit plus ou moins au bonheur de la sociĂ©tĂ©. Dans cette supposition , quel art doit employer le poĂ«te ou l'orateur , pour faire plus vivement appercevoir que la justice , prĂ©fĂ©rable, dans un roi, a la bontĂ©, conserve Ă  l’ctat plus de citoyens ? L’orateur prĂ©sentera trois tableaux Ă  l’i- magination de ce mĂȘme homme dans l’un il lui peindra le roi juste qui condamne Sc fait exĂ©cuter un criminel; dans le second, le roi bon qui fait ouvrir le cachot de ce mĂȘme criminel Sc lui dĂ©tache ses fers ; dans le troisiĂšme, il reprĂ©sentera ce mĂȘme criminel qui, s’armant de son poignard au sortir de son cachot, court massacrer cinquante citoyens or, quel homme, Ă  la vue de ces trois tableaux, ne sentira pas que la justice , qui, par la mort d’un seul, prĂ©vient la mort de cinquante hommes, est dans un roi, prĂ©fĂ©rable Ă  la bontĂ© ? Cependant ce jugement n’est rĂ©ellement qu’une sensation. En effet, si par l’habitu- de d’unir certaines idĂ©es Ă  certains mots, on peut, comme l’expĂ©rience le prouve, en frappant l'oreille de certains sons, exciter en nous Ă  peu prĂšs les mĂȘmes sensations qu’on Ă©prouvcroit Ă  la prĂ©sence mĂȘme des objets; il est Ă©vident qu’à l’expo- sĂ© de ees trois tableaux, juger que, dans i6 De l’ E s p r i t.' un roi, la justice est prĂ©fĂ©rable Ă  la bontĂ©, c'est sentir & voir que, dans le premier tableau, on n’immole qu’un citoyen ; &; que , dans le troisiĂšme, on en massacre cinquante d’oĂč je conclus que tout jugement n’est qu’une sensation. Mais, dira-t-on, faudra-t-ilmettre encore au rang des sensations les jugements portĂ©s, par exemple, fur l’excellcnce plus ou moins grande de certaines mĂ©thodes, telles que la mĂ©thode propre Ă  placer beaucoup d’objets dans notre mĂ©moire , ou la mĂ©thode des abstractions, ou celle de l'analyse ? Pour rĂ©pondre Ă  cette objection, il saut d’abord dĂ©terminer la signification de ce mot mĂ©thode une mĂ©thode n’est autre chose que le moyen dont on se sert pour parvenir au but qu’on se propose. Supposons qu’un homme ait dessein de placer certains objets ou certaines idĂ©es dans fa mĂ©moire, & que le ha/ard les y ait rangĂ©s de maniĂ©rĂ© que le ressouvenir d’un fait ou d’une idĂ©e lui ait rappellĂ© le souvenir d’une infinitĂ© d’autres faits ou d’autres idĂ©es, &c qu’il ait ainsi gravĂ© plus facilement & plus profondĂ©ment certains objets dans Ă­ĂĄ mĂ©moire alors , juger que cet ordre est le meilleur & lui donner le nom de mĂ©thode , c’est dire qu’on a fait moins d’essorts d’at- tention, qu’on a Ă©prouvĂ© une sensation moins pĂ©nible, en Ă©tudiant dans cet ordre Discours L 17 que dans tout autre r or, se ressouvenir d’une sensation pĂ©nible, c’est sentir ; il est donc Ă©vident que , dans ce cas , juger sentir. - Supposons encore, pour prouver la vĂ©ritĂ© de certaines propositions de gĂ©omĂ©trie &c pour les faire plus facilement concevoir Ă  ses disciples, qu’nn gĂ©omĂštre se soit avisĂ© de leur faire considĂ©rer les lignes indĂ©pendamment de leur largeur &; de leur Ă©paisseur alors , juger que ce moyen ou cette mĂ©thode d’abstraction est la plus propre Ă  faciliter Ă  ses Ă©leves Fintelligence de certaines propositions de gĂ©omĂ©trie, c’est dire qu’ils font moins d’essorts d’attention, & qu’ils Ă©prouvent une sensation moins pĂ©nible, en se servant de cette mĂ©thode que d’une autre. Supposons, pour dernier exemple, que, par un examen sĂ©parĂ© de chacune des vĂ©ritĂ©s que renferme une proposition compliquĂ©e , on soit plus facilement parvenu Ă  l'intelligence de cette proposition juger, alors que le moyen ou la mĂ©thode de í’ana- lysc est la meilleure , c’est pareillement dire qu’on a fait moins d’essorts d’attention , & qu’on a par consĂ©quent Ă©prouvĂ© une sensation moins pĂ©nible, lorsqu’on a considĂ©rĂ© en particulier chacune des vĂ©ritĂ©s renfermĂ©es dans cette proposition compliquĂ©e, que lorsqu’ on ies a voulu saisir toutes Ă  la fois, i8 De l’Esprit. II rĂ©sulte, de ce que j’ai dit, que les jugements portĂ©s fur les moyens ou les mĂ©thodes que le hazard nous prĂ©sente pour parvenir Ă  un certain but, ne sont proprement que des sensations ; & que , dans l’homme, tout se rĂ©duit Ă  sentir. Mais, dira-t-on, comment jusqu’à ce jour a-t-on supposĂ© en nous une facultĂ© de juger distincte de la facultĂ© de sentir ? L’on ne doit cette supposition , rĂ©pondrai-je, qu’à TimpoĂ­sibilitĂ© oĂč l’on s’est cru jusqu’à prĂ©sent d’expiiquer d’aucune autre maniĂ©rĂ© certaines erreurs de l’esprĂ­t. Pour lever cette difficultĂ© , je vaisv, dans les chapitres fui vans , montrer que tous nos faux jugements &c nos erreurs se rapportent Ă  deux causes qui ne supposent en nous que la facultĂ© de sentir; qu’il feroit, par consĂ©quent, inutile & mĂȘme absurde d’ad- mettre en nous une facultĂ© de juger qui n’expliqueroit rien qu’on ne puisse expliquer fans elle. J’entre donc en matiĂšre ; &c je dis qu’il n’est point de faux jugement qui ne soit un effet ou de nos passions ou vde notre ignorance. Discours I. l 9 CHAPITRE II. Des erreurs occajĂŹonnĂšes par nos pajjĂźons . L es pallions nous induisent en erreur, parce qu’ellesfixent toute notre attention Ă­Ăčr un cĂŽtĂ© de Pobjet qu’elles nous prĂ©sentent , & qu’elles ne nous permettent point de le considĂ©rer fous toutes ses faces. Un roi est jaloux du titre de conquĂ©rant La victoire, dit-il, m’appelle au bout de la terre ; je combattrai, je vaincrai, je briserai l’orgueil de mes ennemis, je chargerai leurs mains de fers ; & la terreur de mon nom , comme un rempart impĂ©nĂ©trable , dĂ©fendra l'entrĂ©e de mon empire. EnivrĂ© de cet espoir, il oublie que la fortune est inconstante, que le fardeau de la misere est presque Ă©galement supportĂ© par le vainqueur 6c par le vaincu ; il ne sent point que le bien de ses sujets ne sert que de prĂ©texte Ă  sa fureur guerriere , &c que c’est ['orgueil qui forge ses armes & dĂ©ploie ses Ă©tendards toute son attention est fixĂ©e sur le char &c la pompe du triomphe. Non moins puissante que l’orgueil, la crainte produira les mĂȘmes effets; on la verra crĂ©er des spectres, les rĂ©pandre autour des tombeaux, ĂŽc dans ['obscuritĂ© des ao De l’ E s p r i r. bois les offrir aux regards du voyageur effrayĂ©, s’emparer de toutes les facultĂ©s de son ame, & n’en laisser aucune de libre pour considĂ©rer l'absurditĂ© des motifs d’une terreur si vaine. Non seulement les paillons ne nous laissent considĂ©rer que certaines faces des objets qu'elles nous prĂ©sentent; mais elles nous trompent encore, en nous montrant souvent ces mĂȘmes obje,ts oĂč ils n’existent pas. On fait le conte d’un curĂ© & d’une dame galante ils avoient oui dire que la lune Ă©toit habitĂ©e , ils le croyoient ; Si , Ăźe tĂ©lescope en main , tous deux tĂąchoient d’en reconnoĂźtre les habitants. Si je ne me trompe , dit d’abord la dam , f apperçois deux ombres ; elles s'inclinent Pune vers P autre je nen doute points ce font deux amants heureux.... Eh ! fi donc , madame , reprend le cure, ces deux ombres que vous voyeqj'ont deux clochers dPune cathĂ©drale. Cc conte est notre histoire ; nous n'appercevons le plus souvent dans les choses que ce que nous dĂ©sirons y trouver fur la terre, comme dans la lune, des passions diffĂ©rentes nous y feront toujours voir ou des amants o-u des clochers. L’iilusion est un effet nĂ©cessaire des passons, dont la force se mesure presque toujours par le degrĂ© d’aveuglemenĂ­ oĂč elles nous plongent. C’est ce qu’avoit trĂšs-bien senti je ne sais quelle femme, qui, Discours I. 11 surprise par son amant entre les bras de son rival, osa lui nier le fait dont il Ă©toit tĂ©moin Quoi / lui dit-il, vous poufise^ Ă  ce point Vimpudence . Ah , perfide ! s’écria- t-elle, je le vois, tu ne n? aimes plus ; tu crois plus ce que tu vois que ce que je te dis. Ge mot n’est pas feulement applicable Ă  la passion de l’amour,mais Ă  toutes les passions. Toutes nous frappent du plus profond aveuglement. Lorsque l’ambition , par exemple, met les armes Ă  la main Ă  deux nations puissantes, & que les citoyens inquiets fe demandent les uns aux autres des nouvelles d’une part , quelle facilitĂ© Ă  croire les bonnes ! de l’autre, quelle incrĂ©dulitĂ© fur les mauvaises ! Combien de fois une trop sotte confiance en des Moines ignorans n’a-t-elle pas fait nier Ă  des chrĂ©tiens la possibilitĂ© des antipodes ? 11 n’est point de siecle qui, par quelque affirmation ou quelque nĂ©gation ridicule, n’ap- prĂȘte Ă  rire au liecle suivant. Une folie passĂ©e Ă©claire rarement les hommes fur leur folie prĂ©sente. Au reste, ces mĂȘmes pallions qu’on doit regarder comme le germe d’une infinitĂ© d’erreurs , font aussi la source de nos lumiĂšres. Si elles nous Ă©garent, elles seules nous donnent la force nĂ©cessaire poyir marcher ; elles feules peuvent nous arracher Ă  cette inertie cl Ă  cette paresse, toujours ai De l’ E s p r i t. prĂȘtes Ă  saisir toutes les facultĂ©s de notre ame. Mais ce n’est pas ici le lieu d’examiner la vĂ©ritĂ© de cette proposition. Je passe maintenant Ă  la seconde cause de nos erreurs. CHAPITRE III. De f ignorance, N OUS nous trompons, Jorfqu’entraĂź- nĂ©s par une passion, & fixant toute notre attention fur un des cĂŽtĂ©s d’un objet , nous voulons, par ce seul cĂŽtĂ©, juger de l’objet entier. Nous nous trompons encore, lorsque , nous Ă©tablissant juges fur une matiĂšre, notre mĂ©moire n’est point chargĂ©e de tous les faits de la comparaison desquels dĂ©pend en ce genre la justesse de nos dĂ©cisions. Ce n’est pas que chacun n’ait l'esprit juste ; chacun voit bien ce qu’il voit mais, personne ne se dĂ©fiant assez de son ignorance , on croit trop facilement que ce que l’on voit dans un objet est tout ce que l’on y peut voir. Dans les questions un peu difficiles, l’ignorance doit ĂȘtre regardĂ©e comme la principale cause de nos erreurs. Pour savoir combien en ce cas il est facile de se Discours I. 2 Z faire illusion Ă soi-mĂȘme ; & comment, en tirant des consĂ©quences toujours justes de leurs principes , les hommes arrivent Ă  des rĂ©sultats entiercment contradictoires , je choisirai pour exemple une question un peu compliquĂ©e telle est celle du luxe , Ăźur laquelle on a portĂ© des jugementstrĂšs- diffĂ©rents , selon qu’on l’a considĂ©rĂ©e sous telle ou telle face. Comme le mot de luxe est vague, n’a aucun sens bien dĂ©terminĂ©, & n’est ordinairement qu une expression relative ; il faut d’abord arracher une idĂ©e nette Ă  ce mot de luxe pris dans une signification rigoureuse ; & donner ensuite une dĂ©finition du luxe considĂ©rĂ© par rapport Ă  une nation & par rapport Ă  un particulier. Dans une signification rigoureuse , on doit entendre par luxe toute efpece de fu- perfluitĂ©s , c’est-Ă -dire tĂŽut ce qui n’est pas absolument nĂ©cessaire Ă  la conservation de l’homme. Lorsqu’il s’agit d’un peuple policĂ© &c des particuliers qui le composent , ce mot de luxe a une toute autre signification ; il devient absolument relatif. Le luxe d’une nation policĂ©e est Fem- ploi de ses richesses Ă  ce que nomme su- perfluitĂ©s le peuple avec lequel on com- Î >are cette nation. C’est le cas oĂč se trouve 'Angleterre par rapport Ă  la Suisse. Le luxe dans un particulier est pareille- 44 De l’ E s p r i t. ment l’emploi de ses richesses Ă  ce que l’on doit appeller superstuitĂ©s , eu Ă©gard au poste que cet homme occupe dans un Ă©tat , & au pays dans lequel il vit tel Ă©toit le luxe du Bourvalais. Cette dĂ©finition donnĂ©e , voyons fous quels aspects diffĂ©rents on a considĂ©rĂ© le luxe des nations , lorsque les uns Pont regardĂ© comme utile , & les autres comme nuisible Ă  l’état. Les premiers ont portĂ© leurs regards fur ces manufactures que le luxe construit, ost TĂ©tranger s’empresse d’échanger ses trĂ©sors contre Tindustrie d’une nation. Ils voient l’augmentation des richesses amener Ă  fa fuite Taugmentation du luxe Sc la perfection des arjs propres Ă  le satisfaire. Lesiecle du luxe leur paroĂźt l’époque de la grandeur & de la puissance d’un Ă©tat. L’abondance d’argent qu’iĂŹ suppose Sc qu’il attire, rend, disent-ils, la nation heureuse au-dedans , Sc redoutable au-dehors. C’est par Pargent qu’on soudoie un grand nombre de troupes , qu’on bĂątit des magasins , qu’on fournit des arcenaux , qu’ qu’on entretient alliance avec de grands princes, & qu’une nation enfin peut non seulement rĂ©sister , mais encore commander Ăą des peuples plus nombreux Sc par consĂ©quent plus rĂ©ellement puissants qu’elle. Si le luxe rend un Ă©tat redoutable au-dchors , quelle fĂ©licitĂ© Discours L Ls fĂ©licite ne lui procure-t-il pas au-dedans ? II adoucit les mƓurs ; il crĂ©e dc nouveaux plaisirs, fournit par ce moyen Ă  la subsistance- d’une infinitĂ© d’ouvriers. II excite une cupiditĂ© salutaire qui arrache l’homme Ă  cette inertie, Ă  cet ennui qu'on doit regarder comme une des maladies les plus communes & les plus cruelles de l’huma- nitĂ©. II rĂ©pand par tout une chaleur vivifiante , fait circuler la vie dans tous les membres d un Ă©tat, y rĂ©veille l’industrie , fait ouvrir des ports , y construit des vaisseaux , les guide Ă  travers í’ocĂ©arf, & rend enfin communes Ă  tous les hommes les productions & les richesses que la nature avare enferme dans les gouffres des mers , dans les abyĂ­'mes de la terre, ou qu’elle tient Ă©parses dans mille climats divers. VoilĂ , je pense, Ă  peu prĂšs le point de vue fous lequel le luxe fe prĂ©sente Ă  ceux qui le considĂšrent comme utile aux Ă©tats. Examinons maintenant l’aspect sous lequel il s’offrc aux philosophes qui le regardent comme funeste aux nations. Le bonheur des peuples dĂ©pend, & de la fĂ©licitĂ© dont ils jouissent au-dedans, &c du respect qu’ils inspirent au dehors. A l’égard du premier objet, nous pensons, diront ces philosophes, que le luxe & les richesses qu’il attire dans un Ă©tat n'en Tom. 1, B De l’ E s !» r i t. rendroient les sujets que plus heureux, ft ces richesses Ă©toient moins inĂ©galement partagĂ©es, & que chacun pĂ»t se procurer les commoditĂ©s dont Tindigence le force Ă  se priver. Le luxe n’est clone pas nuisible comme luxe, mais simplement comme l’esset d’une grande disproportion entre les richesses des citoyens . Audi le luxe n’est-il jamais ex- a Le luxe fait circuler l’argent ; il le retire des coffres oĂč l’avarice pourroit i’entaĂ­ler c’est donc le luxe , disent quelques gens , qui remet rĂ©quilibre entre les fortunes des citoyens. Ma temporise Ă  ce raisonnement , c’est qu i! ne produit point cet effet. Le luxe lĂčppofe toujours une cause d’inĂ©galitĂ© de richesses entre les citoyens. Or , cette cause , qui fait les premiers riches , doit, lorsque le luxe les a ruinĂ©s , en reproduire toujours de nouveaux si l’on dĂ«truifolt cette cause d’inĂ©galitĂ© de richesses , le luxe difparoĂźtroit avec elle. il n’y a pas de ce qu’on appelle luxe dans les pays oĂč les fortunes des citoyens font Ă  peu prĂšs Ă©gales. J’ajouterai Ă  ce que je viens de dire, que cette inĂ©galitĂ© de richesses une fois Ă©tablie , le luxe lui— mĂȘme est en partie cause de la reproduction perpĂ©tuelle du luxe. En effet, tout homme qui fe ruine par son luxe, transporte la plus grande partie de ses richesses dans les mains des artisans du luxe ; ceux-ci enrichis des dĂ©pouilles d’une infinitĂ©-de dissipateurs, deviennent riches Ă  leur tour , & 1e ruinent de la mĂȘme maniĂ©rĂ©. Or, des dĂ©bris detanr de fortunes, ce qui reflue de richesses dans les campagnes n’enpeut ĂȘtre que la moindre partie , parce que les produc? Discours I. 27 thĂšme, lorsque le partage des richeĂ­Tes n’est pas trop inĂ©gal ; il s’augmente Ă  mesure qu’elles se rassemblent en un plus petit nombre de mains ; il parvient enfin Ă  son dernier pĂ©riode, lorsque la nation sc partage en deux classes , dont l’une abonde en superfluitĂ©s, & l’autre manque du nĂ©cessaire. ArrivĂ© une fois Ă  ce point, TĂ©tĂąt d’une nation est d’autant plus cruel qu'il est incurable. Comment remettre alors quelque Ă©galitĂ© dans les fortunes des citoyens ? L’homme riche aura achetĂ© de grandes seigneuries Ă  portĂ©e de profiter du dĂ©rangement de ses voisins, il aura rĂ©uni, en peu xle temps, une infinitĂ© de petites propriĂ©tĂ©s Ă  son domaine. Le nombre des propriĂ©taires diminuĂ©, celui des journaliers fera “fions de la terre , destinĂ©es Ă  Tissage commun des hommes , ne peuvent jamais excĂ©der un certain prix. II n’en est pas ainsi de ces mĂȘmes productions , lorsqu’elles ont passĂ© dans les manufactures , & qu’eiles ont Ă©tĂ© employĂ©es par l'industrie; elles n'ont alors de valeur que celle que leur donne la fantaisie ; le prix en devient excessif. Le luxe doit donc toujours retenir Targent dans les mains de ses artisans , le faire toujours circuler dans la mĂȘme classe d’hommes, & par ce moyen entretenir toujours T inĂ©galitĂ© des richesses entre les citoyens. B ij D e l’ E s p r i t augmentĂ© lorsque ces derniers seront assez multipliĂ©s pour qu’il y ait plus d’cuvriers que d’ouvrage, alors le journalier suivra le cours de toute espece de marchandise, dont la valeur diminue lorsqu’elle est commune. D’ailleurs, Phomme riche, qui a plus de luxe encore que de richesses, est intĂ©ressĂ© Ă  baisser le prix des journĂ©es, Ă  n’of- frir au journalier que la paye absolument nĂ©cessaire pour sa subsistance 0 le be- b On crois communĂ©ment que les campagnes font ruinĂ©es par les corvĂ©es, les impositions, & surtout par celle des tailles ; je conviendrai volontiers ou’elles font trĂšs-oncreuĂ­es il ne faut cependant pas imaginer que la feule suppression de cet impĂŽt rendit ia condition des paysans fort heureuse. Dans beaucoup de provinces , la journĂ©e est de huit fols. Or, de ces huit fols , fi je dĂ©duis Pimposition de l’église , c’est-Ă -dire, Ă  peu prĂšs quatre-vingt-dix fĂȘtes ou dimanches , & peut-ĂȘtre une trentaine de jours dans TannĂ©e oĂč Touvrier est incommodĂ©, fans ouvrage, ou employĂ© aus corvĂ©es , il ne lui reste, Pur. portant l’autre, que six fols par jour tant qu'ii est garçon, je veux que ces six fols fournissent Ă . fi dĂ©pense, le nourrissent, le vĂȘtent, le logent dĂšs qu’il fera marie , ces six fols ne pourront plus lui suffire ; parcs que , dans les premiĂšres annĂ©es du mariage , la femme , entiĂšrement occupĂ©e Ă  soigner ou Ă  allaiter ses enfans , ne peut rien gagner supposons qu’on lui fĂźt alors remise sa taille, c’est-Ă -dire, cinq ou six francs , il auroit Ă  ‱peu prĂšs un liard de plus Ă  dĂ©penser par jour or, çe liard ne changerait sĂ»rement rien Ă  sa situation Discours I. 29 soin contraint cc dernier Ă  s’en contenter; mais s’il lui survient quelque maladie ou auelque augmentation de famille, alors faute d’une nourriture faine ou assez abondante, il devient infirme, il meurt, & laisse Ă  1 Ă©tat une famille de mendiants. Pour prĂ©venir un pareil malheur , il faudroit avoir recours Ă  un nouveau partage des terres partage toujours injuste & impraticable. II est donc Ă©vident que, le luxe parvenu Ă  un certain pĂ©riode, il est impossible de remettre aucune Ă©galitĂ© entre la fortune des citoyens. Alors les riches & les richesses fe rendent dans les capitales, oit les attirent les plaisirs & les arts du luxe alors la campagne reste inculte & pauvre ; sept ou huit millions d’hommes languissent dans la mifere c, & cinq ou six que faudroit-il donc faire pour la rendre heureuse ? hausser considĂ©rablement leprix des journĂ©es. Pour cet effet , il faudroit que les seigneurs vĂ©cussent habituellement dans leurs terres Ă  l’exemple de leurs peres , ils rĂ©compenseroient les services de leurs domestiques par le don de quelques arpens de terre ; le nombre des propriĂ©taires augmenteroit insensiblement ; celui des journaliers diminueroit ; & ces derniers, devenus plus rares, meuroient leur peine Ă  plus haut prix. c II est bien singulier que les pays vantĂ©s par leur luxe & leur police soient les pays oĂč ie plus grand nombre Ă  hommes est plus malheureux B iij 30 De l’ E s p r i t. mille vivent dans une opulence qui les rend odieux, fans les rendre plus heureux. En effet, que peut ajouter au bonheur d’un homme l’excellence plus ou moins, grande de fa table ?Ne lui Ă­ ufHt-iĂź pas d’at- tendre la faim, de proportionner les. exercices ou la longueur de ses promenades au mauvais goĂ»t de son cuisinier, pour trouver dĂ©licieux tout mets qui ne fera pas dĂ©-. que ne le sont les nations sauvages , si mĂ©prisĂ©es ctes nations policĂ©es. Qui doute que l’état du sauvage ne soit prĂ©fĂ©rable Ă  celui du payan r Le sauvage n’a point , comme lui , Ă  craindre la prison , laiurcharge des impĂŽts , la vexation d’un soigneur, le pouvoir arbitraire d’un liibdĂ©lĂ©guĂ© ; il n’est point perpĂ©tuellement humiliĂ© & abruti par la prĂ©sence journaliĂšre d’hommes plus riches & plus puissants que lui ; fans supĂ©rieur , sans servitude, plus robuste que le payan , parce qu’il est plus heureux , il jouit du bonheur de i’égalĂŹtĂ© , & surtout du bien inestimable de ia libertĂ© si inutilement rĂ©clamĂ©e par la plupart des nations. Dans les pays policĂ©s , l’art de la lĂ©gislation n’a souvent consiĂ­tĂ© qu’à faire concourir une intĂŹnitĂ© d’hommes au bonheur d’un petit nombre ; Ă  tenir, pour cet effet, la multitude dans l’oppreslĂŹon, & Ă  violer envers elle tous les droits de l'humanitĂ©. Cependant , le vrai esprit lĂ©gislatif ne devroit s’occuper que du bonheur gĂ©nĂ©ral. Pour procurer ce bonheur aux hommes , peut-ĂȘtre faudroit-il les rapprocher de 1a vie de pasteur ; peut-ĂȘtre les dĂ©couvertes cn lĂ©gislation nous rameneront-elles, Ă  cet Ă©gard, au point d’oĂč l’on est d’abord parti. Non Discours I. z i testable ? D’aillcurs, la frugalitĂ© & l’exer- cice ne le font-ils pas' Ă©chapper Ă  toutes les maladies qu'occasionne la gourmandise irritĂ©e par la bonne chere ? Le bonheur ne clĂ©penddonc pas de Texceilencedela table. 11 ne dĂ©pend pas non plus de la magnificence des habits ou des Ă©quipages lors- qu’or. paroĂźt\en public couvert d’un habit brodĂ©, & trajtaq/dans un char brillant, on n’éprouVtrpa'S aes plaisirs physiques, qui font les Ă­euls plaisirs rĂ©els ; on est, tout au plus, aĂ­lectĂ© d’un plaisir de vanitĂ©, dent la que je veuille dĂ©cider une question si dĂ©licate, & qui exigeroit ! examen le plus profond mais j’a- voue qu.’il est bien Ă©tonnant que tant de formes diffĂ©rentes de gouvernement Ă©tablies du moins fous le prĂ©texte du bien public , que tant de loix , tant de rĂšglements , n’aient-Ă©tĂ© chez la plupart des peuples que des instruments de l’inĂ­brtiine des hommes. Peut-ĂȘtre ne peut-on Ă©chapper Ă  ce malheur, fans revenir Ă  des mƓurs infiniment plus simples. Je sens bien qu’ìl faudroit alors renoncer Ă  une infinitĂ© de plaisirs cĂŹont on ne peut fe dĂ©tacher fans peine ; mais ce sacrifice cependant seroit un devoir, ĂŻi le bien gĂ©nĂ©ral Pexigeoit. N’est-on pas mĂȘme en droit de loupçonner que l’extrĂȘme fĂ©licitĂ© de quelques particuliers est toujours attachĂ©e au malheur du plus grand nombre ? VĂ©ritĂ© assez heureusement exprimĂ©e par vers fur les sauvages Che{ eux tout efl commun , che{ eux tout efl Ă©gal; Comme ils sont Jans palais , ils font fans hĂŽpital. Hr De l’ E s p r x t. privation seroiĂź peut - ĂȘtre insupportable , mais dont la jouissance est insipide. Sans augmenter son bonheur, l’homme riche ne fait, par l’étalage de son luxe, qu’of- fenser rhumanitĂ© & le malheureux , qui, comparant les haillons de la misere aux habits de l'opulence , s'imagine qu’entre le bonheur du riche & le sien il n y a pas moins de diffĂ©rence qu’entre leurs vĂȘtements ; qui se rappelle, Ă  cette occasion , le souvenir douloureux des peines qu’il endure ; & qui se trouve ainsi privĂ© du seul soulagement de l'infortunĂ©, de l'oubli momentanĂ© de fa misere. II est donc certain, continueront ces philosophes, que le luxe ne fait le bonheur de personne; & qu ’en supposant une trop grande inĂ©galitĂ© de richesses entre les citoyens, il suppose le malheur du plus grand nombre d’entr’eux. Le peuple, chez qui le luxe s’in- troduit,n’est donc pas heureux au-dedans voyons s’il est respectable au dehors. L’abondance d'argent que le luxe attire dans un Ă©tat en impose d’abord Ă  l’imagina- tion ; cet Ă©tat est, pour quelques instants , un Ă©tat puissant mais cet avantage supposĂ© qu’il puisse exister quelque avantage indĂ©pendant du bonheur des citoyens n'est, comme le remarque M. Hume, qu’un avantage passager. Assez semblables aux mers, qui succeĂ­fivenient abandonnent Discours I. 33 couvrent mille plages diffĂ©rentes, les richesses doivent successivement parcourir mille climats divers. Lorsque, par la beautĂ© de tes manufactures & la perfection des arts de luxe, une nation a attirĂ© chez elle l'argent des peuples voisins, il est Ă©vident que le prix des denrĂ©es & de la main d’Ɠuvre doit nĂ©cessairement baisser chez ces peuples appauvris ; & que ces peuples, en enlevant quelques manufacturiers, quelques ouvriers Ă  cette nation riche, peuvent l’ap- pauvrir Ă  son tour en rapprovisionnant, Ă  meilleur compte , des marchandises dont cette nation les soumissent ss. Or, sitĂŽt cl Ce que je dis du commerce des marchandises de luxe , ne doit pas Rappliquer Ă  toute ef- pece de commerce. Les richesses que les manufactures Sc la perfection des arts du luxe attirent dans un Ă©tat', n’y font que passagĂšres & n’augmen- tent pas la fĂ©licitĂ© des particuliers. II n’en est pas de mĂȘme des richesses qu’attire le commerce des marchandises qu’on aopelle de premiere nĂ©cessitĂ©. Ce commerce supposĂ© une excellente culture des- terres , une subdivision de ces mĂȘmes terres en- une infinitĂ© de petits domaines, & par consĂ©quent un partage bien moins inĂ©gal des richesses. Je fais 1 bien que le commerce des denrĂ©es doit, aprĂšs un- certain temps , occasionner aussi une trĂšs-grande disproportion entre les fortunes des citoyens , & amener le luxe Ă  fa fuite ; mais peut-ĂȘtre n'est-il pas impossible d’arrĂȘter , dans ce cas, les progrĂšs du luxe. Ce qu’on peut du moins assurer, c’ L Y, 34 D L l’ E s p r ĂŹ t. c[iie la disette d'argent se fait sentir dans un Ă©tat accoutumĂ© au luxe, la nation tombe dans le mĂ©pris. la rĂ©union des richesses en un plus petit nombre de mains se sait alors bien plus lentement, & pares que les propriĂ©taires font Ă  la fois cultivateurs & nĂ©gociants , & parce que , le nombre des propriĂ©taires Ă©tant plus grand & celui des journaliers plus petit, ceus-ci, devenus plus rares , sera , comme Je l’ai dit dans une note prĂ©cĂ©dente , en Ă©tat de donner la loi, de taxer leurs journĂ©es, &. d’exiger une paye suffisante pour subsister honnĂȘtement eux &C leurs familles. C’est ainsi que chacun a part aux richesses que procure aux Ă©tats le commerce des denrĂ©es. J’ajouterai de plus que ce commerce n’eĂ­l pas lujet aux mĂȘmes rĂ©volutions que le commerce des manufactures de luxe un art, une manufacture passe aisĂ©ment d’un pays dans un autre ; mais quei tems ne saut-il pas pour vaincre l’ignorance & la paresse des paysans, &. les engager Ă  s’adonner, Ă  la culture d’une nouvelle denrĂ©e ? Pour naturaliser cette nouvelle denrĂ©e dans un pays , il faut un foin & une dĂ©pense qui doit presque toujours laisser, Ă  cet Ă©gard, l’avantage du commerce au pays. oĂč cette denrĂ©e croĂźt naturellement, & dans lequel elle est depuis longtemps cultivĂ©e. 11 est cependant un cas , peut-ĂȘtre imaginaire, oĂč rĂ©tablissement des manufactures & le commerce des arts de luxe pourroit ĂȘtre regardĂ© comme trĂšs- titile. Ce seroit lorsque l’étendue & la fertilitĂ© d’un pays ne seroient pas proportionnĂ©es au nombre de les habitants, c’est-Ă -dire, lorsiju’un Ă©tat ne pour- roit nourrir tous ses citoyens. Alors une nation qui ne fera point Ă  portĂ©e de peupler un pays tel Discours I. 35 Pour s’y soustraire, il faudroit se rapprocher dune vie simple; &c les mƓurs, ainsi que les loix,s’y opposent. Ausii l’épo- que du plus grand luxe d’une nation est-elle ordinairement l’époquela plus prochaine de fa chiite & de son avilissement. La fĂ©licitĂ© & la puissance apparente que le luxe communique, durant quelques instants, aux nations, est comparable Ă  ces fiĂšvres violentes qui prĂȘtent, dans le transport, une force incroyable au malade qusolles dĂ©vorent; & qui semblent ne multiplier les forces d’un homme , que pour le priver , au dĂ©clin de l’accĂšs, &de ces mĂȘmes forces & de la vie. Pour lĂ© convaincre de cette vĂ©ritĂ© , diront encore les mĂȘmes philosophes , cherchons ce qui doit rendre une nation rĂ©elle- que l’AmĂ©rique , n’a que deux partis Ă  prendre ; l’un, d’envoyerdes colonies ravager les contrĂ©es voisines , & s’établir, comme certains peuples, Ă  main armĂ©e dans des pays assez fertiles pour les nourrir j f autre , cVĂ©tablir des manufactures, de forcer les nations voisines d’y lever des marchandises , & de lui apporter en Ă©change les denrĂ©es nĂ©cessaires Ă  la fhbĂ­fitance d'un certain nombre d’iaabitants. Entre ces deux partis, le dernier est fans contredit le plus humain quel que soit le sort des armes, victorieuse ou vaincue , toute colonie qui entre Ă  main annĂ©e dans un pays, y rĂ©pand certainement plus de dĂ©solation & de maux que n’en peut occasionner la E'vĂ©e d’un el’pece de tribut , moins exigĂ© par la force que par l'humanitĂ©. 3 6 De l’ E s p r i t. ment respectable Ă  ses voisins c’est , fans contredit, le nombre, la vigueur de ses citoyens , leur attachement pour la patrie, & enfin leur courage & leur vertu. Quant au nombre des citoyens , on fait que les pays de luxe ne font pas les plus peuplĂ©s; que, dans la mĂȘme Ă©tendue de terrein, la Suisse peut compter plus d’habi- tants que PEspagne , la France & mĂȘme PAngleterre. La consommation d’hommes, qu’occa- sionne nĂ©cessairement un grand commerce c, n’est pas en ces pays Punique cause e Cette, consommation d’hommes est cependant si grande, qu’on ne peut fans frĂ©mir considĂ©rer celle que fupofe notre commerce d’AmĂ©rique. L’humaniiĂ© , qui commande l’amour de tous les hommes , veut que , dans la traite des nĂšgres , je mette Ă©galement au rang des malheurs St ĂŹa mort de mes compatriotes & celle de tant d’Africains , qu’anime au combat l’efpoir de taire des prisonniers & le dĂ©sir de les Ă©changer contre nos marchandises. Si l’on suppute le nombre d’hommes qui pĂ©rit, tant par les guerres que dans la traversĂ©e d’Afrique en ArmĂ©rique ; qu’on y ajoute celui des nĂšgres qui , arrivĂ©s Ă  leur destination , deviennent la victime des caprices , de la cupiditĂ© & du pouvoir arbitraire d’un maĂźtre ; & qu’on joigne Ă  ce nombre celui des citoyens qui pĂ©rissent par le feu , le naufrage ou le scorbut ; qu’enfin on y ajoute celui des matelots qui meurent pendant leur sĂ©jour Ă  Saint DoirĂșnguc, ou par les maladies affectĂ©es Ă  la tem- Discours I. 37 de la dĂ©population le luxe en crĂ©e mille autres, puii'qu’il attire les richesses dans les capitales, laisse les campagnes dans la disette , favorise le pouvoir arbitraire & par consĂ©quent l’augmentation des subsides , Ăšz qu’il donne enfin aux nations opulentes la facilitĂ© de contracter des dettes / dont elles ne peuvent ensuite s’acquitter fans surcharger les peuples d’impĂŽts onĂ©reux. Or ces diffĂ©rentes causes de dĂ©population, en plongeant tout un pays dans la mil'ere, y doivent nĂ©cessairement affoiblir la constitution des corps. Le peuple adonnĂ© au luxe n’est jamais un peuple robuste de ses citoyens , les uns font Ă©nervĂ©s par la mollesse , les autres extĂ©nuĂ©s par le besoin. Si les peuples sauvages 011 pauvres, comme le remarque le chevalier Folard, pĂ©rature particuliĂšre de ce climat, ou par les suites d’un libertinage toujours fi dangereux en ce pays on conviendra qu’ii n'arrive point de barrique de sucre en Europe qui ne soit teinte de sang humain. Or , quel homme , Ă  la vue des malheurs qu’oc- casionnent la culture 6c Importation de cette denrĂ©e , refuserait de s'en priver, &, ne renoncerait pas Ă  un plaisir achetĂ© par les larmes & la mort de tant de malheureux ? DĂ©tournons nos regards d’un spectacle si funeste, & qui fait tant de honte &c d’horreur Ă  l'humanitĂ©. / La Hollande, l’Angleterre, 1a France sont fhargĂ©es de dettes y §í k Suisse ne doit rien. De l’ E s p r i r. ont Ă  cet Ă©gard une grande supĂ©rioritĂ© sur les peuples livrĂ©s au luxe ; c'est que le laboureur est, chez les nations pauvres , souvent plus riche que chez les rations opulentes ; c’est cu un paysan Suisse est plus Ă  son aise qu’un paylan François g . Pour former des corps robuĂ­ĂŹes, il Ă­aut une nourriture simple, mais faine & assez abondante ; un exercice qui, fans ĂȘtre excessif, soit fort ; une grande habitude Ă  supporter les intempĂ©ries des faisons , habitude que contrastent les paysans, qui, par cette raison, sont infiniment plus propres Ă  soutenir les fatigues de la guerre que des manufacturiers , la plupart habituĂ©s Ă  une vie sĂ©dentaire. C’est aussi chez les nations pauvres que fe sonnent ces armĂ©es infatigables qui changent le destin des empires. Quels remparts oppoferoit Ă  ces nations un pays livrĂ© au luxe & Ă  la mollesse ? Il ne peut leur en imposer ni par 1c nombre, ni par la force de lĂ©s liabitans. Rattachement pour la pairie , dira-t-on, peut supplĂ©er au nombre & Ă  la force des citoyens. Mais qui produiroit en ces pays cet amour Ă­Ăź il ne suffit pas, dit Grotius , que le peuple Ă­oit pourvu clos choses absolument nĂ©cessaires Ă  fa conservation ik. Ă  sa vie ; il saut encore qu’il Tait agrĂ©able. Discours I. zy vertueux de la pairie ? L’ordre des paysans,, qui compose Ă  lui seul les deux tiers de chaque nation , y est malheureux celui des artisans n’y poĂ­Ă­ede rien ; transplantĂ© de son village dans une manufacture ou une boutique, & de cette boutique dans une autre , Partisan est familiarisĂ© avec l’idĂ©e du dĂ©placement ; il ne peut contracter d'attachement pour aucun lieu ; assurĂ© presque partout de sa subsistance, il doit se regarder non comme le citoyen d’un ;, mais comme un habitant du monde. Un pareil peuple ne peut donc se distinguer longtemps par son courage ; par ce que, dans un peuple, le courage est ordinairement, oui’effet de la vigueur du corps, de cette confiance aveugle en ses forces qui cache aux hommes la moitiĂ© du pĂ©ril auquel ils s’exposent, ou l’essct d'un violent amour pour la patrie qui leur fait dĂ©daigner les dangers or le luxe tarit, Ă  la longue , ces deux sources de courage h. h En consĂ©quence , l’on a toujours regardĂ© J’eiprit militaire tomme incompatible avec lefprit de commerce cen’est pas qu’on ne puisse dumoinĂ­ les concilier juĂ­qa’à lin certain point ; mais c’ùst qu’en politique ce problĂšme est un des plus difficiles Ă  rĂ©Ă­oudre. Ceux qui, jtssqn'Ă  prĂ©sent , ont Ă©crit sur le commerce , l’ont traitĂ© comme une question isolĂ©e 3 ils r. ont pas astea fortement senti %0 D E L’ E S P R I T. Peut-ĂȘtre la cupiditĂ© en ouvriroit-elleune troisiĂšme, si nous vivions dans ces siĂ©cles barbares oĂč l’on rĂ©duifoit les peuples en ler- vitude, & l’on abandonnoit les villes au pillage. Le soldat n’étant plus maintenant excitĂ© par ce motif, il ne peut l’ĂȘtre que par ce qu’on appelle l’honneur ; or le dĂ©sir de rhonneurs’attiĂ©ditchezun peuple, lorsque l’amour des richesses s’y allume f. En vain diroit-on que les nations riches gagnent du moins en bonheur en plaisirs ce qu’elles perdent en vertu & en courage un Spartiate k n’étoit pas moins heureux qu un que tout a ses reflets ; qu’en fait de gouvernement, il n’est point proprement de question isolĂ©e ; qu’en ce genre , le mĂ©rite d'un auteur consiste Ă  lier ensemble toutes les parties de l’administration ; & qu’ensin un Ă©tat est une machine mue par diffĂ©rents ressorts , dont il faut augmenter ou diminuer la force proportionĂ©ment au jeu de ces ressorts entre xux, & Ă  l’effet qu’on veut produire. t II est inutile d’avertir que le luxe est , Ă  cet Ă©gard, plus dangereux pour une nation situĂ©e eu terre ferme que pour des insulaires ; leurs remparts font leurs vaisseaux, & leurs soldats les matelots. A Un jour qu’on faisoit devant Alcibiade dĂ©loge de la valeur des Spartiates De quoi s'Ăštonne- t-on, disoit-il ? Ă  la vit malheureuse quils mĂšnent , ils ne doivent avoir rien de fi prejsĂ© que de mourir . Cette plaisanterie Ă©toit celle d’un jeune homme nourri dans le luxe Alcibiade se trompoit, & La- fĂ©dĂ©inçue neavioit pas bonheur d’Atheaes» Discours T. 41 Perse ; les premiers Romains, dont le courage Ă©toit rĂ©compensĂ© par le don de quelques denrĂ©es , n’auroient point enviĂ© le fort de CraĂ­Ă­us. LaĂŻus Duillius, qui, par ordre du sĂ©nat, Ă©toit tous les soirs reconduit Ă  fa maison Ă  la clartĂ© des flambeaux & au son des flĂ»tes , n’étoit pas moins sensible Ă  ce concert grossier que nous le sommes Ă  la plus brillante sonate. Mais, en accordant que les nations opulentes se procurent quelques commoditĂ©s inconnues aux peuples pauvres , qui jouira de ces commoditĂ©s ? un petit nombre d'hommes privilĂ©giĂ©s & riches , qui , se prenant pour la nation entiere, concluent de leur aisance particuliĂšre que le Paysan est heureux. Mais quand mĂȘme ces commoditĂ©s seroient reparties entre un plus grand nombre de citoyens, de quel prix est cet avantage comparĂ© Ă  ceux que procurent Ă» des peuples pauvres une ame forte, courageuse & ennemie de l’esclavage ? Les nations chez qui le luxe s'introduit font tĂŽt ou tard victimes du despotisme ; elles prĂ©sentent des mains foibles & dĂ©biles aux fers dont C’est ce qui faiĂ­oit dire Ă  un ancien, qu’il Ă©toit plus doux de vivre, comme les Spartiates, Ă  l’ombre des bonnes loix, qu’à l’ombre des boccages, comme les Sybarites, h 4t De l’ E s p r x t. Ăźa tyrannie vent les charger. Comment s’y soustraire ? Dans ces nations, les uns vivent dans la mollesse , &c la mollesse ne pense ni ne prĂ©voit les autres languissent dans la misere ; & le besoin pressant, entiĂšrement occupĂ© Ă  se satisfaire, n’éleve point ses regards jusqu’à la libertĂ©. Dans la forme despotique, les richesses de ces nations font Ă  leurs maĂźtres ; dans la forme rĂ©publicaine , elles appartiennent aux gens puissants, comme aux peuples courageux qui les avoiĂ­inent. Apportez-nous vos trĂ©sors , auroient » pu dire les Romains aux Carthaginois ; » ils nous appartiennent Rome & Car- » thage ont toutes deux voulu s’enrichir, » mais elles ont pris des routes diffĂ©rentes >> pour arriyer Ă  ce but. Tandis que vous » encouragiez Pindustrie de vos citoyens, » que vous Ă©tablissez des manufactures , » que vous couvriez la mer de vos vais- » seaux, que vous alliez reconnoĂźtre des » cĂŽtes inhabitĂ©es, & que vous attiriez chez » vous tout Por des Ëspagnes & de l'A- » srique ; nous , plus prudents , nous en- » durcissons nos soldats aux fatigues de la » guerre, nous Ă©levions leur courage, » nous savions que Pi'idustrieux ne tra- » vaiiloit que pour le brave. Le tems de » jouir est arrivĂ© ; rendez-nous des biens » que vous ĂȘtes dans Pimpuissancc de dé» Discours k. 45 » fendre ». Si ies Romains n’ont pas tenu ce langage, du moins leur conduite prouve- t-elle qu’ils Ă©toient affectĂ©s des sentiments que ce discours suppose. Comment la pauvretĂ© de Rome n’eĂ»t-elle pas commande Ă  la richesse de Carthage, & conservĂ©, Ă  cet Ă©gard, l’avantage que presque toutes Tes nations pauvres ont eu fur les nations opulentes ? N’a-t-on pas vu la frugale LacĂ©dĂ©mone triompher de la riche & commerçante AthĂšnes ? les Romains fouler aux pieds les sceptres d’or de FAfie ? N’a- t-on pas vu l’Egypte, la PhĂ©nicie, Tyr, Sidon, Rhodes, Genes, Venise, subjuguĂ©es ou du moins humiliĂ©es par des peuples qu’eĂ­les appelloient barbares ? Et qui sait si on ne verra pas un jour la riche Hollande, moins heureuse au dedans que la Suisse, opposer Ă  ses ennemis une rĂ©sistance moins opiniĂątre ? VoilĂ  fous quel point de vue le luxe se prĂ©sente aux philosophes qui Pont regardĂ© comme funeste aux nations. La conclusion de ce que je viens de dire , c’est que les hommes, cn voyant bien ce qu’ils voient, en tirant des consĂ©quences trĂšs-justes de leurs, principes , arrivent cependant Ă  des rĂ©sultats souvent contradictoires ; parcĂȘ qu’ils n’ont pas dans la mĂ©moire tous 1 is objets, de la comparaison desquels doit rĂ©sulter la vĂ©riti qu’ils cherchent. Ï4 v L L’ E S P R I T. II est, je pense, inutile de dire qu’en prĂ©sentant la question du luxe sous deux aspects diffĂ©rents , je ne prĂ©tends point dĂ©cider st le luxe est rĂ©ellement nuisible ou utile aux Ă©tats il faudroit, pour rĂ©soudre exactement ce problĂšme moral , entrer' dans des dĂ©tails Ă©trangers Ă  l’objet que je me propose ; j’ai seulement voulu prouver, par cet exemple, que, dans les questions compliquĂ©es 6c fur lesquelles on juge fans palsion, on ne se trompe jamais que par ignorance ; c’est-Ă -dire , en imaginant que le cĂŽtĂ© qu’on voit dans un objet est jtout ce qu’il y a Ă  voir dans ce mĂȘme objet. CHAPITRE IV. D t, tabus dts mots. N E autre cause d’errcur , 6c qui tient pareillement Ă  l’ignorance, c’est l’abus des mots, 6c les idĂ©es peu nettes qu’on y attache. M. Locke a si heureusement traitĂ© ce sujet, que je ne m’en permets l’examen que pour Ă©pargner la peine des recherches aux lecteurs, qui tous n’ont pas í’ouvrage de ce philosophe Ă©galement prĂ©sent Ă  l’elprit. Discours I. 45 Descartes avoit dĂ©jĂ  dit, avant Locke, que les PĂ©ripatĂ©ticiens, retranchĂ©s derriere 1’obscuritĂ© des mots, Ă©toient assez semblables Ă  des aveugles qui, pour rendre le combat Ă©gal , attireroient un homme clairvoyant dans une caverne obscure 1 que cet homme, ajoutoit-iĂ­, sache donner du jour Ă  la caverne, qu’il force les PĂ©ripatĂ©ticiens d’attacher des idĂ©es nettes aux mots dont ils se servent ; son triomphe est assurĂ©. D’aprĂšs Descartes & Locke, je vais donc prouver qu’en mĂ©taphysique Lc en morale, l’abus des mots & l’igno- rance de leur vraie signification est, si j’ose le dire, un labyrinthe oii les plus grands gĂ©nies se sont quelquefois Ă©garĂ©s. Je prendrai pour exemples quelques-uns de ces mots qui ont excitĂ© les disputes les plus longues & les plus vives entre les philosophes tels font, en mĂ©taphysique, les mots de matiĂšre , d ’espace & Ôl infini. L’on a de tout temps & tour-Ă -tour soutenu que la matiĂšre sentoit ou ne Ă­entoit pas, &c l’on a fur ce sujet disputĂ© trĂšs- longuement & trĂšs-vaguement. L’on s’est avilĂ© trĂšs-tard de se demander sur quoi l’on disputoit, & d’attacher une idĂ©e prĂ©cise Ă  ce mot de matiĂšre. Si d’abord l’on en eut fixĂ© la signification, on eĂ»t reconnu que les hommes Ă©toient, si je l’oĂ­e dire, les crĂ©ateurs de la matiĂšre, que la matiĂšre 4 lombes se rĂ©pandre dans les champs » pour y chercher leur nourriture. » .A u reste, si le mot d’amour-propre , mal entendu, a soulevĂ© tant de petits esprits contre M. de la Rochefoucault quelles disputes, plus sĂ©rieuses encore, n’a point occasionnĂ© le mot de libertĂ© ? disputes qu’on eĂ»t facilement terminĂ©es, si tous les hommes, auĂ­si amis de la vĂ©ritĂ© que le P. Malebranche, fussent convenus, comme cet habile ThĂ©ologien, dans fa PrĂ©motion physique , que lu libertĂ© Ă©toit un tnyjlere. Lorsqu’on me pouffe sur cette question , disoit-iĂŹ, je suis forcĂ© de m’arrĂȘter tout court. Ce n’est pas qu’on ne puisse se formeĂŻ fr De l’ E s p r i t. une idĂ©e nette du mot libertĂ©s pris dans une signification commune. L’homme libre est l’homme qui n’est ni chargĂ© de fers, ni dĂ©tenu dans les prisons, ni intimidĂ©, comme l’efclave, par Ă­a crainte des chĂątiments ; en ce sens, la libertĂ© de l’homme consiste dans l’exercice libre de fa puissance je dis de fa puissance, parce qu’il seroit ridicule de prendre pour une non-libertĂ© l’impuis- sance oĂč nous sommes de percer la nue comme l’aigle, de vivre fous lĂšs eaux comme la baleine, & de nous faire roi, pape, ou empereur. On a donc une idĂ©e nette de ce mot de libertĂ© , pris dans une signification commune. II n’en est pas ainsi lorfqu’on applique ce mot de libertĂ© Ă  la volontĂ©. Que feroit-ce alors que la libertĂ© ĂŹ on ne pourroit entendre , par ce mot, que le pouvoir libre de vouloir ou de ne pas vouloir une chose ; mais ce pouvoir fuppoferoit qu’il peut y avoir des volontĂ©s fans motifs, & par consĂ©quent des effets fans calife. II faudroit donc que nous puisions Ă©galement nous vouloir du bien & du mal ; supposition absolument impossible. En effet, si le dĂ©sir du plaisir est le principe de toutes nos pensĂ©es & de toutes nos actions, Ă­ĂŹ tous les hommes tendent continuellement vers leur bonheur rĂ©el ou apparent ; toutes ros volontĂ©s ne font donc que l’effet de Discours I. cette tendance. En ce sens, on ne peut donc attacher aucune idĂ©e nette Ă  ce mot de libertĂ©. Mais , dira-t-on, Ă­i l’on est nĂ©cessitĂ© Ă  poursuivre le bonheur partout oĂŹi l’on l’apperçoit, du moins* sommes-nous libres Ă­iir le choix des moyens que nous employons pour nous rendre heureux a ? Oui, rĂ©pondrai-e mais libre n’est alors qu’un synonyme à’éclairĂ© , 8Ă­ l’on ne fait que confondre ces deux notions selon qu’un homme saura plus ou moins de procĂ©dure & de jurisprudence , qu’il sera conduit dans ses affaires par un avocat plus ou moins habile, il prendra un parti meilleur ou moins bon ; mais , quelque parti qu’il prenne, le dĂ©sir de son bonheur .1 II est encore des gens qui regardent la suspension d’esprit comme une preuve de la libertĂ© ; ils ne s’apperçoivent pas que la suspension est auffi nĂ©cessaire que la prĂ©cipitation dans les jugements lorsque, faute d’examen , l’on s’est exposĂ© Ă  quelque malheur, instruit par l’infortune , l’amour de soi doit nous nĂ©cessiter Ă  la suspension. On se trompe pareillement sur le mot dĂ©libĂ©ration nous croyons dĂ©libĂ©rer lorsque nous avons , par exemple , Ă  choisir entre deux plaisirs Ă  peu prĂšs Ă©gaux & presque en Ă©quilibre ; cependant l’on ne fait alors que prendre pour dĂ©libĂ©ration la lenteur avec laquelle , entre deux poids Ă  peu prĂšs Ă©gaux, le plus pesant emporte un des bassins de la balance. 54 De l’ E s p r i t. lui fera toujours choisir le parti qui lui paroĂźtra le plus convenable Ă  ses intĂ©rĂȘts, ies goĂ»ts, ses paillons, & enfin Ă  ce qu’il regarde comme ion bonheur. Comment pourroit-on philosophiquement expliquer le problĂšme de la libertĂ© ? Si, comme M. Locke l’a prouvĂ©, nous sommes disciples des amis, des parents, des lectures, &c enfin de tous les objets qui nous environnent ; il faut que toutes uos pensĂ©es & nos volontĂ©s soient des effets immĂ©diats ou des suites nĂ©cessaires des impreĂ­fions que nous avons reçues. On ne peut donc se former aucune idĂ©e de ce mot de libertĂ© , appliquĂ© Ă  la volontĂ© Ă© ; il faut la considĂ©rer comme un b La libertĂ© , disoient les StoĂŻciens, est une » chimere. Faute de connoĂźtre les motifs, de ral- „ sembler les circonstances qui nous dĂ©terminent Ă  agir d’une certaine maniĂ©rĂ© , nous nous croyons » libres. Peut-on penser que l’homme ait vĂ©ritable- i> ment le pouvoir de se dĂ©terminer ? Ne sont-ce pas plutĂŽt les objets extĂ©rieurs , combinĂ©s de mille façons diffĂ©rentes , qui le poussent Sc le dĂ©- w terminent ? Sa volontĂ© est-elle une facultĂ© vague 3, & indĂ©pendante , qui agisse fans choix Sc par 3J caprice ? Elle agit, soit en consĂ©quence d’un ju- » gement, d’un acte de l’entendement, qui lui re- 3i prĂ©sente que telle chose est plus avantageuse Ă  ses » intĂ©rĂȘts que toute autre , soit qu'indĂ©pendamment 3> de cet acte les circonstances oĂč un homme le Discours !. '57 mystĂšre ; s’écrier avec S. Paul, O altltudo ! convenir que la thĂ©ologie feule peut discourir sur une pareille matiĂšre, & qu'un traitĂ© philosophique de la libertĂ© ne seroit qu un traitĂ© des effets fans cause. On voit quel germe Ă©ternel de disputes & de calamitĂ©s renferme souvent l’igno- rance de la vraie signification des mots. Sans parler du sang versĂ© par les haines & les disputes idĂ©ologiques , disputes presque toutes fondĂ©es fur un abus de mots, quels autres malheurs encore cette ignorance n’a-t-elle point produits, & dans quelles erreurs n’a-t-elle point jetĂ© les nations ? Ces erreurs sont plus multipliĂ©es qu’on ne pense. On sait ce conte d’un Suisse on lui avoit consignĂ© une porte des Tuileries, avec dĂ©fense d’y laisser entrer personne. Un bourgeois s’y prĂ©sente On ri?entre point , lui dit le Suisse. Ausp, rĂ©pond le bourgeois, je ne veux point entrer , mais sortir feulement du pont-royal..,.. Ah! ri il ri agit de sortir , reprend le Suisse, monfieur » trouve rinclinent, la forcent Ă  se tourner d’iui „ certain cĂŽtĂ© ; & il se flatte alors qu’il s’y est j tournĂ© librement , quoiqu’il n’ait pas pu vouloir » Ă­Ă© tourner d’un autre », Hisloire critique de la philosophie . $6 De i’ E s p r i t. vouspouve^pajfer c. Qui lc croiroit ? ce conte est l’histoire du peuple Romain, c Lors qu'on voit un chancelier avec sa simarre, sa large perruque & son air composĂ© , s’il n’est point, dit Montaigne , de tableau plus plaisant Ă  se faire que de se peindre ce mĂȘme chancelier consommant l’ceuvre du mariage ; peut-ĂȘtre n’est-orl pas moins tentĂ© de rire , lorsqu'on voit l'air soucieux & la gravitĂ© importante avec laquelle certains visirs s’affeyent au divan pour opiner & con- clurre , comme le Suisse , Ah ! s’il s'agit de sortir , monfieur, vous pouve^ passer. Les applications de ce mot font si faciles & si frĂ©quentes qu'on peut s’en fier, Ă  cet Ă©gard , Ă  la sagacitĂ© des lecteurs, Sc les assurer qu’ils trouveront partout des sentinelles Suisses. Je ne puis m’empĂȘcher de rapporter encore Ă  ce sujet un fait assez plaisant C’estja rĂ©ponse d'un Anglois Ă  un ministre d’état. Rien de plus ridicule, disoit le ministre aux courtisans, que la maniĂ©rĂ© dont sc tient le conseil chez quelques nations nĂšgres. ReprĂ©sentez-vous une chambre d’affemblĂ©e oĂč sont placĂ©es une douzaine de grandes cruches ou jarres Ă  moitiĂ© pleines d’eau c'est lĂ  que nuds , & d’un pas grave , se rendent une douzaine de conseillers d'Ă©tat arrivĂ©s dans cette chambre , chacun faute dans fa cruche, s’y enfonce jusqu’au cou ; & c'est dans cette posture qu’on opine &c qu’on dĂ©libĂ©rĂ© fur les affaires d’état. Mais vous ne riez pas ? dit le ministre ais seigneur le plus prĂšs de lui. C est , rĂ©pondit-!!, que je les jours quelque chose de plus plaisant encore. Quoi donc ? reprit le ministre. Ce fi un pays oĂč les cruches seules tiennent conseil. Discours I. 57 CĂ©sar se prĂ©sente dans la place publique , il veut s’y faire couronner ; &c les Romains , faute d’attacher des idĂ©es prĂ©cises au mot de royautĂ©, lui accordent, fous le nom Ă 'imperator, la puissance qu’ils lui refusent sous le nom de r ex. Ce que je dis des Romains peut gĂ©nĂ©ralement Rappliquer Ă  tous les divans & Ă  tous les conseils des princes. Parmi les peuples, comme parmi les souverains, il n’en est aucun que l’abus des mots n'ait prĂ©cipitĂ© dans quelque erreur grossiĂšre. Pour Ă©chapper Ă  ce piege , il faudroit, suivant le conseil de Leibnitz, composer une langue philosophique , dans laquelle on dĂ©termineroit la signification prĂ©cise de chaque mot. Les hommes alors pour- roient s’entendre, se transmettre exactement leurs idĂ©es ; les disputes, qu’éternise l’abus des mots, se termineroient ; &c les hommes, dans toutes les sciences, seroient bientĂŽt forcĂ©s d’adopter les mĂȘmes principes. Mais l’exĂ©cution d’un projet si utile & si dĂ©sirable est peut-ĂȘtre impossible. Ce n’est point aux philosophes, c’est au besoin qu'on doit l’invention des langues ; & le besoin, en ce genre, n’est pas difficile Ă  satisfaire. En consĂ©quence, on a d’abord attachĂ© quelques fausses idĂ©es Ă  certains mots ; ensuite on a combinĂ© , comparĂ© ces C Y j8 De l’ E s p r i t. idĂ©es &c ces mots entr’eux ; chaque nouvelle combinaison a produit une nouvelle erreur ; ces erreurs l'e font multipliĂ©es, Ăšc en se multipliant, se sont tellement compliquĂ©es qu’il seroit maintenant impossible, sans une peine & un travail infini, d’en suivre & d’en dĂ©couvrir la source. 11 en est des langues comme d’un calcul algĂ©brique il s’y glisse d’abord quelques erreurs ; ces erreurs ne font pas apperçues ; on calcule d’aprĂšs ses premiers calculs ; de proposition en proposition, l’on arrive Ă  des consĂ©quences entiĂšrement ridicules. On en sent I’absurditĂ© mais comment retrouver l'endroit oĂč s’cst glissĂ©e la premiĂšre erreur ? Pour cet effet, il faudroit refaire &c revĂ©rifier un grand nombre de calculs ; malheureusement il est peu de gens qui puissent l’entreprendre, encore moins qui le veuillent, surtout lorsque l’intĂ©rĂȘt des hommes puissants s’oppoiĂš Ă  cette vĂ©rification. J’ai montrĂ© les vraies causes de nos faux jugements; j’ai fait voir que toutes les erreurs de l’elprit ont leur source ou dans les passions , ou dans l’ignorance, soit de certains faits, soit de la vraie signification de certains mots. L’erreur n’est donc pas essentiellement attachĂ©e Ă  la nature de l’esprit humain ; nos faux jugements font floue l’effet de causes accidentelles, qui Discours I. 59 ne supposent point en nous une facultĂ© de juger distincte de la facultĂ© de sentir ; Terreur n’est donc qu’un accident, d'ost il fuit que tous les hommes ont essentiellement l’efprit juste. Ces principes une fois admis, rien ne m’empeche maintenant d’avancer , que juger , comme je Tai dĂ©jĂ  prouvĂ© , n’est proprement que sentir. La conclusion gĂ©nĂ©rale de ce discours, c’est que l’efprit peut ĂȘtre considĂ©rĂ© ou comme la facultĂ© productrice de nos pensĂ©es ; & Tefprit, en ce sens, n’est que sensibilitĂ© Sc mĂ©moire ou Tefprit peut ĂȘtre regardĂ© comme un effet de ces mĂȘmes facultĂ©s ; &, dans cette seconde signification , Tefprit n’est qu’un assemblage de pensĂ©es, & peut fc subdiviser dans chaque homme en autant de parties que cet homme a d’idĂ©es. VoilĂ  les deux aspects sous lesquels fe prĂ©sente Tefprit considĂ©rĂ© en lui-mĂȘme examinons maintenant ce que c’est que Tefprit par rapport Ă  la sociĂ©tĂ©. 6o j ***_] . ‱ J, ' ^ r .f . . 4*1^ -*-^A - -l-^ ' Jfl ** " " * ♩ ♩*+ , I ’tl A, A , +XX+ , Ă­> >» *t >K ' -» > '"_If** — T'^t t t-^.'V' ; ^TT-^.-'T- ; r T' i ^T-' DE L’ E S P R I T. DISCOURS II. DE V ES P RIT PAR RAPPORT A LA SOCIÉTÉ. CHAPITRE PREMIER. A Science n’est que le souvenir ou des faits ou des idĂ©es d’au- trui l ’Esprit , distinguĂ© de la Science , est donc un assemblage d’idĂ©es neuves quelconques. Cette dĂ©finition de l’esprit est juste ; elle est mĂȘme trĂšs - instructive pour un philosophe mais elle ne peut ĂȘtre gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©e il faut au public une dĂ©finition qui le mette Ă  portĂ©e de com- ÏIOOCS Discours II. 6t parer les diffĂ©rents esprits entr’eux , &c de juger de leur force & de leur Ă©tendue. Or, fi l’on admettoit la dĂ©finition que je viens de donner ,‱ comment le public me- sureroit-il FĂ©tendue d’esprit d’un homme } qui donneroit au public une liste exacte des idĂ©es de cet homme? & comment distinguer en lui la science &c l’esprit ? Supposons que je prĂ©tende Ă  la dĂ©couverte d’une idee dĂ©jĂ  connue il faudroit que le public , pour savoir si jĂ© mĂ©rite rĂ©ellement Ă  cet Ă©gard le titre de second inventeur, sĂ»t prĂ©Ă­iminairement ce que j’ai lu,vu & entendu connoiffance qu’ilneveut ni ne peut acquĂ©rir. D’ailleurs, dansl’hypo- these impossible que le public pĂ»t avoir un dĂ©nombrement exact & de la quantitĂ© & de Fespece des idĂ©es d’un homme , je dis qu’en consĂ©quence de ce dĂ©nombrement , le public seroit souvent forcĂ© de placer au rang des gĂ©nies , des hommes auxquels il ne soupçonne pas mĂȘme qu’on puiĂ­le accorder le titre d’hommes d’eĂ­prit tels font en gĂ©nĂ©ral tous les artistes. Quelque frivole que paroisse un art, cet art cependant est susceptible de combinaisons infinies. Lorsque Marcel, la main appuyĂ©e sur le front, l’Ɠil fixe, le corps immobile , & dans l’attitude d’une mĂ©ditation profonde, s’écrie tout-Ă -coup, en voyant danser son Ă©coliere , Que de choses dans un, 2>i De l’ E s p r i t. menuet ! il est certain que ce danseur aperce- voit alors , dans la maniĂ©rĂ© de plier, de relever Sc d’emboiter ses pas, des adresses invisibles aux yeux ordinaires d , Sc que son exclamation n’est ridicule que par la trop grande importance mile Ă  de petites choies. Or si i’art de la danse renferme untrĂšs- grandnombre d’idĂ©esSc de combinaisons, qui fait lĂŹ Fart de la dĂ©clamation ne suppose point, dans Factrice qui y excelle , autant d’idĂ©es qu’en emploie un politique pour former un systĂšme de gouvernement? Qui peut assurer , lorsqu’on conduite nos bons romans, que, dans les gestes, la parure , Sc les discours Ă©tudiĂ©s d’une coquette parfaite, il n’entre pas autant de combinaisons Sc d’idĂ©es qu’en exige la dĂ©couverte de quelque systĂšme du monde ; Sc qu’en des genres trĂšs - diffĂ©rents, la Le Couvreur Sc Ninon de PEnclos n’aient eu autant d’esprit qu’Aristote Sc Solo n ? i A la dĂ©marche, Ă  l’habitude du corps, ce danseur prĂ©tend connoĂŹtre le caractĂšre d’un homme» Un Ă©tranger se prĂ©sente un jour dans la salle De quel puys ĂȘtes-vous ? lui demande Marcel. Je fuis Anglois... Vous , Anglais ! lui rĂ©plique Marcel Vous ferles de cette ijle ou les citoyens ont part q radmi/iiflratĂŹon publique , & font une portion de L» puissance souveraine ! Non, monsieur ce front baisse* ce regard timide , cette dĂ©marche incertaine m man* poncent que f esclave titrĂ© d’un Ă©kĂ­itĂŹtr % _ Discours II. 6z Je ne prĂ©tends pas dĂ©montrer Ă  la rigueur 1a. vĂ©ritĂ© de cette proposition ; mais faire seulement sentir que, toute ridicule qu’elle paroisse , il n’est cependant personne qui puisse la rĂ©soudre exactement. Trop souvent dupes de notre ignorance, nous prenons pour les limites d’un art celles que cette mĂȘme ignorance lui dnnne mais supposons qu’on pĂ»t , Ă  cet Ă©gard , dĂ©tromper le public , je dis qu’en i’éclairant on ne changeroit rien Ă  fa maniĂ©rĂ© de juger. II ne mesurera jamais son estime peur un art uniquement sur le nombre plus ou moins grand de combinaisons nĂ©cessaires pour y rĂ©uĂ­ĂŹir ; i°. parce que le dĂ©nombrement en est impcsiĂŹbleĂ  faire ; i°. parce qu’il ne doit considĂ©rer l’esprit que du point de vue sous lequel il est important de le connoĂźtre , c'est-Ă -dire, par rapport Ă  la sociĂ©tĂ©. Or , sous cet aspect , je dis que Fesprit n’est qu’un assemblage , plus ou moins nombreux , non seulement d’i- dĂ©es neuves , mais encore d’idĂ©es intĂ©ressantes pour le public ; & que c’est moins au nombre & Ă  la sinesse , qu’au choix heureux de nos idĂ©es , qu’on a attachĂ© la rĂ©putation d'homme d’eĂ­prit. En effet, si les combinaisons du jeu des Ă©checs font infinies, si l’on n’y peut exceller fans en faire un grand nombre ; pourquoi le pubJiçnç donnç-Ăź-ilpas aux grands 64 De l’ E s p r i t. joueurs d’échecs le titre de grands esprits? C’est que leurs idĂ©es ne lui font utiles ni comme agrĂ©ables ni comme instructives, & qu’il n ’a par consĂ©quent nul intĂ©rĂȘt de les estimer or l’intĂ©rĂȘt e prĂ©side Ă  tous nos jugements. Si le public a toujours fait peu de cas de ces erreurs dont l’invention suppose quelquefois plus de combinaisons Ăšc d’esprit que la dĂ©couverte d’une vĂ©ritĂ©, & s’il estime plus Locke que Malebranche , c’est qu’il mesure toujours son estime fur son intĂ©rĂȘt. A quelle autre balance peseroit-il le mĂ©rite des idĂ©es des hommes ? Chaque particulier juge des choses & des personnes par l’impreslion agrĂ©able ou dĂ©sagrĂ©able qu’il en reçoit le public n’est quel’assem- blage de tous les particuliers ; il ne peut donc jamais prendre que son utilitĂ© pour rĂ©glĂ© de ses jugements. Ce point de vue , sous lequel j’examine l’esprit, est , je crois , le seul sous lequel il doive ĂȘtre considĂ©rĂ©. C’est Tunique maniĂ©rĂ© d’apprĂ©cier le mĂ©rite de chaque idĂ©e , de fixer sur ce point Tincertitude de nos Ă­ Le vulgaire restreint communĂ©ment la signification de ce mot intĂ©rĂȘt au seul amour de l’argent ; le lecteur Ă©clairĂ© sentira que je prends ce mot dans un sens plus Ă©tendu , & que je l’applique gĂ©nĂ©ralement Ă  tout ce qui peut nous procurer des plaisirs , ou nous soustraire Ă  des peines. Discours II. 65 jugements, & de dĂ©cquvrir enfin la cause de bĂ©tonnante diversitĂ© des opinions des hommes en matiĂšre d’esprit ; diversitĂ© absolument dĂ©pendante de la diffĂ©rence de leurs passions , de leurs idĂ©es , de leurs prĂ©jugĂ©s, de leurs sentiments , & par consĂ©quent de leurs intĂ©rĂȘts. II seroit en effet bien singulier que Fin* tĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral / eĂ»t mis le prix aux diffĂ©rentes actions des hommes ; qu’il leur eĂ»t donnĂ© les noms de vertueuses , de vicieuses ou de permises , selon qu’elles Ă©toient utiles, nuisibles ou indiffĂ©rentes au public ; & que ce mĂȘme intĂ©rĂȘt n’eĂ»t pas Ă©tĂ© Tunique dispensateur de Festime ou du mĂ©pris attachĂ© aux idĂ©es des hommes. On peut ranger les idĂ©es , ainsi que les actions , fous trois classes diffĂ©rentes. Les idĂ©es utiles & prenant cette expression dans le sens le plus Ă©tendu , j’en- tends , par ce mot , toute idĂ©e propre Ă  nous instruire ou Ă  nous amuser. Les idĂ©es nuisibles ce font celles qui font fur nous une impression contraire. Les idĂ©es indiffĂ©rentes je veux dire toutes celles qui, peu agrĂ©ables en elles- mĂȘmes ou devenues trop familiĂšres, ne / On sent que je parle ici en qualitĂ© de politique , & non de thĂ©ologien. 65 I> E L’ E S P R I T. font presque aucune impression sur nou$. Or , de pareilles idĂ©es n’ont presque point coexistence, & ne peuvent, pour ai n 6 dire, porter qu’un instant le nom d’indiffĂ©ren- tes ; leur durĂ©e ou leur succession , qui les rend ennuyeuses , les fait bientĂŽt rentrer dans la claffe des idĂ©es nuisibles. Pour faire sentir combien cette maniĂ©rĂ© de considĂ©rer l’esprit est fĂ©conde en vĂ©ritĂ©s, je ferai successivement l’application des principes que j’établis aux actions & aux idĂ©es des hommes ; je prouverai qu’en tout temps, en tout lieu , tant en matiĂšre de morale qu’en matiĂšre d'esprit, c’est l'intĂ©rĂȘt personnel qui dicte le jugement des particuliers , & í’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral qui dicte celui des nations qu’ainsi c’est toujours, de la part du public comme des particuliers , l'amour ou la reconnoiffance qui loue , la haine ou la vengeance qui mĂ©prise. Pour dĂ©montrer cette vĂ©ritĂ© , & faire appercevoir l’exacte & perpĂ©tuelle ressemblance de nos maniĂ©rĂ©s de juger , soit les actions , soit les idĂ©es des hommes , je considĂ©rerai la probitĂ© & l’esprit Ă  diffĂ©rents Ă©gards , & relativement , i°. Ă  un particulier, i°. Ă  une petite sociĂ©tĂ©, 3 0 . Ă  une nation , 4 0 . aux diffĂ©rents siĂ©cles &c aux diffĂ©rents pays , 5 0 . Ă  l’univers entier & prenant toujours í’expĂ©rienççpour guide Discours II. 6 j dans mes recherches , je montrerai que , fous chacun de ces points de vue, l’intĂ©rĂȘt est i unique juge de la probitĂ© & de l’efprit. CHAPITRE II. De la probitĂ© , par rapport Ă  un particulier. C E n’est point de la vraie probitĂ©, c’est-Ă -dire, de la probitĂ© par rapport au public, dont il s’agit dans ce chapitre ; mais simplement de la probitĂ© considĂ©rĂ©e relativement Ă  chaque particulier. Sous ce point de vue, je dis que chaque particulier n’appelle probitĂ© , dans autrui, que l’habitude des actions qui lui font utiles j e dis l’habitude, parce que ce n’est point une feule action honnĂȘte , non plus qu’une feule idĂ©e ingĂ©nieuse, qui nous obtiennent le titre de vertueux ou de spirituel ; on fait qu’il n’est point d'avare qui ne fe soit une fois montre gĂ©nĂ©reux, de libĂ©ral qui n’ait Ă©tĂ© une fois avare , de fripon qui n’ait fait une bonne action , de stupide qui n’ait dit un bon mot, ĂŽĂ­d’homme ensin qui, fi l’on rapproche certaines actions de fa vie , ne paroisse douĂ© de toutes les vertus & de tous les vices contraires. Plus de consĂ©quence dans la conduite des hommes fuppoferoit en eux une continuitĂ© 68 De l’ E s p r i t. d’attention dont ils font incapables ; ils ne diffĂšrent les uns des autres que du plus au moins. L’homme absolument consĂ©quent n’existe point encore ; & c’est pourquoi rien de parfait sur la terre, ni dans le vice, ni clans la vertu. C’est donc -Ă  l'habitude des actions qui lui font utiles, qu'un particulier donne le nom de probitĂ© ; je dis des actions , parce qu’on n’est point juge des intentions. Comment le feroit-on ? Une action n’est presque jamaisl’effet d’unsentiment ; nous ignorons souvent nous-mĂȘmes les motifs qui nous dĂ©terminent. Un homme opulent enrichit un homme estimable & pauvre il fait fans demte une bonne action ; mais cette action est-clle uniquement l’effet du delĂŹr de faire un heureux ? La pitiĂ©, l'espoir de la recon- noissance, la vanitĂ© mĂȘme ; tous ces divers motifs, sĂ©parĂ©s ou rĂ©unis, ne peuvent-ils pas , Ă  son infu, l’avoir dĂ©terminĂ© Ă  cette action louable ? Or, si le plus souvent l’on ignore foi-mĂȘme les motifs de son bienfait , comment le publie les appercevroit- * il ? Ce n’est donc que par les actions des hommes que le public peut juger de leur probitĂ©. Je conviens que cette maniĂ©rĂ© dĂ©juger est .encore fautive. Un homme a, par exemple , vingt degrĂ©s de paillon pour la vertu , mais il aime ; il a trente degrĂ©s Discours II. 6^ d'amourpour une femme, & cette femme en veut faire un assassin dans cette hypothĂšse, il est certain que cet homme est plus prĂšs du forfait que celui qui, n’ayant que dix degrĂ©s de paffion pour la vertu, n’aura que cinq degrĂ©s d’amour pour cette mĂ©chante femme. D’oĂźi je conclus que, de deux hommes, le plus honnĂȘte dans ses actions est quelquefois le moins pastĂŹonnĂ© pour la vertu. AustĂŹ tout philosophe convient que la vertu des hommes dĂ©pend infiniment des circonstances dans lesquelles ils se trouvent placĂ©s. On n’a que trop souvent vu des hommes vertueux cĂ©der Ă  un enchaĂźnement malheureux d’évĂ©nements bizarres. Celui qui, dans toutes les situations possibles , rĂ©pond de fa vertu, est un imposteur ou un imbĂ©cille dont il faut Ă©galement se dĂ©fier. AprĂšs avoir dĂ©terminĂ© VidĂ©e que j'attache Ă  ce mot de probitĂ© , considĂ©rĂ©e par rapport Ă  chaque particulier ; il faut, pour s’assurer de la justesse de cette dĂ©finition, avoir recours Ă  l’observation ; elle nous apprend qu'il est des hommes auxquels un heureux naturel, un deĂ­ir vif de la gloire & de l'estirne, inspirent pour la justice &c la vertu le mĂȘme amour que les hommes ont communĂ©meht pour les grandeurs &c les richesses. Les actions personnellement i 70 De l’ E s p r t t. utiles Ă  ces hommes vertueux font les action;. justes, conformes Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, ©u qui du moins ne lui font pas contraires. Ces hommes font en st petit nombre, que je n’en fais ici mention que pour l’hon- neur de l'humanitĂ©. La classe la plus nombreuse , & qui compose Ă  elle feule presque tout le genre humain, est celle oĂč les hommes , uniquement attentifs Ă  leurs intĂ©rĂȘts, n’ont jamais portĂ© leurs regards fur l'iintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. ConcentrĂ©s, pour ainsi dire, dans leur bien-ĂȘtre g , ces hommes ne donnent le nom d’honnĂȘtes qu’aux actions qui leur font personnellement utiles. Un juge absout un coupable, un ministre Ă©levs aux honneurs un sujet indigne ; Fun & l’autre font toujours justes, au dire de leurs protĂ©gĂ©s mais que le juge punisse, que le ministre refuse, ils feront toujours in- g Notre haine ou notre amour est un effet du bien ou du mal qu’on nous lait sln'esl, dit Hobbes , dans l'Ăštat des sauvages d'homme mĂ©chant, quel'homme robujie ; & dans l’ùtat policĂ© , que l'homme en crĂ©dit. Le puissant, pris en ces deux sens , n’est cependant pas plus mĂ©chant que le foible Hobbes k sentoit ; mais il savoir aunĂŹ qu’on ne donne le nom de mĂ©chant qu’à ceux dont la mĂ©chancetĂ© est Ă  redouter. On rit de la colere & des coups d’uti enfant, il n’en paroĂźt souvent que plus joli ; mais on s’irrite contre l’homme fort, les coups blessent, 09 le traite çle brutal. Discours II. yt justes aux yeux du criminel & du disgraciĂ©. Si les moines, chargĂ©s, sous la premiĂšre race, d'Ă©crire la vie de nos rois, ne donnĂšrent que la vie de leurs bienfaiteurs ; s’ils ne dĂ©signĂšrent les autres regnes que par ces mots nihil fecit; & s’ils ont donnĂ© le nom de rois fainĂ©ants Ă  des princes trĂšs-estĂ­mables ; c'est qu’un moine est un homme, & que tout homme ne prend, dans ses jugements, conĂ­eil que de son intĂ©rĂȘt. Les chrĂ©tiens , qui donnoient avec justice le nom de barbarie & de crime aux cruautĂ©s qu’exerçoient fur eux les paĂŻens , ne donnĂ©rent-ils pas le nom de zele aux cruautĂ©s qu’ils exercĂšrent Ă  leur tour fur ces mĂȘmes paĂŻens ? Qu’on examine les hommes, on verra qu’il n’est point de crime qui ne soit mis au rang des actions honnĂȘtes par les sociĂ©tĂ©s auxquelles ce crime est utile, ni d'action utile au public qui nc soit blĂąmĂ©e de quelque sociĂ©tĂ© particuliĂšre Ă  qui cette mĂȘme action est nuisible. Quel homme , en effet, s’il sacrifie l’or- gueil de se dire plus vertueux que les autres a l’orgueil d’ĂȘtre plus vrai, Sc s’il fonde , avec une attention scrupuleuse, tous les replis de son ame, ne s’appercevra pas que c’est uniquement Ă  la maniĂ©rĂ© diffĂ©rente dont l’intĂ©rĂȘt personnel se modifie , que. fi De l’ E s p ri t. l’on doit ses vices & ses vertus h ? que tons les hommes font mus par la mĂȘme force ? que tous tendent Ă©galement Ă  leur bonheur ? que c’est la diversitĂ© des pallions & des goĂ»ts, dont les uns font conformes & les autres contraires Ă  PintĂ©rĂȘt public, qui dĂ©cide de nos vertus &c de nos vices ? Sans mĂ©priser le vicieux, il faut le plaindre , se fĂ©liciter d’un naturel heureux, remercier le ciel de ne nous avoir donnĂ© aucun de ces goĂ»ts & de ces pallions, qui nous eussent forcĂ©s de chercher notre boi A L’homme humain est celui pour qui la vue du malheur d’autrui est une vue insupportable, & qui, pour s arracher Ă  ce spectacle , est, pour ainsi dire, forcĂ© de secourir le malheureux. L’homme inhumain, au contraire , est celui pour qui le spectacle de la misere d’autrui est un spectacle agrĂ©able ; c’est pour prolonger ses plaisirs qu’il refuse tout secours aux malheureux. Or, ces deux hommes si diffĂ©rents tendent cependant tous deux Ă  leur plaisir , &Ă­ sont mus par le mĂȘme ressort. Mais, dira-t- on , si l’on fait tout pour soi, l’on ne doit donc point de reconnoissance Ă  ses bienfaiteurs ? Du moins , rĂ©pondrai-je, le bienfaiteur n’est-il pas en droit d c n exiger ; autrement ce l'eroit un contrat & non un don qu’il auroit fait. Les Germains f dit Tacite, font & reçoivent des prĂ©sents , & ri exigent nĂŹ ne donnent aucune marque de reconnoiffance. C’est en faveur des malheureux , & pour multiplier le nombre des bienfaiteurs , que le public impose, avec raison, aux obligĂ©s le devoir de la reconnoiffastee. heur Discours II. 73 heur d’autrui. Car enfin on obĂ©it toujours Ă  son intĂ©rĂȘt ; Lc de-lĂ  l’injustice de tous nos jugements, & ces noms de juste & d’injuste prodiguĂ©s Ă  la mĂȘme action , relativement Ă  Pavantage ou au dĂ©savantage que chacun en reçoit. Si l’u ni ver s physique est soumis aux loix du mouvement, Punivers moral ne l’est pas moins Ă  celles de PintĂ©rĂȘt. L’in- tĂ©rĂȘt est, fur la terre, le puissant enchanteur qui change aux yeux de toutes les crĂ©atures la forme de tous les objets. Ce mouton paisible, qui pĂąture dans nos plaines, n’est-il pas un objet d’épouvante & d’horreur pour ces insectes imperceptibles qui vivent dans PĂ©paisseur de la pampe des herbes ? Fuyons, diĂ­ent-ils, cet ani- » mal vorace & cruel, ce monstre, dont » la gueule engloutit Ă  la fois dent leurs idĂ©es avec la plupart des hommes » tout jugement est particulier ; ils ne portent point » leurs vues jusques aux propositions universelles ; » toute idĂ©e gĂ©nĂ©rale est obscure pour eux ». c Les sots , s’ils en avoient la puissance, ban- niroient volontiers les gens d’esprit de leur sociĂ©tĂ© ; & rĂ©pĂ©teroient , d’aprĂšs les ÉphĂ©siens Si quelquun excelle parmi nous, qu il aille exceller ailleurs. D iij 78 De l’ E s p r i t.' n’a jamais que de sots amis toute liaison d’amiriĂ©, lorsqu’elle n’est pas fondĂ©e fur un intĂ©rĂȘt de biensĂ©ance , d’amour , de protection, d’avarice , d’ambition, ou sur quelqu’autre motif pareil, suppose toujours quelque reflemblance d’idĂ©es ou de sentiments entre deux hommes. VoilĂ  ce qui rapproche des gens d’une condition trĂšs- diffĂ©rente oint Ă©clairĂ© par les lumiĂšres de la rĂ©vĂ©lation , ne peut suivre que les lumiĂšres de a raison ; que ce philosophe nie la miffion de Mahomet, les visions & les prĂ©tendus miracles de ce prophĂšte qui doute que ceux qu’on appelle les bons Musulmans n’aient de l’éloignement pour ce philosophe , ne le regardent avec horreur, &c musique françoife, Ă©toit d’un avis diffĂ©rent du leur ? Si l’on ne se porte ordinairement Ă  certains excĂšs que dans les disputes de religion, c'est que les autres disputes ne fournissent pas les mĂȘmes prĂ©textes ni les mĂȘmes moyens d’ĂȘtre cruel. Ce n’est qu’à l'impuissance qu’on est en gĂ©nĂ©ral redevable de fa modĂ©ration. L'homme humain & modĂ©rĂ© est un homme trĂšs-rare. S’il rencontre un homme d’une religion diffĂ© rente de la sienne ; c'est, dit-il, un homme qui fur ces matiĂšres a d’autres opinions que moi ; pourquoi le persĂ©cuterai-je ? h'Ă©vangile n’a nulle part ordonnĂ© qu’on employĂąt les tortures & le 5 prisons Ă  la conversion des hommes. La vraie re-* tiglon n’a jamais dressĂ© d’échaffauds ; ce font quelquefois ses ministres qui, pour venger leur orgueil blessĂ© par des opinions diffĂ©rentes des leurs, ont armĂ© en leur faveur la stupide crĂ©dulitĂ© des peuples & des princes. Peu d'hommes ont mĂ©ritĂ© l’éloge que les prĂȘtres Egyptiens font de la reine NephtĂ© dans Seiko s Loin d'exciter l'animositĂ© , la vexation, la persĂ©cution, par les conseils d’une piĂ©tĂ© mal entendue ; elle n a , difent-ils , tirĂ© de la religion que des maximes de douceur elle n a jamais cru qu’ilfĂ»t permis de tourmenter Us hommes pour honorer les dieux. D iv 80 De l’ E s p r i t; ne le traitent de fou, d’impie & quelquefois mĂȘme de malhonnĂȘte homme ? En vain diroit-il que, dans une pareille religion , il est absurde de croire aux miracles dont on n'est pas soi-mĂȘme le tĂ©moin &c que, s’il y a toujours plus Ă  parier pour un mensonge que pour un miracle / ; les croire trop facilement, c’est moins croire en Dieu qu’aux imposteurs en vain reprĂ©fenteroit-il que , fi Dieu eĂ»t voulu annoncer la mission de Mahomet, il n’eĂ»t point fait de ces prodiges ridicules aux yeux de la raison la moins exercĂ©e. Quelques raisons que ce philosophe apportĂąt de son incrĂ©dulitĂ©, il n’obtiendroit jamais la rĂ©putation de sage & d’honnĂȘte , auprĂšs de ces bons Musulmans, qu’en devenant assez imbĂ©cille pour croire des choses absurdes , ou assez faux pour feindre de les croire. Tant il est vrai que les hommes ne jugent les opinions des autres que par la conformitĂ© qu’elles ont avec les leurs. Aussi / Comment dans une telle religion le tĂ©moin d’un miracle ne Ă­eroit-il pas suspect ? II saut , dit M. de Fontenelle , ĂȘtre fi fort en garde contre foi- mĂȘrne pour raconter un fait , prĂ©cisĂ©ment comme en !a vu, c efl-Ă -dire, sans y rien ajouter ou diminuer, que tout hoir. me qui prĂ©tend qu Ă  cet Ă©gard il ne s’efi jamais surpris eti mensonge , efl K coup sĂ»r 2 menteur. Discours II. 8r ne persuade-t-on jamais les sots qn’avec des sottises. Si le sauvage du Canada nous prĂ©fĂ©rĂ© aĂșx autres peuples de l’Europe, c’est que nous nous prĂȘtons davantage Ă  ses mƓurs, Ă  son genre de vie ; c’est Ă  cette complaisance que nous devons l’élogc magnifique qu’il croit faire d’un François, lorfqu’il dit C’efĂŻ un homme comme moi. En fait de mƓurs, d’opinions & d’idĂ©es, il paroĂźt donc que c’est toujours soi qu’on estime dans les autres ; & c’est la raison pour laquelle les CĂ©sar, les Alexandre & gĂ©nĂ©ralement tous les grands hommes ont toujours eu d’autres grands hommes sous leurs ordres. Un prince est habile, il prend en main le sceptre ; Ă  peine est-il montĂ© sur le trĂŽne, que toutes les places se trouvent remplies par des hommes supĂ©rieurs le prince ne les a point formĂ©s , il semble mĂȘme les avoir piis au hazard ; mais, forcĂ© de n’estimer & de n’élever aux premiers postes que des hommes dont l’eĂ­prit soit analogue au sien, il est, par cette raison, toujours nĂ©cessitĂ© Ă  faire de bons choix. Un prince, au contraire, est peu Ă©clairĂ© contraint, par cette mĂȘme raison, d’attirer prĂšs de lui des gens qui lui ressemblent, il est presque toujours nĂ©cessitĂ© aux mauvais choix. C’est la fuite de semblables princes qui souvent a fait substituer les plus 0 v §2 De l’ E s p r i t.' grandes places de sots en sots durant plusieurs Ă­iecles. AuĂ­ĂŹĂŹ les peuples , qui ne peuvent connoĂźtre personnellement leur maĂźtre, ne le jugent-ils que fur le talent des hommes qu’il emploie 8c fur l'estime cju’il a pour les gens de mĂ©rite. Sous un monarque fĂźupĂŹde , disoit la reine Christine, toute fa court ou Vefl ou le devient. Mais, dira-t-on , on voit quelquefois des hommes admirer, dans les autres, des idĂ©es qu’ils n’auroient jamais produites, & qui mĂȘme n’ont nulle analogie avec les leurs. On fait ce mot d’un cardinal aprĂšs la nomination du pape, ce cardinal Rapproche du saint pere, 8c lui dit Vous voilĂ  Ă©lu pape ; voici la derniere fois que vous entendre .ÂŁ la vĂ©ritĂ© sĂ©duit par les respects , vous aile ÂŁ bientĂŽt vous croire un grand homme Souvene^-vous qu’avant votre exaltation vous nĂ©tie ÂŁ qu un ignorant & un opiniĂątre. Adieu , je vais vous adorer. Peu de courtisants fans doute sont douĂ©s de l’efprit & du courage; nĂ©cessaire pour tenir un pareil discours ; mais la plupart d’entr’eux, semblables Ă  ces peuples qui tour Ă  tour adorent 8c fouettent leur idole, sont en secret charmĂ©s. de voir humilier le maĂźtre auquel ils sont soumis.. La vengeance leur inspire PĂ©loge qu’ils. font de pareils traits , 8c la vengeance est un intĂ©rĂȘt. Qui n’est point MimĂ© d’un intĂ©rĂȘt de cette espece, n’estime Discours II. 8; Sc mĂȘme ne sent que les idĂ©es analogues aux siennes aussi la baguette , propre Ă  dĂ©couvrir un mĂ©rite naissant 6c inconnu, ne tourne-t-elle 6c ne doit-elle rĂ©ellement tourner qu’entre les mains des gens d'esprit , parce qu’il n’y a que le lapidaire qui Ă­Ăš connoisse en diamants bruts , 6c que l’esprit qui sente l’esprit. Ce n’étoit que PƓil d’un Turenne qui, dans le jeune Curchill, pouvoit appercevoir le fameux Marlborough. Toute idĂ©e trop Ă©trangĂšre Ă  notre maniĂ©rĂ© de voir 6c de sentir nous semble toujours ridicule. Le mĂȘme projet qui, vaste & grand, paroĂźtra cependant d’une exĂ©cution facile au grand ministre, fera traitĂ©, par un ministre ordinaire, de fou, d’in- lensĂ© ; 6c ce projet, pour me servir de la phrase usitĂ©e parmi les sots, fera renvoyĂ© Ă  la rĂ©publique de Platon. VoilĂ  la raison pour laquelle, en certains pays, oĂč les esprits, Ă©nervĂ©s par la superstition, sont paresseux 6c peu capables des grandes entreprises , on croit couvrir un homme du plus grand ridicule, lorsqu'on dit de lui Cefl un homme qui veut rĂ©former rĂ©tat. Ridicule que la pauvretĂ©, le dĂ©peuplement de ces pays, 6c par consĂ©quent la nĂ©cessitĂ© d’une rĂ©forme, fait, aux yeux des Ă©trangers, retomber fur'les moqueurs. II en est de ces. peuples comme de ces plaisants su- $4 De f E s p r i t, balternes g qui croient dĂ©shonorer uti homme lorsqu’ils disent de lui, d’un ton sottement malin C'ejl un Romain , c efl un esprit. Raillerie qui rappellĂ©e Ă  son sens prĂ©cis , apprend feulement que cet homme ne leur ressemble point ; c’est-Ă -dire, qu’il n’est ni sot, ni fripon. Combien un esprit attentif n’entend-il pas, dans les conversations, de ces aveux imbĂ©cilles & de ces phrases absurdes, qui, rĂ©duites Ă  leur signification exacte, Ă©tonneroient fort ceux qui les emploient ? AulßÏ l’homme de mĂ©rite doit-iĂ­ ĂȘtre indiffĂ©rent Ă  l’estime comme au mĂ©pris d’un particulier dont l’éloge ou la critique ne signifient rien, sinon que cet homme pense ou. ne pense pas comme lui. Je pourrois encore, par une infinitĂ© d’au- tres faits, prouver que nous n’estimons jamais que les idĂ©es analogues aux nĂŽtres ; mais pour constater cette vĂ©ritĂ©, il faut l’appuyer fur des preuves de pur raisonnement. g Les bourgeois opulents ajoutent en dĂ©rision qu’on voit souvent l’homme d’esprit Ă  la porte du riche, & jamais le riche Ă  la porte deHiomme d’esprit C’ejl, rĂ©pond le poĂšte Saadi, par ce que l'homme d’esprit sait le prix des richesses t & que le riche ignore le prix des lumiĂšres. DaiUeurs , comment la richesse estimeroit-elle la science ? Le savant peut apprĂ©cier l’ignorant , parce qu’il l’a Ă©tĂ© dans son enfance ; mais l’ignorant ne peut apprĂ©cier le savant, parce qu’il ne l'a jamais Ă©té» Discours II. 85 CHAPITRE IV. De la nĂ©cejstĂš oĂč nous sommes de neslmir que nous dans les autres. D Eux causes , Ă©galement puissantes nous y dĂ©terminent Pune est la vanitĂ© , Ăąc l'autre est la paresse. le dis la vanitĂ© , parce que le dĂ©sir de l’estime est commun Ă  tous les hommes , non que quelques- uns d’entr’eux ne veuillent joindre au plaisir d’ĂȘtre admirĂ©, le mĂ©rite de mĂ©priser Padmiration ; mais ce mĂ©pris n’estpas vrai , & jamais l'admirateur n’est stupide aux yeux de PadmirĂ© or , si tous les hommes font avides d’estime, chacuncPeux instruit par PexpĂ©rience que ses idĂ©es ne paroĂźtront estimables ou mĂ©prisables aux autres , qu’autant qu’elles se trouveront conformes ou contraires Ă  leurs opinions ; il s'enfuit qu’inspirĂ© par sa vanitĂ© , chacun ne peut s’empĂȘcher d’estimer dans les autres une conformitĂ© d’idĂ©es , qui rassure de leur estime ; ÔC de haĂŻr en eux une opposition d’idĂ©es , garant sĂ»r de leur haine ou du moins de leur mĂ©pris qu’on doit regarder comme un calmant de la haine. 86 D Ă« l’ E s p r i t. Mais , dans la supposition mĂȘme qu’im homme sit Ă  l’arnour de la vĂ©ritĂ©, le sacrifice de sa vanitĂ© , si cet homme n’est point animĂ© du dĂ©sir le plus vif de s’instruire , je dis que fa paresse ne lui permet d’avoir , pour des opinions contraires aux siennes, qu’u- iie estime fur parole. Pour expliquer ce que j’entends par estime sur parole , je distinguerai deux sortes d’estime. Lune qu’on peut regarder comme l’ef- fet ou du respect qu’on a pour l’opinion publique QĂŹ ou de la confiance qu’on a dans le jugement de certaines personnes, & que je nomme estime sur parole. Telle est celle que certaines gens conçoivent pour des romans trĂšs-mĂ©diocres, uniquement parce cju’ils les croient de quelques- tms de nos Ă©crivains cĂ©lĂ©brĂ©s. Telle est A M. de la Fontaine n’avoit que de cette es- pece d’estime pour la philosophie de Platon. M. de fontanelle rapporte Ă  ce sujet, qu’un jour la Fontaine lui dit Avoues que ce Platon Ă©toit un grand philosophe... Mais lui trouve^-vous des idĂ©es bien nettes? lui rĂ©pondit Fontenelle. Oh ! non il ejl d'une obscuritĂ© impĂ©nĂ©trable.... Ne treuveç-vous pas qu!il fe contredit? Oh ! vraiment , reprit la Fontaine, ce nef qu’un sophiste. Puis , tout-Ă -coup, oubliant les aveux qu’il venoit de faire Platon, reprit-il, place fi bien ses personnages ! Socrate Ă©toit fur le PyrĂ©e lorsqu Alcibiade la tĂȘte couronnĂ©e de fleur f...* ph ! ce Platon Ă©toit un grand philosophe » Discours II. tj encore l’admiration qu’on a pour les Def- cartes & les Newton ; admiration qui , dans la plupart des hommes , est d’autant plus enthousiaste qu’elle est moins Ă©clairĂ©e ; soit qu’aprĂšs s'ĂȘtre formĂ© une idĂ©e vague du mĂ©rite de ces grands gĂ©nies , leurs admirateurs respectent , en cette idĂ©e, l’ouvrage de leur imagination ; soitqu’en S'Ă©tablissant juges du mĂ©rite d’un homme tel que Newton , ils croient s’asiocieraux Ă©loges qu’ils lui prodiguent. Cette forte d’estime , dont notre ignorance nous force Ă  faire souvent usage , est , par-lĂ  mĂȘme, la plus commune. Rien de si rare que de juger d’aprĂšs foi. L’autre efpece d’estime est celle qui, indĂ©pendante de l’opinion d’autrui , naĂźt uniquement de l’imprestĂźon que font fur nous certaines idĂ©es, & que , par cette raison, j’appelle ejĂŹime sentie , la feule vĂ©ritable 6c celle dont il s’agitici. Or , pour prouver que la paresse ne nous permet d’accorder cette forte d’estime qu’aux idĂ©es analogues aux nĂŽtres , il suffit de remarquer que c’est, comme le prouve sensiblement la gĂ©omĂ©trie , par l’analogie 8c les rapports secrets que les idĂ©es dĂ©jĂ  connues ont avec les inconnues , qu’on parvient Ă  la connoissance de ces dernieres ; 8c que c’est en suivant la progression de ces analogies qu’on peut s’élever au dernier terme 88 De l* E s p r i t. d’une science. D’oĂč il suit que des idĂ©es qui n’auroient nulle analogie avec les nĂŽtres , seroient pour nous des idĂ©es inintelligibles. Mais , dira-t-on , il n’est point d’idĂ©es qui n’aient nĂ©cessairement entr’elles quelque rapport, fans lequel elles seroient universellement inconnues. Oui ; mais ce rapport peut ĂȘtre immĂ©diat ou Ă©loignĂ© lorĂ­qu’il est immĂ©diat, le foible dĂ©sir que chacun a de s'instruire le rend capable de Inattention c;ue suppose l’intelligence de pareilles idees Ă­ mais , s'il est Ă©loignĂ© , comme ill’estpresque toujours lorsqu’il s’a- git de ces opinions qui font le rĂ©sultat d'un grand nombre d’idĂ©es & de sentiments diffĂ©rents , il est Ă©vident qu’à moins qu’on ne soit animĂ© d’un dĂ©lit vif de s’instruire , & qu’on ne se trouve dans une situation propre Ă  satisfaire ce dĂ©sir , la patelle ne nous permettra jamais de concevoir ni par consĂ©quent d’avoir Ă 'efltme sentie pour des opinions trop contraires aux nĂŽtres. Peu d’hommes ont le loisir de s’instruire. Le pauvre, par exemple , ne peut ni rĂ©flĂ©chir , ni examiner ; il ne reçoit la vĂ©ritĂ©, comme Terreur, que par prĂ©jugĂ© occupĂ© d’un travail journalier, il ne peuts’élever Ă  une certaine sphere d’idĂ©es ; auffi prĂ©- fere-t-il la bibliothĂšque bleuĂĄ aux Ă©crits de S. RĂ©al , de la Roçhefoucault & du cardinal de Retz, Discours II. $9 AuíßÏ dans ccs jours de rĂ©jouissances publiques oĂč le spectacle s’ouvre gratis , les comĂ©diens , ayant alors d’autres spectateurs Ă  amuser , donneront plutĂŽt Dom Japhet & Pourceaugnac , \vl HĂ©raclius & le Misantrope. Ce que je dis du peuple peut Rappliquer Ă  toutes les diffĂ©rentes classes d’hommes. Les gens du monde font distraits par mille affaires & mille plaisirs ; les ouvrages philosophiques ont aussi peu d’analogie avec leur esprit, que le Misantrope avec l’esprit du peuple. AuíßÏ prĂ©fĂ©- reront-ils en gĂ©nĂ©ral la lecture d’un roman Ă  celle de Locke. C’estpar ce mĂȘme principe, des analogies, qu’on explique comment les savants & mĂȘme les gens d'esprit ont donnĂ© Ă  des auteurs moins estimĂ©s la prĂ©fĂ©rence fur ceux qui le font davantage. Pourquoi Malherbe prĂ©fĂ©roit-il Stace Ă  tout autre poete ? pourquoi Heinstus s & Corneille faisoient-ils plus de cas de Lucain que de Virgile ? par quelle raison Adrien prĂ©fĂ©roit-il l'Ă©loquence de Caton Ă  celle de CicĂ©ron ? pourquoi Scaliger k i Lucain , disoit HeinĂ­ius , est Ă  legard des >! autres poĂštes ce qu’un cheval superbe & henniĂ­- j> sant fiĂšrement est Ă  l’égard d’une troupe d’ñnes , 3 dont la voix ignoble dĂ©eele le goĂ»t qu’ils ont „ pour la servitude ». s Scaliger citQ cçnune dĂ©testable la dix- Ç 0 De l’ E s p r i t. regardoit - il Homere & Horace comme fort infĂ©rieurs Ă  Virgile &c Ă  JuvĂ©nal? C’est que l’estime plus ou moins grande qu’on a pour un auteur, dĂ©pend de l’analogie plus ou moins grande que ses idĂ©es ont avec celles de son lecteur. Que , dans un ouvrage manuscrit , & sur lequel on n’a aucune prĂ©vention, l'on charge sĂ©parĂ©ment dix hommes d’esprit de marquer les morceaux qui les auront le plus frappĂ©s je dis que chacun d’eux soulignera des endroits diffĂ©rents ; Sc que, fi l’on confronte ensuite les endroits approuvĂ©s avec l’esprit Sc le caractĂšre de chaque approbateur , on sentira que chacun d’eux n’a louĂ© que des idĂ©es analogues Ă  fa maniĂ©rĂ© de voir Le de sentir ; Le que l’esprit est , fi j’ose le dire , une corde qui ne frĂ©mit qu’à l’uniffon. Si le savant abbĂ© de Longuerue, comme illedisoit lui-mĂȘme , n’avoit rien retenu des ouvrages de S. Augustin , sinon que le cheval de Troie Ă©toit une machine de guerre , Lcfi, dans le roman de ClĂ©opĂątre , un avocat cĂ©lĂ©brĂ© ne voyoit rien d’intĂ©reffant que les nullitĂ©s du mariage d’Elise avec Artaban ; il faut avouer que septieme ode du quatriĂšme livre d’Horace , que Heinsius cite comme un chef-d’Ɠuvre de Tanti- quitĂ©. Discours II. 91 la seule diffĂ©rence qui se trouve Ă  cet Ă©gard entre les savants ou les gens d’esprit, &. les hommes ordinaires, c’est que les premiers, ayant un plus grand nombre d’idĂ©es, leur sphere d’analogies est beaucoup plus Ă©tendue. S’agit-il d’un genre d’esprit trĂšs-diffĂ©rent du sien ? pareil en tout aux autres hommes, l’homme d’esprit n’estime que les idĂ©es analogues aux siennes. Que l’on rassemble un Newton,un Quinaut, un Machiavel; qu’on ne les nomme point & qu’on ne les mette point Ă  portĂ©e de concevoir l’un pour l’autre cette espece d’estime que j'appelle eflime sur parole , l’on verra qu’aprĂšs avoir rĂ©ciproquement, mais inutilement, essayĂ© de se communiquer leurs idĂ©es , Newton regardera Quinaut comme un rimailleur insupportable, celui - ci prendra Newton pour un faiseur d ’almanachs , tous deux regarderont Machiavel comme un politique du Palais-Royal ; & tous trois ensin, fe traitant rĂ©ciproquement d’esprits mĂ©diocres, se vengeront, par un mĂ©pris rĂ©ciproque , de l’ennui mutuel qu’ilsse seront procurĂ©. Or , si les hommes supĂ©rieurs, entiĂšrement absorbĂ©s dans leur genre d’étude , ne peuvent avoir d’ estimesentie pour un genre d’esprit trop diffĂ©rent du leur ; tout auteur, qui donne au public des idĂ©es nouvelles, ne peut donc espĂ©rer d’estime que de deux 9 2 De l’ E s p r i t. sortes d’hommes ou des jeunes gens , qui n’ayant point adoptĂ© d’opinions , ont encore le dĂ©sir & le loisir de s’instruire; ou de ceux dont Fefprit, ami de la vĂ©ritĂ© &c analogue Ă  celui de Fauteur , soupçonne dĂ© j a l’e- xistence des idĂ©es qu’il lui prĂ©sente. Ce nombre d’hommes est toujours trĂšs petit voilĂ  ce qui retarde les progrĂšs de Fesprit humain, & pourquoi chaque vĂ©ritĂ© est toujours si lente Ă  se dĂ©voiler aux yeux de tous. II rĂ©sulte de ce que je viens de dire , que la plupart des nommes , soumis Ă  la f >aresie , ne conçoivent que les idĂ©es ana- ogues aux leurs, qu’ils n’ont A’estime sentie que pour cette espece d'idĂ©es ; & de - lĂ  cette haute opinion que chacun est , pour ainsi dire , forcĂ© d’avoir de soi - mĂȘme ; opinion que les moralistes n’eustent peut- ĂȘtre point attribuĂ© Ă  Forgueil, s’ils eussent eu une connoissance plus approfondie des principes ci-dessusĂ©tablis. Ils auroient alors senti que , dans la solitude , le saint respect Ăšc Fadmiration profonde dont on fe sent quelquefois pĂ©nĂ©trĂ© pour foi-mĂȘme , ne peut ĂȘtre que l’effet de la nĂ©cessitĂ© oĂč nous sommes de nous estimer prĂ©fĂ©rablement aux autres. Comment n’auroit-on pas de foi la plus haute idĂ©e ? il n’est personne qui ne changeĂąt d’opinion , s’il croyoit ses opinions fausses, Chacun croĂźt donc penser juste , Discours II. 95 Sc par consĂ©quent beaucoup mieux que ceux dont les idĂ©es font contraires aux siennes. Or , s’il n’est pas deux hommes dont les idĂ©es soient exactement semblables , il faut nĂ©cessairement que chacun en particulier croie mieux penser que tout autre /. La Duchesse de la FertĂ© disoit un jour Ă  Madame de Staal II faut !a- vouer , ma chere amie , je ne trouve que moi qui aie toujours raison m . Ecoutons le Ta- Iapoin, le Bonze, le Bramine, le Guebre, le Grec, l’Iman , Iç Marabou lorsque , dans l’assemblĂ©e du peuple , ils prĂȘchent les uns contre les autres, chacun d’euxne dit-il pas comme la Duchesse de la FertĂ© Peuples vous Vafjure , moi seul s ai toujours raison. Chacun se croit donc un esprit supĂ©rieur , & les sots ne font pas ceux qui / L'expĂ©rience nous apprend que chacun met au rang des esprits faux & des mauvais livres , tout homme & tout ouvrage qui combat ses opinions ; qu’il voudroit imposer silence Ă  l'homme, & supprimer l’ouvrage. C’est un avantage que des orthodoxes peu Ă©clairĂ©s ont quelquefois donnĂ© fur eux aux hĂ©rĂ©tiques. Si dans un procĂšs , disent ces derniers , une partie dĂ©fendoit Ă  l’autre de faire imprimer des Ă­adums pour soutenir son droit, ne rcgarderoit-on par cette violence de l’une des parties comme une preuve de l’injustice de fa cause ? r m Voyez les mĂ©moires de madame de Staal $4 ' D E L’ E S P R I T. s’en croient le moins n c'est ce qui a donnĂ© lieu au conte des quatre marchands qui viennent, en loire, vendre de la beautĂ©, de la naissance, des dignitĂ©s, &c de l’esprit, & qui trouvent tous le dĂ©bit de leur marchandise , Ă  l’exception du dernier qui se retire sans Ă©trenner. Mais , dira-t-on, on voit quelques gens reconnoĂźtre dans les autres plus d'esprit 3 u'en eux. Oui , rĂ©pondrai-je , on voit es hommes en faire l’aveu ; & cet aveu est d’une belle ame cependant ils n’ont, pour celui qu'ils avouent leur supĂ©rieur , qu’une eftime sur parole ; ils ne sont que donner Ă  Fopinion publique la prĂ©fĂ©rence fur la lĂšur, tk convenir que ces personnes n Quelle prĂ©somption, disent les gens mĂ©diocres, que celle de ceux qu’on appelle les gens d’esprit ! Quelle supĂ©rioritĂ© ne se croient-ils pas fur Ăźes autres hommes ? Mais, leur rĂ©pondroit-on , le cerf qui se vanteroit d’ĂȘtre le plus vite des cerfs , seroit sans doute un orgueilleux; mais , fans blesser la modestie, il pourroit pourtant dire qu'il court mieux que la tortue. Vous ĂȘtes la tortue ; vous n’avez »i lu , ni mĂ©ditĂ© comment pourriez-vo us avoir autant d’esprit qu’un homme qui s’est donnĂ© beaucoup de peine pour acquĂ©rir des connoiflan- ces ? Vous l’acculez de prĂ©somption ; & c'est vous qui, sans Ă©tude & fans rĂ©flexion, voulez marcher son Ă©gal. A votre avis, qui des deux est prĂ©somptueux ? Discours II. 95 sont plus estimĂ©es , fans ĂȘtre intĂ©rieurement convaincus qu’elles soient plus estimables 0. Un homme du monde conviendra, fans peine, qu’il est en gĂ©omĂ©trie fort infĂ©rieur aux Fontaine, aux d’Alembert, aux Clai- raut , aux Euler ; que dans la poĂ©sie il le cede aux MoliĂšre, aux Racine, aux Voltaire mais je dis en mĂȘme temps que cet homme fera d’autant moins de cas d’un genre, tu’il reconnoĂźtra plus de supĂ©rieurs en ce meme genre ; & que d’ailleurs il fe croira tellement dĂ©dommagĂ© de la supĂ©rioritĂ© qu’ont fur lui les hommes que je viens de citer , soit en cherchant Ă  trou- 0 En poĂ©sie , Fontenelle seroit fans peine convenu de la supĂ©rioritĂ© du gĂ©nie de Corneille sur le sien ; mais il ne l’auroit pas sentie. Je suppose , pour s’en convaincre , qu’on eĂ»t priĂ© ce mĂȘme Fontenelle de donner , en fait de poĂ©sie , l’idĂ©e qu’il s’étoit formĂ©e de la perfection il est certain qu’iln’auroit, en ce genre, proposĂ© d’autres rĂ©gies fines que celles qu’il avoir lui-mĂȘme auíßÏ bien observĂ©es que Corneille ; qu’il devoir donc se croire intĂ©rieurement auffi grand poĂšte que qui que ce fĂ»t ; & qu’en s’avouant infĂ©rieur Ă  Corneille , il ne faisoit par consĂ©quent que sacrifier son sentiment Ă  celui du public. Peu de gens ont le courage d’avouer que c’est pour eux qu’ils ont le plus de l’espece d’estime que j'appelle sentie ; mais , qu’ils le nient ou qu’ils l'avouent, ce senti-, ment n’en existe pas moins en eux. t>6 De l’ E s p r i t. ver de la frivolitĂ© dans les arts & les sciences , soit par la variĂ©tĂ© de ses connois- sances , le bon sens , l’usage du monde , ou par quelque autre avantage pareil ; que tout pesĂ© , il se croira auĂ­Ă­ĂŹ estimable que qui que ce soit p. Mais, ajoutera-t-on , comment imaginer qu’un homme qui, par exemple, remplit les petits offices de la magistrature, puisse se croire autant d’esprit que Corneille ? II est vrai , rĂ©pondrai-e , qu’il ne mettra personne Ă  cet Ă©gard dans fa confidence cependant , lorlcpie , par un examen scrupuleux , l’on a dĂ©couvert de combien de sentiments d’orgueil nous sommes journellement affectĂ©s, fans nous en apper- cevoir , & par combien d'Ă©loges il faut ĂȘtre enhardi pour s'avouer Ă  soi-mĂȘme & aux autres la profonde estime qu’on a pour son esprit, on sent que le silence de {p' On se loue de tout les uns vantent leur stupiditĂ© sous le nom de bon sens ; d’autres louent leur beautĂ© ; quelques-uns enorgueillis de leurs richesses mettent ces dons du hazard fur le compte de leur esprit & de leur prudence ; la femme qui compte le soir avec son cuisinier, se croit aussi estimable qu’un savant. ĂŹln’estpas jusqu’à simprimeur d 'in-folio qui ne mĂ©prise ^imprimeur de romans , & qui ne se croie aussi supĂ©rieur au dernier que l’ in-folio Test en masse Ă  la brochure. l’orgueil Discours I k. 97 l’orgueil n’en prouve point l’absence. Supposons , poursuivre i’exemple ci-deĂ­lus rapportĂ© , qu’au sortir de la comĂ©die le hazard rassemble trois praticiens ; qu’i's viennent Ă  parler de Corneille ; tous trois, peut-ĂȘtre , RĂ©crieront Ă  la fois que Corneille est le plus grand gĂ©nie d u monde cependant, si , pour se dĂ©charger du poids importun de l’estime , l’un d’eux ajoutoit que ce Corneille est Ă  la vĂ©ritĂ© un grand homme, mais dans un genre frivole ; il est certain, si l’on en juge par le mĂ©pris que certaines gens affect ent pour la poĂ©sie, que les deux autres praticiens pourroient se ranger a l’avis du premier puis, de confiance en confiance, s’ils venoient Ă  comparer la chicane Ă  la poĂ©sie L’art de la procĂ©dure , diroit un autre, a bien ses ruses , ses finesses & ses combinaisons, comme tout autre art Vraiment, rĂ©pendroit le troisiĂšme , il n’est point d’art plus difficile. Or , dans l’hypoĂ­hese trĂšs-admis- fible, que , dans cet art si difficile, chacun de ces praticiens se crĂ»t le plus habile ; fans qu’aucun d’eux eĂ»t prononcĂ© le mot, le rĂ©sultat de cette conversation scroit que chacun d’eux le croiroit autant d’esprit que Corneille. Nous sommes, par la vanitĂ©. & surtout par l’ignorance, tellement nĂ©cessitĂ©s Ă  nous estimer prĂ©fĂ©rablement aux autres, que le plus grand homme dans Tom, I, E yF De l’ E s p r i t. chaque art est celui que chaque artiste regarde comme le premier aprĂšs lui. Du temps de ThĂ©mistocle, oĂč l’orgueil n’étoit diffĂ©rent de l’orgueil du fiecle prĂ©sent qu’en ce qu’il Ă©toit plus naĂŻf, tous les capitaines, aprĂšs la bataille de Salamine , ayant Ă©tĂ© obligĂ©s de dĂ©clarer, par des billets pris fur l’autel de Neptune, ceux qui avoient eu le plus de part Ă  la victoire , chacun s’y donnant la premiere part, adjugea la seconde Ă  ThĂ©mistocle ; & le peuple crut alors devoir dĂ©cerner la premiere rĂ©compense Ă  celui que chacun des capitaines en avoit regardĂ© comme le plus digne aprĂšs lui. II est donc certain que chacun a nĂ©cessairement de foi la plus haute idĂ©e ; & qu’en consĂ©quence on n’estime jamais dans autrui que son image & sa ressemblance. La conclusion gĂ©nĂ©rale de ce que j’ai dit de l’esprit, considĂ©rĂ© par rapport Ă  un particulier, c’est que l’esprit n’est que l’as- lĂšmblage des idĂ©es intĂ©ressantes pour ce particulier, soit comme instructives, soit comme agrĂ©ables d’oĂč il fuit que l’intĂ©rĂȘt personnel, comme je m’étois proposĂ© de le montrer, est, en ce genre, le seul juge du mĂ©rite des hommes. Discours II. 9g CHAPITRE V. De la probitĂ© , par rapport Ă  une sociĂ©tĂ­ particuliĂšre. S Ur ce point de vue, je dis que la probitĂ© n’est que l’habitude plus ou moins grande des actions particuliĂšrement utiles Ă  cette petite sociĂ©tĂ©. Ce n’est pas que certaines sociĂ©tĂ©s vertueuses ne paroissent souvent se dĂ©pouiller de leur propre intĂ©rĂȘt , pour porter fur les actions des hommes des jugements conformes Ă  PintĂ©rĂȘt public ; mais elles ne font alors que satisfaire la passion qu’un orgueil Ă©clairĂ© leur donne pour la vertu ; & par consĂ©quent, qu’o- bĂ©ir, comme toute autre sociĂ©tĂ© , Ă  la loi de PintĂ©rĂȘt personnel. Quel autre motif pourroit dĂ©terminer un homme Ă  des actions gĂ©nĂ©reuses ? II lui est aussi impossible d’aimer le bien pour le bien, que d’aimer se mal pour 1e mal - 2 . j Les dĂ©clamations continuelles des moralistes contre la mĂ©chancetĂ© des hommes , prouvent le peu de connoiffance qu’ils en ont. Les hommes ne font point mĂ©chants , mais soumis Ă  leurs intĂ©rĂȘts, Les cris des moralistes »e changeront certaine-, Eij ioo De l’Esprit, Brutus ne sacrifia son fils au salut de Rome , que parce que Pamour paternel avoit sur lui moins de puissance que Pamour de la patrie ; il ne fit alors que cĂ©der Ă  Ta plus forte passion c’est elle qui, l’éclairant iur PintĂ©rĂȘt public , lui fit appercevoir , dans un parricide si gĂ©nĂ©reux , si propre Ă  ranimer Pamour de la libertĂ©, Punique ressource qui put sauver Rome & Pem- pĂȘcher de retomber sous la tyrannie des Tarcmins. Dans les circonstances critiques oĂč Rome se trouvoit alors, il failoit qu'u ne pareille action servĂźt de fondement Ă  la vaste puissance Ă  laquelle l’éleva depuis Pamour du bien public &c de la liberte. Mais, comme il est peu de Brutus & de sociĂ©tĂ©s composĂ©es de pareils hommes , c’est dans l’ordre commun que je prendrai mes exemples, pour prouver que, dans chacune des sociĂ©tĂ©s, PintĂ©rĂȘt particulier est Punique distributeur de Pestimc accordĂ©e aux actions des hommes. . Pour s’en convaincre, qu’on jette les ment pas ce ressort de l’univers moral. Ce n’est donc point de la mĂ©chancetĂ© des hommes dont il fĂĄut fe plaindre, mais de ['ignorance des lĂ©gislateurs, qui ont toujours mis PintĂ©rĂȘt particulier cn opposition avec PintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Si les Scythes Ă©toient plus vertueux cgie. nous , c’eil que leur lĂ©gidatiqn Ă©k leur genre de vie leur inspirait plus de probuv. Discours II. ioi yeux sur un homme qui sacrifie tous ses biens pour sauver de la rigueur des loix un parent, assassin cet homme passera certainement, dans fa famille, pour trĂšs- vertueux , quoiqu’il soit rĂ©ellement trĂšs- injuste. Je dis trĂšs-injuste , parce que, Ă­ĂŹ l’eí’poir de l’impunitĂ© doit multiplier les forfaits chez une nation, si la certitude du supplice est absolument nĂ©cessaire pour y entretenir l’ordre ; il est Ă©vident qu’une grĂące accordĂ©e Ă  un criminel, est envers le public, une injustice dont se rend complice celui qui sollicite une pareille grĂące ÂŁ. b Je ne suis coupable, disoit ChiĂźon mourant, que d’un seul crime c’efl d'avoir , pendant ma magistrature , sauvĂ© de la rigueur deslĂ ix un criminel, mon meilleur ami. Je citerai encore Ă  ce sujet un fait rapportĂ© dans le Gulistan. Un Arabe va fe plaindre au sultan des violences que deux inconnus exerçoient dans fa maison. Le sultan s’y transporte, sait Ă©teindre les lumiĂšres, saisir les criminels, envelopper leurs tĂȘtes d’un manteau ; il commande qu’on les poignarde. InexĂ©cution faite , le sultan fait rallumer les flambeaux , considĂ©rĂ© les corps des criminels , leve les mains , & rend grĂąces Ă  Dieu. Quelle saveur , lui dit l'on vizir, aveq-vous donc reçue du ciel Visir, rĂ©pond le sultan, j’aĂŻ cru mes fils auteurs de ces violences ; c'efl pourquoi fiai voulu qu’on Ă©teignĂźt les flambeaux , qu on couvrĂźt d'un manteau le visage de ces malheureux s ai craint que la tendrejse paternelle. ne me fit manquer Ă  la jufiiee que je dois Ă  ioi D e l’ E s p r i t. Qu’un ministre, sourd aux sollicitations de ses parents & de ses amis, croie ne devoir Ă©lever aux premieres places que des hommes du premier mĂ©rite ce ministre st juste passera certainement, dans fa sociĂ©tĂ© , pour un homme inutile, sans amitiĂ©, peut-ĂȘtre mĂȘme fans honnĂȘtetĂ©. Ă­l faut le dire Ă  la honte du siecle ; ce n’est presque jamais qu’à des injustices qu’un homme en grande place doit les titres de bon ami, de bon parent, d’homme vertueux & bienfaisant que lui prodigue la sociĂ©tĂ© dans laquelle il vit. Que, par ses intrigues, un pere obtienne l’emploi de gĂ©nĂ©ral pour un fils incapable de commander ; ce pere fera citĂ©, dans fa famille, comme un homme honnĂȘte 6c bienfaisant cependant, quoi de plus abominable que d'exposer une nation , ou du moins plusieurs de ses provinces, aux ravages qui suivent une dĂ©faite , uniquement pour latisfaire l’ambition dune famille } Quoi de plus punissable que des sollicitations , contre lesquelles il est impossible qu’un souverain soit toujours en garde ? De pareilles sollicitations, qui n’ont que trop souvent plongĂ© les nations dans les mes sujets. Juge fi je dois remercier le ciel, mairie tenant que je me trouve jufle , fans ĂȘtre parricide . Discours II. pins grands malheurs, font des sources intarissables de calamitĂ©s calamitĂ©s aux- quelĂ­es peut-ĂȘtre on ne peut soustraire les peuples qu’en brisant entre les hommes tous les liens de la parentĂ©s & dĂ©clarant tous les citoyens enfants de l’état. C’est Tunique moyen d’étouffer des vices ^'autorise une apparence de vertu, d’empecher la subdivision d’un peuple en une infinitĂ© de familles ou de petites sociĂ©tĂ©s, dont les intĂ©rĂȘts, presque toujours opposĂ©s Ă  Tin- tĂ©rĂȘt public , Ă©teindraient Ă  la fin dans les Ăąmes toute espcce d’amour pour la patrie. Ce que j’ai dit prouve suffisamment que, devant le tribunal d’une petite sociĂ©tĂ© l’intĂ©rĂȘt est le seul juge du mĂ©rite des ac- tionsdes hommes aussi n’ajouterois-je rien Ă  ce que je viens de dire, si je ne m’étois proposĂ© FutilitĂ© publique pour but principal de cet ouvrage. Or , je sens qu'un homme honnĂȘte, effrayĂ© de l’ascendant que doit nĂ©cessairement avoir sur lui l’opi- nion des sociĂ©tĂ©s dans lesquelles il vit, peut craindre avec raison d’ĂȘtre, Ă  son insu, souvent dĂ©tournĂ© de la vertu. Je n’abandonnerai donc pas cette matiĂšre, fans indiquer les moyens d'Ă©chapper aux sĂ©ductions, & d’éviter les piĂ©gĂ©s que l’intĂ©rĂȘt des sociĂ©tĂ©s particuliĂšres tend Ă  la probitĂ© des plus honnĂȘtes gens, & dans lesquels il ne Ta que trop souvent surprise. E iv 104 De l’E s p r i t. CHAPITRE VI. Des moyens de s'ajsurer de la vertu. N homme est juste, lorsque toutes ĂŹ-/ ses actions tendent au bien public. Ce n’est point assez de faire du bien pour mĂ©riter le titre de vertueux. Un prince a raille places Ă  donner, il faut les remplir ; il ne peut s’empĂȘcher de faire mille heureux. C’ost donc uniquement de la justice c ou de l’injustice de ses choix que dĂ©pend fa vertu. Si, lorsqu’il s’agit d’une place importante , il donne , par amitiĂ© , par faiblesse, par sollicitation ou par paresse , Ă  un homme mĂ©diocre, la prĂ©fĂ©rence sur un homme supĂ©rieur ; il doit se regarder comme injuste , quelques Ă©loges d’ailĂ­eurs que donne Ă  fa probitĂ© la sociĂ©tĂ© dans laquelle il vit. Én fait de probitĂ©, c’est uniquement l’in- tĂ©rĂȘt public qu’il faut consulter & croire , ĂŽc non les hommes qui nous environnent. c On couvroit, dans certain pays , d’une peau d’ûne , les hommes en place , pour leur apprendre qu’ìls ne doivent rien Ă  ce qu’on appelle dĂ©cence u saveur , mais tout Ă  la justice. Discours I Ă­. ioç L’intĂ©rĂȘt personnel leur fait trop souvent illusion. Dans les cours, par exemple, cet intĂ©rĂȘt ne donne-t-il pas le nom de prudence Ă  la faussetĂ© , & de sottise Ă  la vĂ©ritĂ©, qu’on y regarde du moins comme une folie , 8c qu’on y doit toujours regarder comme telle ? Elle y est dangereuse ; 8c les vertus nuisibles feront toujours comptĂ©es au rang des dĂ©fauts. La vĂ©ritĂ© ne trouve grĂące qu’auprĂšs des princes humains 8c bons , tels que les Louis XlĂ­, les Louis XV. Les comĂ©diens avoient jouĂ© le premier fur le thĂ©Ăątre; les courtisants exhortoient le prince Ă  les punir Non , dit-il, ils me rendent justice ; Us me croient digne d'entendre la. vĂ©ritĂ©. Exemple de modĂ©ration imitĂ© depuis par M. le duc d’.... Ce prince, forcĂ© de mettre quelques impositions fur une province, 8c fatiguĂ© de remontrances d un dĂ©putĂ© des Ă©tats de cette province , lui rĂ©pondit avec vivacitĂ© Et quelles font vos forces , pour vous opposer Ă  mes volontĂ©s ? Qjue pouveç- vous faire ? . . . ObĂ©ir & haĂŻr , rĂ©pliqua le dĂ©putĂ©. RĂ©ponse noble qui fait Ă©galement honneur au dĂ©putĂ© 8c au prince. II Ă©toit presque auffĂź difficile Ă  l’un de l'entendre, qu’à l’autre de la faire. Ce mĂȘme prince avoit une maĂźtresse ; un gentilhomme la lui avoit enlevĂ©e ; le prince Ă©toit piquĂ©, E v 105 De l’ E s p r i t. & ses favoris l’excitoient Ă  la vengeance Punisse^ , disoient-ils, un insolent. ... Je sais , leur rĂ©pondit-U, que la vengeance rrĂ­el facile ; un mot suffit pour me dĂ©faire d'un rivas & c efl ce qui nĂŹempĂȘche de le prononcer. Une pareille modĂ©ration est trop rare ; la vĂ©ritĂ© est ordinairement trop mal accueillie des princes & des grands , pour sĂ©journer long-temps dans les cours. Comment habiteroit-elle un pays oĂč la plupart de ceux qu’on appelle les honnĂȘtes gens , habituĂ©s Ă  la balsesse & Ă  la flatterie , donnent & doivent rĂ©ellement donner Ă  ces vices le nom d’usage du monde ? L’on apperçoit disticilementle crime oĂč se trouve futilitĂ©. Qui doute cependant que certaines flatteries ne soient plus dangereuses 6c par consĂ©quent plus criminelles aux yeux d’un prince ami de la gloire , que des libelles faits contre lui ? Non que je prenne ici le parti des libelles mais enfin une flatterie peut, Ă  son insu, dĂ©tourner un bon prince du chemin de la vertu, lorsqu’un libelle peut quelquefois y ramener un tyran. Ce n’est souvent que par la bouche de la licence que les plaintes des opprimĂ©s peuvent s’élever jusqu’au trĂŽne doit avoir dans toutes ses actions ; & celui qui 3 > ne s’emploie pas, dans tout ce qu’il peut, pour le 33 bien gĂ©nĂ©ral , semble ignorer qu’il est autant nĂ© » pour l’avantage des autres que pour le sien propre. 33 Tels font les motifs qui m’ont engagĂ© Ă  donner 33 au public ce TraitĂ© du Rojsignol ». L’auteur ajoute , quelques lignes aprĂšs L’amour du bien 3! public , qui ma engagĂ© Ă  mettre au jour cet 33 ouvrage , ne m’a pas laissĂ© oublier qu’il devoir » ĂȘtre Ă©crit avec frandiise Ă­k sincĂ©ritĂ© 33. Discours II. 131 qu’elle pense , croit & dit , c’est l’univers entier qui le pense , le croit & le dit. Comment un courtisan qui vit rĂ©pandu dans un moncie oĂč l’on ne parle que des cabales, des intrigues de la cour , de ceux qui s’élevent en crĂ©dit ou qui tombent en disgrĂące , & qui, dans le cercle Ă©tendu de ses sociĂ©tĂ©s , ne voit personne qui ne soit, plus ou moins , affectĂ© des mĂȘmes idĂ©es ; comment, dis-je, ce courtisan ne se persua- deroit-ilpas que les intrigues de la cour sont, pour >'esprit humain, les objets les plus di* gnes de mĂ©ditation & lesplus gĂ©nĂ©ralement intĂ©resiĂ nts ? Peut - il imaginer que, dans la boutique la plus voisine de son hĂŽtel, on ne connoĂźt ni lui , ni tous ceux dont il parle ; qu’on n’y soupçonne pas mĂȘme Fexif- tence des choses qui Foccupent lĂŹ vivement ; que, dans un coin de son grenier , loge u n philosophe , auquel les intrigues & les cabales que forme un ambitieux pour se faire chamarrer de tous les cordons de FEu- rope , paroilsoient aussi puĂ©riles oc moins sensĂ©es qu’un complot d’écoliers pour dĂ©rober une boĂšte de dragĂ©es , &c pour qui enfin les ambitieux ne font que vieux enfants qui ne croient pas FĂȘtre ? Un courtisan ne devinera jamais Fexis- tence de pareilles idĂ©es s’il venoit Ă  la soupçonner, il seroit comme ce roi du PĂ©gu, qui, ayant demandĂ© Ă  quelques VĂ©nitiens F vj tzr. De l’ Esprit. le nom de leur souverain , & ceux-ci lui ayant rĂ©pondu qu’ils n’étoient point gouvernĂ©s par des rois , trouva cette rĂ©ponse si ridicule , qu’il en pĂąma de rire. II est vrai qu’en gĂ©nĂ©ral les grands ne font pas sujets Ă  de pareils soupçons ; chacun d’eux croit tenir un grand espace sur la terre , & s'imagine qu’il n’y a qu’une seule façon de penser qui doit faire loi parmi les hommes , & que cette façon de penser est renfermĂ©e dans sa sociĂ©tĂ©. Si, de temps en temps , il entend dire , qu’il est des opinions diffĂ©rentes des siennes, il ne lesapper- çoit ,pour ainsi dire , que dans un lointain confus il les croit toutes relĂ©guĂ©es dans la tĂȘte d’un trĂšs-petit nombre d’insenĂ­Ă©s. 11 est , Ă  cet Ă©gard , auffi souque ce gĂ©ographe Chinois , qui , plein d’un orgueilleux amour pour fa patrie , destina une mappemonde dont la surface Ă©toit presque entiĂšrement couverte par l'empire de la Chine , sur les confins de laquelle on ne faisoit qu’appercevoir l’Asic , l'Afrique , l’Europe & l’AmĂ©rique. Chacun est tout dans l'univers, les autres n’y font rien. On volt donc que, forcĂ©, pour se rendre agrĂ©able aux sociĂ©tĂ©s particuliĂšres , de se rĂ©pandre dans le monde , de s’occuper de petits intĂ©rĂȘts & d’adopter mille prĂ©jugĂ©s, on doit insensiblement charger sa tĂȘte u’une Discours II. 133 infinitĂ© d’idĂ©es absurdes & ridicules aux yeux du public. Au reste , je fuis bien aise d’avertir que je n’entends point ici, par les gens du monde , uniquement les gens de la cour les Turenne, les Richelieu, les Luxembourg , les la Rochefoucault, les Retz & plusieurs autres hommes de leur espece, prouvent que la frivolitĂ© n’est pas l’appa- nage nĂ©cessaire d’un rang Ă©levĂ© ; & qu’il faut uniquement entendre par hommes du monde, tous ceux qui ne vivent que dans son tourbillon. Ce sont ceux-lĂ  que le public, avec tant de raison , regarde comme des gens absolument vuides de sens ; j’en apporterai pour preuve leurs prĂ©tentions folles & exclusives fur le bon ton le bel usage. Je choisis ces prĂ©tentions d’autant plus volontiers pour exemple , que les jeunes gens , dupes du jargon du monde , ne prennent que trop souvent son cailletage pour esprit, & le bon sens pour sottise. 134 De l’Esprit. CHAPITRE IX. Dii bon ton , & dit bel usage. T Oute sociĂ©tĂ©, divisĂ©e d’intĂ©rĂȘt & de goĂ»t, s’accuse respectivement de mauvais ton ; celui des jeunes gens dĂ©plaĂźt aux vieillards, celui de l’homme paĂ­tionnĂ© Ă  l’homme froid, & celui du cĂ©nobite Ă  l’homme du monde. Si l’on entend par bon ton le ton propre Ă  plaire Ă©galement dans toute sociĂ©tĂ© , en ce sens il n’est point d’homme de bon ton. Pour l’ĂȘtre, il faudroit avoir toutes les connoissances, tous les genres d'esprit Si peut-ĂȘtre tous les jargons diffĂ©rents ; supposition impossible Ă  faire. L’on ne peut donc entendre par ce mot de bon ton que le genre de conversation , dont les idĂ©es & l’expreíßßon de ces mĂȘmes idĂ©es doit plaire le plus gĂ©nĂ©ralement. Or, le bon ton, ainsi dĂ© fini, n’appartient Ă  nulle classe d’hommes en particulier, mais uniquement Ă  ceux qui s’occupent d’idĂ©es grandes , & qui, puisĂ©es dans des arts & des sciences telles que la mĂ©taphysique, la guerre, la morale, le commerce, la politique , prĂ©sentent toujours Ă  l’esprit des objets intĂ©ressants pour l'humanitĂ©. Ce genre de con- Discours II. versation, sans contredit le plus gĂ©nĂ©ralement intĂ©ressant, n’est pas, comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, le plus agrĂ©able pour chaque sociĂ©tĂ© en particulier. Chacun d’elles regarde son ton comme supĂ©rieur Ă  celui des gens deí’prit ; & celui cĂźes gens d'esprit simplement comme supĂ©rieur Ă  toute autre eĂ­pece de ton. Les sociĂ©tĂ©s font, Ă  cet Ă©gard, comma les paysans de diverses provinces , qui parlent plus volontiers le patois de leur canton que la langue de leur nation, mais qui prĂ©fĂšrent la langue nationale au patois des autres provinces. Le bon ton est celui que chaque sociĂ©tĂ© regarde comme le meilleur aprĂšs le sien ; & ce ton est celui des gens d’esprit. J’avouerai cependant, Ă  l’avantage des gens du monde, que s’il faĂ­Ă­oit, entre les diffĂ©rentes classĂ©s d’hommes, en choisir une au ton de laquelle on dĂ»t donner la prĂ©fĂ©rence, ce seroit, Ă­ans contredit, Ă  celle des gens de la cour ; non qu’un bourgeois 'n’ait autant d’idĂ©es qu’un homme du monde tous deux , st j’oie m’exprimer ainsi, parlent souvent Ă  vuide, & n’ont peut-ĂȘtre, en fait d’idĂ©es, aucun avantage l’un lur l’autre ; mais le dernier , par la position oĂč il se trouve , s'occupe d’idĂ©es plus gĂ©nĂ©ralement intĂ©ressantes. En effet, si les moeurs, lçs inclinations. 13 6 De l’ E s p r i t. les prĂ©jugĂ©s & le caractĂšre des rois ont beaucoup d’influence fur le bonheur ou le malheur public ; Ă­i toute connoistance , Ă  cet Ă©gard , est intĂ©ressante ; la conversation d'un homme attachĂ© Ă  la cour, qui ne peut parler de ce qui l’occupe fans parler souvent de ses maĂźtres, est donc nĂ©cessairement moins insipide que celle du bourgeois. D’ailleurs, les gens du monde Ă©tant, en gĂ©nĂ©ral, fort au-dessus des besoins, & n’en ayant presque point d’autre Ă  satisfaire que celui du plaisir ; il est encore certain que leur conversation doit, Ă  cet Ă©gard , prositer des avantages de leur Ă©tat c’est ce qui rend, en gĂ©nĂ©ral, les femmes de la cour si supĂ©rieures aux autres femmes en grĂąces, en esprit, en agrĂ©ments ; & pourquoi la classe des femmes d’esprit n’cst presque composĂ©e que de femmes du monde. Mais, si le ton de la cour est supĂ©rieur Ă  celui de la bourgeoisie, les grands, n'ayant cependant pas toujours Ă  citer de ces anecdotes curieuses fur la vie privĂ©e des rois, leur conversation doit le plus communĂ©ment rouler fur les prĂ©rogatives de leurs charges, fur celles de leur naissance, fur leurs aventures galantes , & fur les ridicules donnĂ©s ou rendus Ă  un souper or de pareilles conversations doivent ĂȘtre insipides Ă  la plupart des sociĂ©tĂ©s. Discours II. 137 Les gens du monde font donc , vis-Ă - vis d’elles, prĂ©cisĂ©ment dans le cas des gens fortement occupĂ©s d’un mĂ©tier ; ils en font Tunique & perpĂ©tuel sujet de leur conversation en consĂ©quence, on les taxe de mauvais ton , parce que c’est toujours par un mot de mĂ©pris qu’un ennuyĂ© fe venge d’un ennuyeux. On me rĂ©pondra, peut-ĂȘtre, qifaucune sociĂ©tĂ© n’accuse les gens du monde de mauvais ton. Si la plupart des sociĂ©tĂ©s fe taisent Ă  cet Ă©gard, c’est que la naissance 6c les dignitĂ©s leur en imposent, les empĂȘchent de manifester leurs sentiments , 6c souvent mĂȘme de fe les avouer Ă  elĂźes- mĂȘmes. Pour s’cn convaincre, qu’on interroge fur ce sujet un homme de bon sens Le ton du monde , dira-t-il, n’est lo plus souvent qu’un persiflage ridicule. Ce ton, usitĂ© Ă  la cour, y fut sans doute introduit par quelque intrigant , qui, pour voiler ses menĂ©es, vouloir parler fans rien dire dupes de ce persiflage , ceux qui le suivirent, sans avoir rien Ă  cacher, empruntĂšrent le jargon du premier , &c crurent dire quelque chose lorsqu’ils pro- nonçoient des mots assez mĂ©lodieusement arrangĂ©s. Les gens en place , pour dĂ©tourner les grands des affaires sĂ©rieuses 6c les en rendre incapables, applaudirent Ă  ce ton, permirent qu’on le nommĂąt esprit , 6c rz8 De l’ E s p r i t. furent los premiers Ă  lui en donner le nom. Mais , quelque Ă©loge qu’on donne Ă  ce jargon, fi, pour apprĂ©cier le mĂ©rite de la plupart de ces bons mots si admirĂ©s dans la bonne compagnie, on les traduisoit dans une autre langue, la traduction dissiperait le prestige , & la plupart de ces bons mots fe trouveraient vuides de sens. Ausii, bien des gens, ajouteroit-il, ont pour ce qu’on appelle les gens brillants , un dĂ©goĂ»t trĂšs- marquĂ© , & rĂ©pĂ©te-t-on souvent ce vers de la comĂ©die ; Quand le bon ton paroit, le bons sons se retire. Le vrai bon ton est donc celui des gens d’esprit, de quelque Ă©tat qu’ils soient. Je veux, dira quelqu’un, que les gens du monde , attachĂ©s Ă  de trop petites idĂ©es , soient, Ă  cet Ă©gard , infĂ©rieurs aux gens d’esprit ils leur sont du moins supĂ©rieurs dans la maniĂ©rĂ© d’exprimer leurs idĂ©es. Leur prĂ©tention , Ă  cet Ă©gard , paraĂźt fans contredit mieux sondĂ©e. Quoique les mots, en eux-mĂȘmes, ne soient ni nobles, ni bas; que, dans un pays oĂč le peuple est respectĂ© , comme en Angleterre, on ne fasse, ni ne doive faire cette distinction dans un Etat monarchique, oĂč l’on n’a nulle considĂ©ration pour le peuple, il est certain que les mots doivent prendre l’une ou l’autre de ces dĂ©nominations, selon qu’ils sont Discours II. 139 usitĂ©s ou rejetĂ©s Ă  la cour ; & qu’ainsi Pexpreíßßon des gens du monde doit toujours ĂȘtre Ă©lĂ©gante ; aussi l’est-elle. Mais la plupart des courtisants ne s’exerçant que fur des matiĂšres frivoles, le dictionnaire de la langue noble est, par cette raison, trĂšs-court, & ne suffit pas mĂȘme au genre du roman, dans lequel ceux des gens du monde qui voudroient Ă©crire fe trouve- roient souvent fort infĂ©rieurs aux gens de lettres a!. A l’égard des sujets qu’onregarde comme sĂ©rieux, & qui tiennent aux arts & Ă  la philosophie , l’expĂ©rience nous apprend que, fur de tels sujets, les gens du monde d Ce qui fait le plus d’illusion en faveur des gens du monde ; c’eĂ­ĂŻ l’air aisĂ©, le geste dont ils accompagnent leurs discours , & qu’on doit regarder comme l’effet de la constance que donne nĂ©cessairement f avantage du rang ; ils font Ă  cet Ă©gard ordinairement fort supĂ©rieurs aux gens de lettres. Or, la dĂ©clamation , comme le dit Aristote , est la p ternie re partie del’éioquence ils peuvent donc, par cette raison, avoir dans les conversations frivoles , 1 avantage fur les gens de lettres. Avantage qu'ils perdent lorsqu'ils Ă©crivent , non seulement parcs qu’ils ne font plus alors soutenus du prestige de la dĂ©clamation, mais parce que leurs Ă©crits n'ont jamais que le style de leurs conversations, & qu’on Ă©crit presque toujours mal, lorsqu’on Ă©crit comme oa 140 De l’ E s p r i t. ne peuvent qu’avec peine bĂ©gayer leurs pensĂ©es e d’ou il rĂ©sulte qu’à l’égard mĂȘme de l’expreĂ­fion , ils n’ont nulle stb- pĂ©rioritĂ© sur les gens d’esprit ; & qu’ils n’en ont, Ă  cet Ă©gard , fur le commun des hommes, que dans des matiĂšres frivoles fur lesquelles ils font trĂšs-exercĂ©s, & dont ils ont fait une Ă©tude &, pour ainĂ­i dire, un art particulier ; supĂ©rioritĂ© qui n’est pas encore bien constatĂ©e, & .que presque tous les hommes s’exagerenr, par le respect mĂ©canique qu’ils ont pour la naissance 6c pour les dignitĂ©s, Au reste, quelque ridicule que donne aux gens du monde leur prĂ©tention exclusive au bon ton , ce ridicule est moins un ridicule de leur Ă©tat qu’un de ceux de l’hu- manitĂ©. Comment l’orgueil ne perfuade- roit-il pas aux grands, qu’eux & les gens de leur efpece font douĂ©s de l’efprit le plus propre Ă  plaire dans la converlation, puisque ce mĂȘme orgueil a bien persuadĂ© Ă  tous les hommes en gĂ©nĂ©ral que la nature n’avoit allumĂ© le soleil que pour fĂ©conder dans l’espace ce petit point nommĂ© la terre, & qu’elle 'n’avoit semĂ© le firmament d’é- toiles que pour l’éclairer pendant les nuits e Je ne parle , dans cĂš chapitre , que de ceux des gens du inonde dont l’esprit n’est point exercĂ©. Discours II. 141 On est vain, mĂ©prisant, 8c, par consĂ©quent , injuste , toutes les fois que l’on peut FĂȘtre impunĂ©ment. C’est pourquoi tout homme s’imagine que, fur la terre , il n’est point de partie du monde ; dans cette partie du monde, de nation ; dans la nation , de province ; dans la province, de ville; dans la ville de sociĂ©tĂ© comparable Ă  la sienne ; qui ne se croie encore l’homme supĂ©rieur de sa sociĂ©tĂ© ; 8c qui, de proche en proche , ne se surprenne en 'avouant Ă  lui-mĂȘme qu’il est le premier homme de Funivers /. Aussi , quelque folles que soient les prĂ©tentions exclusives au bon ton , 8c quelque ridicule que le public donne Ă  ce sujet aux gens du monde , ce ridicule trouvera toujours grĂące devant l’indulgente 8c faine philo- lĂČphie , qui doit mĂȘme , Ă  cet Ă©gard , leur Ă©pargner l’amertume des remedes inutiles. Si l’animal enfermĂ© dans un coquillage, 8c qui ne connoĂźt de Funivers que le rocher fur lequel il est attachĂ© , ne peut juger de son Ă©tendue; comment l'homme du monde qui vit concentrĂ© dans une pÊtite sociĂ©tĂ©, qui se voit toujours environnĂ© des mĂȘmes / Voyez le PĂ©dant jouĂ©, comĂ©die de Cyrano de Bergerac. i4i De l’ E s p r i t. objets , & qui ne connoĂźt qu’une feule opinion , pourroit-il juger du mĂ©rite des choies ? La vĂ©ritĂ© ne s’apperçoit & ne s’engendre que dans la fermentation des opinions contraires. L’imivers ne nous est connu que par celui avec lequel nous commerçons. Quiconque le renferme dans une sociĂ©tĂ© ne peut s’empĂącher d’en adopter les prĂ©jugĂ©s , Ă­ur-tout s'iis flattent son orgueil. Qui peut s'arracher Ă  une erreur, quand la vanitĂ©, complice de Fignorance , Fy a attachĂ©, & la lui a rendue chere ? C’estpar un effet de la mĂȘme vanitĂ© que les gens du monde se croient les seuls poĂ­lĂ©fleurs du bel usage , qui, selon eux, est le premier des mĂ©rites, & fans lequel il n’en est aucun. Ils ne s’apperçoivent pas que cet usage , qu’iĂŹs regardent comme Fustige du monde pas excellence , n’est que Fustige particulier de leur monde. En effet , au Monomotapa , oĂč , quand le roi Ă©ternue , tous les courtisans font, par politesse , obligĂ©s d’éternuer , & oĂč, l’éternuement gagnant de la cour Ă  la ville & de la ville aux provinces, tout Fempire paroĂźt affligĂ© d’un rhume gĂ©nĂ©ral , qui doute qu’il n’y ait des courtisans qui ne se piquent d’éternuer plus noblement que les autres hommes ; qui ne se regardent , Discours II. 145 k cct Ă©gard, comme les possesseurs uniques du bel uĂ­age; qui ne traitent de mauvaise compagnie, ou de nations barbares, tous les particuliers & tous les peuples dont leternuemenr leur paroĂźt moins harmonieux ? Les Marianois ne prĂ©tendrorft-ils pas que la civilitĂ© conĂ­iĂ­le Ă  prendre le pied de ce'ui auquel on veut faire honneur, Ă  s’en frotter doucemen* le visage, & ne jamais cracher devant l'on supĂ©rieur ? Les Chiriguanes ne soutiendront-ils pas qu’il faut des culottes ; mais que le bel usage est de les porter sous le bras, comme nous portons nos chapeaux ? Les habitants des Philippines ne diront- ils pas que ce n’est point au mari Ă  faire Ă©prouver Ă  fa femme les premiers plaisirs de l'amour ; que c’eĂ­l une peine dont il doit, en payant, fe dĂ©charger fur queloue autre ? N’ajouteront-ils pas qu'u ne fille qui Lest encore lors de son mariage , est une fille fans mĂ©rite , qui n’est digne que de mĂ©pris ? Ne foutient-on pas au Pcgu qu’il est du bel usage &c de la dĂ©cence , qu’un Ă©ventail ĂĄ la main , le roi s’avance dans la salle d’audience , prĂ©cĂ©dĂ© de quatre jeunes gens des plus beaux de la cour ; & qui, destinĂ©s Ă  fes plaisirs , sont en mĂȘme temps fes interprĂštes &C les hĂ©rauts qui dĂ©clarent fes volontĂ©s? 144 De l’ E s p r i t. Que je parcoure toutes les nations, je trouverai par-tout des usages diffĂ©rents {g & chaque peuple, en particulier, se croira nĂ©cessairement en poffeffĂŹon clu meilleur usage. Or , s’il n’est rien de plus ridicule que de pareilles prĂ©tentions, mĂȘme aux yeux des gens du monde ; qu’ils fassent quelque retour fur eux- mĂȘmes, ils verront que , fous d’autres g Au royaume de Juida , lorsque les habitants se rencontrent, ils se jettent en bas de leurs ha- machs, se mettent Ă  genoux vis-Ă -vis F un de l’autre, baisent la terre, frappent des mains , se font des compliments & se relevent les agrĂ©ables du pays croient certainement que leur maniĂ©rĂ© de saluer est la plus polie. Les habitants des Manilles disent que la politesse exige qu’en saluant on plie 1e corps trĂšs-bas , qu’on mette ses deux mains fur ses joues, qu on levs une jambe en lai r , en tenant les genoux pliĂ©s. Le sauvage de la nouvelle OrlĂ©ans soutient que nous manquons de politesse envers nos rois. Lors- 3 > que je me prĂ©sente , dit-il, au grand chef, je le n salue par un hurlement ; puis je pĂ©nĂ©tre au tond 3, de fa cabane fans jetter un seul coup d’ceilsur le 33 cĂŽtĂ© droit oĂč le chef est astis. C’est lĂ  que je re- 33 nouvelle mon salut , en levant mes bras fur ma 33 tĂȘte , & en hurlant trois fois. Le chef m’invite Ă  33 m’asseoir par un petit soupir ; je le remercie par 33 un nouveau hurlement. A chaque question du 33 chef, je hurle une fois avant que de rĂ©pondre; A, je 33 prends congĂ© de lui, en faisant traĂźner mon hur- 3i lement jusqu Ă  ce que je sois hors de fa prĂ©sence 33. nom S , Discours II. 14^ noms , c’est d’eux - mĂȘmes dont ils se moquent. Pour prouver que ce que l'on appelle ici, usagedu monde , loin de plaire universellement , doit au contraire dĂ©plaire le plus gĂ©nĂ©ralement , que l’on transporte Ă­iiccestivement Ă  la Chine, en Hollande Sc en Angleterre le petit-maĂźtre le plus savant dans ce compote de gestes, de propos Sc de maniĂ©rĂ©s , appelle usage du monde ; Sc l'homme sente , que son ignorance Ă  cet Ă©gard fait traiter de stupide ou de mauvaise compagnie ; il est certain que ce dernier passera, chez ces divers peuples, pour plus instruit du vĂ©ritable usage du. monde que le premier. Quel est le motif d’un pareil jugement ? C’est que la raison indĂ©pendante des modes & des coutumes d’un pays , n’est nulle part Ă©trangĂšre Sc ridicule ; c’est qu’au contraire l'usage d’un pays , inconnu Ă  un autre pays, rend toujours l’observa- teur de cet usage d’autant plus ridicule, qu’il y est plus exercĂ© Sc s’y est rendu plus habile. Si, pour Ă©viter l’air pesant Sc mĂ©thodique en horreur Ă  la bonne compagnie , nos jeunes gens ont souvent jouĂ© l’étour- derie ; qui doute qu’aifx yeux des Anglois, des Allemands ou des Espagnols , nos pctits-maĂźtres ne paraissent d’autant plus Tom, I, G 146 De l’ E s p r 1 t. ridicules qu’ils feront, Ă  cet Ă©gard , plus attentifs Ă  remplir ce qu’ils croiront du b d usage ? II est donc certain , du moins fi l’on en jugepar Paccueil au’onfait Ă  nos agrĂ©ables dans le pays Ă©tranger, que ce qu’ils appellent usage du monde , loin de rĂ©ussir universellement , doit au contraire dĂ©plaire le plus gĂ©nĂ©ralement ; & que cet usage est aussi diffĂ©rent du vrai usage du monde , toujours fondĂ© fur la raison, que la civilitĂ© Test de la vraie politesse. L’une ne suppose que la science des maniĂ©rĂ©s ; & í’autre , un sentiment fin, dĂ©licat &c habituel de bienveillance pour les hommes. Au reste , quoiqu’il n’y ait rien de plus ridicule que ces prĂ©tentions exclusives au bon ton au bel usage , il est si difficile , comme je l’ai dit plus haut, ,de vivre dans les sociĂ©tĂ©s du grand monde fans adopter quelques-unes de leurs erreurs, que les gens d’efprit, les plus en garde Ă  cet Ă©gard , ne font pas toujours sĂ»rs de s’en dĂ©fendre. Aussi n’est-ce en ce genre , que des erreurs extrĂȘmement multipliĂ©es, qui dĂ©terminent le public Ă  placer les agrĂ©ables au rang des esprits faux & petits ; je dis petits , parce que Pefprit , qui n’est ni grand ni petit en foi, emprunte toujours l’une ou l’autre de ces dĂ©nomma- Discours II. 147 tions de la grandeur ou de la petitesse des objets qu’il considĂ©rĂ©, & que les gens du monde ne peuvent guere s'occuper que de petits objets. II rĂ©sulte des deux chapitres prĂ©cĂ©dents, que l’intĂ©rĂȘt public est presque toujours diffĂ©rent de celui des sociĂ©tĂ©s paticulieres ; qu'en consĂ©quence, les hommes les plus estimĂ©s de ces sociĂ©tĂ©s ne font pas toujours les plus estimables aux yeux du public. Maintenant je vais montrer que ceux qui mĂ©ritent le plus d’estime de la part du public , doivent , par leur maniĂ©rĂ© de vivre & de penser , ĂȘtre souvent dĂ©sagrĂ©ables aux sociĂ©tĂ©s particuliĂšres. CHAPITRE X. Pourquoi P homme admirĂ© du public nefl pas toujours efĂŹimĂ© des gens du monde. P Our plaire aux sociĂ©tĂ©s particuliĂšres , il n’est pas nĂ©cessaire que l’hori- zon de nos idĂ©es soit fort Ă©tendu ; mais il faut connoĂźtre ce qu’on appelle le monde , s’y rĂ©pandre Lc l’étudier au contraire, pour s’illustrer dans quelque art, ou quelque science que ce soit, & mĂ©riter , en consĂ©quence , l’cstime du 148 De l’ E s p r i t. public, il faut, comme je l’ai dit plus haut, faire des Ă©tudes trĂšs-diffĂ©rentes. Supposons des hommes ciĂ­rieux de s’inf- truire dans la science de la morale. Ce n’est que par le secours de i’histoire Sc fur les ailes de la mĂ©ditation, qu’ils pourront , selon les forces inĂ©gales de leur esprit , s’élever Ă  diffĂ©rentes hauteurs , d’oĂč l’un dĂ©couvrira des villes , l’autre des nations, celui-ci une partie du monde, & celui-lĂ  l’univers entier. Ce n’ell qu’en contemplant la terre de ce point de vue, en s’élevant Ă  cette hauteur,qu’el le fe rĂ©duit insensiblement j devant un philosophe , Ă  un petit espace , Sc qu’elle prend Ă  lĂ©s yeux Ăźa forme d'une bourgade habitĂ©e par diffĂ©rentes familles qui portent le nom de Chinoise,d’Angloise , de Françoise, d’Ita- lienne, enfin tous ceux qu’on donne aux diffĂ©rentes nations. C’est de - lĂ  que , venant Ă  considĂ©rer le spectacle des mƓurs, des loix, des coutumes, des religions , S c des passions diffĂ©rentes , un homme , devenu presque insensible Ă l’éloge comme Ă  la satyre des nations, peut briser tous les liens des prĂ©jugĂ©s , examiner d’un Ɠil tranquille la contrariĂ©tĂ© des opinions des hommes, passer fans Ă©tonnement du sĂ©rail Ă  la chartreuse , contempler avec plaisir retendue de la sottise humaine , voir du mĂȘme Ɠil Alcibiade couper la queue Ă  Discours II. 149 son chien , Sc Mahomet s’enfermer dans une caverne, í’un pour se moquer de la lĂ©gĂ©retĂ© des AthĂ©niens, l’autre pour jouir de l’adoration du monde. Or de pareilles idĂ©es ne fe prĂ©sentent que dans le silence & la solitude. Si les Muses , disent les poĂštes, aiment les bois, les prĂ©s, les fontaines, c’est qu’on y goĂ»te une tranquiĂ­ltĂ© qui fuit les villes ; Sc que les rĂ©flexions qu’un homme, dĂ©tachĂ© des petits intĂ©rĂȘts des sociĂ©tĂ©s , y fait fur lui- mĂȘme, font des rĂ©flexions qui, faites fur l’homme en gĂ©nĂ©ral , appartiennent Sc plaisent Ă  l'humanitĂ©. Or, dans cette solitude qĂ» l’on est , comme malgrĂ© soi, portĂ© vers l'Ă©tude des arts & des sciences , comment s’occuper d’une infinitĂ© de petits faits qui font l’entreticn journalier des gens du monde ? AuĂ­lĂź nos Corneille Sc nos la Fontaine ont-ils quelquefois paru insipides dans nos soupers de bonne compagnie ; leur bon- hommie mĂȘme contribuoit Ă  les faire juger tels. Comment les gens du monde pour- roient-ils , fous le manteau de la simplicitĂ© , reconnoĂźtre l’homme illustre ? II est peu de connoisseurs en vrai mĂ©rite. Si la plupart des Romains , dit Tacite , trompĂ©s par la douceur Sc la simplicitĂ© d’Agricola , cherchoient le grand homme fous son extĂ©rieur modeste, sans pouvoir 150 De l’ E s p r i t; l’y reconnoĂźtre ; on sent que, trop heureux d’échapper au mĂ©pris des sociĂ©tĂ©s particuliĂšres , le grand homme , surtout s’il est modeste, doit renoncer Ă  Yeflimc sentie de la plupart d’entr’elles. AustĂŹ n’est-il que solidement animĂ© du dĂ©sir de leur plaire. II sent confusĂ©ment que l’estime de ceS sociĂ©tĂ©s ne prouveroit que l’analogie de ses idĂ©es avec les leurs ; que cette analogie seroit souvent peu flatteuse ; & que l'estime publique est la seule digne d’envie, la seule dĂ©sirable , puisqu’elle est toujours un don de la reconnoissance publique, & par consĂ©quent la preuve d’un mĂ©rite rĂ©el. C’est pourquoi le grand homme, incapable d’aucun des efforts nĂ©cessaires pour plaire aux sociĂ©tĂ©s particuliĂšres , trouve tout possible pour mĂ©riter l'estime gĂ©nĂ©rale. Si l’orgueil de commander aux rois dĂ©dommageoit les Romains de la duretĂ© de la discipline militaire , le noble plaisir d'ĂȘtre estimĂ© console les hommes illustres des injustices mĂȘmes de la fortune. Ont-ils obtenu cette estime ? ils fe croient les possesseurs du bien le plus dĂ©sirĂ©. En effet, quelque indiffĂ©rence qu’on affecte pour l’opiaion publique , chacun cherche Ă  s’cstimer l’oi- mĂȘme, & fe croit d’autant plus estimable qu’il fe voit plus gĂ©nĂ©ralement estimĂ©. Si les besoins, les passions, Lc fur-tout Discours II. 151 la paresse, n’étouffoient en nous ce dĂ©sir de l’estime ; il n’est personne qui ne fit des efforts pour la mĂ©riter , & qui ne dĂ©sirĂąt le suffrage public pour garant de la haute opinion qu’il a de soi. Aussi le mĂ©pris de la rĂ©putation , & le sacrifice qu'on en fait, dit-on , Ă  la fortune & Ă  la considĂ©ration, est-il toujours inspirĂ© par le dĂ©sespoir de fc rendre illustre. On doit vanter ce qu’on a, & dĂ©daigner ce qu’on n’a pas. C’est un effet nĂ©cessaire cĂźe l’orgueil ; on le rĂ©volteroit, si l’on ne paroissoit pas fa dupe. Ilferoit, en pareil cas, trop cruel d'Ă©clairer un homme fur les vrais motifs de ses dĂ©dains ; aussi le mĂ©rite ne se porte-t-il jamais Ă  cet excĂšs de barbarie. Tout homme qu’il me soit permis de l’observer en passant, lorsqu’il n’est pas nĂ© mĂ©chant , 6c lorsque les passions n’ossusquent pas les lumiĂšres de fa raison , sera toujours d’autant plus indulgent qu’il sera plus Ă©clairĂ©. C’est une vĂ©ritĂ© dont je me refuse d’autant moins lq preuve , qu’en rendant justice , Ă  cet Ă©gard, Ă  l’homme de mĂ©rite, je puis , dans les motifs mĂȘme de son indulgence, faire plus nettement appercevoir la cause du peu de cas qu’il fait de l’estime des sociĂ©tĂ©s particuliĂšres , 6c en consĂ©quence du peu de succĂšs qu’il doit y avoir. Si le grand homme est toujours le plus G iv i De l’ E s p r i t. Spinola, les Cromwel, les Charles XII, obtenir la rĂ©putation de grands capitaines ^ le jour mĂȘme qu’ils ont commandĂ© & battu des armĂ©es ; & qu’aucun peintre , quelque heureuse disposition qu’il ait reçu de la nature, n’est citĂ© entre les peintres illustres, s’il n’a du moins consommĂ© dix ou douze ans, de fa vie en Ă©tudes prĂ©liminaires de cet art. Pourquoi donc accorder plus d’estime au gĂ©nĂ©ral ignorant qu’au peintre habile ? Cet inĂ©gal partage de gloire, si injuste en apparence, tient Ă  l'inĂ©galitĂ© des avantages que ces deux hommes procurent Ă  leur nation. Qu’on se demande encore pourquoi le public donne au nĂ©gociateur habile le titre d’esprit supĂ©rieur, qu’il refuse Ă  l’avocat cĂ©lĂ©brĂ© ? L’importance des affaires dont on charge le premier prouve- t-elle en lui quelque lupĂ©rioritĂ© d’esprit sur le second? Ne faut-il pas souvent autant de sagacitĂ© &c de finesse pour discuter les intĂ©rĂȘts & terminer les procĂšs de deux seigneurs de paroisse, que pour pacifier deux nations ? Pourquoi donc le public , si avare de son estime envers l’avocat, en est-il si prodigue envers le nĂ©gociateur ? C'est que le public, toutes les fois qu’il n’est pas aveuglĂ© par quelque prĂ©jugĂ© ou quelque superstition, est, sans s’en apper- cevoir, capable de faire, fur ce qui ü’in- Discours II. 163 tĂ©resse, les raisonnements les plus fins. L’instinct, qui lui fait tout rapporter Ă  son intĂ©rĂȘt, est comme l’éther, qui pĂ©nĂ©trĂ© tous les corps fans y faire aucune impression sensible. II a moins besoin de peintres & d’avocats cĂ©lĂ©brĂ©s, que de gĂ©nĂ©raux &c de nĂ©gociateurs habiles ; il attachera donc aux talents de ces derniers le prix d’estime nĂ©cessaire pour engager toujours quelque citoyen Ă  les acquĂ©rir. De quelque cĂŽtĂ© qu’on jette les yeux, on verra toujours l’intĂ©rĂȘt prĂ©sider Ă  la distribution que le public fait de son estime. Lorsque les Hollandois Ă©rigent une statue Ă  ce Guillaume Buckelst qui leur avoit donnĂ© le secret de saler & d’encaquer les harengs, ce n’est point Ă  l’étendue de gĂ©nie nĂ©cessaire pour cette dĂ©couvere qisils dĂ©* ferent cet honneur, mais Ă  l’importance du secret & aux avantages qu’il procure Ă  la nation. Dans toute dĂ©couverte , cet avantage en impose tellement Ă  Fimagination, qu’il en dĂ©cuple le mĂ©rite, mĂȘme aux yeux des gens sensĂ©s. Lorsque les petits Augustins dĂ©putĂšrent Ă  Rome pour obtenir du saint siĂ©gĂ© la permission de se couper la barbe, qui sait si le pere Eustache n'employa pas dans cette nĂ©gociation autant dç finesse $c d’esprit que r 64 D f. l’ E s p R i t. lc prĂ©sident Jeannin dans ses nĂ©gociations de Hollande ? Personne ne peut rien affirmer a ce sujet. A quoi donc attribuer le sentiment du rire ou de l’estime qu’excitent ces deux nĂ©gociations diffĂ©rentes , si ce n’est Ă  la diffĂ©rence de leurs objets ? Nous supposons toujours de grandes causes Ă  de grands effets. Un homme occupe une grande place ; par la position oĂč il se trouve, il opĂ©rĂ© de grandes choses avec peu d’esprit cet homme paffera , prĂšs de la multitude , pour supĂ©rieur Ă  celui qui, dans un posie infĂ©rieur & des circonstances moins heureuses, ne peut qu’avec beaucoup d’esprit exĂ©cuter de petites choses. Ces deux hommes seront comme des poids inĂ©gaux appliquĂ©s Ă  diffĂ©rents points d’un long lĂ©vier , oĂč le poids plus lĂ©ger , placĂ© 4 . une des extrĂ©mitĂ©s, enleve un poids dĂ©cuple placĂ© plus prĂ©s du point d’appui. Or, si le public , comme je l’ai prouvĂ© , ne juge que d’aprĂšs son intĂ©rĂȘt, &c s’il est indiffĂ©rent Ă  toute autre espece de considĂ©ration ; ce mĂȘme public , admirateur enthousiaste des arts qui lui font utiles, ne doit point exiger des artistes qui les cultivent ce haut degrĂ© de perfection auquel il veut absolument qu’atteignent ceux qui s’attachent Ă  des arts moins utiles, &c dans lesquels il est souvent plus difficile de rĂ©ussir. Aussi les hommes , lelon qu'ils Discours II. 165 s’appliquent Ă  des arts plus ou moins utiles, Ă­'ont-ils comparables Ă  des outils grossiers, ou Ă  des bijoux les premiers font toujours jugĂ©s bons quand l’acier en est bien trempĂ©, & les seconds ne font estimĂ©s qu'autant qu’ils font parfaits. C’est pourquoi notre vanitĂ© est en secret toujours d’autant plus flattĂ©s d’un succĂšs, que nous obtenons ce succĂšs dans un genre moins utile au public, oĂč l’on mĂ©rite plus difficilement son approbation , dans lequel enfin la rĂ©ussite suppose nĂ©cessairement plus d’el'prit &c de mĂ©rite personnel. En effet, de quelles prĂ©ventions diffĂ©rentes le public n’cst-il pas affectĂ©, lorfqu’il pefe le mĂ©rite d’un auteur ou d’un gĂ©nĂ©ral? Juge-t-il le premier ? il le compare Ă  tous ceux qui ont excellĂ© dans son genre, &c ne lui accorde son estime qu’autant qu’il surpasse ou qu’au moins il Ă©gale ceux qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©. Juge-t-il un gĂ©nĂ©ral ? il n’examine point, avant d’en faire l’éloge, s’il Ă©gale en habiletĂ© les Scipion , les CĂ©sar, ou les Sertorius. Qu’un poĂšte dramatique fasse une bonne tragĂ©die fur un plan dĂ©jĂ  connu, c’est, dit-on, un plagiaire mĂ©prisable ; mais qu’un gĂ©nĂ©ral fe serve, dans une campagne, de l’ordre de bataille &c des stratagĂšmes d’un autre gĂ©nĂ©ral, il n’en paroĂźt souvent que plus estimable. Qu’un auteur remporte un .prix fur 1 66 De l’ E s p r i t. soixante concurrents, si le public n’avoue point le mĂ©rite de ces concurrents, ou si leurs ouvrages font foibles, l'auteur &c son succĂšs font bientĂŽt oubliĂ©s. Mais quand le gĂ©nĂ©ral a triomphĂ©, le public, avant que de le couronner, a-t-il jamais constatĂ© l’habiletĂ© & la valeur des vaincus ? Exige-t-il d’un gĂ©nĂ©ral ce sentiment sin & dĂ©licat de gloire qui, Ă  la mort de M. de Turenne, dĂ©termina M. de Mon- tecuculi Ă  quitter le commandement des armĂ©es ? On ne peut plus , disoit-il, m'opposer d'ennemi digne de moi. Le public pese donc Ă  des balances trĂšs- diffĂ©remes le mĂ©rite d’un auteur & celui cl’un gĂ©nĂ©ral. Or, pourquoi dĂ©daigner dans l’un la mĂ©diocritĂ© que souvent il admire dans l'autre ? O est qu’il ne tire nul avantage de la mĂ©diocritĂ© d’un Ă©crivain, & q u'il en peut tirer de trĂšs-grands de celle d’un gĂ©nĂ©ral, dont l’ignorance est quelquefois couronnĂ©e du succĂšs. II est donc intĂ©ressĂ© Ă  priser dans l’un ce qu’il mĂ©prise dans l’autre. D’ailleurs, si le bonheur public dĂ©pend du mĂ©rite des gens en place , & si les grandes places font rarement remplies par de grands hommes, pour engager les gens mĂ©diocres Ă  porter du moins dans leurs entreprises toute la prudence &C l'activitĂ© dont ils font capables, il faut nĂ©cessaire- Discours II. 167 ment les flatter de l’elpoir d’une grande gloire. Cet espoir seul peut Ă©lever jusqu’au terme de la mĂ©diocritĂ©, des hommes qui n’y enflent jamais atteint, fi le public, trop sĂ©vere apprĂ©ciateur de leur mĂ©rite, les eĂ»t dĂ©goĂ»tĂ©s de son estime par la difficultĂ© de l’obtcnir. VoilĂ  la cause de l’indulgence secrette avec laquelle le public juge les gens en place ; indulgence quelquefois aveugle dans le peuple, mais toujours Ă©clairĂ©e dans Thomme d’esprit. II sait que les hommes font les disciples des objets qui les environnent ; que la flatterie, assidue auprĂšs des grands, prĂ©side Ă  toutes les instructions qu'on leur donne ; & qu’ainsi l’on ne peut, fans injustice , leur demander autant de talents & de vertus qu’on en exige d’un particulier. Si le spectateur Ă©clairĂ© siffle au thĂ©Ăątre François ce qu’il applaudit aux Italiens ; st, dans une belle femme & un joli enfant, tout est grĂące, esprit & gentillesse ; pourquoi ne pas traiter les grands avec la mĂȘme indulgence? On peut lĂ©gitimement admirer en eux des talents qu’on trouve communĂ©ment chez un particulier obscur, parce qu’il leur est plus difficile de les acquĂ©rir. GĂątĂ©s par les flatteurs, comme les jolies femmes par les galants ; occupĂ©s d’aiĂ­leurs de mille plaisirs, distraits par mille foins , i58 De l’ E s p r i t. ils n’ont point, comme un philosophe ie loisir de penser, d’acquĂ©rir un grand nombre d’idĂ©es c, ni de reculer & les bornes de leur esprit & celles de i’eĂ­prit humain. Ce n’est point aux grands qu’on doit les dĂ©couvertes dans les arts 6c les sciences ; leur main n’a pas levĂ© le plan de la terre St du ciel, n’a point construit des vaisseaux , Ă©difiĂ© des palais, forgĂ© le soc des charrues, ni mĂȘme Ă©crit les premiĂšres loix ce font les philosophes qui, de l’état de sauvage, ont portĂ© les sociĂ©tĂ©s au point de perfeĂ©tion oĂč maintenant elles semblent parvenues. Si nous n’euĂ­Ăźions Ă©tĂ© secourus que par les lumiĂšres des hommes puissants , peut-ĂȘtre n’auroit-on point encore de bled pour se nourrir , ni de ciseaux pour se faire les ongles. La supĂ©rioritĂ© d’esprit dĂ©pend principa- c C’est vraisemblablement ce qui a sait avancer Ă  M. Nicole que Dieu avoit fait le don de l’esprit aux gens d’une condition commune, pour les dĂ©dommager , diloit-il , des autres avantages que les grands ont fur eux. Quoi qu’en dise Nicole , je ne crois pas que Dieu ait condamnĂ© les grands Ă  la mĂ©diocritĂ©. Si la plupart d’entr’eux font peu Ă©clairĂ©s , c’est par choix , c’est parce qu’ils sont ignorants & qu’ils ne contraĂ©fent point l’habitude de la rĂ©flexion. J’ajouterai mĂȘme qu’il n’est pas de l’in- tĂ©rĂȘt des petits que les grands soient sans lumiĂšres» foment. Discours II. 169 lement, comme je le prouverai clans le discours suivant, d’un certain concours de circonstances oĂč les petits font rarement placĂ©s , mais dans lequel il est presque impossible que les grands se rencontrent. On doit donc juger les grands avec indulgence , & sentir que , dans une grande place, un homme mĂ©diocre est un homme trĂšs-rare. Aussi le public , surtout dans les temps de calamitĂ©s, leur prodigue-t-il une infinitĂ© d’éioges. Que de louanges donnĂ©es Ă  Varron, pour n'avoir point dĂ©sespĂ©rĂ© du salut de la rĂ©publique ! En des circonstances pareilles Ă  celles oĂč se trouvoient alors les Romains, l’homme d’un vrai mĂ©rite est un Dieu. Si Camille eĂ»t prĂ©venu les malheurs dont il arrĂȘta le cours ; st ce hĂ©ros, Ă©lu gĂ©nĂ©ral Ă  la bataille d’Allia, eĂ»t dĂ©fait Ă  cette journĂ©e les Gaulois qu’il vainquit au pied du C apitoie ; Camille, pareil alors Ă  cent autres capitaines, n’eĂ»t point eu le titre de second fondateur de Rome. Si, dans des temps de prospĂ©ritĂ©, M. de ViĂŹlars eĂ»t rencontrĂ© en Italie la j ournĂ©e de Denain, s’il eĂ»t gagnĂ© cette bataille dans un moment oĂč la France n’eĂ»t point Ă©tĂ© ouverte Ă  l’ennemi, la victoire eĂ»t Ă©tĂ© moins importante , la reconnoissance du public moins vive, &C la gloire du gĂ©nĂ©ral moins grande, Tom. I. H 170 De l’Esprit. La conclusion de ce que j’ai dit, c’est que le public ne juge que d’aprĂšs son intĂ©rĂȘt ; perd-on cet intĂ©rĂȘt de vue ? nulle idĂ©e nette de la probitĂ© j ni de l’esprit. Si les nations enchaĂźnĂ©es fous un pouvoir despotique sont le mĂ©pris des autres nations ; si, dans les empires du Mogol &c de Maroc, on voit trĂšs-peu d’hommes illustres ; c’est que l’esprit, comme je l’ai dit plus haut, n’étant en foi ni grand ni petit, il emprunte l’une 011 l’autre de ces dĂ©nominations de la grandeur ou de la petitesse des objets qu’il considĂ©rĂ©. Or, dans la plupart des gouvernements arbitraires , les citoyens ne peuvent, lans dĂ©plaire au despote, s’occuper de l’étude du droit de la nature, du droit public , de la morale &z de la politique. Ils isolent remonter, en ce genre, jusqu’aux premiers principes de ces sciences, ni s’élever Ă  de grandes idĂ©es ; ils ne peuvent donc mĂ©riter le titre de grands esprits. Mais, si tous les jugements du public font soumis Ă  la loi de l'on intĂ©rĂȘt, il faut, dira-t-on, trouver clans ce mĂȘme principe de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral la cause de toutes les contradictions qu’on croit, Ă  cet Ă©gard, appereĂšvoir dans les idĂ©es du public. Pour cct effet, je poursuis le parallĂšle commencĂ© entre le gĂ©nĂ©ral Sz fauteur, & je me fais cette question Si fart militaire, de tous les arts, est le plus Discours II. 171 utile, pourquoi tant de gĂ©nĂ©raux, dont la gloire Ă©clipĂ­oit, de leur vivant, celle de tous les hommes illustres en d’autres genres, ont-ils Ă©tĂ©, eux, leur mĂ©moire Ăšc leurs exploits, ensevelis dans la mĂȘme tombe, lorsque la gloire des auteurs leurs contemporains conserve encore son premier Ă©clat ? La rĂ©ponse Ă  cette question, c’est que, st l’on en excepte les capitaines qui rĂ©ellement ont perfectionnĂ© l’art militaire, & qui, tels que les Pyrrhus, les Annibal, les Gustave, les CondĂ©, les Turenne, doivent en ce genre ĂȘtre mis au rang des modelĂ©s & des inventeurs ; tous les gĂ©nĂ©raux moins habiles que ceux-lĂ , cessant, Ă  leur mort, d’ĂȘtre utiles Ă  leur nation, n’ont plus' de droit Ă  fa reconnoissance, ni par consĂ©quent Ă  son estime. Au contraire, en cessant de vivre, les auteurs n’ont pas cessĂ© d’ĂȘtre utiles au public ; ils ont laissĂ© entre ses mains les ouvrages qui leur avoient dĂ©jĂ  mĂ©ritĂ© son estime or, comme la reconnoissance doit subsister autant que le bienfait , leur gloire ne peut s’éclipser qu’au moment que leurs ouvrages cesseront d’ĂȘtre utiles Ă  leur patrie. C’est donc uniquement Ă  la diffĂ©rente & inĂ©gale utilitĂ© dont l’auteur & le gĂ©nĂ©ral paroissent au public aprĂšs leur mort, qu’on doit attribuer cette successive supĂ©rioritĂ© de gloire qu’en des temps diffĂ©- Hij \ j % De l’ E s p r i t. rents ils obtiennent tour Ă  tour Pun fur l’autre. VoilĂ  par quelle raison tant de rois, dĂ©ifiĂ©s fur le trĂŽne , ont Ă©tĂ© oubliĂ©s immĂ©diatement aprĂšs leur mort voilĂ  pourquoi le nom des Ă©crivains illustres , qui , de leur vivant fe trouve st rarement Ă  cĂŽtĂ© de celui des princes, s’est , Ă  la mort de ces Ă©crivains ,,st souvent confondu avec ceux des plus grands rois ; pourquoi le nom de Confucius est plus connu, plus respectĂ© en Europe que celui d’aucun des empereurs de la Chine ; & pourquoi l’on cite les noms rì’Horace & de Virgile Ă  cĂŽtĂ© de celui d’Auguste. Qu’on applique Ă  PĂ©loignement des lieux ce que je dis de PĂ©loignement des temps ; qu’on Ă­c demande pourquoi le savant illustre est moins estimĂ© de fa nation que le ministre habile ; & par quelle raison un Rosny, plus honorĂ© chez nous qu’un Def- cartes, est moins considĂ©rĂ© de l’étranger c’est , rĂ©pondrai- e, qu’un grand ministre n’est guere utile qu'Ă  son pays ; &c qu’en perfectionnant Pinstrument propre Ă  la culture des arts & des sciences, en habituant Pesprit humain Ă  plus d’ordre & de justesse, DeĂ­cartes s’est rendu plus utile Ă  l’univers, & il doit, par consĂ©quent, en ĂȘtre plus respectĂ©. Discours II. 173 Mais, dira-t-on, si, dans tous leurs jugements , les nations ne consultoient jamais que leur intĂ©rĂȘt, pourquoi le laboureur & le vigneron, plus utiles , fans doute, que le poĂ«te & le gĂ©omĂštre , en seroient - ils moins estimĂ©s ? L'est que le public sent confusĂ©ment que l’estime est , entre ses mains , un trĂ©sor imaginaire , qui n’a de valeur rĂ©elle qu’au- tant qu’il en fait une distribution sage & mĂ©nagĂ©e ; que par consĂ©quent il ne doit point attacher d’estime Ă  des travaux dont tous les hommes font capables. L’estime alors, devenue trop commune , perdroit, pour ainsi dire , toute fa vertu ; elle ne fĂ©conderoit plus les germes d’efprit & de probitĂ© rĂ©pandus dans toutes les Ăąmes ; & ne produiroit plus enfin ces hommes illustres en tous les genres qu’anime Ă  la poursuite de la gloire la difficultĂ© de l’ob- tenir. Le public apperçoit donc qu’à l’é- gard de l’agriculture , c’est l’art & non l’artiste qu’il doit honorer ; & que, s’il a jadis, fous les noms de CĂ©rĂšs & de Rac- chus , dĂ©ifiĂ© le premier laboureur & le premier vigneron , cet honneur, si justement accordĂ© aux inventeurs de l’agriculture , ne doit point ĂȘtre prodiguĂ© Ă  des manoeuvres. Dans tout pays oĂč le paysan n’est point surchargĂ© d’impĂŽts , l’eĂ­poir du gain atta- Hiij 174 D e l’E s p r i t. chĂ© Ă  celui de la rĂ©colte , suffit pour l’en- gager Ă  la culture des terres ; Sc j’en conclus que, dans certains cas, comme l’a dĂ©jĂ  fait voir le cĂ©lĂ©brĂ© M. Duclos -r , il est de PintĂ©rĂȘt des nations de proportionner leur estime , non seulement Ă  futilitĂ© d’un art, mais encore Ă  fa difficultĂ©. Qui doute qu'un recueil de faits,tel que celui de la BibliothĂšque orientale , ne soit auffi instructif, auffi agrĂ©able, Sc par consĂ©quent auffi utile qu’une excellente tragĂ©die? Pourquoi donc le public a-t-il plus d’estimepour le poĂšte tragique que pour le savant compilateur ? C’estqu’anurĂ©, par le grand nombre des entreprises compare au petit nombre des succĂšs , de la difficultĂ© du genre dramatique , le public sent que , pour former des Corneille , des Racine , des CrĂ©billon Sc des Voltaire , il doit attacher infiniment plus de gloire Ă  leurs succĂšs ; Sc qu’au contraire , il suffit d’honorer les simples compilateurs du plus foible genre d'estime , pour ĂȘtre abondamment pourvu de ces ouvrages dont tous les hommes font capables, Sc qui ne font proprement que l’Ɠuvre du temps Sc de la patience. Parmi les savants, tous ceux qui totalement privĂ©s des lumiĂšres philosophiques, rĂ©venir une infinitĂ© de meurtres 6c de malheurs inutiles, la nation Chinoise , humaine dans ses intentions , mais barbare dans le choix des moyens , a , par le sentiment d’une humanitĂ© peu Ă©clairĂ©e , pu regarder ces cruautĂ©s comme nĂ©cessaires au repos du monde. J’y sacrifie. , s’est-elle-dit, quelques victimes infortunĂ©es , auxquelles f enfance & P ignorance dĂ©robent la connaissance & les horreurs de la mort , en quoi confise peut-ĂȘtre ce quelle a de plus redoutable fi C’est fans doute au dĂ©sir de s’oppo- ser Ă  la trop grande multiplication des e La maniĂ©rĂ© de fe dĂ©faire des filles dans les pays catholiques est de les forcer Ă  prendre le voile plusieurs passent ainsi une vie malheureuse, en proie au dĂ©sespoir. Peut-ĂȘtre notre coutume, Ă  cet Ă©gard, est-eiie plus barbare que celle des Chinois. 184 v e L’ E S P R X T. hommes, & par consĂ©quent Ă  la mĂȘme origine , qu’on doit attribuer la vĂ©nĂ©ration ridicule que certains peuples d’Afri- que conservent encore aujourd’hui pour des solitaires qui s’interdifent avec les femmes le commerce qu’ils se permettent avec les brutes. Ce fut pareillement le motif de l’inĂ­Ă©- rĂȘt public , &c le dĂ©sir de protĂ©ger la pudique beautĂ© contre les attentats de l’in- continence , qui jadis engagea les Suisses Ă  publier un Ă©dit, par lequel il Ă©toit non seulement permis, mais mĂȘme ordonnĂ© Ă  chaque prĂȘtre de se pourvoir d’une concubine /. Sur les cĂŽtes de Coromandel , oĂč les femmes s’assranchissoient par le poison , du joug importun de Fhymen , ce fut enfin le mĂȘme motif qui , par un remede auĂ­si odieux que le mal, engagea le lĂ©gislateur / Zwingle , en Ă©crivant aux cantons Suisses , leur rappelle l’édit fait par leurs ancĂȘtres , qui en- joignoit Ă  chaque prĂȘtre d’avoir fa concubine, de peur qu’il n'attentĂąt Ă  la pudicitĂ© de son prochain. Fr a Paolo , hĂŹsioire du concile de Trente, livre I. II est dit au dix-feptieme canon du concile de TolĂšde Que celui qui se contente d’une seule femme Ă  titre dĂ©pouse ou de concubine , Ă  son choix , ne sera. pas rejette de la communion. C’étoit apparemment pour mettre la femme mariĂ©e Ă  l’abri de toute insulte j qu alors TĂ©gliĂ­e tolĂ©rois les concubines. Discours II. 185 Ă  pourvoir Ă  la sĂ»retĂ© des maris, en forçant les femmes de fe brĂ»ler fur le tombeau de leurs Ă©poux §. D’accord avec mes raisonnements, tous les faits que je viens de citer concourent Ă  prouver que les coutumes, mĂȘme les plus cruelles & les plus folles , ont toujours pris leur source dans FutilitĂ© rĂ©elle , ou du moins apparente , du public. Mais, dira-t-on, ces coutumes n’en font pas moins odieuses ou ridicules oui, parce que nous ignorons les motifs de leur Ă©tablissement ; & parce que ces coutumes , consacrĂ©es par leur antiquitĂ© ou par la superstition , ont, par la nĂ©gligence ou la faiblesse des gouvernements, subsistĂ© longtemps aprĂšs que les causes de leur Ă©tablissement avoient disparu. Lorsque la France n’étoit , pour ainsi dire, qu’une vaste forĂȘt, qui doute que ces donations de terres en friche , faites aux ordres religieux ne dussent alors ĂȘtre permises ; & que la prorogation d’une pareille permission ne fĂ»t maintenant austi absurde & austi nuisible -1 l’état qu’elle pouvoit ĂȘtre sage & utile lorsque la g Les femmes de Mezurado font brĂ»lĂ©es avec leurs Ă©poux. Elles demandent elles-mĂȘmes l’hon- neur du bĂ»cher mais elles font en mĂȘme temps tout ce qu'elles peuvent pour svehapper. 186 D e l’ E s p r i t. France Ă©toit encore inculte ? Toutes les coutumes qui ne procurent que des avantages passagers , font comme des Ă©chas- fauds qu’il faut abattre quand les palais font Ă©levĂ©s. Rien de plus sage au fondateur de l’em- pire des Incas , que de s’annoncer d’abord aux PĂ©ruviens comme le fils du Soleil, & de leur persuader qu’il leur apportoit les loix que lui avoit dictĂ©es le dieu son pere. Ce mensonge imprimoit aux sauvages plus de respect pour sa lĂ©gislation ; ce mensonge Ă©toit donc trop utile Ă  cet Ă©tat naissant, pour ne devoir point ĂȘtre regardĂ© comme vertueux mais aprĂšs avoir assis les fondements d’une bonne lĂ©gislation, aprĂšs s’ĂȘtre assurĂ©, par la forme mĂȘme du gouvernement , de l’exactitude avec laquelle les loix seroient toujours observĂ©es , il falloit que , moins orgueilleux ou plus Ă©clairĂ© , ce lĂ©gislateur prĂ©vĂźt les rĂ©volutions qui pour r oient arriver dans les mƓurs & les intĂ©rĂȘts de ses peuples , & les changements qu’en consĂ©quence il faudroit faire dans ses loix ; qu’il dĂ©clarĂąt Ă  ces mĂȘmes peuples , par lui ou par ses successeurs, le mensonge utile & nĂ©cessaire dont il s’étoit servi pour les rendre heureux ; que , par cet aveu, il ĂŽtĂąt Ă  ses loix le caractĂšre de divinitĂ© qui , les rendant sacrĂ©es Lc inviolables, devoir s’cpposer Ă  Discours II. 187 toute rĂ©forme , Lc qui peut-ĂȘtre eĂ»t un jour rendu ces mĂȘmes loix nuisibles Ă  l’é- tat, si , par le dĂ©barquement des EuropĂ©ens , cet empire n’eĂ»t Ă©tĂ© dĂ©truit pref- qu’austi-tĂŽt que formĂ©. L’intĂ©rĂȘt des Ă©tats est , comme toutes les choses humaines , sujet Ă  mille rĂ©volutions. Les mĂȘmes loix Sc les mĂȘmes coutumes deviennent successivement utiles Sc nuisibles au mĂȘme peuple ; d’oĂŹi je conclus que ces loix doivent ĂȘtre tour atour adoptĂ©es Sc rejetĂ©es , Sc que les mĂȘmes actions doivent successivement porter les noms de vertueuses ou de vicieuses ; proposition qu’on ne peut nier, fans convenir qu’il est des actions Ă  ia fois vertueuses Sc nuisibles Ă  l’état, fans fapper, par consĂ©quent , les fondements de toute lĂ©gislation Sc de toute sociĂ©tĂ©. La conclusion gĂ©nĂ©rale de tout ce que je viens de dire , c’est que la vertu n’eĂ­t que le dĂ©sir du bonheur des hommes ; Sc qu’ainsi la probitĂ© , que je regarde comme la vertu mise en action , n’est , chez tous les peuples Sc dans tous les gouvernements divers , que l’habitude des actions utiles Ă  fa nation A A Je crois qu’il n’est pas nĂ©cessaire d’avertir que je ne parle ici que de la probitĂ© politique , & non de la probitĂ© religieuse qui se propose d’autres fins, 188 De l’ E s p R r t. Quelque Ă©vidente que soit cette conclusion , comme il n’est point de nation qui ne connoisse &c ne confonde ensemble deux diffĂ©rentes especes de vertu ; l’une, que j'appellerai vertu de prĂ©jugĂ© ; ĂŽc l’autre, vraie vertu ; je crois , pour ne laisser rien Ă  dĂ©sirer fur ce sujet , devoir examiner la nature de ces diffĂ©rentes sortes de vertu. CHAPITRE XIV. Des vertus de prĂ©jugĂ© , & des vraies vertus. J E donne le nom de vertus de prĂ©jugĂ© Ă  toutes celles dont Fobservation exacte ne contribue en rien au bonheur public ; telles font les austĂ©ritĂ©s de ces fakirs insensĂ©s dont FInde est peuplĂ©e, vertus qui, souvent indiffĂ©rentes & mĂȘme nuisibles Ă  l’état , font le supplice de ceux qui s’y vouent. Ces fausses vertus font, dans la plupart des nations , plus honorĂ©es que les vraies vertus , & ceux qui les pratiquent en plus grande vĂ©nĂ©ration que les bons citoyens. se prescrit d’autres devoirs ĂŽc tend Ă  des objets plus sublimes. Discours II. i8y Personne de plus honorĂ© dans TlndouĂ­- tan que les hraminĂ©s s l’on y adore jus- qu'Ăš leurs nuditĂ©s k ; l’on y respecte auffi leurs pĂ©nitences ; & ces pĂ©nitences font rĂ©ellement affreuses / les uns restent toute leur vie attachĂ©s Ă  un arbre, les autres se balancent sur les flammes , ceux-ci portent des chaĂźnes d’un poids Ă©norme, ceux-lĂ  nc se nourrissent que de liquides , quelques-uns se ferment la bouche d’un i Les bramines ont le privilĂšge exclusif de demander l’aumĂŽne ils exhortent Ă  la donner, & ne la donnent pas. ÂŁ Pourquoi , disent ces bramines , devenus hommes , aurions-nous honte d'aller nuds , puisque nous sommes sortis nuds & fans honte du ventre de notre mere ? Les CaraĂŻbes n’ont pas moins de honte d’un vĂȘtement que nous en aurions de la nuditĂ©. Si la plupart des sauvages couvrent certaines parties de leurs corps, ce n’est point en eux l’esset d'une pudeur naturelle, mais de la dĂ©licatesse, de la sensibilitĂ© de certaines parties , & de la crainte de se blesser en traversant les bois & les halliers. / 11 est au royaume de PĂ©gu des anachorettes nommĂ©s santons ; ils ne demandent jamais rien , dussent-ils mourir de faim. On prĂ©vient, Ă  la vĂ©ritĂ©, tous leurs dĂ©sirs. Quiconque se confesse Ă  eux ne peut ĂȘtre puni , quelque crime qu’il ait commis. Ces santons logent Ă  la campagne dans des troncs d’arbres aprĂšs leur mort, on les honore comme des dieux. ßço De l’ E s p r i t. cadenat, Sc quelques-autres s’attachent une clochette au prĂ©p\ice ; il est d’une femme de bien d’alleren dĂ©votionbaifer cette clochette , Sc c'est un honneur aux peres de prostituer leurs filles Ă  des fakirs. Entre les actions ou les coutumes aux- quelĂ­es la superstition attache le nom de sacrĂ©es, une des plus plaisantes, fans contredit , est celles des Juibus , prĂȘtresses de l’IĂ­le Formofe. Pour officier dignement, » Sc mĂ©riter la vĂ©nĂ©ration des peuples , » elles doivent , aprĂšs des fermons , des m contorsions Sc des hurlements , s’écrier » qu’elles voient leurs dieux ; ce cri jetĂ©, »> elles fe roulent par terre , montent fur » le toit des pagodes , dĂ©couvrent leur nu- » ditĂ© , fe claquent les fesses , lĂąchent » leur urine , descendent nues, Sc se lavent » en prĂ©sence de l’assemblĂ©e m. » Trop heureux encore les peuples cher qui , du moins , les vertus de prĂ©jugĂ© ne font que ridicules ; souvent elles font barbares . Dans la capitale du Cochin , m Voyages de la compagnie des Indes hollandaise. Les femmes de Madagascar croient aux heures , aux jours heureux ou malheureux. C’est un devoir de religion, lorfqu’elĂ­es accouchent dans les heures ou jours malheureux , d’exposer leurs enfants auxbĂȘtes, de les enterrer ou de les Ă©touffer. Discours II. 191 l’on Ă©leve des crocodiles ; &c quiconque s’expofe Ă  la fureur de ces animaux , & s’en fait dĂ©vorer , est comptĂ© parmi les Ă©lus. Au royaume de Martemban, c’est un acte de vertu , le jour qu’on promene l’idole , de fe prĂ©cipiter fous les roues du chariot, ou de fe couper la gorge Ă  son passage ; qui fe voue Ă  cette mort est rĂ©putĂ© saint , 6c son nom est , Ă  cet effet, inscrit dans un livre. Or , s’il est des vertus , il est austĂŹ des crimes de prĂ©jugĂ©. C’en est un pour un Dans un des temples de l’empire du PĂ©gu , on Ă©leve des vierges. Tous les ans, Ă  la fĂȘte de ['idole, on sacrifie une de ces infortunĂ©es. Le prĂȘtre, en habits sacerdotaux, la dĂ©pouille, ['Ă©trangle, arrache son cƓur &. le jette au nez de ['idole. Le sacrifice fait, les prĂȘtres dĂźnent, prennent des habits d’une forme horrible , & dansent devant le peuple. Dans les autres temples du mĂȘme pays on ne sacrifie que des hommes. On achete, pour cet effet, un esclave beau & bien fait. Cet esclave , vĂȘtu d’une robe blanche , lavĂ© pendant trois matinĂ©es , est ensuite montrĂ© au peuple. Le quarantiĂšme jour, les prĂȘtres lui ouvrent le ventre, arrachent son cƓur , barbouillent ['idole de son sang , & mangent fa chair , comme sacrĂ©e. Le sang innocent, disent les prĂȘtres, doit couler en expiation des pĂ©chĂ©s de la nation , d’ailleurs il faut bien que quelqu'un aille prĂšs du grand Dieu le faire ressouvenir de son peuple. II est bon de remarquer que les prĂȘtres ne fe chargent jamais de la commiĂ­lion. De l’ E s p r i t. brĂ mine d’épouser une vierge. Dans l’iĂ­Ăźe Formose, si, pendant les trois mois qu’ileĂ­l ordonnĂ© d’aller nud , un homme est couvert du plus petit morceau de toile , il porte , dit-on , une parure indigne d\tn homme. Dans cette mĂȘme iste , c'est un crime aux femmes enceintes d’accoucher avant l’ñge de trente-cinq ans sont-elles grosses ? elles s’étendent aux pieds de la prĂȘtresse , qui , en exĂ©cution de la loi , les y foule jufqu’à ce qu’elles soient avortĂ©es. Au PĂ©gu , lorsque les prĂȘtres ou magiciens ont prĂ©dit la convalescence ou la mort d'un malade o , c'est un crime au malade condamnĂ© d'en revenir. Dans fa convalescence , chacun le fuit & Finjurie. S’il eĂ»t Ă©tĂ© bon , disent les prĂȘtres , Dieu l’eĂ»t reçu en fa compagnie. II n’est , peut-ĂȘtre , point de pays oĂč l’on n’ait pour quelques-uns de ces crimes de prĂ©jugĂ© , plus d’horreur que pour les forfaits les plus atroces Se les plus nuisibles Ă  la sociĂ©tĂ©. o Lorsqu’un Giague est mort, on lui demande pourquoi il a quittĂ© la vie ? Un prĂȘtre, contrefaisant la voix du mort, rĂ©pond qu’il n’a pas fait assez de sacrifices Ă  ses ancĂȘtres. Ces sacrifices font une partie considĂ©rable du revenu des prĂȘtres, Chez Discours II. 193? Chez les Giaques , peuple anthropophage qui dĂ©vore ses ennemis vaincus, on peut, fans crime , dit le P. Cavazi , piler les propres cnfans dans un mortier, avec des racines, de l’huile Sc des feuilles , les faire bouillir, en composer une pĂąte dont on fe frote pour fe rendre invulnĂ©rable ; mais ce seroit un sacrilĂšge abominable que de ne pas massacrer, au mois de mars, Ă  coups de bĂȘche, un jeune homme Sc une jeune femme devant la reine du pays. Lorsque les grains font mĂ»rs, la reine, entourĂ©e de ses courtisans, fort de son palais , Ă©gorge ceux qui fe trouvent fur son passage, Sc les donne Ă  manger Ă  sa suite ces sacrifices , dit— elle, font nĂ©cessaires pour appaiser les mĂąnes de ses ancĂȘtres, qui voient, avec regret , des gens du commun jouir d’une vie dont ils font privĂ©s ; cette foible consolation peut feule les engager Ă  bĂ©nir la rĂ©colte. Au royaume de Congo, d’Angole Sc de Matamba , le mari peut, sans honte , vendre fa femme ; le pere, son fils ; le fils, son pere dans ces pays, on ne con- noĂźt qu’un seul crime a , c’est de re- 2 Au royaume de Lao , les talopoins , prĂȘtres du pays , ne peuvent ĂȘtre jugĂ©s que par le roi lui- mĂȘme. Ils lĂ© confessent tous les mois fidĂšles Ă  Tom. /, I rç4 D 2 V E s p R i T. fuser les prĂ©mices de fa rĂ©colte au ChiĂ­om- bĂ©, grand-prĂȘtre de la nation. Ces peuples, dit le pere Labat, Ă­i dĂ©pourvus de toutes vraies vertus, font trĂšs-Ă­crupuleux observateurs de cet usage. On juge bien qu’uniquement occupĂ© de l’aiigmentation de ses revenus, c’est tout ce que leur recommande le ChitombĂ© il ne dĂ©sirĂ© point que ses nĂšgres soient plus Ă©clairĂ©s ; il craindroit mĂȘme que des idĂ©es trop faines de la vertu ne diminuassent & la superstition & le tribut qu’elle lui paye. Ce que j’ai dit des crimes & des vertus de prĂ©jugĂ© fuĂ­fit pour faire sentir la diffĂ©rence de ces vertus aux vraies vertus ; c’est-Ă -dire, Ă  celles qui, fans cesse , ajoutent Ă  la fĂ©licitĂ© publique, & fans lesquelles les sociĂ©tĂ©s ne peuvent subsister. ConsĂ©quemment Ă  ces deux diffĂ©rentes efpeces de vertus , je distinguerai deux cette observance, ils peuvent bailleurs commettre impunĂ©ment mille abominations. Ils aveuglent tellement les princes, qu’un talapoin , convaincu de fausse monnoie , fut renvoyĂ© absous par le roi. Les sĂ©culiers , difoit-il, auraient dĂ» lui faire de plus grands prĂ©sents. Les plus considĂ©rables du pays tiennent Ă  grand honneur de rendre aux talapoins les services Tes plus bas. Aucun d'eux ne se vĂȘtiroit d’un habit qui n'eĂ»t pas Ă©tĂ© quelque temps portĂ© yar n talapoin. Discours II. 195 diffĂ©rentes especes de corruption de mƓurs l’une que Rappellerai corruption religieuse , Sc l’autre , corruption politique b' Mais , avant d’entrer dans cet examen, je dĂ©clare que c’est en qualitĂ© de philosophe Sc non de thĂ©ologien que RĂ©cris ; Sc qu'ainsi je ne prĂ©tends , dans ce chapitre Sc les suivants , traiter que des vertus purement humaines. Cet avertissement donnĂ©, Rentre en matiĂšre ; Sc je dis qu'en fait de mƓurs, l'on donne le nom de corruption religieuse Ă  toute espece de libertinage, Sc principalement Ă  celui des hommes avec les femmes. Cette espece de corruption, dont je ne fuis point l’apologiste, Sc qui est fans doute criminelle , puisqu’elle offense Dieu , n’est cependant point incompatible avec le bonheur dune nation. DiffĂ©rents peuples ont cru Sc croient encore que cette espece de corruption n’est pas criminelle ; elle l’est fans doute en Ă© Cette distinction m’est nĂ©cessaire , i°. parcs que je considĂ©rĂ© la probitĂ© philosophiquement, & indĂ©pendamment des rapports que la religion a avec la sociĂ©tĂ© ; ce que je prie le lecteur de ne pas perdre de vue dans tout le cours de cet ouvrage. a°. Pour Ă©viter la confusion perpĂ©tuelle qui se trouve chez les nations idolĂątres , entre les principes de la religion &C ceux de la politique & de la mon raie. Iij - ia6 De l’ E S p r i t. France, puisqu’elle blesse les loix du pays ; mais este le seroit moins , fi les femmes Ă©toient communes, &c les enfants dĂ©clarĂ©s enfants de l’état ce crime , alors n’auroit politiquement plus rien de dangereux. En effet ; cju’on parcoure la terre, on la voit peuplĂ©e de nations diffĂ©rentes chez lesquelles ce que nous appelions le libertinage, non feulement n’est pas regardĂ© comme une corruption de mƓurs , mais fe trouve autorisĂ© par les loix Ăšc mĂȘme consacrĂ© par la religion. Sans compter , en Orient, les sĂ©rails qui font fous la protection des loix ; au Tonquin, oĂč l’on honore la fĂ©conditĂ©, la peine imposĂ©e , par la loi, aux femmes stĂ©riles , c’est de chercher & de prĂ©senter Ă  leurs Ă©poux des filles qui leur soient agrĂ©ables. En consĂ©quence de cette lĂ©gislation, les Tonquinois trouvent les EuropĂ©ens ridicules den’avoir qu’une femme ; ils ne conçoivent pas comment, parmi nous, des hommes raisonnables croient honorer Dieu par le vƓu de chastetĂ© ils soutiennent que, lorsqu’on le peut, il est aussi criminel de ne pas donner la vie Ă  qui ne l’a pas, que de l’îter Ă  ceux qui l’ont dĂ©jĂ  c. ' c ChezlĂšs Giagues , lorfqu’on apperçoit dans une nlle les marques de la fĂ©conditĂ© , on lait dĂ»s Discours II. 197 C’est pareillement sons la sauve-garde des loix , que les Siamoises, la gorge les cuisses Ă  moitiĂ© dĂ©couvertes, portĂ©es dans les rues fur des palanquins , s’y prĂ©sentent dans des attitudes trĂšs - lascives. Cette loi fut Ă©tablie par une de leurs reines nommĂ©es Tirada, qui pour dĂ©goĂ»ter les hommes d’un amour plus dĂ©shonnĂȘte, crut devoir employer toute la puissance de la beautĂ©. Ce projet, disent les Siamoises , lui rĂ©ussi. Cette loi , ajoutent-elles , est d’ailleurs assez sage il est agrĂ©able aux hommes d’avoir des dĂ©sirs , aux femmes de les exciter. C’est le bonheur des deux sexes , le seul bien que le ciel mĂȘle aux maux dont il nous afflige & quelle ame assez barbare voudroit encore nous le ravir d ] fĂȘte lorsque ces marques disparaissent , on fait mourir ces femmes , comme indignes d’une vie qu'elles ne peuvent plus procurer. 1f Un homme d’ef'prit difoit , Ă  ce sujet, qu’il faut, fans contredit, dĂ©fendre aux hommes tout plaisir contraire au bien gĂ©nĂ©ral ; mais qu’avant cette dĂ©fense , il falloit, par mille efforts d’efprit, tĂącher de concilier ce plaisir avec le bonheur public. Les hommes , ajoutoit-il , font si malheureux, ,, qu’un plaisir de plus vaut bien la peine qu’on ,, essaye de le dĂ©gager de ce qu’il peut avoir de » dangereux pour un gouvernement ; & peut-ĂȘtre » feroit-ii facile d’y rĂ©ussir si l’on examinait dans ce De l’ Esprit. Au royaume de Batimena s , toute femme, de quelque condition qu’elle soit, est, par la loi & sous peine de la vie , forcee de cĂ©der Ă  l'amour de quiconque la destre ; un refus est contr’elle un arrĂȘt de mort. Je ne sinirois pas, si je voulois donner la liste de tous les peuples qui n’ont pas la mĂȘme idĂ©e que nous de cette espece de corruption de mƓurs je me contenterai donc, aprĂšs avoir nommĂ© quelques- uns des pays oĂč la loi autorise le libertinage , de citer quelques-uns de ceux oĂč ce mĂȘme libertinage fait partie du culte religieux. Chez les peuples de rifle Formose , l’ivrognerie & simpudicitĂ© sont des actes de religion. Les voluptĂ©s, disent ces peuples , font les filles du ciel, des dons de fa bontĂ© ; en jouir , c’est honorer la divinitĂ© , c’est user de ses bienfaits. Qui doute que le spectacle des caresses & des jouissances del’amourne plaise auxdieux? Les dieux font bons ; & nos plaisirs font, pour eux , l’ossrande la plus agrĂ©able de notre reconnoissance. En consĂ©quence de »> dessein la lĂ©gislation des pays oĂč ces plaisirs font » permis ». e Christianisme des Indes , liv. IV, p. 308* Discours II. 199 ce raisonnement, ils se livrent publiquement Ă  toute espece de prostitution /. C’est encore pour se rendre les dieux favorables, qu'avant de dĂ©clarer la guerre, la reine des Giagues fait venir, devant elle, les plus belles femmes & les plus beaux de ses guerriers , qui, dans des attitudes diffĂ©rentes, jouissent, en fa prĂ©sence , des plaisirs de l’amour. Que de pays, dit CicĂ©ron, oĂč a ses temples ! Que d’autels Ă©levĂ©s Ă  des femmes prostituĂ©es g ! Sans rappelles l'ancien /" Au royaume de Thibet, les filles portent au col les dons de l’impudicitĂ© , c’est-Ă -dire , les anneaux de leurs amants plus elles en ont, Sc plus leurs noces font cĂ©lĂ©brĂ©s. g A Babylone , toutes les femmes, campĂ©es prĂšs le temple de Venus , dĂ©voient Ășne fois en leur vie obtenir , par une prostitution expiatoire , la rĂ©mission de leurs pĂ©chĂ©s. Elles ne pouvoient fe refuser au dĂ©sir du premier Ă©tranger qui vouloir purifier leur ame par la jouissance de leur corps. On prĂ©voit bien que les belles St les jolies avoient bientĂŽt satisfait Ă  la pĂ©nitence mais les laides attendoient quelquefois longtemps l’étranger charitable qui dĂ©voient les remettre en Ă©tat de grĂące. Les couvents des bonzes font remplis de religieuses idolĂątres ; on les y reçoit en qualitĂ© de concubines En est-on las ? on les renvoie , & on les remplace. Les portes de ces couvents font assiĂ©gĂ©es par ces religieuses , qui , pour y ĂȘtre admises, offrent des prĂ©sents aux bonzes , qui les reçoivent comme une faveur qu fils accordent. roo De l’ Esprit. culte de VĂ©nus , de Cotytto , les Banians n’honorent-ils pas, fous le nom de la dĂ©esse Banany , une de leurs reines, qui, selon le tĂ©moignage de Gemelli Carreri, laijsoit jouir sa cour de la vue de toutes ses beautĂ©s , prodiguoitsuccessivement ses saveurs Ă  p lus airs amants , & mime Ă  deux Ă  la fois . Je ne citerai plus, Ă  ce sujet, qu’un seul fait rapportĂ© par Julius Firmicus Maternus, pere du deuxiĂšme siecle de i’égĂźise , dans lin traitĂ© intitulĂ© De errore prosanarum religionum. L’Assyrie, ainĂ­ĂŹ qu’une partis » de BAfrique, dit ce pere , adore l’Air , » sous le nom de Junon ou de VĂ©nus » vierge. Cette dĂ©esse commande aux Ă©lĂ©- » ments ; on lui consacre des temples ces » temples font desservis par des prĂȘtres » qui, vĂȘtus & parĂ©s comme des femmes, » prient la dĂ©esse d’une voix languissante » & effĂ©minĂ©e, irritent les deĂ­irs des hom- » mes, s’y prĂȘtent, se targuent de leur » impudicitĂ© ; & , aprĂšs ces plaisirs prĂ©pa- » ratoires , croient devoir invoquer la Aa royaume de Cochin , les bramines curieux de faire goĂ»ter aux jeunes mariĂ©es les premiers plaisirs de l’amour , font accroire au roi & au peuple que ce font eux qu’on doit charger de cette saint» oeuvre. Quand ils entrent quelque part, les peres & les maris les laissent avec leurs filles & leurs femmes. DlSCOTURS II. » dĂ©esse Ă  grands cris , jouer des instru- » ments, se dire remplis de l'esprit de la » divinitĂ©, & prophĂ©tiser ». II est donc une infinité’ de pays oĂč la corruption des mƓurs, que j’appelle religieuse, est autorisĂ©e par la loi, ou consacrĂ©e par la religion. Que de maux, dira-t-on, attachĂ©s Ă  cette espece de corruption ! Mais ne pourroit-on pas rĂ©pondre que le libertinage n’est politiquement dangereux dans un Ă©tat, que lorsqu’il est en opposition avec les loix du pays , ou qu’il se trouve uni Ă  quelqu’autre vice du gouvernement ? En vain ajouteroit- on que les peuples oĂč rĂ©gnĂ© ce libertinage font le mĂ©pris de Funivers. Mais, fans parler des orientaux & des nations sauvages ou guerriĂšres , qui, livrĂ©es Ă  toutes sortes de voluptĂ©s , font heureuses au dedans & redoutables au dehors , quel peuple plus cĂ©lĂ©brĂ© que les Grecs ! peuple qui fait encore aujourd’hui l’étonnemertt, l’admiration & l’honneur de l’humanitĂ©. Avant la guerre de PĂ©loponĂšse, Ă©poque fatale Ă  leur vertu, quelle nation & quel pays plus fĂ©cond en nommes vertueux & en grands hommes ! On fait cependant le goĂ»t des Grecs pour l'amour le plus dĂ©shonnĂȘte. Ce goĂ»t Ă©toit si gĂ©nĂ©ral , qu'Aristide surnommĂ© le juste, cet Aristide qu’on Ă©toit las , disoient les AthĂ©niens , 1 X LOL De l’ Esprit. d’entendre toujours louer, avoit cependant aimĂ© ThĂ©miĂ­tocle. Ce fut la beautĂ© du jeune Stesilcus, de rifle de CĂ©os, qwi, portant dans leur ame les dĂ©sirs les plus violents , alluma entr’eux les flambeaux de la haine. Platon Ă©toit libertin. Socrate mĂȘme, dĂ©clarĂ©, par l’oracle d’Apollon, le plus sage des hommes, aimoit Alcibiade & Archelaiis; il avoit deux femmes, &c vivoit avec toutes les courtifannes. II est donc certain que relativement Ă  ridĂ©e qu’on s’est formĂ© des bonnes mƓurs, les plus vertueux des Grecs n’eussent passĂ© en Europe que pour des hommes corrompus. Or cette espece de corruption de mƓurs le trouvant, en Grece, portĂ©e au dernier excĂšs dans le temps mĂȘme que ce pays produisoit de grands hommes en tout genre, qu’il faiĂ­oit trembler la Perle , & jetoit le plus grand Ă©clat , on pourroit penser que la corruption des mƓurs, Ă  laquelle je donne le nom de religieuse , n’est point incompatible avec la grandeur Ăšc la fĂ©licitĂ© d’un Ă©tat. II est une autre espece de corruption de mƓurs qui prĂ©pare la chute d’un empire & en annonce la ruine je donnerai Ă  celle-ci le nom de corruption politique. Un peuple en est infectĂ©, lorsque le plus grand nombre des particuliers qui le composent dĂ©tachent leurs intĂ©rĂȘts de l’intĂ©rĂȘt Discours II. z public. Cette espece de corruption qui Ă­e joint quelquefois Ă  la prĂ©cĂ©dente, a donnĂ© lieu Ă  bien des moralistes de les confondre. Si l’on ne consulte que l’intĂ©rĂȘt politique d’un Ă©tat, cette derniere seroit peut-ĂȘtre la plus dangereuse. Un peuple , eĂ»t-il d’abord les mƓurs les plus pures, s’il est attaquĂ© de cette corruption, est nĂ©cessairement malheureux au dedans, & peu redoutable au dehors. La durĂ©e d’un tel empire dĂ©pend du hazard , qui seul en retarde ou en prĂ©cipite la chute. Pour faire sentir combien cette anarchie de tous les intĂ©rĂȘts est dangereuse dans un Ă©tat , considĂ©rons le mal qu’y produit la feule opposition clĂ©s intĂ©rĂȘts d’un corps avec ceux de la rĂ©publique donnons aux bonzes, aux talapoins, toutes les vertus de nos saints. Si l’intĂ©rĂȘt du corps des bonzes n’est point liĂ© Ă  i’intĂ©rĂȘt public ; st , par exemple, le crĂ©dit du bonze tient Ă  l’aveuglement des peuples , ce bonze nĂ©cessairement ennemi de la nation qui le nourrit, fera , Ă  l’égard de cette nation , ce que les Romains Ă©toient Ă  l’égard du monde ; honnĂȘtes entr’eux, brigands par rapport Ă  l’univers. Chacun des bonzes eĂ»t-il en particulier beaucoup d’éloigne- xnent pour les grandeurs, le corps n'ett fera pas moins ambitieux ; tous Ă­es membres travailleront j souvent sans le savoir, 104 De l’ E s p r i t. Ă  son aggrandissement , ils s’y croiront autorisĂ©s par un principe vertueux /r. II n’est donc rien de plus dangereux dans un Ă©tat, qu’u n corps dont l’intĂ©rĂȘt n’est pas attache Ă  PintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Si les prĂȘtres du paganisme firent mourir Socrate & persĂ©cutĂšrent presque tous les grands hommes , c’est que leur bien particulier se trouvoit opposĂ© au bien public ; c’est que les prĂȘtres d’une fausse religion ont intĂ©rĂȘt de retenir les peuples dans l'aveuglement, & , pour cet effet, de poursuivre tous ceux qui peuvent l’éclai- rer exemple quelquefois imitĂ© par les ministres de la vraie religion, qui, fans le mĂȘme besoin, ont souvent eu recours aiĂźx mĂȘmes cruautĂ©s , ont persĂ©cutĂ©, dĂ©primĂ© les grands hommes, fe font faits les panĂ©gyristes des ouvrages mĂ©diocres , ĂŽi les critiques des excellents , & ont ensuite Ă©tĂ© dĂ©savouĂ©s par des thĂ©ologiens plus Ă©clairĂ©s qu’eux i. h Dans la vraie religion mĂȘme il s’est trouvĂ© des prĂȘtres qui, dans les temps d’ignorance , ont abusĂ© de la piĂ©tĂ© des peuples pour attenter aux droits du sceptre. i Voici comme s'exprime , au sujet de M. de Montesquieu, le pere Millot, jĂ©suite, dans un discours couronnĂ© par l’acadĂ©mie de Dijon , fur la question EJI-il plus utile d'Ă©tudier Us hommes que Discours II. 105' Quoi de plus ridicule, par exemple, que la dĂ©fense faite dans certains pays d’y faire les livres ?... Ces rĂ©glĂ©s de conduite, ces maximes ot de gouvernement qui devroient ĂȘtre gravĂ©es fur m le trĂŽne des rois & dans le cƓur de quiconque j> est revĂȘtu de f autoritĂ© , n’est-ce pas Ă  une pro- » fonde Ă©tude des hommes que nous les devons ? TĂ©moin cet illustre citoyen, dĂźt organe , ce juge a> des loix dont la France & l’Europe entiere arrosent „ le tombeau de leurs larmes, mais dont elles verront „ toujours le gĂ©nie Ă©clairer les nations , & tracer le 5 plan de la fĂ©licitĂ© publique ; Ă©crivain immortel , » qui abrĂ©geoit tout, parce qu’il voyoit tout ; & „ qui vouloit faire penser, parce que nous en avons besoin bien plus que de lire. Avec quelle ardeur , 3 , quelle sagacitĂ© avoit-il Ă©tudiĂ© le genre humain 1 3 ? Voyageant comme Solon, mĂ©ditant comme Py- 3> thagore, conversant comme Platon, lisant comme » CicĂ©ron , peignant comme Tacite, toujours son 3 , objet fut l’homme , son Ă©tude fut celle des hom- mes, il les connut. DĂ©ja commencent Ă  germer 3, les semences fĂ©condes qu’il jetta dans les esprits s» modĂ©rateurs des peuples & des empires. Ah ! 3> recueiilons-en les fruits avec reconnoistance, &c. >3 Le pere Millot ajoute dans une note ... Quand 3> un auteur d’une probitĂ© reconnue , qui pense 33 fortement & qui s'exprime toujours comme il »> pense , dit en termes formels La religion chrĂ©- 3>3 tienne qui ne femĂ­le avoir tf autre objet que lafĂ©li- 3! citĂ© de Vautre vie, fait encore notre bonheur dans *3 celle-ci ; quand il ajoute, en rĂ©futant un paradoxe 33 dangereux de L ay le Les principes du christia- ,3 nifme bien gravĂ©s dans le cƓur, fer'oient infiniment }i plus forts que te faux honneur des monarchies , ces io 6 De t’ E s p r i t. entrer aucun exemplaire de l 'Esprit des Loix ? ouvrage que plus d’un prince fait lire & relire Ă  son fils. Ne peut-on pas, d’aprĂšs un homme d’efprit, rĂ©pĂ©ter Ă  ce sujet, qu’en sollicitant cette dĂ©fense , les moines en ont usĂ© comme les Scythes avec leurs esclaves ? Ils leur crevoient les yeux, pour qu’ils tournassent la meule avec moins de distraction. II paroĂźt donc que c’est uniquement de la conformitĂ© ou de Imposition de l’in- tĂ©rĂȘt des particuliers avec l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, que dĂ©pend le bonheur ou le malheur public; & qu'enfĂ­n , la corruption religieuse de mƓurs peut, comme l’histoire le prouve , s’alliersouvent Ă  la magnanimitĂ© , Ă  la grandeur d’ame, Ă  la sagesse , aux talents, enfin Ă  toutes les qualitĂ©s qui forment les grands hommes. On ne peut nier que des citoyens tachĂ©s de cette espece de corruption de mƓurs n’aient souvent rendu Ă  la patrie des services plus imporĂźans que les plus sĂ©veres » vertus humaines des rĂ©publiques , & cette crainte „ servile des Ă©tats despotiques, c’eĂ­t-Ă -dire, plus forts j> que les trois principes du gouvernement poli- » tique , Ă©tablis dans YEsprit des loix peut-on „ accuser un tel auteur, si l’on a lu son ouvrage , » d’avoir prĂ©tendu y porter des coups mortels » christiarusiae ? » Discours II. 207 anachorettes. Que ne doit-on pas Ă  la galante Circastienne, qui, pour assurer fa beautĂ© , ou celle de ses filles, a la premiĂšre osĂ© les inoculer } Que d’enfants l’inoculation n’a-t-elle pas arrachĂ©s Ă  la mort ? Peut - ĂȘtre n’est-il point de fondatrice d’ordre de religieuses qui fe soit rendue recommandable Ă  l'univers par un austĂŹ grand bienfait, & qui , par consĂ©quent , ait autant mĂ©ritĂ© de fa recon- noisiance. Au reste, je crois devoir encore rĂ©pĂ©ter, Ă  la fin de ce chapitre , que je n’ai point prĂ©tendu me faire l’apologiste de la dĂ©bauche. J’ai seulement voulu donner des notions nettes de ces deux diffĂ©rentes efpeces de corruption de moeurs , qu’on a trop souvent confondues, & fur lesquelles on semble n’avoir eu que des idĂ©es confuses. Plus instruits du vĂ©ritable objet de la question, on peut en mieux connoĂźtre l’importance, mieux juger du degrĂ© de mĂ©pris qu’on doit aĂ­figner Ă  ces deux diffĂ©rentes fortes de corruption, Sc reconnoĂźtre qu'il est deux efpeces diffĂ©rentes de mauvaises actions ; les unes qui font vicieuses dans toutes formes de gouvernement, Sc les autres qui ne font nuisibles , Sc par consĂ©quent criminelles, chez un peuple , que par l’opposition qui fe trouve entre ces mĂȘmes actions Sc les loix du pays. 208 De l’E s p r i t. Plus de connoiffance du mal doit donner aux moralistes plus d’habiletĂ© pour la cure. Ils pourront considĂ©rer la morale d’un point de vue nouveau, & , d’une science vaine , faire une science utile Ă  l’univers. CHAPITRE XV. De quelle utilitĂ© peut ĂȘtre , Ă  la morale , la connoijsance des principes Ă©tablis dans les chapitres prĂ©cĂ©dents. S I la morale a , jusqu’à prĂ©sent , peu contribuĂ© au bonheur de l’hurnanitĂ©, ce n’est pas qu’à d’heureuses expressions, Ă  beaucoup d’élĂ©gance & de nettetĂ©, plusieurs moralistes n’aient joint beaucoup de profondeur d’esprit & d’élĂ©vation d’ame mais , quelque supĂ©rieurs qu’aicnt Ă©tĂ© ces moralistes , il faut convenir qu’ils n’ont pas assez souvent regardĂ© les diffĂ©rents vices des nations comme des dĂ©pendances nĂ©cessaires de la diffĂ©rente forme de leur gouvernement ce n’est cependant qu'en considĂ©rant la morale de ce point de vue , qu’elle peut devenir rĂ©ellement utile aux hommes. Qu’ont produit, jusqu’aujour- d’hui, les plus belles maximes de morale - Discours II. roy Elles ont corrigĂ© quelques particuliers des dĂ©fauts que, peut-etre, ils se reprochoient ; d’ailleurs , elles n'ont produit aucun changement dans les mƓurs des nations. Quelle en est la cause ? C’est que les vices d’un peuple font, si j’ofe le dire, toujours cachĂ©s au fond de fa lĂ©gislation c’est lĂ  qu’il faut fouiller, pour arracher la racine productrice de ses vices. Qui n’est douĂ© ni des lumiĂšres ni du courage nĂ©cessaires pour l’entreprendre , n’est , en ce genre , de presque aucune utilitĂ© Ă  l’univers. Vouloir dĂ©truire des vices attachĂ©s Ă  la lĂ©gislation d’un peuple, fans faire aucun changement dans cette lĂ©gislation , c’est prĂ©tendre Ă  l’imposlĂŹble ; c’est rejeter les consĂ©quences justes des principes qu’on admet. Qu’efpĂ©rer de tant de dĂ©clamations contre la faussetĂ© des femmes, si ce vice est l’esset nĂ©cessaire d’unĂš contradiction entre les dĂ©sirs de la nature & les sentiments que, par-les loix & la dĂ©cence, les femmes sont contraintes d’affecter ? Dans le Malabar , Ă  Madagascar, si toutes les femmes sont vraies , c’est qu’elles y satisfont, fans scandale , toutes leurs fantaisies,, qu’elles ont mille galants, & ne fe dĂ©terminent au choix d’un Ă©poux qit’aprĂšsdes essais rĂ©pĂ©tĂ©s, II en est de mĂȘme des sauvages de la nouvelle OrlĂ©ans, de ces peuples oĂč les pa-, rentes du grand Soleil, les princesses du aio De l’ E s p r i t. sang, peuvent, lorsqu’elles se dĂ©goĂ»tent de leurs maris, les rĂ©pudier pour en Ă©pouser d'autres. En de tels pays, on ne trouve point de femmes fausses, parce qu elles n’ont aucun intĂ©rĂȘt de l'ĂȘtre. Je ne prĂ©tends pas infĂ©rer, de ces exemples , qu’on doive introduire chez nous de pareilles mƓurs. Je dis seulement qu’on ne peut raisonnablement reprocher aux femmes une faussetĂ© dont la dĂ©cence & les Ăźoix leur font, pour ainsi dire, une nĂ©cessitĂ© ; & qu'enfin l’on ne change point les effets , en laissant subsister les causes. Prenons la mĂ©disance pour second exemple. La mĂ©disance est, fans doute, un vice mais c’est un vice nĂ©cessaire ; parce qu’en tout pays oii les citoyens n’auront point de part au maniement des affaires publiques, ces citoyens, peu intĂ©ressĂ©s Ă  s’instruire, doivent croupir dans une honteuse paresse. Or, s’il est, dans ce pays, de mode & d’ufage de fe jeter dans le monde, & du bon air d’y parler beaucoup, l’ignorant, ne pouvant parler de choies, doit nĂ©cessairement parler des personnes. Tout panĂ©gyrique est ennuyeux, & toute satyre agrĂ©able ; fous peine d’ĂȘtre ennuyeux, l’ignorant est donc forcĂ© d’ĂȘtre mĂ©disant. On ne peut donc dĂ©truire ce vice, fans anĂ©antir la cause qui le produit, fans arracher les citoyens Ă  la paresse, &, Discours II. m par consĂ©quent, sans changer la forme du gouvernement. Pourquoi Phomme d’esprit est-iĂź ordinairement moins tracaĂ­Ăźier, dans les sociĂ©tĂ©s particuliĂšres , que Phomme du monde ? C’est que le premier, occupĂ© de plus grands objets , ne parle communĂ©ment des personnes qu’autant qu’elles ont, comme les grands hommes, un rapport immĂ©diat avec les grandes choses ; c'est que Phomme d’esprit, qui ne mĂ©dit jamais que pour se venger, mĂ©dit trĂšs - rarement , lorsque Phomme du monde, au contraire , est presque toujours obligĂ© de mĂ©dire pour parler. Ce que je dis de la mĂ©disance, je le dis du libertinage, contre lequel les moralistes se sont toujours lĂŹ violemment dĂ©chaĂźnĂ©s. Le libertinage est trop gĂ©nĂ©ralement reconnu pour ĂȘtre une fuite nĂ©cessaire du luxe, pour que je m’arrĂȘte Ă  le prouver. Or, Ă­i le luxe, comme je fuis fort Ă©loignĂ© de le penser , mais comme on le croit communĂ©ment, est trĂšs-utile Ă  l’état; Ă­i, comme il est facile de le montrer , l’on n’en peut Ă©touffer le goĂ»t, Sc rĂ©duire les citoyens Ă  la pratique des loix fomptuaires, fans changer la forme du gouvernement ; ce ne feroit donc qu’aprĂšs quelques rĂ©formes en ce genre qu’on pourroit fe flatter d’éteindre ce goĂ»t du libertinage. an De l’Esprit. Toute dĂ©clamation sur cc sujet est, thĂ©o- logiquement , mais non politiquement, bonne. L’objet que se proposent la politique & la lĂ©gislation est la grandeur & la fĂ©licitĂ© temporelle des peuples or , relativement Ă  cet objet, je dis que, st le luxe est rĂ©ellement utile Ă  la France-, il seroit ridicule d’y vouloir introduire une rigiditĂ© de moeurs incompatible avec le goĂ»t du luxe. Nulle proportion entre les avantages que le commerce & le luxe procurent Ă  FĂ©tat, constituĂ© comme il est avantages auxquels il faudroit renoncer pour en bannir le libertinage, & le mal infiniment petit qu’occastonne l’amour _des femmes. C’est se plaindre de trouver , dans une mine riche, quelques paillettes de cuivre mĂȘlĂ©es Ă  clĂ©s veines d’or. Partout oĂč le luxe est nĂ©cessaire, c’est une inconsĂ©quence politique que de regarder la galanterie comme un vice moral &, si l’on veut lui conserver le nom de vice, il faut alors convenir qu’il en est d’utiles dans certains siĂ©cles & certains pays ; & que c’est au limon du Nil que l’Egypte doit fa fertilitĂ©. ' En effet, qu’on examine politiquement la conduite des femmes galantes on verra Î [ue , blĂąmables Ă  certains Ă©gards, elles ont, Ă  d’autres , fort utiles au public ; qu’elles font , par exemple, de leurs richesses un usage communĂ©ment plus avan- Discours II. riz' tageux Ă  l’ctat que les femmes les plus sages. Le deĂ­ĂŹr de plaire, qui conduit la femme galante chez le rubanier, chez le marchand d’étoffes ou de modes, lui fait non seulement arracher une infinitĂ© d’ouvriers Ă  l’indigence oh les rĂ©duiroit la pratique des loix Ă­omptuaires, mais lui inspire encore les actes de la charitĂ© la plus Ă©clairĂ©e. Dans la supposition que le luxe soit utile Ă  une nation, ne sont-ce pas les femmes galantes qui, en excitant l’industrie des artisants du luxe, les rendent de jour en jour plus utiles Ă  l’état? Les femmes sages, en faisant des largesses Ă  des mendiants ou Ă  des criminels, font donc moins bien conseillĂ©es par leurs directeurs, que les femmes galantes par le dĂ©sir de plaire ; des citoyens utiles ; & celles-lĂ  des hommes inutiles, ou mĂȘme les ennemis de cette nation. II fuit de ce que je viens de dire, qu’ost ne peut se flatter de faire aucun changement dans les idĂ©es d’un peuple , qu’aprĂšs en avoir fait dans fa lĂ©gislation ; que c’est par la rĂ©forme des loix qu’il faut commencer la rĂ©forme des mƓurs , que des dĂ©clamations contre un vice utile, dans la forme actuelle d'un gouvernement, feroient, politiquement , nuisibles si elles n’étoient vaines ; mais elles le feront toujours, parce cue la Masse d’une nation n’est jamais remuee que 2,14 v L I.' L s p kt 7 V. par la force des loix. D’ailleurs, qu’il me lĂČit permis de l’obferver en passant, parmi les moralistes, il en est peu qui sachent, en armant nos passions les unes contre les autres , s’en servir utilement pour faire adopter leur opinion la plupart de leurs conseils font trop injurieux. Ils devroient pourtant sentir que des injures ne peuvent, avec avantage , combattre contre des sentiments que, c’est une passion qui feule peut triompher d’une passion que , pour inspirer, par exemple, Ă  la femme galante plus de retenue & de modestie vis-Ă -vis du public, il faut mettre en opposition fa vanitĂ© avec fa coquetterie ; lui faire sentir que la pudeur est une invention de l’amour & de la voluptĂ© rafinĂ©e k ; que c’est Ă  & C’est en considĂ©rant la pudeur sous ce point de vue , qu’on peut rĂ©pondre aux arguments des StoĂŻciens & des cyniques , qui soutenoient que l’homme vertueux ne faisoit rien dans son intĂ©rieur qu’il ne dĂ»t faire Ă  la face des nations ; 6c qui croyoient, en consĂ©quence , pouvoir se livrer publiquement aux plaisirs de l’amour. Si la plupart des lĂ©gislateurs ont condamnĂ© ces principes cyniques 6 L mis la pudeur au nombre des vertus , c’est, leur rĂ©pondra-t-on, qu’ils ont craint que le spectacle frĂ©quent de la jouissance ne jettĂĄt quelque dĂ©goĂ»t fur un plaisir auquel sont attachĂ©es la conservation de l’elpece Sc la durĂ©e du monde. 11s ont d’ailleurs senti, qa’en voilant quelques-uns des appas d’une Discours II. 2,15 la gaze, dont cette mĂȘme pudeur couvre les beautĂ©s d’une femme, que le monde doit Ăźa plupart de ses plaisirs ; qu’au Malabar , oĂč les jeunes agrĂ©ables se prĂ©sentent demi- nuds dans les assemblĂ©es, qu’en certains cantons de TArnĂ©rique , oĂč les femmes s’ossrent fans voile aux regards des hommes, les dĂ©sirs perdent tout ce que la curiositĂ© leur communiquerait de vivacitĂ© ; qu’en ces pays, la beautĂ© avilie n’a de commerce qu’aveclcs besoins qu’au contraire, chez les peuples oĂč la pudeur suspend un voile femme, un vĂȘtement la paroit de toutes les beautĂ©s dont peut l’embellir une vive imagination; que ce vĂȘtement piquoit la curiositĂ©, rendoit les caresses plus dĂ©licieuses , les faveurs plus flatteuses , & multiplioit enfin les plaisirs dans la race infortunĂ©e des hommes. Si Lycurgue avoit banni de Sparte une certaine eĂ­'pece de pudeur, & fi les filles, en prĂ©sence de tout un peuple , y luttoient nues avec Ă­es jeunes LacĂ©dĂ©moniens ; c’est que Lycurgue vouloit que les meres , rendues plus sortes par de semblables exercices , donnassent Ă  l’état des enfants plus robustes. 11 savoir que st l’habitude de voir des femmes nues Ă©moussoit le dĂ©sir d’en connoitre les beautĂ©s cachĂ©es , ce dĂ©sir ne pouvoir pas s’éteindre , surtout dans un pays oĂč les maris n’obtenoient qu’en secret 8c furtivement les faveurs de leurs Ă©pouses. D’aiileurs, Lycurgue qui faisoit de l’amour un des principaux ressorts de la lĂ©gislation , vouloir qu’il devint la rĂ©compense, &. non l’occupation des Spartiates, aĂŻ 6 De l’ E s p r i t. entre les dĂ©sirs & les nuditĂ©s, ce voile mystĂ©rieux est le talisman qui retient l’amant aux genoux de sa maĂźtresse ; & que c’est enfin Ja puiĂźeur qui met aux foibles mains de la beautĂ© le sceptre qui commande Ă  la force. Sachez de plus, diroient-ils Ă  la femme galante, que les malheureux font en grand nombre ; que les infortunĂ©s, ennemis-nĂ©s de Phomme heureux, lui font un crime de son bonheur ; cp’ils haĂŻssent en lui une fĂ©licitĂ© trop indĂ©pendante d’eux ; que le spectacle de vos amusements est un spectacle qu’iĂ­ faut Ă©loigner de leurs yeux ; & que l’indĂ©cence, en trahissant le secret de vos plaisirs, vous expose Ă  tous les traits de leur vengeance. C’ùst en substituant ainsi le langage de rintĂ©rĂȘt au ton de Pinjurc, que les moralistes pourroient faire adopter leurs maximes. Je ne m'Ă©tendrai pas davantage fur cet article je rentre dans mon sujet ; & je dis que tous les hommes ne tendent qu’à leur bonheur ; qu’on ne peut les Ă­oustraire Ă  cette tendance ; qu’il feroit inutile de Pentreprendre , & dangereux d'y rĂ©ussir ; que , par consĂ©quent, l’on ne peut les rendre vertueux qu’en unissant PintĂ©rĂȘt personnel Ă  PintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Ce principe posĂ©, il est Ă©vident que la morale n’est qu’une science frivole, si Pon ne la confond avec la politique 6c la lĂ©gislation d’oh je conclus Discours II. conclus que , pour le rendre utiles Ă  I’uni- vers, les philosophes doivent considĂ©rer les objets du point de vue d’oĂŹi le lĂ©gislateur les contemple. Sans ĂȘtre armĂ©s du mĂȘme pouvoir, ils doivent ĂȘtre animĂ©s du mĂȘme esprit. C’est au moraliste d’indiquer les loix , dont le lĂ©gislateur assure InexĂ©cution par l’apposition du sceau de sa puissance. Parmi les moralistes, il en est peu, fans doute, qui soient assez fortement frappĂ©s de cette vĂ©ritĂ© parmi ceux mĂȘme dont l’esprit est fait pour atteindre aux plus hautes idĂ©es, il en est beaucoup qui, dans l’étude de la morale &c les portraits qu'ils font des vices, ne sont animĂ©s que par des intĂ©rĂȘts personnels & des haines particuliĂšres. Ils ne Rattachent, en consĂ©quence, 3 11a la peinture des vices incommodes ans la sociĂ©tĂ© ; &c leur esprit, qui, peu Ă  peu, se resserre dans le cercle de leur intĂ©rĂȘt , n’a bientĂŽt plus la force nĂ©cessaire pour s’élever jusqu’aux grandes idĂ©es. Dans la science de la morale, souvent l’élĂ©vation de l’esprit tient Ă  l’élĂ©va- tion de l’ame. Pour saisir , en ce genre, les vĂ©ritĂ©s rĂ©ellement utiles aux hommes , i! faut ĂȘtre Ă©chauffĂ© de la passion du bien gĂ©nĂ©ral ; & malheureusement, en morale comme en religion, il est beaucoup d’hy- pocrites. Tom, 1 , K n8 De l’ E s p r i t. CHAPITRE XVI. Des moralifies hypocrites. J 'Entends par hypocrite celui qui, n’étant point soutenu dans l'Ă©tude de la morale par le dĂ©sir du bonheur de l’humanitĂ©, est trop fortement occupĂ© de lui-mĂȘme. Il est beaucoup d’hommes de cette espece on les reconnoĂźt, d’une part, Ă  FindiffĂ©rence avec laquelle ils considĂšrent les vices destructeurs des empires ; & de l’autre, Ă  Fem- portement avec lequel ils se dĂ©chaĂźnent contre des vices particuliers. C’est en vain que de pareils hommes se disent inspirĂ©s par la paillon du bien public. Si vous Ă©tiez, leur rĂ©pondra-t-on , rĂ©ellement animĂ©s de cette paillon , votre haine pour chaque vice seroit toujours proportionnĂ©e au mal que ce vice fait Ă  la sociĂ©tĂ© sc , st la vue des dĂ©fauts les moins nuisibles Ă  FĂ©tat, suffisoit pour vous irriter , de quel Ɠil considĂ©reriez - vous l’ignorance des moyens propres Ă  former des citoyens vaillants , magnanimes sc dĂ©sintĂ©ressĂ©s ? De quel chagrin seriez-vous affectĂ©s, lorsque vous appercevriez quelque dĂ©faut dans la jurisprudence ou la distribution des impĂŽts , lorsque vous en dĂ©couvri- Discours IL 219 riez dans la discipline militaire, qui dĂ©cide Ă­i souvent du sort des batailles & du ravage de plusieurs provinces ? Alors, pĂ©nĂ©trĂ©s de la plus vive douleur , Ă  l’exem- ple de Nerva, on vous vcrroit , dĂ©testant le jour qui vous rend tĂ©moins des maux de votre patrie , vous-mĂȘmes en terminer le cours ; ou , du moins , prendre exemple fur ce Chinois vertueux , qui, justement irritĂ© des vexations des grands, se prĂ©lente Ă  Fempercur , lui porte ses plaintes Je viens , dit -'il , m offrir au supplice auquel de pareilles reprĂ©sentations ont fait tramer fĂŹx cents de mes concitoyens ; & je t'avertis de te prĂ©parer Ă  de nouvelles exĂ©cutions la Chine poffede encore dix-huĂŹt mille bons patriotes , qui , pour la mĂȘme cause , viendront fucceffve- ment te demander le mĂȘme salaire. II se tait Ă  ces mots ; Sc l’empereur , Ă©tonnĂ© de fa fermetĂ© , lui accorde la rĂ©compense la plus flatteuse pour un homme vertueux ; la punition des coupables Sc la suppression des impĂŽts. VoilĂ  de quelle maniĂ©rĂ© se manifeste Famour du bien public. Si vous ĂȘtes , dirois-je Ă  ces censeurs, rĂ©ellement animĂ©s de cette passion, votre haine pour chaque vice est proportionnĂ©e au mal que ce vice fait Ă  l’état st vous n’ĂȘtes vivement affectĂ©s que des dĂ©fauts qui vous nuisent, vous LLO De l’ E s p r i t. usurpez le nom de moralistes , vous n’ĂȘ- tes que des Ă©goĂŻstes. C’est donc par un dĂ©tachement absolu de ses intĂ©rĂȘts personnels, par une Ă©tude profonde de la science de la lĂ©gislation, qu’un moraliste peut se rendre utile Ă  sa patrie. 11 est alors en Ă©tat de peser les avantages & les inconvĂ©nients d’une loi ou d un usage , & de juger s’il doit ĂȘtre aboli ou conservĂ©. L’on n’est que trop souvent contraint de se prĂȘter Ă  des abus & mĂȘme Ă  des usages barbares. Si, dans l’Europe , l’on a st longtemps tolĂ©rĂ© les duels ; c’est qu’en des pays oĂč l’on n’est point, comme Ă Rome, animĂ© de l’amour de la patrie , oĂč la valeur n’est point exercĂ©e par des guerres continuelles , les moralistes n’imaginoient peut - ĂȘtre pas d’autres moyens, & d’entretenir le courage dans le corps des citoyens , & de fournir l’état de vaillants dĂ©fenseurs ils croyoient, par cette tolĂ©rance, acheter un grand bien au prix d’un petit mal ; ils se trompoient dans le cas particulierdu duel mais il en est mille autres oĂč l’on est rĂ©duit Ă  cette option. Ce n’est souvent qu’au choix fait entre deux maux qu’on recon- noĂŹt l’homme de gĂ©nie. Loin de nous tous ces pĂ©dants Ă©pris d une fausse idĂ©e de perfection. Rien de plus dangereux , dans un Ă©tat , que ces moralistes dĂ©ciamateurs &C Discours II. sans esprit , qui , concentrĂ©s dans une petite sphere d’idĂ©es , rĂ©petent continuellement ce qu’ils ont entendu dire Ă  leurs mies , recommandent fans cesse la modĂ©ration des dĂ©sirs , & veulent, en tous les coeurs , anĂ©antir les pulsions ils ne sentent pas que leurs prĂ©ceptes , utiles Ă  quelques particuliers placĂ©s dans certaines circonstances , seroient la ruine des nations qui les adopteroient. En effet, si, comme l’histoire nous rapprend , les paissons fortes , telles que l’orgueil & le patriotisme chez les Grecs & les Romains, le fanatisme chez les Arabes, l’avarice chez les Flibustiers , enfantent toujours les guerriers les plus redoutables ; tout homme qui ne menera contre de pareils soldats que des hommes fans paissons, n’opposera que de timides agneaux Ă  la fureur des loups. Aussi la sage nature a-t-elle enfermĂ© dans le cƓur de l’homme un prĂ©servatif contre les raisonnements de ces philosophes. Aussi les nations, soumises d’inten- tion Ă  ces prĂ©ceptes , s’y trouvent-elles toujours indociles dans le fait. Sans cette heureuse indocilitĂ© , le peuple , scrupuleusement attachĂ© Ă  leurs maximes, deviendrait le mĂ©pris & l’esclave des autres peuples. Pour dĂ©terminer jusqu’à quel point on doit exalter ou modĂ©rer le feu des passions, K iij De l’ E s p r i t. il faut de ces esprits vastes qui embrassent toutes les parties d’un gouvernement. Quiconque en est douĂ© , est, pour ainsi dire, dĂ©signĂ© par la nature pour remplir, auprĂšs du lĂ©giĂ­lateur , la charge de ministre penseur a , & justifier ce mot de CicĂ©ron , qu ’un homme d’ejprit n es jamais un JimpU citoyen , mais un vrai magistrat. Avant d’exposer les avantages que pro- cureroient Ă  l’univers des idĂ©es plus Ă©tendues & plus saines de la morale , je crois pouvoir remarquer, en passant , que ces mĂȘmes idĂ©es jetteroient infiniment de lumiĂšres fur toutes les sciences , & surtout fur celle de l’histoire dont les progrĂšs font Ă  la fois esset &ÂŁ cause des progrĂšs de la morale. Plus instruits du vĂ©ritable objet de l’histoire , alors les Ă©crivains ne peindroient, de la vie privĂ©e d’un roi, que les dĂ©tails propres Ă  faire sortir son caractĂšre ; ils ne dĂ©criroient plus si curieusement ses mƓurs, a On distingue, Ă  la Chine, deux sortes de ministres les uns font les ministres signeurs ; ils donnent les'audiences & les signatures les autres portent le nom de ministres penseurs ; ils se chargent du soin de former les projets , d’examiner ceux cju’on leur prĂ©sente , ĂŽc de proposer les changements que le temps & les circonstances exigent cju’on saisie dans l'administration. Discours II. 113 ses vices & ses vertus domestiques ; ils sentiroient que le public demande aux souverains compte de leurs Ă©dits , & non de leurs soupers ; que le public n’aime Ă  connoĂźtre l’homme dans le prince qu’au- tant que l’homme a part aux dĂ©libĂ©rations du prince ; & qu’à des anecdotes puĂ©riles, ils doivent, pour instruire & plaire, substituer le tableau agrĂ©able ou effrayant de la fĂ©licitĂ© ou de la misere publique & des causes qui les ont produites. C’est Ă  -la simple exposition de ce tableau qu’on devroit une insinitĂ© de rĂ©flexions &c de rĂ©formes utiles. Ce que je dis de l’histoire , je le dis de la mĂ©taphysique , de la jurisprudence. II est peu de sciences qui n'aient quelque rapport Ă  celle de la morale. La chaĂźne qui les lie toutes entr’elles , a plus d’étendue qu’on ne pense tout se tient dans l’u- nivers. v r L’ E S P R I T. CHAPITRE XVII. Des avantages qui rĂ©sultent des principes ci-dejsus Ă©tablis. J E passe rapidement fur les avantages qu’en retireroient les particuliers ils coulisseraient Ă  leur donner des idĂ©es nettes de cette mĂȘme morale, dont les prĂ©ceptes , jufqu’à prĂ©sent Ă©quivoques & contradictoires , ont permis aux plus insensĂ©s de justifier toujours la folie de leur conduite par quelques-unes de ces maximes. D’ailleurs, plus instruit de fes devoirs , le particulier feroit moins dĂ©pendant de l'opinion de fes amis Ă  l’abri des injustices que lui font souvent commettre, Ă  son infu, les sociĂ©tĂ©s dans lesquelles il vit, il feroit alors, en mĂȘme temps, affranchi de la crainte puĂ©rile du ridicule ; fantĂŽme qu’a- ĂŻiĂ©antit la prĂ©sence de la raison, mais qui est beffroi de ces Ăąmes timides &C peu Ă©clairĂ©es qui sacrifient leurs goĂ»ts, leur repos, leurs plaisirs, & quelquefois mĂȘme jufqu’à la vertu, Ă  l’humeur & aux caprices de ces atrabilaires, Ă  la critique defquels on ne peut Ă©chapper quand on a le malheur d’en ĂȘtre connu. Uniquement soumis Ă  la raison & Ă  la Discours II. 225 vertu , le particulier pourroit alors braver les prĂ©jugĂ©s , & s’armer de ces sentiments mĂąles & courageux qui forment le caractĂšre distinctif de Thomme vertueux ; sentiments qu’on dĂ©sirĂ© dans chaque citoyen , &c qu’on est en droit d’exiger dĂ©s grands. Comment l’homme Ă©levĂ© aux premiers postes renverĂ­'era-t-iĂ­ les obstacles que certains prĂ©jugĂ©s mettent au bien gĂ©nĂ©ral , & rĂ©sistera-t-il aux menaces , aux cabales des gens puissants -, souvent intĂ©ressĂ©s au malheur public , st son ame n’est inabordable Ă  toutes especes de sollicitations , de craintes & de prĂ©jugĂ©s ? II paroĂźt donc que la connoissance des principes ci-dessus Ă©tablis procure , du moins , cet avantage au particulier ; c’est de lui donner une idĂ©e nette &c sĂ»re de l’honnĂȘte , de l’arracher Ă  cet Ă©gard Ă  toute espece d’inquiĂ©tude , d’assurer le repos de fa conscience , & de lui procurer, n consĂ©quence , les plaisirs intĂ©rieurs & secrets attachĂ©s Ă  la pratique de la vertu. Quant aux avantages qu’en retireroit le public, ils seroient, lans doute , plus considĂ©rables. ConsĂ©quemment Ă  ces mĂȘmes principes , on pourroit, st je Fose dire , composter un catĂ©chisme de probitĂ©, dont les maximes simples, vraies, & Ă  la portĂ©e de tous les esprits , apprendroient aux peuples que la vertu, invariable dans Fob- 2 z6 Dr. l’ E s p n i r. jet qu’elle se propose , ne Test point dans les moyens propres Ă  remplir cet objet ; qu’on doit , par consĂ©quent , regarder les actions comme indiffĂ©rentes en elles- mĂȘmes ; sentir que c’est au besoin de TĂ©tĂąt Ă  dĂ©terminer celles qui font dignes d’ef- time ou de mĂ©pris ; & enfin au lĂ©gislateur, par la cĂČnnoiíì’ance qu’il doit avoir de Tin- tĂ©rĂȘt public, Ă  fixer Tinstant oii chaque action cesse d’ĂȘtre vertueuse & devient vicieuse. Ces principes une fois reçus , avec quelle facilite le lĂ©gislateur Ă©teindroit-il les torches du fanatisme 6c de la superstition, fuprimeroit-il les abus, rĂ©formeroit-il les coutumes barbares, qui, peut-ĂȘtre utiles lors de leur Ă©tablissemenr, font devenues depuis si funestes Ă  Tunivers ? coutumes qui ne subsistent que par la crainte oĂč Ton est de ne pouvoir tes abolir fans soulever les peuples toujours accoutumĂ©s Ă  prendre la pratique de certaines actions pour la vertu mĂȘme , fans allumer des guerres longues 6c cruelles , 6c fans occasionner enfin de ces sĂ©ditions qui , toujours hazardeuses pour Thommc ordinaire, ne peuvent rĂ©ellement ĂȘtre prĂ©vues &c calmĂ©es que par des hommes d’un caractĂšre ferme 6c d’un esprit vaste. C’est donc en affaiblissant la stupide vĂ©nĂ©ration des peuples pour les loix 6c les Discours II. 227 usages anciens , qu’on met les souverains en Ă©tat de purger la terre de la plupart des maux qui la dĂ©solent, &c qu’on leur fournitJes moyens d’assurer la durĂ©e des empires. Maintenant, lorsque les intĂ©rĂȘts d’un Ă©tat font changĂ©s, & que des loix, utiles lors desa fondation, lui sont devenues nuisibles ; ces mĂȘmes loix , par le respect que l’on conserve toujours pour elles, doivent nĂ©cessairement entraĂźner l’état Ă  sa ruine. Qui doute que la destruction de la rĂ©publique Romaine n’ait Ă©tĂ© l’efset d’une ridicule vĂ©nĂ©ration pour d’anciennes loix , & que cet aveugle respect n’ait forgĂ© les fers dont CĂ©sar chargea sa patrie ? AprĂšs la destruction de Carthage , lorsque Rome atteignoit au faĂźte de la grandeur , les Romains, par supposition qui se trouvoit alors entre leurs intĂ©rĂȘts, leurs mƓurs & leurs loix , dĂ©voient appercevoir la rĂ©volution dont l'empire Ă©toit menacĂ© ; & sentir que , pour sauver l’état , la rĂ©publique en corps devoit se presser de faire, dans les loix &c le gouvernement, la rĂ©forme qu’exigeoient les temps & les circonstances, &c surtout se hĂąter de prĂ©venir les changements qu'y vouloit apporter l’ambition personnelle, la plus dangereuse des lĂ©gislatrices. AustĂŹ les Romains auroient-ils eu recours Ă  ce remede- s’ils K vj ĂŻz % Df. l’ E s p r i r. avoient eu des idĂ©es plus nettes fur la morale. Instruits par l’histoire de tous les peuples , ils auroient apperçu que les mĂȘmes loix qui les avoient portĂ©s au dernier degrĂ© d’élĂ©vation ne pouvoient les y soutenir ; qu’un empire est comparable au vaisseau que certains vents ont conduit Ă  certaine hauteur , oĂč repris par d’autres vents , il est en danger de pĂ©rir, Ă­i pour se parer du naufrage , le pilote habile & prudent ne change promptement de manƓuvre vĂ©ritĂ© politique qu’avoit connue M. Locke , qui, lors de rĂ©tablissement de sa lĂ©gistation Ă  la Caroline, voulut que ses loix n’eussent de force que pendant un siecle ; que, ce temps expirĂ© , elles devinssent nulles , si elles n’étoicnt de nouveau examinĂ©es & consirmĂ©es par la nation. II sentoit qu’un gouvernement guerrier ou commerçant supposoit des loix diffĂ©rentes ; & qu’une l’égiĂ­lation propre Ă  favoriser le commerce ĂŽc l’in- dustrie, pouvoit devenir un jour funeste Ă  cette colonie, si ses voisins venoient Ă  s’aguerrir , & que les circonstances exigeassent que ce peuple fĂ»t alors plus militaire que commerçant. Qu’on fasse aux fausses religions l’ap- plication de cette idĂ©e de M. Locke ; l’on fera bientĂŽt convaincu de la sottise & de leur inventeur & de leurs sectateurs. Qui- Discours II. irH conque, en effet, examine les religions qui, Ă  l’exception de la nĂŽtre, font toutes faites de main d’hommes sent qu’elles n'ont jamais Ă©tĂ© l’ouvrage de l’ef- prit vaste & profond d’un lĂ©gislateur , mais de l’efprit Ă©troit d’un particulier qu’en consĂ©quence , ces fausses religions n’ont jamais Ă©tĂ© fondĂ©es fur la base des loix & le principe de FutilitĂ© publique ; principe toujours invariable , mais qui , pliable dans fes applications Ă  toutes les diverses positions oĂč peut successivement fe trouver un peuple , est le seul principe que doivent admettre ceux qui veulent, Ă  "exemple des Anastafe, des Ripperda , des Thamas-Kouli-Kan & desGehan-Guir, tracer le pfan d’une nouvelle religion, &c la rendre utile aux hommes. Si, dans la composition des fausses religions , on eĂ»t toujours suivi ce plan , on auroit conservĂ© Ă  ces religions tout ce qu’elles ont d’utile; on n’eĂ»t point dĂ©truit le tartare ni l’ély- fĂ©e; le lĂ©gislateur en eĂ»t toujours fait, Ă  son grĂ© , des tableaux plus ou moins agrĂ©ables ou terribles , selon la force plus ou moins grande de son imagination. Ces religions , simplement dĂ©pouillĂ©es de ce qu’elles ont de nuisible, n’eussent point courbĂ© les esprits fous le joug honteux d’une sotte crĂ©dulitĂ© ; & que de crimes &i de superstitions eussent disparu ds la r;o De l’E s p r i t. terre ! On n’eĂ»t point vu l’habitant de la grande Java ÂŁ, persuadĂ© Ă  la plus lĂ©gers incommoditĂ© que l’heure fatale est venue , se presser de rejoindre le dieu de ses peres , implorer la mort & consentir Ă  la recevoir ; les prĂȘtres eussent vainement voulu lui extorquer un pareil consentement pour TĂ©trangler ensuite de leurs propres mains & se gorger de sa chair. La Perse n’eĂ»t point nourri cette secte abominable de dervis qui demande saumonĂ© Ă  main armĂ©e, qui tue impunĂ©ment quiconque n’admet point ses principes , qui leva une main homicide fur un sophi, & plongea le poignard dans le sein d’Amurath. Des Romains , austĂŹ superstitieux que des Negres c n’eussent point rĂ©glĂ© leur cou- b A l’orient de Sumatra. c Lorsque les guerriers du Congo vont Ă  Fennemi, s’ils rencontrent dans leur marche un lievre , une corneille , ou quelque autre animal timide, c’est, disent-ils, le gĂ©nie de Fennemi qui vient les avertir de fa frayeur ils le combattent alors avec intrĂ©piditĂ©. Mais s’ils ont entendu le chant du coq Ă  quelque autre heure que l’heure ordinaire , ce chair t, disent-ils, est le prĂ©sage certain d’une dĂ©faite Ă  laquelle ils ne s'exposent jamais. Si le chant du coq est , Ă  la fois , entendu des deux camps , il n est point de courage qiii y tienne, les deux armĂ©es se dĂ©bandent & fuient. Au moment que le sauvage de la nouvelle OrlĂ©ans marche’ Discours II. rzr rage sur l’appĂ©tit des poulets sacrĂ©s. Enfin, les religions n’auroient point, dans l’O- rient, fĂ©condĂ© les germes de ces guerres {d longues Sc cruelles que les Sarrasins firent d’abord aux chrĂ©tiens ; que , fous les drapeaux des Omar Sc des Hali , ces mĂȘmes Sarrasins se firent entr’eux ; Sc qui, sans doute, firent inventer la fable dont se servit un prince de rindoustan pour rĂ©primer le zele indiscret d'un iman. Soumets-toi, lui disoit l’iman , Ă  Tordre du trĂšs-haut. La terre va recevoir la sainte loi la victoire marche par-tout devant Omar. Tu vois l’Arabie , la Perse , la Syrie , l’AiĂŹe entiere subjuguĂ©e , l’aigle Romaine foulĂ©e aux pieds des fideles, Sc le glaive de la terreur remis aux mains de Khaled. A ces signes certains, recon- nois la vĂ©ritĂ© de ma religion , Sc plus en- Ă  l’ennemi avec le plus d’intrĂ©piditĂ© , un songe ou l’abboyement d’un chien suffit pour le faire retourner sur ses pas. d Les passions humaines ont quelquefois allumĂ© de semblables guerres dans le sein blĂȘme dit christianisme ; mais rien de plus contraire Ă  son esprit, qui est un esprit de dĂ©sintĂ©ressement & de paix ; Ă  sa morale, qui ne respire que la douceur & l’indul- gence ; Ă  ses maximes, qui prescrivent partout la bienfaisance & la charitĂ© ; Ă  la spiritualitĂ© des objets qu’il prĂ©sente ; Ă  la sublimitĂ© de ses motifs', enfin Ă  la grandeur & Ă  la nature des rĂ©compenses qu’ij propose. LZ2. D E L’ E S P R I T. core Ă  la sublimitĂ© de l’alcoran, Ă  la simplicitĂ© de ses dogmes , Ă  la douceur de notre loi. Notre Dieu n’est point un dieu cruel ; il s’honore de nos plaisirs. C’est, dit Mahomet , en respirant l’odeur des parfums, en Ă©prouvant les voluptueuses caraĂŻbes de l'arnour , que mon aine s’al- lume de plus de ferveur & s’élance plus rapidement vers le ciel. Insecte couronnĂ© , lutteras-tu long-temps contre ton Dieu ? Ouvre les yeux, vois les superstitions & les vices dont ton peuple est infectĂ© le priveras-tu toujours des lumiĂšres, de l'al- coran ? Iman , rĂ©pondit le prince , il fut un temps, oĂč dans la rĂ©publique des castors , comme dans mon empire , l’on fe plaignit de quelques dĂ©pĂŽts volĂ©s, & mĂȘme de quelques assassinats pour prĂ©venir les crimes, il fĂčssifoit d'ouvrir quelques dĂ©pĂŽts publics, d’élargir les grandes routes Hc d’établir quelejues marĂ©chaussĂ©es. Le sĂ©nat des castors etoit prĂȘt Ă  prendre ce parti, quand l’un d'eux, jettant la vue fur l’azur du firmament , s'Ă©cria tout-Ă - coup Prenons exemple fur l’homme. 11 croit ce palais des airs bĂąti, habitĂ© & rĂ©gi par un ĂȘtre plus puissant que lui ; cet ĂȘtre- porte le nom de Michapour. Publions ce dogme que le peuple des castors s’y soumette, Persuadons-lui qu’un gĂ©nie est, Discours II. r; 5 par Tordre de Dieu , mis en sentinelle sur chaque planette ; que, de-lĂ  contemplant nos actions, il s’occupe Ă  dispenser les biens aux bons Sc les maux aux mĂ©chants cette croyance reçue, le crime fuira loin de nous. II se tait on consulte , on dĂ©libĂ©rĂ© ; TidĂ©e plaĂźt par sa nouveautĂ©, on l’adopte ; voilĂ  la religion Ă©tablie, Sc les castors vivants d’abord comme freres. Cependant, bientĂŽt aprĂšs , il s’éleve une grande controverse. C’est la loutre, disent les uns ; c’est le rat musquĂ© , rĂ©pondent les autres , qui le premier, prĂ©senta Ă  Michapour les grains de fable dont il forma la terre. La dispute s’écbausse ; le peuple se partage ; on en vient aux injures, des injures aux coups ; le fanatisme sonne la charge. Avant cette religion , il se commettoit quelques vols Sc quelques assassinats la guerre civile s’allume, Sc la moitiĂ© de la nation est Ă©gorgĂ©e. Instruit par cette fable , ne prĂ©tends donc pas , ĂŽ cruel iman, ajouta ce prince Indien , me prouver la vĂ©ritĂ© Sc FutilitĂ© d’une religion qui dĂ©sole l’univers. II rĂ©sulte de ce chapitre , que si le lĂ©gislateur Ă©toit autorisĂ© , consĂ©quemment aux principes ci-deĂ­l’us Ă©tablis, Ă  faire , dans les loix , les coutumes Sc les fausses religions , tous les changements qu’exigent les temps Sc les circonstances, il pourroit rz4 De l’ E s p r i t. tarir la source d’une infinitĂ© de maux & , sans doute , assurer le repos des peuples, en Ă©tendant la durĂ©e des empires. D’ailleurs, que de lumiĂšres ces mĂȘmes principes ne rĂ©pandroient-ils pas fur la morale , en nous faisant appercevoir la dĂ©pendance nĂ©cessaire qui lie les mƓurs aux loix d’un pays , & nous apprenant que la science de la morale n’est autre chose que la science mĂȘme de la lĂ©gislation ? Qui doute que , plus affidus Ă  cette Ă©tude , les moralistes ne pussent alors porter cette science Ă  ce haut degrĂ© de perfection que les bons esprits ne peuvent maintenant qu’ontrevoir, & peut- ĂȘtre auqucl ils n’imaginent pas qu’elle puisse jamais atteindre u ? Si, dans presque tous les gouverne- e En vain diroit-on que ce grand Ɠuvre d’une excellente lĂ©giĂ­lation n’est point celui de la sageĂ­le humaine , que ce projet est une chimere ; je veux qu’une aveugle & longue suite d’évĂ©netnents dĂ©pendants tous les uns des autres , & dont le premier jour du monde dĂ©veloppa le premier germe , soit la cause universelle de tout ce qui a Ă©tĂ© , est, & sera en admettant mĂȘme ce principe , pourquoi, rĂ©pondrai-je , si dans cette longue chaĂźne d’évĂ©- nements , font nĂ©cessairement compris les sages & les fous , les lĂąches & les hĂ©ros qui ont gouvernĂ© le monde, n’y comprendroit-on pas auĂ­ĂŹĂŹ Discours II. ments , toutes les loix, incohĂ©rentes entr’elles, semblent ĂȘtre l’ouvrage du pur hazard, c’est que, guidĂ©s par des vues & des intĂ©rĂȘts diffĂ©rents, ceux qui les font s’embarraffent peu du rapport de ces loix cntr ? elles. II en est de la formation de ce corps entier des loix comme de la formation de certaines iĂ­les des paysans veulent vuider leur champ des bois, des pierres, des herbes & des limons inutiles ; pour cet effet, ils les jettent dans un fleuve , oh je vois ces matĂ©riaux , chariĂ©s par les courants , s’amonceler autour de quelques roseaux, s’y consolider, & former enfin une terre ferme. C’est cependant Ă  PuniformitĂ© des vues du lĂ©gislateur , Ă  la dĂ©pendance des loix. entr’elles, que tient leur excellence. Mais, pour Ă©tablir cette dĂ©pendance, il faut pouvoir les rapporter toutes Ă  un principe simple , tel que celui de futilitĂ© du public, c’est-Ă -dire, du plus grand nombre d’hommes soumis Ă  la mĂȘme forme de gouvernement principe dont personne ne connoĂźt toute l’étendue ni la fĂ©conditĂ© ; principe qui renferme toute la morale la dĂ©couverte des vrais principes de la lĂ©gislation , auxquels cette science devra lĂ  perĂ­ection, & ie monde son bonheur ? r;6 De l’ E s p r i t. Ă­a lĂ©gislation , que beaucoup de gens rĂ©pĂštent lans i’entendre , & dont les lĂ©gislateurs mĂȘme n'ont encore qu’une idĂ©e superficielle, du moins li l'on en juge par le malheur de presque tous les peuples de la terre /. / Dans la plupart des empires de l’Orient, on n’a pas mĂȘme l’idĂ©e du droit public & du droit des gens. Quiconque voudroit Ă©claircir les peuples fur ce point , s’exposeroit presque toujours Ă  la fureur des tyrans qui dĂ©solent ces malheureuses contrĂ©es. Pour violer plus impunĂ©ment les droits de fhumanitĂ© , ils veulent que leurs sujets ignorent ce qu’en qualitĂ© d’hommes , ils font en droit d’at- tendre du prince , & le contrat tacite qui le lie Ă  fes peuples. Quelque raiĂ­on qu’à cet Ă©gard ces princes apportent de leur conduite , elle ne peut jamais ĂȘtre sondĂ©e que sur le dĂ©sir pervers de tyranniser leurs sujets. S. JL Discours II. 2 37 CHAPITRE XVIII. De P esprit , considĂ©rĂ© par rapport aux siĂ©cles & aux pays divers, J ’AĂŻ prouvĂ© que les mĂȘmes actions , successivement utiles & nuisibles dans des sieclĂ©s des pays divers , Ă©toient tour Ă  tour estimĂ©es ou mĂ©prisĂ©es. II en est des idĂ©es comme des aĂ©rions. La diversitĂ© des intĂ©rĂȘts des peuples , & les changements arrivĂ©s dans ces mĂȘmes intĂ©rĂȘts , produisent des rĂ©volutions dans leurs goĂ»ts, occasionnent la crĂ©ation oul’anĂ©an- tissement subit & total de certains genres d’esprit, &c le mĂ©pris, injuste ou lĂ©gitime, mais toujours rĂ©ciproque, qu’en fait d’esprit, les siĂ©cles &c les pays divers ont toujours les uns pour les autres. Proposition dont je vais, dans les deux chapitres suivants, prouver la vĂ©ritĂ© par des exemples. % rz8 De l’ E s p r i t. CHAPITRE XIX. Ueflime pour Us diffĂ©rents genres d’esprit efl , dans chaque JĂŹecle , proportionnĂ©e Ă  t intĂ©rĂȘt qu on a de Us ejlimer . P Our faire sentir l'extrĂȘme justesse de cette proportion, prenons d’abord les romans pour exemple. Depuis les Amadis jusqu’aux romans de nos jours, ce genre a succestivement Ă©prouvĂ© mille changements. En veut-on savoir la cause ? Qu’on se demande pourquoi les romans les plus estimĂ©s il y a trois cents ans nous paroissent aujourd’hui ennuyeux ou ridicules ; & l’on appercevra que le principal mĂ©rite de la plupart de ces ouvrages dĂ©pend de l’exaĂ©U- tude avec laquelle on y peint les vices , les vertus , les passionsles usages &c les ridicules d’une nation. Or, les mƓurs d’une nation changent souvent d’un siecle Ă  l’autre ; ce changement doit donc en occasionner dans le genre de ses romans & de son goĂ»t une nation est donc, par l’intĂ©rĂȘt de Ion amusement, presque toujours forcĂ©e de mĂ©priser dans un siecle ce qu’elle admiroit dans le Discours II. 239 Ă­ĂŹecle prĂ©cĂ©dent g-. Ce que je dis des romans peut s’appliquer Ă  presque tous les ouvrages. Mais, pour faire plus fortement sentir cette vĂ©ritĂ©, peut-ĂȘtre faut-il comparer l’esprit des siĂ©cles d’ignorance Ă  l’esprit de notre siecle. ArrĂȘtons-nous un moment Ă  cet examen. Comme les ecclĂ©siastiques Ă©toient alors les seuls qui sustent Ă©crire, je ne peux tirer mes exemples que de leurs ouvrages & de leurs sermons. Qui les lira n’apperccvra pas moins de diflĂ©rence entre ceux de Menot H & ceux du P. Bourdaloue , § Cs n est pas que ces anciens romans ne Ă­bient encore agrĂ©ables Ă  quelques 'philosophes, qui les regardent comme la vraie histoire des mƓurs d’un peuple considĂ©rĂ© dans un certain siecle & une certaine forme de gouvernement. Ces philosophes , convaincus qu’il y auroit une trĂšs-grande diffĂ©rence entre deux romans , l’un Ă©crit par un Sybarite, & f autre par un Crotoniate, aiment Ă  juger le caractĂšre & l’esprit d’une nation par le genre de roman qui la sĂ©duit. Ces sortes de jugements font d’ordinaire affez justes un politique habile poursuit , avec ce secours , affez prĂ©cisĂ©ment dĂ©terminer les entreprises qu’il est prudent ou tĂ©mĂ©raire de tenter contre un peuple. Mais le commun des hommes qui lit les romans moins pour s'instruire que pour s'amuser , ne les considĂ©rĂ© pas fous ce point de vue , & ne peut en consĂ©quence en porter le mĂȘme jugement. h Dans un des fermons de ce Menot, il s’agit i40 De l’ E s p r i t. qu’entre le Chevalier du Soleil & la Princesse de Cleves. Nos mƓurs ayant changĂ©, nos de la promesse du Messe. Dieu , dit—il, avoir de 3 toute Ă©ternitĂ© , dĂ©terminĂ© ^incarnation & le salut v du genre humain ; mais il vouloir que de grands » personnages , tels que les saints peres , le de- „ mandassent. Adam, ÂŁnos, Enoch, Mathusalem, n Lamech, NoĂ«, aprĂšs savoir inutilement sollicitĂ©, ,, s’aviserent de lui envoyer des ambassadeurs. Le » premier fut Moise, le second David, le troisiĂšme » IsaĂŻe , & le dernier l’Eglise. Ces ambassadeurs » n’ayant pas mieux rĂ©ussi que les patriarches eux- j mĂȘmes , ils crurent devoir dĂ©puter des femmes, j» Madame Eve se prĂ©senta la premiere, Ă  laquelle » Dieu fit rĂ©ponse Eve , tu as pĂ©chĂ© ; tu n’efi pas » digne de mon fils. Ensuite , madame Sara qui » dit O Dieu ! aide nous. Dieu lui dit Tu t en » es rendue indigne par l’incrĂ©dulitĂ© que tu marquas „ lorsque je t assurai que tu fierais mere dTfiaac. La » troisiĂšme fut madame Rebeca. Dieu lui dit Tu j as fiait , en faveur de Jacob , trop de tort Ă  Efia'Ăč. >3 La quatriĂšme , madame Judith, Ă  qui Dieu dit 33 Tu as afifiafifinĂ©. La cinquiĂšme, madame Esther, 33 Ă  qui il dit Tu as Ă©tĂ© trop coquette ; tu perdais 33 trop de temps Ă  t’attijfer pour plaire Ă  Afifiuerus. 33 Enfin fut envoyĂ©e la chambriĂšre , de i’ñge de 33 quatorze ans , laquelle tenant la vue basse & toute 33 honteuse , s'agenouilla , puis vint Ă  dire Que 33 mon bien aimĂ© vienne dans mon jardin , a fi n. qu il 33 y mange du fruit de fies pommes; Sc le jardin Ă©toit 33 le ventre virginal. Or, le fils ayant oui ces pa- 33 rĂŽles , il dit Ă  son pere Monpere, fiai aimĂ© celle - 3 > Ăș dĂšs ma jeunesse , & je veux lavoir pour mere. V A l’instant , Dieu appelle Gabriel, & lui dit lumiĂšres Discours II. 141 lumiĂšres s’étant augmentĂ©es, PĂČn se mo- queroit aujourd’hui de ce qu’on admiroit autrefois. Qui ne riroit point du sermon d un prĂ©dicateur de Bordeaux, qui, pour prouver toute la reconnoissance des trĂ©passĂ©s pour quiconque fait prier Dieu pour eux, & donne, en consĂ©quence, de l’argent aux moines, dĂ©bitoit gravement en chaire qu’au seul son de l’argent qui tombe dans le tronc ou k bassin, & qui sait tin , tin , tin , toutes Us Ăąmes du purgatoire je prennent tellement Ă  rire , qii elles font ha, ha, ha, hi, hi, hi {a'} 3> O Gabriel, va-t-en vĂźte en Nazareth , Ă  Marie , 3* & lui prĂ©sente de ma part ces lettres. Et le fils y 3> ajouta Dis-lui , de la mienne , que je la choisis 33 pour ma mere. AJsure-la , dit ensuite le Saint- 3 Esprit , que j habiterai en elle, qu elle sera mon 3! temple ; & remets-lui ces lettres de ma part » . Tous les autres sermons de ce Menot font Ă  peu prĂšs dans le mĂȘme goĂ»t. a Dans ces temps , l’ignorance Ă©toit telle ^ qu’un curĂ© ayant un procĂšs avec ses paroissiens, pour savoir aux frais de qui l’on paveroit rĂ©gisse ; ce curĂ© , lorsque le juge Ă©toit prĂȘt Ă  le condamner , s’avisa de citer ce passage de JĂ©rĂ©mie Paveant illi, 6> ego non paveam. Le juge ne sut que rĂ©pondre Ă  la citation il ordonna que rĂ©gisse seroit pavĂ©e aux dĂ©pens des paroissiens. II y eut un temps, dans l’église , oĂč la science St sart d’écrire furent regardĂ©s comme des choses mondaines, indignes d’un chrĂ©tien. O11 dit mĂȘme Tom, I, L 242 De D Esprit. Dans la simplicitĂ© des siĂ©cles d’igno- rance , les objets se prĂ©sentent sous un aspect trĂšs-diffĂ©rent de celui fous lequel on les considĂ©rĂ© dans les siĂ©cles Ă©clairĂ©s. Les tragĂ©dies de la Passion, Ă©difiantes pour nos ancĂȘtres, nous paroĂźtroient Ă  prĂ©sent scandaleuses. II en seroit de mĂȘme de presque toutes les questions subtiles qu'on agitoit alors dans les Ă©coles de thĂ©ologie. Rien ne paroĂźtroit aujourd’hui plus indĂ©cent que des disputes en rĂ©gie, pour savoir si Dieu est habillĂ© ou nud dans l’hostie ; si Dieu est tout-puissant, s’il a le pouvoir de pĂ©cher ; si Dieu pouvoit prendre la nature de la femme, du diable, de lane, du rocher, de la citrouille ; & mille autres questions encore plus extravagantes ÂŁ. Tout, jusqu’aux miracles, portoit, dans 'tes temps d’ignorance , l’empreinte du mauvais goĂ»t du siecle c. Ă  ce Ă­ujet, que les anges fouettĂšrent saint JĂ©rĂŽme, pour avoir voulu imiter le Ă­ĂŹile de CicĂ©ron. L’abbĂ© Cartaut prĂ©tend que c’est pour savoir mal imitĂ©. Ă© Utrurn Deus potuerit millier an , vel dĂŹabolĂčm , vel afinum , vel ftlicem , vel cucurbi - tari & , s> suppositajjh cucurbĂŹtam, quanadmodum fiterit concianatura , editura miracula , & quonam- modofuijsetfixacruci. Apolog. p. HĂ©rodot. p. c Quelque chose qu’on dise en faveur des Ă­ĂŹecles d'ignorance, on ne fera jamais accroire qu’ils Discours II. Entre pluiĂŹeurs de ces prĂ©tendus miracles rapportĂ©s dans les MĂ©moires de VacadĂ©mie aient Ă©tĂ© favorables Ă  la religion ; ils ne ü’ont Ă©tĂ© qu'Ă  la superstition. Aussi rien de plus ridicule que les dĂ©clamations qu’on tait ou contre les philosophes ou contre les acadĂ©mies de province. Ceux qui les composent, dit-on , ne peuvent Ă©clairer la terre ; ils feroient mieux de la cultiver. De pareils hommes , repliquera-t-on, ne font pas d’état Ă  labourer la terre. D’ailleurs , vouloir , pour l’intĂ©rĂȘt de l’a- griculture , les enrĂ©gistrer dans le rĂŽle des laboureurs , lorfqu’on entretient tant de mendiants, de soldats , d’artisans de luxe & de domestiques , c'est vouloir rĂ©tablir les finances d’un Ă©tat par des mĂ©nages de bouts de chandelles. J’ajouterai mĂȘme qu'en supposant que ces acadĂ©mies de province ne fuient que peu de dĂ©couvertes, on peut du moins les considĂ©rer comme les canaux par lesquels les connoiffances de la capitale se communiquent aux provinces or, rien de plus utile que d’éclairer les hommes. Les lumiĂšresphilosophiques , dit M. l’abbĂ© de Fieury, ne peuvent jamais nuire. Ce n'est qu'eti perfectionnant la raison humaine, ajoute M. Hume, que les nations peuvent se flatter de perfectionner leur gouvernement, leurs loix & leur police. L’es- prit est comme le feu ; il agit en tous sens il y a peu de grands politiques & de grands capitaines dans un pays oĂč il n’y a pas d’hommes illustres dans les sciences & les lettres. Comment se persuader qu'un peuple qui ne sait ni Fart d’écrire ni celui de raisonner, puiffe se donner de bonnes loix , & 5'affranchir du joug de cette superstition qui dĂ©sola les siĂ©cles d’ignorance ? Solon, Lycurgue , & ce Pythagore qui forma tant de lĂ©gislateurs, prouvent L ij D L l’ E s p R i T. des inscriptions & belles-lettres ss , j’en choisis un opĂ©rĂ© en faveur d’un moine. Ce moine revenoit d’une maison dans » laquelle il s’introduifoit toutes les nuits. » II avoit , Ă  son retour, une riviĂšre Ă  » traverser Satan renversa le bateau, Sc » le moine fut noyĂ© , comme il commen- » çoitl’invitatoire des matines de la Vierge. » Deux diables se saisissent de son ame, Sc » sont arrĂȘtĂ©s par deux anges qui ta rĂ©cla- » ment en qualitĂ© de chrĂ©tienne. Seigneurs ?> anges, disent les diables, il est vrai que » Dieu est mort pour ses amis, & ce n’eĂ­t » pas une fable ; mais celui-ci Ă©toit du » nombre des ennemis de Dieu &, puisque »> nous savons trouvĂ© dans bordure du » pĂ©chĂ© , nous allons le jetter dans le » bourbier de l’enfer ; nous serons bien » rĂ©compensĂ©s de nos prĂ©vĂŽts. AprĂšs bien combien les progrĂšs de la raison peuvent contribuer au bonheur public. On doit donc regarder ces acadĂ©mies de province comme trĂšs-utiles. Je dirai de plus , que, si l’on considĂ©rĂ© les savants simplement comme des commerçants, & si l’on compare les cent mille livres que le roi distribue aux acadĂ©mies & aux gens de lettres , avec le produit de la vente de nos livres Ă  l’étrangcr, on peut assurer que cette espece de commerce a rapportĂ© plus de mille pour cent Ă  l’état. d Histoire de VacadĂ©mie des inf triplions & belics- lettres, tem. XVIIL Discours I I. 245 » des contestations, les anges proposent » de porter le diffĂ©rend au tribunal de la » Vierge. Les diables rĂ©pondent qu’ils » prendront volontiers Dieu pour juge , » parce qu’il jugeoit selon les loix mais, » pour la Vierge , disent-ils, nous n’en » pouvons espĂ©rer de justice elle briseroit » toutes les portes de l’enfer , plutĂŽt que » d'y laisser un seul jour celui qui, de son » vivant, a fait quelques rĂ©vĂ©rences Ă  son » image. Dieu ne la contredit en rien ; » elle peut dire que la pie est noire & que »> l’eau trouble est claire ; il lui accorde » tout nous ne savons plus oĂ­i nous en » sommes ; d’un ambesas elle fait un terne, » d’un double - deux un quinĂ©, elle a le » dez & la chance le jour que Dieu en » fit fa mere fut bien fatal pour nous. » L’on seroit, sans doute, peu Ă©difiĂ© d’un tel miracle ; & l’on riroit pareillement de cet autre miracle, tirĂ© des Lettres Ă©difiantes & curieuses , fur la visite de C Ă©vĂȘque cTHali- carnajse , & qui m’a paru trop plaisant pour rĂ©sister au destr de le placer ici. Pour prouver l’excellence du baptĂȘme, 1 l’auteur raconte qu’autrefois , dans le » royaume d’ArmĂ©nie , il y eut un roi qui » avoit beaucoup de haine contre les » chrĂ©tiens ; c’est pourquoi il persĂ©cuta la » religion d’une maniĂ©rĂ© bien cruelle. 11 » mĂ©ritoit bien que Dieu Peut alors puni 2,46 De l’ E s p r i t. » cependant Dieu, infiniment bon , quĂź » ouvrit le cƓur Ă  S. Pau! pour le convertir » lorsqu’il persĂ©cutoit les fideles , ouvrit aussi le cƓur Ă  ce roi pour qu'il connĂ»t » la sainte religion. AuíßÏ arriva-t-il que le » roi tenant son conseil dans le palais , » avec les mandarins, pour dĂ©libĂ©rer fur » les moyens d'abolir entierement la reli- » gion chrĂ©tienne dans le royaume, le roi » Sc les mandarins furent auĂ­fitĂŽt changĂ©s » en cochons. Tout le monde accourut » aux cris de ces cochons , fans savoir i> quelle pouvoir ĂȘtre la cause d'une chose » auíßÏ extraordinaire. Alors il y eut un » chrĂ©tien , nommĂ© GrĂ©goire , qui avoit ĂŻ> Ă©tĂ© mis Ă  3a question le jour de devant, » qui accourut au bruit, Sc qui reprocha » au roi fa cruautĂ© envers la religion. Au » discours que fit GrĂ©goire , les cochons » s’arrĂȘterent, & s’étant tus, ils leverent le » museau en haut pour Ă©couter GrĂ©goire, » lequel interrogea tous les cochons en ces termes DĂ©formais ĂȘtes-vous rĂ©solus » de vous corriger ? A cette demande , » tous les cochons firent un coup de tĂȘte, » &c criĂšrent omn , ouen , oum , comme » s'ils avoient dit oui. GrĂ©goire reprit m ainsi la parole Si vous ĂȘtes rĂ©solus de » vous corrriger , fi vous vous repentez » de vos pĂ©chĂ©s, & que vous veuilliez » ĂȘtre baptisĂ©s pour obĂ­erver la religion Discours II. 147 » parfaitement, le Seigneur vous regardera » dans fa misĂ©ricorde ; sinon , vous ferez » malheureux dans ce monde & dans » l’autre. Tous les cochons frappĂšrent de » la tĂȘte, firent la rĂ©vĂ©rence &Ă­ criĂšrent » ouen, ouen , ouen , comme s'ils avoient » voulu dire qu’ils le defiroient ainsi. » GrĂ©goire, voyant les cochons humbles de cette forte, prit de l’eau bĂ©nite, & » baptisa tous les cochons & il arriva » fur le champ un grand miracle ; car, Ă  » mesure qu’il baptifoit chaque cochon, » aussi-tĂŽt il se changeoit en une personne » plus belle qu’auparavant. » Ces miracles, ces sermons, ces tragĂ©dies & ces questions thĂ©ologiques, qui maintenant nous paroĂźtroient si ridicules, Ă©toient & dĂ©voient ĂȘtre admirĂ©s dans les siĂ©cles d’ignorance, parce qu’ils Ă©toient proportionnĂ©s Ă  Telprit du temps, & que les hommes admireront toujours des idĂ©es analogues aux leurs. La grosiiere imbĂ©ci- litĂ© de la plupart d’entr’eux ne leur per- mettoit pas de connoĂźtre la saintetĂ© & la grandeur de la religion ; dans presque toutes les tĂȘtes, la religion n’étoit, pour ainsi dire, qu’une superstition & qu’une idolĂątrie. A l’avantage de la philosophie, on peut dire que nous en avons des idĂ©es plus relevĂ©es. Quelque injuste qu’on soit envers les sciences, quelque corruption 148 De l’ Esprit. qu’on les accuse d’introduire dans les mƓurs, il est certain que celles de notre clergĂ© font maintenant auĂ­Ăźi pures qu’elles croient alors dĂ©pravĂ©es, du moins si l’on consulte & l’histoire & les anciens prĂ©dicateurs. Maillard & Menot, les plus cĂ©lĂ©brĂ©s d’entr’eux, ont toujours ce mot Ă  la bouche Sacerdotes , rdigiojĂŹ , concubinariĂŹ. DamnĂ©s, infĂąmes, s’écrie Maillard, dont » les noms font inscrits dans les registres » du diable ; larrons, voleurs , comme dit » saint Bernard ; penfez-vous que les fon- » dateurs de vos bĂ©nĂ©fices vous les aient » donnĂ©s pour ne faire autre chose que w vivre Ă  pot & Ă  cuiller avec des filles, & » jouer au glic ? Et vous , messieurs les » gros abbĂ©s, avec vos bĂ©nĂ©fices, qui » nourrissiez chevaux , chiens &c filles , » demandez Ă  saint Etienne s’il a eu paradis » pour mener une telle vie, Enfant grande » chere , Ă©tant toujours parmi les festins » banquets, & donnant les biens de » l’églife &c du crucifix aux filles de » joie e. e Ce Maillard , qui dĂ©clamoit de cette maniĂ©rĂ© contre le clergĂ©, n’étoit pas lui-mĂȘme exempt des vices qu’il reprochoit Ă  ses confrĂšres. On l’ap- pelloit le dotteur gomorrhĂȘen. On avoit fait contre lui cette Ă©pigramme, qui me paroĂźt assez bien tournĂ©e pour le temps. Discours II. 249 Je ne m’arrĂȘterai pas davantage Ă  considĂ©rer ces siĂ©cles grossiers , oĂč tous les hommes , superstitieux & braves , ne s’amuĂ­oient que des contes des moines &c des hauts faits de la chevalerie, h'ignorance & la simplicitĂ© font toujours monotones avant le renouvellement de la philosophie , les auteurs , quoique nĂ©s dans des siĂ©cles diffĂ©rents , Ă©crivoient tous fur le mĂȘme ton. Ce qu’on appelle le goĂ»t suppose connoissance. II n’est point de goĂ»t , ni par consĂ©quent de rĂ©volutions de goĂ»t chez des peuples encore barbares; ce n’est du moins que dans les siĂ©cles Noflre maiflre Maillard tout par tout met le neq _, Tantofl va che ÂŁ le roy , tante fl va cht ÂŁ la reyne ; 11 sait teut , il sçaĂŹi tout & Ă  rien ne fl idoine ; 11 e[ĂŹ grand orateur, poĂšte des mieux nĂ©s, luge fl bon quau feu mille en a condamnĂ©s , Sophifle aujjy aigu que les fejses d’ttn moine. Mais il efl fi mĂ©chant , pour neflre que chanoine J Qu auprĂšs de luy font fain'Ă­ls le diable & les damnĂ©s'. Si fle fourrer par teut Ă  gloire il le rĂ©putĂ© , Pourquoy dedans Poijfy neflAl Ă  la dispute ĂŹ 11 dit qu Ă  grand regret il en est Ă©loignĂ© ; Car Be\e il eust vaincu , tant il efl habile hommĂš. Pourquoy donc rĂ­y efl-il ? II est embcfoigni s4prĂšs les fondemens pour rtbastir Sodome. L v Ïço De l’ E s p r i t. Ă©claires qu’elles font remarquables. Or ces sortes de rĂ©volutions y font toujours prĂ©cĂ©dĂ©es de quelque changement dans la forme du gouvernement, dans les mƓurs, les loix, & la position d’un peuple. II eff donc une dĂ©pendance fecrettement Ă©tablie entre le "oĂ»t d’une nation & ses intĂ©rĂȘts. Pour Ă©claircir ce principe par quelques applications , qu’on fe demande pourquoi la peinture tragique des vengeances les plus mĂ©morables , telles que celles des Atrides, n’allumeroit plus en nous les transports qu’elle excitoit autrefois chez les Grecs ; & l’on verra que cette diffĂ©- rence d’impreĂ­ĂŻĂŹon tient Ă  la diffĂ©rence de notre religion, de notre police, avec la police & la religion des Grecs. Les anciens Ă©levoient des temples Ă  la Vengeance cette passion, mise aujourd’hui au nombre des vices, Ă©toit alors comptĂ©e parmi les vertus. La police ancienne favorisait ce culte. Dansunsiecle trop guerrier pour n’ĂȘtre pas un peu fĂ©roce , Punique moyen d’enchaĂźner la colere , la fureur St la trahison , Ă©toit d’attacher le dĂ©shonneur Ă  l’oubli de l’injure, de placer toujours le tableau de vengeance Ă  cĂŽtĂ© du tableau de l’affront c’est ainsi qu’on entretenoit , dans le cƓur des citoyens, une crainte respective & salutaire , qui supplĂ©oit au dĂ©faut de police. La peinture Discours II. içi de cette paillon Ă©toit donc trop analogue au besoin , au prĂ©jugĂ© des peuples anciens , pour n’y ctre pas considĂ©rĂ©e avec plaisir. Mais, dans le siecle oii nous vivons , dans un temps oĂč la police est Ă  cet Ă©gard fort perfectionnĂ©e , oĂč d’ailleurs nous ne sommes plus asservis aux mĂȘmes prĂ©jugĂ©s, il est Ă©vident qu’en consultant pareillement notre intĂ©rĂȘt, nous ne devons voir qu’a- vec indiffĂ©rence la peinture d’une passion qui, loin de maintenir la paix & l’har- monie dans la sociĂ©tĂ©, n’y occasionnerait que des dĂ©sordres &c des cruautĂ©s inutiles. Pourquoi des tragĂ©dies pleines de ces sentiments mĂąles & courageux qu’inspire l'amour de la patrie, ne feroient-elles plus fur nous que des impressions lĂ©geres } C'est qu’il est trĂšs-rare que les peuples allient une certaine espece de courage &c de vertu avec l’extrĂȘme soumission ; c'est que les Romains devinrent bas &c vils sitĂŽt qu’ils eurent un maĂźtre ; &c qu’enfin , comme dit Homere Vaffreux infant qui met un homme lĂŹhrt aux firs , Lui ravit la moitiĂ© de fa vertu premiere. D’oĂč je conclus que les siĂ©cles de libertĂ© , dans lesquels s’engendrent les grands hommes ĂŽĂ­ Ă­es grandes passions , font aussi L vj 2^2. De l’ E s p r i t les seuls oĂč les peuples soient vraiment admirateurs des sentiments nobles & courageux. Pourquoi le genre de Corneille , maintenant moins goĂ»tĂ© , l’ét©it-il davantage du vivant de cet illustre poĂšte ? C’est qu’on Ă­ortoit alors deĂźa ligue , de la fronde, de ces temps de troubles oĂč les esprits, encore Ă©chauffĂ©s du feu de la sĂ©dition, sont plus audacieux , plus estimateurs des sentiments hardis , & plus susceptibles d'ambition ; c’est que les caractĂšres que Corneille donne Ăą ses hĂ©ros , les projets qu’il fait concevoir Ă  ces ambitieux , Ă©toient par consĂ©quent plus analogues Ă  l’esprit du siecle , qu’ils ne le seroient maintenant qu’on rencontre peu de hĂ©ros, / de citoyens & d'ambitieux, qu’un calme heureux a succĂ©dĂ© Ă  tant d’orages, & que les volcans de la sĂ©dition sont de toutes parts Ă©teints. Comment un artisan habituĂ© Ă  gĂ©mir sous le faix de l’indig;ence & du mĂ©pris , un homme riche & meme un grand seigneur accoutumĂ© Ă  remper devant un homme en place , Ă  le regarder avec le saint respect que l’Egyptien a pour ses dieux & le Ne- gre pour son fĂ©tiche , seroient-ils forte-. / Les guerres civiles font un malheur au- quel on doit souvent de grands hommes. Discours II. 1^3 ment frappĂ©s de ce vers oĂč Corneille dit Pour ĂȘtre plus qu un roi , tu te crois quelque chose ? De pareils sentiments doivent leur paroĂź- tre fous & gigantesques ; ils n'en pour- roient admirer l’élĂ©vation , fans avoir souvent Ă  rougir de la bassesse des leurs c’est pourquoi, si l’on en excepte un petit nombre d’eĂ­prits & de caractĂšres Ă©levĂ©s , qui conservent encore pour Corneille une estime raisonnĂ©e & sentie , les autres admirateurs de ce grand poĂšte l’estimcnt moins par sentiment que par prĂ©jugĂ© & sur parole. Tout changement arrivĂ© dans le gouvernement ou dans les mƓurs d’unpeuple, doit nĂ©cessairement amener des rĂ©volutions dans son goĂ»t. D’un siecle Ă  l’autre, un peuple est diffĂ©remment frappĂ© des mĂȘmes objets, selon la passion diffĂ©rente quil’anime. II en est des sentiments des hommes comme de leurs idĂ©es ; si nous ne concevons dans les autres que les idĂ©es analogues aux nĂŽtres , nous ne pouvons , dit Salluste, ĂȘtre affectĂ©s cpie des pallions qui nous affectent nous-memes fortement g. Pour ĂȘtre touchĂ© de la peinture de quel- g Du rĂ©cit d’une action hĂ©roĂŻque , le lecteur ne croit que ce qu'il est capable de fairç lui-inĂȘme ; il rejette le reste comme inventĂ©, 254 De l’ E s p r i t. que passion, il faut soi-mĂȘme en avoir Ă©tĂ© le jouet. Supposons que le berger Tircis &c Cati- lina fe rencontrent, & fe fassent rĂ©ciproquement confidence des sentiments d'a- mour & d’ambition qui les agitent ; ils ne pourront certai nement pas fe communiquer l’impreffion diffĂ©rente qu’excitent en eux les diffĂ©rentes passions dont ils font animĂ©s. Le premier ne conçoit point ce qu’a de st sĂ©duisant le pouvoir suprĂȘme, &c le second ce que la conquĂȘte d’une femme a de st flatteur. Or , pour faire aux diffĂ©rents 'genres tragiques supplication de ce principe , je dis qu’en tout pays oĂč les habi- tans n'ont point de part au maniement des affaires publiques, oĂč l’on cite rarement les mots de patrie & de citoyen , on ne plaĂźt au public qu’en prĂ©sentant fur le thĂ©Ăątre des passions convenables Ă  des particuliers ; telles par exemple, que celle de l’amour. Ce n'est pas que tous les hommes y soient Ă©galement sensibles il est certain que des Ăąmes fieres & hardies , des ambitieux , des politiques , des avares, des vieillards , ou des gens chargĂ©s d’af- faires , font peu touchĂ©s de la peinture de cette passion & c'est prĂ©cisĂ©ment la raison pour laquelle les pieces de thĂ©Ăątre n’ont de succĂšs pleins &c entiers que dans les Ă©tats rĂ©publicain? , oĂč la haine des ty- Discours I l. r;; rans, l’amour de la patrie & de la libertĂ©, font , fi je l’ofe dire , des points de ralliement pour l’estime publique. Dans tout autre gouvernement , les citoyens n’étant pas rĂ©unis par un intĂ©rĂȘt commun , la diversitĂ© des intĂ©rĂȘts personnels doit nĂ©cessairement s’oppofer Ă  l’uni- versalitĂ© des applaudissements. Dans ces pays , on ne peut prĂ©tendre qu’à des succĂšs plus ou moins Ă©tendus , en peignant des passions plus ou moins gĂ©nĂ©ralement intĂ©ressantes pour les particuliers. Or, parmi les passions de cette espece , nul doute qux celle de l’amour , fondĂ©e en partie lur un besoin de la nature , ne soit la plus universellement sentie. Aussi prĂ©- fĂ©re-t-on maintenant en France, le genre de Racine Ă  celui de Corneille , qui, dans un autre Ă­ĂŹecle ou un pays diffĂšrent tel que FAngleterre , auroit vraisemblablement la prĂ©fĂ©rence. C’est une certaine foiblesse de caractĂšre, suite nĂ©cessaire du luxe & du changement arrivĂ© dans nos mƓurs , qui , nous privant de toute force &c de toute Ă©lĂ©vation dans l’ame , nous fait dĂ©jĂ  prĂ©fĂ©rer les comĂ©dies aux tragĂ©dies, qui ne font plus maintenant que des comĂ©dies d’un style clevĂ© , & dont Faction se passe dans le palais des rois. C’est l’heureux accroissement de Faux i5hes pour des spĂ©culateurs visionnaires , eurs Ă©crits pour clĂ©s ouvrages sĂ©rieusement frivoles , Sc l’ignorance pour un mĂ©rite. Les richesses & les dignitĂ©s font trop gĂ©nĂ©ralement dĂ©sirĂ©es , pour qu’on honore jamais les talents chez les peuples oĂč les prĂ©tentions au mĂ©rite font exclusives des prĂ©tentions Ă  la fortune. Or, pour faire fortune, dans quel pays l’homme d’es- pritn’est-ilpascontraintĂ perdre, dansl’an- tichambre d’un protecteur, un temps que, pour exceller en quelque genre que ce soit, il faudroit employer Ă  des Ă©tudes opiniĂątres Sc continues ? Pour obtenir la faveur des grands , Ă  quelles flateries, Sc Ă  quelles bassesses ne doit-il pas se plier ? S’il naĂźt en Turquie , il faut qu’ii s’expole aux dĂ©dains d’un muphti ou d’une sultane ; en France,aux bontĂ©s outrageantes d’un grand seigneur b ou d’un homme en place, qui, mĂ©prisant en lui un genre d’eĂ­'prit trop diffĂ©rent du lien , le regardera comme un homme inutile Ă  l’état, incapable d'affaires sĂ©rieuses, Sc tout au plus comme un joli enfant occupĂ© d’ingĂ©nieuses baga- ÂŁ Ils contrefont quelquefois les bonnes gens ; mais Ă  travers leur bontĂ© , comme Ă  travers les trous du manteau de Diogene , on apperçoit la vanitĂ©. M v 174 De l’ E s p r i t. telles. D’ailleurs secrettement jaloux de la rĂ©putation des gens de mĂ©rite c , sensible Ă  leur censure , l’homme en place les reçoit chez lui moins par goĂ»t que par faste, uniquement pour montrer qu’il a de tout dans fa maison. Or, comment imaginer qu’un homme, animĂ© de cette pas- sion pour la gloire , qui l’arrache aux douceurs du plaisir , s’avilisie jusqu’à ce point ? Quiconque est nĂ© pour illustrer son siecle, est toujours en garde contre les grands ; ils ne se lie du moins qu’avec ceux dont l’esprit & le caractĂšre , faits pour estimer les talents & s’ennuyer dans la plupart des sociĂ©tĂ©s, y cherche , y rencontre l’homme d’csprit avec le mĂȘme plaisir que se rencontrent , Ă  la Chine , deux François qui s’y trouvent amis Ă  la premiere vue. c En entrant dans le monde, disoit un jour » M. le prĂ©sident de Montesquieu, on m’annonça » comme un homme d’esprit, & je reçus un accueil » aĂ­Tez favorable de gens en place mais lorsque , » par le succĂšs des Lettres perfannes , j’eus peut- ĂȘtre prouvĂ© que j’en avois , & que j’eus obtenu » quelque estime de la part du public , celle des gens en place se refroidit; j'essuyai mille dĂ©goĂ»ts. » Comptez , ajoutoit-il, qu’intĂ©rieurement blaistes de la rĂ©putation d’un homme cĂ©lĂ©brĂ© , c’est pour » s’en venger qu’ils Thumilient ; Si. qu’ils faut soi- » mĂȘme mĂ©riter beaucoup d'Ă©loges, pour suppor- ter patiemment l’éloge d’autrui >?. Discours II. 2,75 Le caractĂšre propre Ă  former les hommes illustres les expose donc nĂ©cessairement Ă  la haine , ou du moins Ă  FindissĂ©- rence des grands &C des hommes en place, &c surtout chez des peuples, tels que les Orientaux, qui, abrutis par la forme de leur gouvernement &c par leur religion, croupissent dans une honteuse ignorance , & tiennent, si je l’ose dire , le milieu entre l’homme & la brute. AprĂšs avoir prouvĂ© que le dĂ©faut d’es- time pour le mĂ©rite , est dans FOrient, fondĂ© fur le peu d’intĂ©rĂȘt que les peuples ont d’estimer les talents ; pour faire mieux sentir la puissance de cet intĂ©rĂȘt, appliquons ce principe Ă  des objets qui nous soient plus familiers. Qu’on examine pourquoi FintĂ©rĂȘt public , modisiĂ© selon la forme de notre gouvernement , nous donne par exemple , tant de dĂ©goĂ»t poulie genre de la dissertation ; pourquoi le ton nous en paroĂźt insupportable & l’on sentira que la dissertation est pĂ©nible Sc fatigante ; que les citoyens ayant, par la forme de notre gouvernement , moins besoin d’instruction que d’amusement, ils ne dĂ©sirent , en gĂ©nĂ©ral, que la sorte d esprit qui les rend agrĂ©ables dans un souper; qu’ils doivent, en consĂ©quence, faire peu de cas de Fesprit de raisonnement ; & ressembler tous , plus ou moins , Ă  cet '% j 6 De l’ E s p r i t. homme de la cour , qui , moins ennuyĂ© qu’embarrassĂ© des raisonnements qu’un homme sage apportoit en preuve de son opinion , s’écria vivement Ah ! monjĂŹeur , je ne veux pas qu!on me prouve. Tout doit cĂ©der chez nous Ă  l’intĂ©rĂȘt de la paresse. Si, dans la conversation, l'on ne stĂ­ sert que de phrases dĂ©cousues & hyperboliques ; fi l’exagĂ©ration est devenue l’élo- quence particuliĂšre de notre stecle & de notre nation ; silonn’y sait nul cas de la justesse & de la prĂ©cision des idĂ©es SiĂ es expressions , c'est que nous ne sommes nullement intĂ©ressĂ©s Ă  les estimer. C’est par mĂ©nagement pour cette mĂȘme- paresse que nous regardons le goĂ»t comme un don de la nature , comme un instinct supĂ©rieur Ă  toute connoissance raisonnĂ©e , &c enfin comme un sentiment vif & prompt du bon & du mauvais; sentiment qui nous dispense de tout examen, & rĂ©duit toutes les rĂ©gies de la critique aux deux seuls mots de dĂ©licieux ou de dĂ©testable. C’est Ă  cette mĂȘme paresse que nous devons aufli quelques-uns des avantages que nous avons fur les autres nations. Le peu d’habitude de l’application , qui bientĂŽt nous en rend tout-Ă -fait incapables, nous fait defirer, dans les ouvrages, une nettetĂ© qui supplĂ©e Ă  cette incapacitĂ© d’attention nous sommes des enfants qui voulons , dans nos lec- DĂŻscbtrns II. 177 tures , ĂȘtre toujours soutenus par la lisiĂšre dĂ©sordre. Un auteur doit donc maintenant se donner toutes les peines imaginables pour en Ă©pargner Ă  ses lecteurs ; il doit souvent rĂ©pĂ©ter d’aprĂšs Alexandre O AthĂ©niens , qii 'd m m coĂ»te pour ĂȘtre louĂ© de vous ! Or la nĂ©ceíßÏtĂ© d'ĂȘtre clairs pour ĂȘtre lus , nous rend , Ă  cet Ă©gard, supĂ©rieurs aux Ă©crivains Anglois fi ces derniers font peu de cas de cette clartĂ©, c’est que leurs lecteurs y font moins sensibles, & que des esprits plus exercĂ©s Ă  la fatigue de l'attention peuvent supplĂ©er plus facilement Ă  ce dĂ©faut. VoilĂ  ce qui, dans une science telle que la mĂ©taphysique , doit nous donner quelques avantages fur nos voisins. Si l’on a toujours appliquĂ© Ă  cette science le proverbe, Point de merveille fans voile , Ăšc si ses tĂ©nĂšbres l’ont rendue long-temps respectable, maintenant notre paresse n’entreprendroit plus de les percer, son obscuritĂ© la rendroit mĂ©prisable nous voulons qu’on la dĂ©pouille du langage inintelligible dont elle est encore revĂȘtue , qu’on la dĂ©gage des nuages mystĂ©rieux qui l’environnent. Or, ce dĂ©sir, qu’on ne doit qu’à la paresse, est Tunique moyen de faire une science de choses de cette mĂȘme mĂ©taphysique, qui jusqu’à prĂ©sent n’a Ă©tĂ© qu’une science de mots. Mais pour satisfaire fur ce point le goĂ»t du public y i 7 8 De l’ E s p r i t. il faut, comme le remarque Pillustre historiographe de PacadĂ©mie de Berlin, que » les esprits, brisant les entraves d’un ref- » pect trop superstitieux , connoissent les »> limites qui doivent Ă©ternellement sĂ©parer » la raison de la religion ; & que les exa- »minateurs , follement rĂ©voltĂ©s contre » tout ouvrage de raisonnement, ne con, » damnent plus la nation Ă  la frivolitĂ©.» Ce cjue j’ai dit suffit, je pense, pour nous dĂ©couvrir en mĂȘme temps la cause de notre amour pour les historiettes & les romans, de notre habiletĂ© en ce genre , de notre supĂ©rioritĂ© dans Part frivole & cependant assez difficile de dire des riens , ik. enfin de la prĂ©fĂ©rence que nous donnons Ă  Pesprit d’agrĂ©ment sur tout autre genre d’esprit ; prĂ©fĂ©rence qui nous accoutume Ă  regarder Phomme d’esprit comme divertissant, Ă  Pavilir en le confondant avec le pantomime ; prĂ©fĂ©rence enfin qui nous rend le peuple le plus galant , le plus aimable , mais le plus frivole de l’Europe. Nos moeurs donnĂ©es, nous devons ĂȘtre tels. La route de l’ambition est, par la forme de notre gouvernement, fermĂ©e Ă  la plupart des citoyens ; il ne leur reste que celle du plaisir. Entre les plaisirs, celui de l’amour est les plus vif ; pour en jouir, il faut fe rendre agrĂ©able aux femmes ; dĂšs que le besoin d’aimer fe fait Discours II. sentir , celui de plaire doit donc s’allumer en notre ame. Malheureusement, il en est des amants comme de ces insectes ailĂ©s qui prennent la couleur de l’herbe Ă  laquelle ils Rattachent; ce n’est qu’eh empruntant la ressemblance de l’objet aimĂ© , qu’un amant parvient Ă  lui plaire. Or , si les femmes , par l’éducation qu’on leur donne, doivent acquĂ©rir plus de frivolitĂ©s & de grĂące , que de force & de justesse dans les idĂ©es , nos esprits , se modelant sur les leurs , doivent, en consĂ©quence, se ressentir des mĂȘmes vices. II n’est que deux moyens de s’en garantir. Le premier , c’est de perfectionner l'Ă©ducation des femmes , de donner plus de hauteur Ă  leur ame , plus d’étendue Ă  leur esprit. Nul doute qu’on ne l’élevĂąt aux plus grandes choses, si l’on avoit l’a- mour pour prĂ©cepteur, &c que la main de la beautĂ© jetĂąt dans notre ame les semences de l’esprit & de la vertu. Le second moyen & ce n’est pas certainement celui que je conseillerois , ce seroit de dĂ©barrasser les femmes d’un reste de pudeur, dont le sacrifice les met en droit d’exiger le culte &c l’adoration perpĂ©tuelle de leurs amants. Alors les faveurs des femmes , devenues plus communes, pa- roĂźtroient moins prĂ©cieuses ; alors les hommes plus indĂ©pendants, plus sages, 1S0 De l’ E s p r r t. ne perdroient prĂšs d’elles que les heures consacrĂ©es aux plaisirs de l’amour, &c pourroient , par consĂ©quent, Ă©tendre &c fortifier leur esprit par l’étude & la mĂ©ditation. Chez tous les peuples & dans tous les pays vouĂ©s Ă  l’idolĂątrie des femmes, il faut en faire des Romaines ou des Sultanes ; le milieu entre ces deux partis est le plus dangereux. Ce que j’ai dit ci-deĂ­Tus prouve que c’est Ă  la diversitĂ© des gouvernements &, par consĂ©quent, des intĂ©rĂȘts des peuples , qu’on doit attribuer bĂ©tonnante variĂ©tĂ© de leurs caractĂšres, de leur gĂ©nie & de leur goĂ»t. Si l’on croit quelquefois apper- cevoir un point de ralliement pour l’estime gĂ©nĂ©rale ; si , par exemple, la science militaire est , chez presque tous les peuples, regardĂ©e comme la premiere ; c’est que le grand capitaine est, preĂ­qu’en tous les pays, l’homme le plus utile , du moins jusqu’à la convention dune paix universelle &c inaltĂ©rable. Cette paix une fois confirmĂ©e, on donneroit, fans contredit, aux hommes cĂ©lĂ©brĂ©s dans les sciences, les loix, les lettres & les beaux arts , la prĂ©fĂ©rence fur le plus grand capitaine du monde d’oii je conclus que l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral est, dans chaque nation, le dispensateur unique de son estime. C’est Ă  cette mĂȘme cause , comme je Discours II. vais le prouver, qu’on doit attribuer le mĂ©pris , injuste ou lĂ©gitime , mais toujours rĂ©ciproque, que les nations ont pour leurs mƓurs, leurs usages & leurs caractĂšres diffĂ©rents. CHAPITRE XXI. Le mĂ©pris respectif des nations tient Ă  V intĂ©rĂȘt de leur vanitĂ©. I L en est des nations comme des particuliers si chacun de nous se croĂźt infaillible , place la contradiction au rang des offenses, & ne peut estimer ni admirer dans autrui que son propre esprit, chaque nation n’estime pareillement dans les autres que les idĂ©es analogues aux siennes ; toute opinion contraire est donc entr’elles un germe de mĂ©pris. Qu’on jette un coup d’Ɠil rapide fur l’univers Ici, c’est l’Anglois qui nous prend pour des tĂȘtes frivoles , lorsque nous le prenons pour une tĂȘte brĂ»lĂ©e. LĂ  , c’est l’Arabe qui, persuadĂ©* de l’in- faillibilitĂ© de son calyphe , rit de la sotte crĂ©dulitĂ© du Tartare qui croit le grand lama immortel. Dans l’Afrique , c’est le Negre qui, toujours en adoration devant une racine, une patte de crabe, ou la 282 De l’ E s p r i t. corne d’un animal, ne voit dans la terre qu’une masse immense de divinitĂ©s , & se moque de la disette oĂč nous sommes de dieux ; tandis que le musulman,peu instruit, nous accuse d’en reconnoĂźtre trois. Plus loin , ce font les habitans de la montagne deBata ils font persuadĂ©s que tout homme qui mange avant fa mort un coucou rĂŽti, est un saint ;ils se moquent en consĂ©quence de l’Indien Quoi de plus ridicule, lui disent-ils, que d’approcher une vache du lit,d’un malade, & d’imaginer que , si la vache , dont on tire la queue, vient Ă  pisser, & qu’il tombe quelques gouttes de son urine sur le moribond , ce moribond , est un saint ? Quoi de plus absurde aux bramines que d’exiger de leurs nouveaux convertis que, pendant six mois, ils se tiennent pour toute nourriture Ă  la fiente de vache d J C’est toujours sur une semblable diffĂ©rence de mƓurs & de coutumes qu’est fondĂ© le mĂ©pris respectif des nations. ĂĄ ThĂ©Ăątre de VidolĂątrie , par Abraham Roger. La vache, au rapport de Vincent le Blanc, est rĂ©putĂ©e sainte & sacrĂ©e au Calicut. 11 n'est point d’ĂȘtre qui , gĂ©nĂ©ralement, ait plus de rĂ©putation de saintetĂ© il paroĂŹt que la coutume de manger, par pĂ©nitence, de la fiente de vache, est fort ancienne en Orient. Discours II. r8; C’est par ce motife que l’habitant d’An- tioche mĂ©prisoit jadis , dans f empereur Julien , cette simplicitĂ© de mƓurs & cette frugalitĂ© qui lui mĂ©ritoient l’admiration des Gaulois. La diĂ­fĂ©rence de religion & par consĂ©quent d’opinion, dĂ©terminoit , dans le mĂȘme temps, des chrĂ©tiens plus zĂ©lĂ©s que justes Ă  noircir , par les plus infĂąmes calomnies , la mĂ©moire d’un prince qui , diminuant les impĂŽts , rĂ©tablistĂ nt la discipline militaire & ranimant la vertu expirante des Romains, a st justement mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre mis au rang de leurs plus grands empereurs /. Qu’on jette les yeux de toutes parts ; tout est plein de ces injustices. Chaque nation , convaincue qu’elle feule possede la sagesse, prend toutes les autres pour folles,- & ressemble assez au Marianois -/ qui, persuadĂ© que sa langue est la seule de l’uni- e BlessĂ© de nos mĂ©pris , Je ne connois de » sauvage , dit le CaraĂŻbe , que FEuropĂ©an , qui » n’adopte aucun de mes usages ». De Vorigine & des mƓurs des CaraĂŻbes , par La Borde. / On grava Ă  Tarse sur le tombeau de Julien Ci gĂźt Julien , fui perdit la vie fur les bords du Tigre. 11 fut un excellent empereur & un vaillant guerrier. - g Voyages de la compagnie des Indes fĂ­ollan- doi/e. De t’ E s p r i t. vers , en conclut que les autres hommes ne savent pas parler. S’il descendoit du ciel un sage , qui , dans fa conduite , ne consultĂąt que les lumiĂšres de la raison ; ce sage paĂ­ieroit universellement pour fou. II seroit, dit So- crate, vis-Ă -vis des autres hommes, comme lin mĂ©decin que des pĂątissiers accuseroient, devant un tribunal d’enfants , d’avoir dĂ©fendu les pĂątĂ©s & les tartelettes, & qui sĂ»rement y paroĂźtroit coupable au premier chef. En vain appuieroit-il fes opinions fur les dĂ©monstrations les plus fortes ; toutes les nations feroient , Ă  son Ă©gard comme ce peuple de bossus chez lequel, disent les fabulistes Indiens , passa un dieu beau, ieune & bienfait ce dieu , ajouĂ­ent-ils , entre dans la capitale ; il s’y volt environnĂ© d’une multitude d’habitants ; fa figure leur paroĂźt extraordinaire ; les ris & les bro- cars annoncent leur Ă©tonnement on al- loit pousser plus loin les outrages, fi, pour l'arracher Ă  ce danger, un des habitants, qui fans doute avoit vu d’autres hommes que des bossus , ne se fĂ»t tout-Ă -coup Ă©criĂ© HĂ© 1 mes amis, qu’allons-nous faire ? H'insultons point ce malheureux contrefait si le ciel nous a fait Ă  tous le don de la beautĂ©, s’il a ornĂ© notre dos d’une montagne de chair ; pleins de reconnoissance pour les immortels , allons au temple en rendre Discours II. 28; grĂąces aux Dieux. Cette fable est Fhistoire de la vanitĂ© humaine. Tout peuple admire ses dĂ©fauts , & mĂ©prise les qualitĂ©s contraires pour rĂ©ussir dans un pays , il faut ĂȘtre porteur de la bosse de la nation chez laquelle on voyage. 11 est, dans chaque pays, peu d’avocats qui plaident la cause des nations voisines, peu d’hommes qui reconnoissent en eux le ridicule dont ils accusent l’étranger ; & qui prennent exemple sur je ne sais quelTar- tare qui fit , Ă  ce sujet , adroitement rougir le grand lama lui-mĂȘme de son injustice. Ce Tartare avoit parcouru le Nord^ visitĂ© le pays desLappons, & mĂȘme achetĂ© du vent de leurs sorciers h . De retour en son pays , il raconte ses aventures le grand lama veut les entendre il pĂąme de rire Ă  ce rĂ©cit. De quelle folie , di- soit-il, l’esprit humain n’est-ilpas capable ! que de coutumes bizarres ! quelle crĂ©dulitĂ© dans lesLappons ! Sont-ce des hommes? Oui, vraiment, rĂ©pondit le Tartare Apprends mĂȘme quelque chose de plus Ă©trange ; c’est que ces Lappons , si ridicules A Les Lappons ont des sorciers qui vendent aux voyageurs des cordelettes , dont le nƓud, dĂ©liĂ© Ă  certaine hauteur , doit donner un certain vent. r86 D e ^l’ Esprit. avec leurs sorciers , ne rient pas moins de notre crĂ©dulitĂ© que tu ris de la leur. Impie ! rĂ©pond le grand lama , oses-tu bien prononcer ce blasphĂ©mĂ© , & comparer ma religion avec la leur } Pere Ă©ternel, reprit le Tartare , avant cjue l’imposition sacrĂ©e de ta main sur ma tete m’ait lavĂ© de mon pĂ©chĂ© , je te reprĂ©senterai que , par tes ris, tu ne dois pas engager tes sujets Ă  faire un profane usage de leur raison. Si l’oeil sĂ©vere de l’examen & du doute se portoit sur tous les objets de la croyance humaine , qui fait Ă­i ton culte mĂȘme se- roit Ă  l’abri des railleries de l’incrĂ©dule ? Peut-ĂȘtre que ta sainte urine & tes saints excrĂ©ments , que tu distribues en prĂ©sent aux princes de la terre, leur paroĂźtroient moins prĂ©cieux ; & peut-ĂȘtre n’y trouveroient- ils plus la mĂȘme saveur i , n’en saupou- dreroient-ils plus leurs ragoĂ»ts , &c n’en mĂȘleroient-ils plus dans leurs fausses. DĂ©jĂ  l’impiĂ©tĂ© nie Ă  la Chine les neuf incarnations de Visthnou. Toi , dont la vue embrasse le passĂ© , le prĂ©sent &i l’avenir , tu nous Tas rĂ©pĂ©tĂ© souvent ; c’est au talisman d’une croyance aveugle que tu dois i On donne au grand lama le nom de pere Ă©ternel. Les princes font friands de ses excrĂ©ments. Histoire gĂ©nĂ©rale des voyages , tome VIL Discours II. 287 ton immortalitĂ© & ta puissance sur la terre sans la soumission entiere Ă  tes dogmes , obligĂ© de quitter ce sĂ©jour de tĂ©nĂšbres, tu remonterois au ciel, ta patrie. Tu lais que les lamas , soumis Ă  ta puissance, doivent un jour t'Ă©lever des autels dans toutes les parties du monde qui peut t assurer qu’ils exĂ©cutent ce projet fans le secours de la crĂ©dulitĂ© humaine ; & que, fans elle, l’exa- men toujours impie, ne prĂźt les lamas pour des sorciers Lappons qui vendent du vent aux sots qui l’achetent ? Excuse donc, ĂŽ Fo vivant, les dicours que me dicte l’intĂ©rĂȘt de ton culte ; & que le T artare apprenne de roi Ă  respecter l’ignorance & la crĂ©dulitĂ© dont le ciel, toujours impĂ©nĂ©trable dans ses vues, paroĂźt se lervir pour te soumettre la terre. Peu d’hommes font , Ă  cet exemple , sentir Ă  leur nation le ridicule dont elle se couvre aux yeux de la raison, lorsque, sous un nom Ă©tranger , elle rit de fa propre folie -mais il est encore moins de nations qui sussent profiter de pareils avis. Toutes font si scrupuleusement attachĂ©es Ă  l’intĂ©rĂȘt de leur vanitĂ© , qu’en tout pays l’on ne donnera jamais le nom de sage qu’à ceux qui , comme disoit M. de Fon- tcnellĂš, sontfous de la folie commune . Quelque bizarre que soit une fable, elle est toujours crue de quelques nations ;& quiconque en doute , est traitĂ© de fou par cetÂŁc 283 De l’ E s p r i t. mĂȘme nation. Dans le royaume de Juida, oĂč l’on adore le serpent , quel homme oseroit nier le conte que les Marabous font d’un cochon qui, disent-ils , insulta Ă  la divinitĂ© du serpent k & le mangea. Un saint Marabou , ajoutent-iĂ­s , s’en ap- perçoit, en porte ses plaintes au roi. Sur le champ , arrĂȘt de mort contre tous les cochons l’exĂ©cution s’ensuit ; & la race en alloit ĂȘtre anĂ©antie , lorsque les peuples reprĂ©senteront au roi, que pour un coupable , il n’étoit pas juste de punir tant d’innocents ces remontrances suspendent la colere du prince , on appaise le grand Marabou, le massacre cesse ; & les cochons ont ordre , Ă  l’avenir , d’ĂȘtre plus respectueux envers la divinitĂ©. VoilĂ  s’écrient les Marabous , comme le serpent sait allumer la colere des rois, pour se venger des impies que l’univers reconnoisse fa divinitĂ© , Ă  son temple, Ă  son sacrificateur , Ă  Tordre de Marabou destinĂ© Ă  le servir , enfin aux vierges consacrĂ©es Ă  son culte. Si, retirĂ© au fond de son sanctuaire , le dieu serpent, invisible aux yeux mĂȘme du roi, ne reçoit ses demandes ÒC ne rend les rĂ©ponses que par Torgane des prĂȘtres ce n’est point aux mortels Ă  porter fur ces A Voyages de GuinĂ©e 6> de la Cayenne , par le pers Labat, mystĂšres Discours II. 189 mystĂšres un Ɠil profane leur devois est -de croire, de se prosterner & d’a- dorer. En Asie , au contraire , lorsque les Perses , tout souillĂ©s a du sang des serpents immolĂ©s au dieu du Bien, couroient au temple des mages se vanter de cet acte de piĂ©tĂ© , s’imagine-t-on qu’un homme qui les auroit arrĂȘtĂ©s pour leur prouver le ridicule de leur opinion en eĂ»t Ă©tĂ© bien reçu ? Plus une opinion est folle, plus il est honnĂȘte & dangereux d’en dĂ©montrer la folie. Austi M. de FontenelĂ­e a-t-il toujours rĂ©pĂ©tĂ©, que s'iltenoit toutes les vĂ©ritĂ©s dans fa main , il Je garderoit Hen de Couvrir pour les montrer aux hommes. En effet , fi la dĂ©couverte d’une feule , a , dans l’Europe mĂȘme , fait traĂźner 6aidĂ©e dans les prisons de l’inquisition , Ă  quel supplice ne con- damneroit-on pas celui qui les rĂ©vĂ©leroit toutes b} Parmi les lecteurs raisonnables qui rient 4 BeauĂ­obre. Hifloire du ManichĂ©isme. Ă© Penser, dit Aristippe, c’est s’attiirer la haina irrĂ©conciliable des ignorants, des foibles , des superstitieux & des hommes corrompus , qui tous se dĂ©clarent hautement-contre tous ceux qui veulent saisir, dans les choses , ce qu’il y a de vrai & d’effentiel. Tom. I. N ĂŹoç De l’ E s p r i t. dans cet instant de la sottise de l’esprit humain , te qui s’indignent du traitement fait Ă  GalilĂ©e , peut-ĂȘtre n’en est-il aucun qui, dans Ă­estecledece philosophe, n’en eut sollicitĂ© la mort. Ils eussent alors eu des opinions diffĂ©rentes te dans quelles cruautĂ©s ne nous prĂ©cipite pas le barbare & fanatique attachement pour nos opinions ? Combien cet attachement n’a-t-il pas semĂ© de maux sur la terre ? attachement cependant dont il seroit Ă©galement juste , utile & facile de se dĂ©faire. Pour apprendre Ă  douter de ses opinions , il suffit d’examiner les forces de son esprit, de considĂ©rer le tableau des sottises , humaines , de se rappelles que ce fut six cents ans aprĂšs RĂ©tablissement des universitĂ©s qu’il en sortit enfin un homme extraordinaire c , que son siecle persĂ©cuta , & mit ensuite au rang des demi- dieux , pour avoir enseignĂ© aux hommes Ă  rĂ©admettre pour vrai que les principes dont ils auroient des idĂ©es claires ; vĂ©ritĂ© dont peu de gens sentent toute l’étendue pour la plupart des hommes , les principes ne renferment point de consĂ©quence. Quelle que soit la vanitĂ© des hommes ; il est certain que , s’ils se rappelloient se Descartes, Discours k I. 291 souvent de pareiĂ­s faits, fi, comme M. de Fontencile , ils se disoient souvent Ă  eux- mĂ©mes Personne rf Ă©chappe Ă  P erreur ^seroĂŻs- je le seul homme infaillible ? ne feroit-ce pas dans les choses mĂȘmes que je soutiens avec le plus de fanatisme , que je me trompetois ? Si les hommes avoient cette idĂ©e habituellement prĂ©sente Ă  l'esprit, ils seroient plus en garde contre la vanitĂ© , plus attentifs aux objections de leurs adversaires , plus Ă  portĂ©e d’appercevoir la vĂ©ritĂ© ; ils seroient plus doux , plus tolĂ©rants , & fans doute auroient une moins haute opinion de leur sagesse. Socrate rĂ©pĂ©toit souvent Tout ce que je fais , dĂ©fi que je m fais rien. On sait tout dans notre siecle , exceptĂ© ce que Socrate savoit. Les hommes ne se surprennent si souvent en erreur, qĂșe parce qu’ils font ignorants ; &c qu’en gĂ©nĂ©ral leur folie la plus incurable, c’est de se croire sages. Cette folie , commune Ă  toutes les nations & produite en partie par leur vanitĂ©, leur fait non seulement mĂ©priser les mƓurs ÔC les usages diffĂ©rents des leurs, mais leur fait encore regarder comme un don de la nature la supĂ©rioritĂ© que quelques-unes d’entr’elles ont fur les autres supĂ©rioritĂ© qu'elles ne doivent qu’à la constitution^ politique de leur Ă©tat. LYL De l’ E s p r i t. CHAPITRE XXII. Pourquoi les nations mettent au rang des dons de la nature les qualitĂ©s qu!elles ne doivent qu!Ă  la forme de leur gouvernement. L A vanitĂ© est encore le principe de cette erreur & quelle nation peut triompher d’une pareille erreur ? Supposons , pour en donner un exemple, qu’un François accoutumĂ© Ă  parler assez librement, Ă  rencontrer çà & lĂ  quelques hommes vraiment citoyens, quitte Paris , & dĂ©barque Ă  Constantinople ; quelle idĂ©e se forme- ra-t-il des pays soumis au despotisme , lorsqu'il considĂ©rera l’avilissement oĂč s’y trouve l’humanitĂ© ? qu’il appercevra partout l’cmpreinte de l’elclavage ? qu’il verra la tyrannie infecter de son souffle les germes de tous les talents & de toutes les vertus , porter l’abratist'enient , la crainte servile & la dĂ©population du Caucase jus- qu’à l’Egypte ; qu’enfin il apprendra qu’en- fermĂ© dans son sĂ©rail, tandis que le Persan bat ses troupes ravage ses provinces , le tranquille sultan , indiffĂ©rent aux calamitĂ©s publiques, boit son sorbet, caresse Discours II. ses femmes , fait Ă©trangler ses bachas & s’ennuie ? FrappĂ© de la lĂąchetĂ© & de la servitude de ses peuples , Ă  la fois animĂ© du sentiment de l’orgueil & de l’indignation ; quel François ne se croira pas d’une nature supĂ©rieure au Turc ? En est-il beaucoup qui sentent que le mĂ©pris pour une nation est toujours un mĂ©pris injuste ? que c’est de la forme plus ou moins heureuse des gouvernements que dĂ©pend la supĂ©rioritĂ© d’un peuple sur un autre ? & qu’enfin ce Turc peut lui faire la mĂȘme rĂ©ponse qu’un Perse fit Ă  un soldat LacĂ©dĂ©monien , qui lui reprochoit la lĂąchetĂ© de sa nation Pourquoi m’insuiter ? lui difoit-il ; sache qu’il n’est plus de nation partout oĂč l'on reconnoĂźt un maĂźtre absolu. Un roi est PĂąme universelle d’un Ă©tat despotique ; c’est son courage ou sa faiblesse qui fait languir ou qui vivifie cet empire. Vainqueurs fous Cy rus , st nous sommes vaincus fous Xerxes, c’est que Cyrus eut Ă  fonder le trĂŽne oĂč XercĂ©s s’est astis en naissant ; c’est que Cyrus eut, en naissant, des Ă©gaux ; c’est que XerxĂ©s fut toujours environnĂ© d’efclaves & les plus vils, tu le fais , habitent le palais des rois. C’est donc la lie de la nation que tu vois aux premiers postes ; c’est l’écume des mers qui s’est Ă©levĂ©e fur leur surface. Reconnois l’injutĂŹice de tes mĂ©pris ; Sc st tu en doutes , donnes-nous N iij De l’ E s p r i t. les loix de Sparte , prends XerxĂ©s pouf maĂźtre ; tu feras le lĂąche , & moi le hĂ©ros. Rappellons-nous le moment oĂč le cri de la guerre avoit rĂ©veillĂ© toutes les nations de l’Europe , oĂźi son tonnerre le faisoit entendre du nord au midi de la France {d supposons qu’en ce moment un rĂ©publicain , encore tout Ă©chauffĂ© de l’esprit de citoyen , arrive Ă  Paris , &; se prĂ©sente dans la bonne compagnie ; quelle surprise pour lui de voir chacun y traiter avec indiffĂ©rence les affaires publiques , & ne s’y occuper vivement que d’une mode , d’une histoire galante, ou d’un petit chien ! FrappĂ© , Ă  cet Ă©gard , de la diffĂ©rence qui se trouve entre notre nation &c la sienne , il n’est presque point d’Anglois qui ne se croie un ĂȘtre d’une nature supĂ©rieure ; qui ne prenne les François pour des tĂȘtes frivoles , & la France pour le Royaume Babiole ce n’est pas qu’il ne pĂ»t facilement s’appercevoir que c’estnon feulement Ă  la forme de leur gouvernement que ces compatriotes doivent cet esprit de patriotisme &c d’élĂ©vation inconnu Ă  tout autre pays qu’aux pays libres , mais qu’ils le doivent encore Ă ' la position physique de l’Angleterre. i Dans la derniere guerre , lorsque les ennemis entrerent en Provence. Discours II. 195 En effet, pour sentir que cette libertĂ© , dont les Anglois font Ă­i fiers &c qui renferme rĂ©ellement le germe de tant de vertus , est moins le prix de leur courage qu’un don du hazard, considĂ©rons le nombre infini de factions qui jadis ont dĂ©chirĂ© l’Angleterre &c l'on fera convaincu que , fi les mers , en embrassant cet empire , ne l’eustent rendu inaccessible aux peuples voisins , ces peuples , en profitant des divisions des Anglois , ou les eussent subjuguĂ©s , ou du moins eussent fourni Ă  leurs rois des moyens de les asservir ; & qu’ainsi leur libertĂ© n’est point le fruit de leur sagesse. Si , comme ils le prĂ©tendent, ils ne la tenoient que d’une fermetĂ© & d’une prudence particuliĂšre Ă  leur nation ; aprĂšs le crime affreux commis dans la personne de Charles I, n’auroient-ils pas du moins tirĂ© de ce crime le parti le plus avantageux ? Auroient-ils souffert que, par des services & des processions publiques , on mĂźt au rang des martyrs un prince qu’il Ă©toit de leur intĂ©rĂȘt , disent quelques-uns d’entr’eux , de faire regarder comme une victime immolĂ©e au bien gĂ©nĂ©ral ; & dont le supplice , nĂ©cessaire au monde , devoit Ă  jamais Ă©pouvanter quiconque entrepren- droit de soumettre les peuples Ă  une autoritĂ© arbitraire & tyrannique? Tout Anglois sensĂ© conviendra donc que c’est Ă  la N iv '2,96 D e l’ E s p r i t. position physique de son pays qu’il doit la libertĂ© , que la forme de son gouvernement ne pourroit subsister telle qu’elle est, en terre ferme, sans ĂȘtre infiniment perfectionnĂ©e, Ăšc que Tunique &c lĂ©gitime sujet de son orgueilĂ­ĂȘrĂ©duit au bonheur d’ĂȘtre nĂ© insulaire plutĂŽt qu’habitant du continent. Un particulier fera sans doute un pareil aveu, mais jamais un peuple. Jamais un peuple ne donnera Ă  fa vanitĂ© les entraves de la raison plus d’équitĂ© dans ses jugements supposeroit une suspension d’esprit , trop rare dans les particuliers, pour la trouver jamais dans une nation. Chaque peuple mettra donc toujours au rang des dons de la nature les vertus qu’il tient de la forme de son gouvernement. L’intĂ©rĂȘt de sa vanitĂ© le lui conseillera &c qui rĂ©siste au conseil de TintĂ©rĂȘtĂź i La conclusion gĂ©nĂ©rale de ce que j’ai dit de l’esprit considĂ©rĂ© par rapport aux pays divers , c’est que TintĂ©rĂȘt est le dispensateur unique de T estime ou du mĂ©pris que les nations ont pour leurs moeurs, leurs coutumes & leurs genres d’esprit diffĂ©repts. La feule objection qu’on puisse oppose}- Ă  cette conclusion, est celle-çi st TintĂ©rĂȘt, dira-t-on , Ă©toit le seul dispensateur de Tes- time accordĂ©e aux diffĂ©rents genres de science d’esprit, pourquoila morale, utile Discours II. 197 Ă  toutes les nations , n’est-elle pas la plus honorĂ©e ? Pourquoi le nom des DeĂ­cartes , des Newton est-il plus cĂ©lĂ©brĂ© que ceux des Nicole , des La Brtiycre & de tous les moralistes , qui peut-ĂȘtre ont, dans leurs ouvrages , fait preuve d’autant d’efprit ? C’est , rĂ©pondrai-je , que les grands physiciens ont , par leurs dĂ©couvertes , quelquefois servi Ă  Funivefs ; & que la plupart des moralistes n’ont Ă©tĂ© , jufqu’à prĂȘtent , d’aucun secours Ă  l’humanitĂ©. Que lĂȘrt de rĂ©pĂ©ter fans cesse qu’il est beau de mourir pour la patrie ? Un apophtegme ne fait point un hĂ©ros. Pour mĂ©riter l-’es- time, les moralistes dĂ©voient employer , Ă  la recherche des moyens propres Ă  foi> mer des hommes braves &c vertueux , vĂ©ritĂ© a une infinitĂ© de faces , fous lesquelles on » peut l’envifager. Dieu a gravĂ© dans tous les ,> cƓurs du respect pour ses attributs ; mais chacun ,> est le maĂźtre de tĂ©moigner ce respect de la ma- » niere qu’il croit la plus agrĂ©able Ă  la divinitĂ© » personne n’est en droit de le gĂȘner sur ce point ». Saint GrĂ©goire de Nazianze estimoit beaucoup ce ThĂ©miste ; c’est Ă  lui qu’il Ă©crit Vous ĂȘtes le » seul, ĂŽ ThĂ©miste , qui luttiez contre la dĂ©ca- » dence des lettres vous ĂȘtes Ă  la tĂȘte des gens » Ă©clairĂ©s ; vous savez philosopher dans les plus » hautes places , joindre l’étude ju pouvoir , & w les dignitĂ©s Ă  la science. Discours II. 311 & n’essaieroit point de fonder la probitĂ©, non sur des principes auĂ­li respectables que ceux de la religion , mais fur des principes dont il soit moins facile d’abufer , eels que sont les motifs d’intĂ©rĂȘts personnels ? Sans ĂȘtre contraires aux principes de notre religion , ces motifs suffisent pour nĂ©cessiter les hommes Ă  la vertu. La religion des paĂŻens, en peuplant l’olympe de scĂ©lĂ©rats, Ă©toit fans contredit moins propre que la nĂŽtre Ă  former des hommes justes qui peut cependant douter que les premiers Romains n’aient Ă©tĂ© plus vertueux que nous ? qui peut nier que les marĂ©chaussĂ©es n’aient dĂ©sarmĂ© plus de brigands que la religion ? que l’Italien , plus dĂ©vot que le François, n’ait, le chapelet en main , fait plus d’ufage du stylet &c du poison ? & que, dans les temps oĂč la dĂ©votion est plus ardente &c la police plus imparfaite , il ne fe commette infiniment plus de crimes h que dans les Ă­iecles oĂč la dĂ©votion s’attiĂ©dit &c la police fe perfectionne ? A II est peu de gens que la religion retienne.' Que de crimes commis mĂȘme par ceux qui font chargĂ©s de nous guider dans les voies du salut ! La saint BarthĂ©lĂ©my, l'astastĂŻnat de Heuri III, le massacre des templiers, ctc, Sec, en sont la preuve. o y z 2. L De l’ E s p r i t. C’est donc uniquement par de bonnes loix i qu’on peut former des hommes i Eusebe , PrĂ©paration Ă©vangĂ©lique , lĂŹv. VI i chap. to , rapporte ce fragment remarquable d’un philosophe Syrien , nommĂ© Bardezanes ApuĂą Seras , lex est quacades , fcortatio ,fnrtum & fimu- lachrorum cultus omnis prohibetur q quare in am- plijstma regione , non templum videas , non lenam , non meretricem , non adultĂ©rant , non furem in jus Tapturn , non komicidam , non toxicum. Chez s> les Seres , la loi dĂ©fend le meurtre , la fornica- » tion , le vol, & toute efpece de culte religieux ; 3 de forte que dans cette vaste rĂ©gion , on ne volt >? ni temple , ni adultĂ©rĂ© , ni maquerelle , ni fille 3 de joie , ni voleur, ni assassin, ni empoisonneur». Preuve que les loix suffisent pour contenir les hommes. On ne finiroit point , fi l’on vouloir donner la liste de tous les peuples qui, fans idĂ©e de Dieu , ne laissent pas de vivre en sociĂ©tĂ© , & plus ou moins heureusement, selon l'habiletĂ© plus ou moins grande de leur lĂ©gistateur. Je ne citerai que les noms de ceux qui , les premiers , s’offriront Ă  ma mĂ©moire. Les Marianois , avant qu’on leur prĂȘchĂąt l’é- vangile, n’avoient, dit le pere Jobien JĂ©suite, ni autels , ni temples , ni sacrifices , ni prĂȘtres ils avoient seulement chez eux quelques fourbes, nommĂ©s macanas , qui prĂ©diloient l’avenir. 11s croient cependant un enfer & un paradis l’enfer est une fournaise oĂč le diable bat les Ăąmes avec un marteau , comme le fer dans la forge le paradis est un lieu plein de coco, de sucre &. de femmes. Çe n’est ni le crime ni la vertu qui ouvrent l’enler. N Discours II. 313 vertueux. Tout l’art du lĂ©gislateur consiste donc Ă  forcer les hommes, par le senti- ou le paradis ; ceux qui meurent d’une mort violente ont l’enfer pour partage , & les autres le paradis. Le pere Jobien ajoute qu’au sud des iĂ­les Ma- riannes , sont trente-deux iĂ­les habitĂ©es par des peuples qui n’ont absolument ni religion , ni con- noiĂ­Ăźance de la divinitĂ©, & qui ne s occupent qu’à boire, manger , &c. Les CaraĂŻbes , au rapport de la Borde , employĂ© Ă  leur conversion, n’ont ni prĂȘtres , ni autels , ni sacrifices , ni idĂ©e de la divinitĂ©. 11s veulent ĂȘtre bien payĂ©s par ceux qui veulent les faire chrĂ©tiens. Ils croient que le premier homme , nommĂ© Longuo, avoir un gros nombril d’oĂč sortirent les hommes. Ce Longuo est le premier agent ; il avoir fait la' terre lans montages, qui, selon eux , fut l’ouvrage d’un dĂ©luge. L’Envie fut une des premieres crĂ©atures ; elle rĂ©pandit beaucoup de maux fur la terre elle ie croyoit trĂšs-belle ; mais ayant vu le soleil , elle alla se cacher & ne parut plus que de nuit. Les Chiriguanes ne reconnoissent aucune divinitĂ©. Lttt. Ăšdif. recueil 24. Les Giagues , selon le pere Cavassy, ne recon- noiffent aucun ĂȘtre distinct de la matiĂšre, & n’ont pas mĂȘme, dans leur'langue, de mot pour exprimer cette idĂ©e leur seul culte est celui de leurs’ ancĂȘtres , qu’ils croient toujours vivants ils s'imaginent que leur prince commande Ă  la pluie. Dans l’índoustan, dit k pere Pons jĂ©suite, il est tine secte de brachmanes qui pense que sesprit s’u- nit Ă  la matiĂšre & s’y embarrasse ; qlte la sagesse , qui purifie saine , & qui- n’est autre chose que la science de la vĂ©ritĂ© , produit la dĂ©livrance de set. 314 De l’ E s p r i t. ment de l’amour d’eux-mĂȘines, d’ĂȘtre toujours justes les uns envers les autres. Or, pour composer de pareilles loix , il faut connoĂźtre le cƓur humain ; & prĂ©limi- nairement savoir que les hommes , sensibles pour eux seuls, indiffĂ©ĂŻents pour les autres, ne font nĂ©s ni bons ni mĂ©chants, mais prĂȘts Ă  ĂȘtre 1 un ou l’autre , selon 3 u’un intĂ©rĂȘt commun les rĂ©unit ou les ivise ; que le sentiment de prĂ©fĂ©rence que chacun Ă©prouve pour soi, sentiment auquel est attachĂ© la conservation de l’cs- pece , est gravĂ© par la nature d’une maniĂ©rĂ© ineffaçable & ; que la sensibilitĂ© physique a produit en nous l’amour du plaisir & la haine de la douleur ; que le plaisir & la douleur ont ensuite dĂ©posĂ© & fait Ă©clorre dans tous les cƓurs le germe prit , par le moyen de l’analyse. Or , l’eĂ­prĂ­t , selon ces brachmanes , se dĂ©gage tantĂŽt d’une forme , tantĂŽt d’une qualitĂ© , par ces trois vĂ©ritĂ©s Je ne fuis en aucune chose , aucune chose ne fl en moi, le moi ne fl point. Lorsque l’esprit sera dĂ©livrĂ© de toutes ses formes , voilĂ  la fin du monde. Ils ajoutent que , loin d’aider l’esprit Ă  se dĂ©gager de ses formes, les religions ne font que serrer les liens dans lesquels il s’embarrasse. h Le soldat & le corsaire dĂ©sirent k guerre ; ĂŽt personne ne leur en sait un crime. On sent qu’à cet Ă©gard leur iatçrçt ti’sst point aile z liĂ© Ă  l’intĂ©rĂȘĂź gĂ©nĂ©ral. Discours II. zrs de l’amour de soi, dont le dĂ©veloppement a donnĂ© naissance aux pallions , d’oĂč font sortis tous nos vices Sc toutes nos vertus. C’est par la mĂ©ditation de ces idĂ©es prĂ©liminaires , qu’on apprend pourquoi les pallions „ dont l’arbre dĂ©fendu n’est, selon quelques rabbins, qu’une ingĂ©nieuse image, portent Ă©galement fur leur tige les fruits du bien Sc du mal ; qu’on apperçoit le mĂ©cha- nisme qu’elles emploient Ă  la production de nos vices Sc de nos vertus ; Sc qu’enfĂźn un lĂ©gislateur dĂ©couvre le moyen de nĂ©cessiter les hommes Ă  la probitĂ©, en forçant les passions Ă  ne porter, que des fruits de vertu Sc de sagesse. Or si Pexamen de ces idĂ©es, propres Ă  rendre les hommes vertueux, nous est interdit par les deux espeees d’hommes puissants cites ci-dessus, Tunique moyen de hĂąter les progrĂšs de la morale seroit donc, comme je l’ai dit plus haut, de faire voir , dans ces protecteurs de la stupiditĂ© , les plus cruels ennemis de ThumanitĂ© ; de leur arracher le sceptre qu’ils tiennent de Pigno- rance, Sc dont ils se servent pour commander aux peuples abrutis. Sur quoi j’ob- serverai que ce moyen simple Sc facile dans la spĂ©culation , est trĂšs-difficile dans TexĂ©cution ; non qu’il ne naisse des hommes -qui j Ă  des esprits vastes Sc lumineux , 316 De l’ E s p r i t. unissent des Ăąmes fortes & vertueuses. Il est des hommes qui, persuadĂ©s qu’un citoyen fans courage est un 'citoyen fans vertu, sentent que les biens & la vie mĂȘme d’un particulier ne font, pour ainsi dire, entre les mains , cju’un dĂ©pĂŽt qu’il doit toujours ĂȘtre prĂȘt de restituer, lorsque le salut du public l’cxige mais de pareils hommes font toujours en trop petit nombre, pour Ă©clairer le public; d’ailleurs, la vertu est toujours fans force, lorsque les mƓurs d’un fiecle y attachent la rouille du ridicule. Aussi la mĂČrale & la lĂ©gislation , que je regarde comme une feule & mĂȘme science, ne feront-elles que des progrĂšs insensibles. C’est uniquement le laps du temps qui pourra rappeller ces siĂ©cles heureux, dĂ©signĂ©s par les noms d’AslrĂ©e ou de RhĂ©e , qui n’étoient que l’ingĂ©nieux emblĂšme de la perfection de ces deux sciences. *GJ0Ă­GK Discours II. 317 CHAPITRE XXV. De la probitĂ© , par rapport Ă  t univers. S ’i L existoit une probitĂ© par rapport Ă  Funivers, cette probitĂ© ne seroit que l’habitude des actions utiles Ă  toutes les nations or il n’est point d’action qui puisse immĂ©diatement influer fur le bonheur ou le malheur de tous les peuples. L’action Ja plus gĂ©nĂ©reuse, par le bienfait de l’exemple, ne produit pas , dans le monde moral, un effet plus sensible que la pierre , jettĂ©e dans l’ocĂ©an , n’en produit lur les mers, dont elle Ă©leve nĂ©cessairement la surface. II n’est donc point de probitĂ© pratique, par rapport Ă  Funivers. A l’égard de la probitĂ© d’intention , qui fe rĂ©duiroit au dĂ©sir constant & habituel du bonheur des hommes, & par consĂ©quent au vƓu simple Ă­k vague de la fĂ©licitĂ© universelle, je dis que cette espece de probitĂ© n’est encore qu’une chimere platonicienne. En effet, si l’opposition des intĂ©rĂȘts des peuples les tient, les uns Ă  l’égard des autres, clans un Ă©tat de guerre perpĂ©tuelle ; si les paix conclues entre les nations ne font proprement que des trĂȘves comparables au temps qu’a- prĂšs un long combat deux vaisseaux prçn» I 'z 2,8 De l’ E s p r i t. nent pour se ragrĂ©er & recommencer Fat-' laque ; si les nations nĂ« peuvent Ă©tendre leurs conquĂȘtes & leur commerce qu’aux dĂ©pens de leurs voisins ; enfin si la fĂ©licitĂ© & l’agrandiflement d’un peuple est presque toujours attachĂ© au malheur & Ă  l’affoi- bliffement d’un autre ; il est Ă©vident que la passion du patriotisme , passion fi dĂ©sirable , si vertueuse & si estimable dans un citoyen, est , comme le prouve l’exemple des Grecs & des Romains , absolument exclusive de l’amour universel. II faudroit pour donner l’ĂȘtre Ă  cette espece de probitĂ©, que les nations , par des loix & des conventions rĂ©ciproques , S'unissent entr’elles , comme les familles qui composent un Ă©tat ; que l’intĂ©rĂȘt particulier des nations fut soumis Ă  un intĂ©rĂȘt plus gĂ©nĂ©ral ; & qu’enfin l’amour de la patrie, en s’éteignant dans les cƓurs, y allumĂąt le feu de l’amour universel supposition qui ne se rĂ©alisera de long-temps. D’oĂč je conclus qu’il ne peut y avoir de probitĂ© pratique , ni mĂȘme de probitĂ© d’in- tention , par rapport Ă  l’univers ; & c’est en ce point que l’esprit diffĂ©rĂ© de la probitĂ©. En effet, si Ăźes actions d’un particulier ne peuvent en rien contribuer au bonheur universel, Lc si les influences de fa vertu ne peuvent sensiblement Retendre au-delĂč Discours II. 329 des limites d’un empire, il n’en est pas ainlĂŹ de ses idĂ©es qu’un homme dĂ©couvre un spĂ©cifique, qu’il invente une machine, telle qu’un moulin Ă  vent, ces productions de son esprit peuvent en faire un bienfaiteur du monde /Ă­ D’ailleurs , en matiĂšre d’esprit, comme en matiĂšre de probitĂ©, Pamour de la patrie n’est point exclusif de l’amour universel. Ce n’est point aux dĂ©pens de ses voisins qu’un peuple acquiert des lumiĂšres ail contraire, plus les nations font Ă©clairĂ©es, plus elles se rĂ©flĂ©chissent rĂ©ciproquement d’idĂ©es , & plus la force & l'activitĂ© de l'esprit universel s’augmente. D’oii je conclus que - s’il n’est point de probitĂ© rcla- / Aussi l’esprit est-il le premier des avantages 7 & peut-il infiniment plus contribuer au bonheur des hommes que la vertu d’un particulier. C’est Ă  l’es- prit qu’il est rĂ©servĂ© d’établir la meilleure lĂ©gislation , de rendre par consĂ©quent les hommes le plus heureux qu’il est possible. II est vrai que mĂȘme le roman de cette lĂ©gislation n’est pas encore fait, & qu’il s’écoulera bien des siĂ©cles avant qu’on en rĂ©alise la fiction mais enfin, en s’armant de la patience de M. l’abbĂ© de Saint Pierre , on peut prĂ©dire d’a- prĂšs lui que tout l’imaginable existera. II Ă­autĂźnen que tous les hommes sentent confusĂ©ment que l’esprit est le premier des dons , puisque l’envie permet Ă  chacun d’ĂȘtre le panĂ©gyriste de sa probitĂ©, ct non de son esprit, 33 o D r l’ E s p r i t. tive Ă  l’univers, il est dujnoins certains genres d’esprit qu’on peut considĂ©rer sous cetiĂĄĂ­pect. CHAPITRE XXVI. De t esprit , par rapport Ă  tunivers, L 'Esprit, considĂ©rĂ© sous cc point de vue, ne fera , conformĂ©ment aux dĂ©finitions prĂ©cĂ©dentes , que l’habitude des idĂ©es intĂ©ressantes pour tous les peuples, soit conĂŹrfiC . soit comme agrĂ©ables. Ce genre d’esprit est , sans contredit le plus dĂ©sirable. II n’est aucun temps oĂč l’espece d’idĂ©es rĂ©putĂ©e esprit par tous lĂšs peuples , ne soit vraiment digne de. ce nom. II n’en est pas ainsi du genre d’idĂ©es , auquel une nation donne quelquefois le nom d’esprit. II est , pour chaque nation, un temps de stupiditĂ© & d’aviliffement, pendant lequel elle n’a point d’idĂ©es nettes de l’esprit ; elle prodigue ce nom Ă  certains assemblages d’idĂ©es Ă  la mode , &c toujours ridicules aux yeux de la postĂ©ritĂ© ces siĂ©cles d’avilissement font ordinairement ceux du despotisme. Alors, dit un poĂšte , Dieu prive les nations de la moitiĂ© de leur intelligence , pour les endurcir Discours II. 33 Ăź contre les misĂšres & le supplice de la servitude. Parmi les idĂ©es propres Ă  plaire Ă  tous les peuples , il en est d’instructives ; ce font celles qui appartiennent Ă  certains genres de science 6c d’art mais il en est ausil d’agrĂ©ables , telles font , premiĂšrement , les idĂ©es 6c les sentiments admirĂ©s dans certains morceaux d’Homere , de Virgile , de Corneille , du Tasse , de Milton ; dans lesquels, comme je Tai dĂ©jĂ  dit , ces illustres Ă©crivains ne 'arrĂȘtent point Ă  la peinture d’une nation ou tfun stecle en particulier, mais Ă  celle de l’hu- manit'Ă© ; telles font, en second lieu , les grandes images dont ces poĂštes ont enrichi leurs ouvrages. Pour prouver qu’en quelque genre que ce soit , il est des beautĂ©s propres Ă  plaire universellement , je choisis ces mĂȘmes images pour exemple Et je dis que la grandeur est, dans les tableaux poĂ©tiques, une cause universelle de plaisir m ; non ni Si les grands tableaux ne nous frappent pas toujours fortement , ce manque d’effet dĂ©pend ordinairement d’une cause Ă©trangĂšre Ă  leur grandeur. C’esl, le plus souvent, parce que ces tableaux fe trouvent unis dans notre mĂ©moire Ă  quelque objet dĂ©sagrĂ©able. Sur quoi j’obferverai qu’il est trĂšs-rare , Ă  la lecture d’une description poĂ©tique, de recevoir uni- Zzr- De l’E s p r i t. que tous les hommes en soient Ă©galement frappĂ©s il en est mĂȘme Ă 'insensthes aux quement l’impreffion pure que doit faire fur nous la vue exacte de cette objets participent Ă  la laideur ainsi qu’à la beautĂ© des objets aufquels ils font le plus communĂ©ment unis ; c'est Ă  cette cause qu’on doit attribuer la plupart de nos dĂ©goĂ»ts SĂ­ de nĂ©s enthousiasmes injustes. Un proverbe usitĂ© dans les places publiques , fĂ»t-ild’ailleurs excellent, nous paroĂŹt toujours bas ; parce qu’il se lie nĂ©cessairement dans notre mĂ©moire Ă  l’image de ceux qui s’en fervent. Peut-on douter que , par la mĂȘme raison , les contes d’esprits & de revenants ne redoublent pendant la nuit , aux yeux du voyageur Ă©garĂ© , les horreurs d’une forĂȘt ? que, fur les pyrĂ©nĂ©es , au milieu des dĂ©serts , des abyfmes & des rochers, l’imagination frappĂ©e de l’estampe du combat des Titans , ne croie y reconnoĂźtre les montagnes d’Offa & de Pelion , & ne regarde avec frayeur le champ de bataille de ces gĂ©ants ? Qui doute que le souvenir de ce bocage, dĂ©crit par le CamoĂ«ns, oĂč les nymphes, nues, fugitives & poursuivies pĂąlies dĂ©sirs ardents , tombent aux pieds des Port liguais , oĂč l’amour Ă©tincelle en leurs yeux , circule en leurs veines , oĂč les paroles fe confondent, oĂč l’on n’entend enfin que le murmure des soupirs de l’amour heureux; qui doute , dis-je, tjue le souvenir d’une description si voluptueuse n embellisse Ă  jamais tous les bocages ? VoilĂ  la raiĂ­on pour laquelle il est si difficile de sĂ©parer du plaisir total que nous recevons, Ă  la prĂ©sence d’un objet, tous les plaisirs particuliers qui font, pour ainsi dire , rĂ©flĂ©chis de la part des objets aufquels ils fe trouvent unis, D i s c o u R s II. 33^ beautĂ©s de description comme aux charmes de l’harmonie , §£ qu’il seroit , Ă  cet Ă©gard , aussi injuste qu’inutile de vouloir dĂ©sabuser ils ont , par leur insensibilitĂ© , acquis le droit malheureux de nier un plaisir qu'ils n’éprouvent pas mais ces hommes font en petit nombre. En effet , soit que le dĂ©sir habituel & impatient de la fĂ©licitĂ© , qui nous fait souhaiter toutes les perfections comme des moyens d’accroĂźtre notre bonheur , nous rende agrĂ©able tous ces grands objets , dont la contemplation semble donner plus d’étendue Ă  notre aine , plus de force & d'Ă©lĂ©vation Ă  nos idĂ©es ; soit que par eux- mĂȘmes les grands objets fastent fur nos sens une impression plus forte ,plus continue &c plus agrĂ©able ; soit enfinquelqu’autrecause, nous Ă©prouvons que la vue hait tout ce qui la resserre ; qu’elle se trouve gĂȘnĂ©e dans les gorges d’une montagne , ou dans l’enceinte d’un grand mur ; qu’elle aime au contraire Ă  parcourir une vaste pleine, Ă  s’étendre fur la surface des mers, Ă  se perdre dans un horizon reculĂ©. Tout ce qui est grand a droit de plaire aux yeux &c Ă  ^imagination des hommes cette espece de beautĂ©s l’emporte , dans les descriptions , infiniment fur toutes les autres beautĂ©s, qui dĂ©pendantes, par exem 334 r> r l’ E s p r t. t. pie , de la justesse clĂ©s proportions , ne peuvent ĂȘtre ni ausiĂŹ vivement ni aulst gĂ©nĂ©ralement senties , puisque toutes les nations n'ont pas les mĂȘmes idĂ©es des proportions. En esset, si l’on oppose aux cascades que l’art proportionne , arix souten eins qu’il creuse , aux terrasses qu’il Ă©leve , les cataractes du fleuve Saint-Laurent , les cavernes creusĂ©es dans l’Ethna, les masses Ă©normes de rocheirs entassĂ©s fans ordre fur les Alpes ; ne sent-on pas que le plaisir produit par cette prodigalitĂ©, cette magnificence rude & grofliere que la nature met dans tous ses ouvrages , est infiniment supĂ©rieur au plaisir qui rĂ©sulte de la justesse des proportions. Pour s’en convaincre , qu’un homme monte la nuit fur une montagne , pour y contempler le firmament quel est le charme qui Py attire ? est - ce la symĂ©trie agrĂ©able dans laquelle les astres font rangĂ©s ? Mais, ici, dans la voie lactĂ©e, ce font des soleils fans nombre amoncelĂ©s, fans ordre , les uns fur les autres ; lĂ  , ce font de vastes deferts. Quelle est donc la source de ses plaisirs ? l’immensitĂ© mĂȘme du ciel. En esset , quelle idĂ©e se former de cette immensitĂ©, lorsque des mondes enflammĂ©s ne paroissent que des points lumineux fr- Discours Ăź Ă­. 337 Ă­nĂ©s çà & lĂ  dans les plaines de l’éther , lorsque des soleils plus avant engagĂ©s dans les profondeurs du firmament n’y font ap- perçus qu’avec peine ? L’imagination qui s'Ă©lance de ces dernieres sphĂšres, pour parcourir tous les mondes possibles , ne doit- elle pas s’engloutirdans les vastes &imme- Ă­urables concavitĂ©s des cieux ; fe plonges dans le ravissement que produit la contemplation d’un obj et qui occupe 1 ’am e toute entiere , fans cependant la fatiguer ? C’est aussi la grandeur de ces dĂ©corations, qui, dans ce genre , a fait dire que l’art Ă©toit st infĂ©rieur Ă  la nature ; ce qui , en termes intelligibles, ne signifie rien autre chose , sinon que les grands tableaux nous paroif- fent prĂ©fĂ©rables aux petits. Dans les arts susceptibles de ce genre de beautĂ©s , tels que la sculpture , Farchitec- ture & la poĂ©sie, c’est l’énormitĂ© des masses qui place la colosse de Rhodes SĂ­ les pyramides de Memphis au rang des merveilles du monde. C’est la grandeur des descriptions qui nous fait regarder Miltondumoins comme I’imagination la plus forte & la plus sublime. Aussi son sujet , peu fertile en beautĂ©s d’une autre espece , 1 etoit-il infiniment en beautĂ©s de aefcriptions. Devenu , par ce sujet, l’archĂ­tecte du paradis terrestre , il avoit Ă  rassembler, dans le 33 contours de ces vallĂ©es, m'enchante par ion mur- » mure. Le zĂ©phir me caresse de son souffle. Les » plantes ambrĂ©es , pressĂ©es fous mes pas , portent n Ă  mon odorat des bouffĂ©es de parfums. Ah ! si le j> bonheur daigne quelquefois visiter le sĂ©jour des n mortels, c'ess fans doute en ces lieux qu'il se re- » tire .... Mais quel trouble secret m’agite ? DĂ©ja » l’impatience mĂȘle son poison aux douceurs de j> mon attente ; dĂ©ja ce vallon a perdu de ses beau- tĂ©s. La joie est-elle donc si passagĂšre ? Nous est- Ă­ I S C O U R S III. 363 ront les ouvrages des hommes illustres , que le grand esprit ne suppose point la » elle aullĂŹ facilement enlevĂ©e qne le duvet lĂ©ger 33 de ces plantes Test par le souffle du zĂ©phir ? C’esl >3 en envain que j’ai recours Ă  l’espĂ©rancefflatteuse n chaque instant accroĂźt mon trouble.... II ne vient point ! .... Qui le retient loin de moi ? » Quel devoir plus sacrĂ© que celui de calmer les s inquiĂ©tudes d'une amante ?... Mais, que dis-je ? » Fuyez , soupçons jaloux , injurieux Ă  la fidĂ©litĂ© , » & faits pour Ă©teindre fa tendresse. Si la jalousie -> croĂźt prĂšs de l’amour, elle secousse , si on ne v l’en dĂ©tache c’est le lierre qui , d’une chaĂźne » verte , embrasse, mais desseche le tronc qui lui sert d'appui. Je comtois trop mon amant pour » douter de fa tendresse. II a comme moi, loin 33 de la pompe des cours, cherchĂ© l’asyĂźe tran- 33 quille des campagnes la simplicitĂ© de nton cƓur » & de ma beautĂ© l’ont touchĂ© ; mes voluptueuses j rivales le rappelleroient vainement dans leurs 33 bras. Seroit-il sĂ©duit par les avances d’une co- » quetterie qui ternit, fur les joues d’une jeune 3 fille , la neige de l’innocence & l’incarnat de la » pudeur , & qui les peint du blanc de l’art & du 3 fard de l’essronterie ? Que fais-je ? Son mĂ©pris 3> pour elles n’est peut-ĂȘtre qu’un piĂšge pour moi. 3 >Puis-je ignorer les prĂ©jugĂ©s des hommes, &Tart 3> qu’ils emploient pour nous sĂ©duire. Nourris dans s;le mĂ©pris de notre sexe, ce n’est point nous, 33 c’est leurs plaisirs qu’ils aiment. Les cruels qu’ils 33 font ! ils ont mis au rang des vertus les su- 33 reurs barbares de la vengeance & l’amour for r 33 cenĂ« 'de lar patrie ; & jamais., parmi les vertus , 33 ils n’ont comptĂ© la fidĂ©litĂ©! C’est fans remords Q ij 364 I L L’ E S P R X T. grande mĂ©moire. J’ajouterai mĂȘme que l’extrĂȘme Ă©tendue de Fun est absolument exclusive de FextrĂȘme Ă©tendue de I autre. Si Fignorance fait languir Fesprit faute de nourriture , la vaste Ă©rudition , par une surabondance d’aliment,Fasou vent Ă©touffĂ©. II siifiit pour s’en convaincre , d’examiner Fiifage diffĂ©rent que doivent faire de leur temps deux hommes qui veulent fe rendre supĂ©rieurs aux autres, l’un en esprit, & Fautre en mĂ©moire. Si Fesprit n’est qu’un assemblage d’idĂ©es ,, qu’ils abusent l'innccence. Souvent leur vanitĂ© 3 contemple , avec dĂ©lices , l'e spectacle de nos 3 douleurs. Mais , non ; Ă©loignez-vous de moi, 33 odieuses pensĂ©es ; mon amant va se rendre en ces 3 lieux. Je l’ai mille fois Ă©prouvĂ© dĂšs que je l’ap- 3>perçois, mon atne agitĂ©e se calme ; j’oublie sou- 3> vent de trop justes sujets de plainte ; prĂšs de lui, 3 > je ne fais qu’ĂȘtre heureuse.... Cependant, s’il me 3» trahissent; si, dans le moment que mon amour 33 l’excuse, il consommoit, entre les bras d’une „ autre , le crime de l’insidĂ©litĂ© que toute la na- 3 ture s’arme pour ma vengeance ! qu’il pĂ©riste !... 3 ? ElĂ©ments , soyez sourds Ă  mes cris ; 33 terre , n’ouvre point tes gouffres profonds ; laisse 3 > ce monstre marcher 1e temps prescrit sur ta bril- 33 lante surface. Qu’il commette encore de nou- 3> veaux crifnes ; qu’il fasse couler encore les larmes 3 des amantes trop crĂ©dules &, si le ciel les venge Ă­> & le punit, que ce soit du moins Ă  la p tiers d’uns » a litre infortunĂ©e, 6-c. » Discours III. neuves , & fĂŹ toute idĂ©e neuve n’est qu’un rapport nouvellement apperçu entre certains objets ; celui qui veut se distinguer par son esprit, doit nĂ©cessairement employer la plus grande parfie de son temps Ă  l’observation des rappors divers que les objets ont entr’eux, & n'en consommer que la moindre partie Ă  placer des faits ou des idĂ©es dans fa mĂ©moire. Au contraire , celui qui veut surpasser les autres en Ă©tendue de mĂ©moire, doit, fans perdre son temps Ă  mĂ©diter & Ă  comparer les objets entr’eux , employer les journĂ©es entieres Ă  fans cesse emmagasiner de nouveaux objets dans fa mĂ©moire. Or, par un usage iĂŹ diffĂ©rent de leur temps, il est Ă©vident que le premier de ces deux hommes doit ĂȘtre aussi infĂ©rieur en mĂ©moire au second , qu’il lui sera supĂ©rieur en esprit vĂ©ritĂ© qu’avoit vraisemblablement aj»pcr- çue DeĂ­cartes,lorsqu’il dit que, pour perfectionner son esprit, il falloit moins apprendre que mĂ©diter. D’oĂŹi je conclus que non seulement le trĂšs-grand esprit ne suppose pas la trĂšs-grande mĂ©moire , mais que l’extrĂȘme Ă©tendue de l’un est toujours exclusive de l’extrĂȘme Ă©tendue de Fautre. Pour terminer ce chapitre, & prouver que ce n’est point Ă  l'inĂ©gale Ă©tendue de la mĂ©moire qu’on doit attribuer la force inĂ©gale des esprits , il ne me reste plus Q j z66 De l’ E s p r i t. qu’à montrer que les hommes, communĂ©ment bien organisĂ©s , font tous douĂ©s d’une Ă©tendue de mĂ©moire suffisante pour s’élever auxplus hautes idĂ©es. Tout homme, en effet, est , Ă  cet Ă©gard, assez favorisĂ© de la nature, si le magazin de sa mĂ©moire est capable de contenir un nombre d'idĂ©es ou de faits , tels qu’en les comparant fans cesse entr’eux , il puisse toujours y apper- cevoir quelque rapport nouveau, toujours accroĂźtre le nombre de ses idĂ©es, & , par consĂ©quent , donner toujours plus d’éten- due Ă  son esprit. Or, st treiite ou quarante objets , comme le dĂ©montre la gĂ©omĂ©trie, peuvent se comparer entr’eux de tant de maniĂ©rĂ©s, que, clans le cours d’une longue vie, personne ne puisse en observer tous les rapports , ni en dĂ©duire toutes les idĂ©es possibles ; & si , parmi les hommes que j’appelle bien organisĂ©s, il n’en est aucun dont la mĂ©moire ne puisse contenir non seulement tous les mots d’une langue , mais encore une infinitĂ© de dates, de Vaits, de noms , de lieux Lc de personnes, &c enstn un nombre d’objets beaucoup plus considĂ©rable que celui de six ou sept mille ; j’en concluerai hardiment que tout homme bien organisĂ© est douĂ© d’une capacitĂ© de mĂ©moire bien supĂ©rieure Ă  celle dont il peut faire usage pour l’ac- croissement de ses idĂ©es ; que plus d’étcn- Discours III. 367 due de mĂ©moire ne donneroit pas plus d’étendue Ă  son esprit ; & qu’ainsi, loin de regarder l’inĂ©galitĂ© de mĂ©moire des hommes comme la cause de l’inĂ©galitĂ© de leur esprit, cette derniere inĂ©galitĂ© est uniquement l’effet ou de l’attentionplus ou moins grande avec laquelle ils observent les rapports des objets entr’eux, ou du mauvais choix des objets dont ils chargent leur souvenir. II est , en effet, des objets stĂ©riles , 6c qui tels que les dates , les noms des lieux, des personnes, ou autres pareils , tiennent une grande place dans la mĂ©moire, fans pouvoir produire ni idĂ©e neuve , ni idĂ©e intĂ©ressante pour le public. L’inĂ©galitĂ© clĂ©s esprits dĂ©pend donc en partie du choix des objets qu’on place dans la mĂ©moire. Si les jeunes gens dont les succĂšs ont Ă©tĂ© les plus brillants dans les colleges, n’cn ont pas toujours de pareils dans un Ăąge plus avancĂ©, c’est que la comparaison & l’application heureuse des rĂ©glĂ©s du Despautere, qui font les bons Ă©coliers , ne prouvent nullement que, dans la fuite , ces mĂȘmes jeunes gens portent leur vue fur des objets de la comparaison desquels rĂ©sultent des idĂ©es intĂ©ressantes pour le public & c’est pourquoi l’on est rarement grand homme , st l’on n’a le courage d’ignorer une infinitĂ© de choses inutiles. Q iv z68 De l’ Esprit. CHAPITRE IV. DĂ­ P inĂ©gale capacitĂ© ÂŁ attention. J 'kt fait voir que ce n’est point de la perfection plus ou moins grande , &c des organes des sens , & de l’organe de la mĂ©moire, que dĂ©pend la grande inĂ©galitĂ© des esprits. On n’en peut donc chercher la caule que dans l’inĂ©gale capacitĂ© inattention des hommes. Comme c’est l’attention, plus ou moins grande , qui grave plus ou moins profondĂ©ment les objets dans la mĂ©moire, qui en fait appercevoir mieux ou moins bien les rapports, qui forme la plupart de nos jugements vrais ou faux ; & que c’est enfin Ă  cette attention que nous devons presque toutes nos idĂ©es ; il est , dira-t-on, Ă©vident que c’est de l’inĂ©gale capacitĂ© d’attention des hommes que dĂ©pend la force inĂ©gale de leur esprit. En effet , fi le plus foible degrĂ© de maladie, auquel on ne donneroit que le nom d’indifposition, suffit pour rendre la plupart des hommes incapables d’une attention suivie , c’est, fans doute, ajoutera- t-on , Ă  des maladies, pour ainsi dire, insensibles, & par consĂ©quent Ă  l’inĂ©ga- Discours III. 369 litĂ© de force que la nature donne aux divers hommes, qu’on doit principalement attribuer l’incapacitĂ© totale d’attention qu’on remarque dans la plupart d’entr’eux, & leur inĂ©gale disposition Ă  l’efprit d’oii l’on conclura que l’efprit est purement un don-de la nature. Quelque vraisemblable que soit ce raisonnement , il n’est cependant point confirme par l’expĂ©rience. Si l’on en excepte les gens affligĂ©s de maladies habituelles, & qui contraints , par la douleur, de fixer toute leur attention fur leur Ă©tat, ne peuvent la porter fur des objets propres Ă  perfectionner leur esprit, ni par consĂ©quent ĂȘtre compris dans le nombre des hommes que j’ap- pelle bien organisĂ©s ; on verra que tous les autres hommes, mĂȘme ceux qui, solistes & dĂ©licats , devroient, consĂ©quemment au raisonnement prĂ©cĂ©dent, avoir moins d’efprit que les gens bien constituĂ©s , paraissent souvent, Ă  cet Ă©gard , les plus favorisĂ©s de la nature. Dans les gens sains & robustes qui Rappliquent aux arts & aux sciences, il semble que la force du tempĂ©rament , en leur donnant un besoin pressant du plaisir, les dĂ©tourne plus souvent de l’étude & de la mĂ©ditation , que la foiblesse du tempĂ©rament , par de lĂ©geres &Ă­ frĂ©quentes indif- Q v 370 De l’ E s p r i t. positions , ne peyt en dĂ©tourner les gens dĂ©licats. Tout ce qu’on peut assurer, c’est qu’entre les hommes Ă  peu prĂšs animĂ©s d’un Ă©gal amour pour l’étude , le succĂšs fur lequel on mesure la force de l’es- prit, paroĂźt entiĂšrement dĂ©pendre &c des distractions plus ou moins grandes occasionnĂ©es par la diffĂ©rence des goĂ»ts, des fortunes, des Ă©tats , &c du choix plus ou moins heureux des sujets qu’on traite, de la mĂ©thode plus ou moins parfaite dont on se sert pour composer , de l’habitude plus ou moins grande qu’on a de mĂ©diter , des livres qu’on lit, des gens de goĂ»t qu’on voit, Lc enfin, des objets que 1c hazard prĂ©sente journellement sous nos yeux. 11 semble que, dans le concours des accidents nĂ©cessaires pour former un homme d’esprit , la diffĂ©rente capacitĂ© d’attention que pourroit produire la force plus ou moins grande du tempĂ©rament, ne soit d’aucune considĂ©ration. AuĂ­ĂŻĂŹ l’inĂ©- galitĂ© d’esprit occasionnĂ©e par la diffĂ©rente constitution des hommes, est-elle insensible. Austi n’a-t-on , par aucune observation exacte , pu jusqu’à prĂ©sent dĂ©terminer l’espece de tempĂ©rament le plus propre Ă  former des gens de gĂ©nie ; ĂŽc ne. peut-on encore savoir lesquels des hommes, grands ou petits , gras ou maigres , bilieux ou sanguins , ont le plus ci aptitude Ă  l'esprit. Discours III. 371 Au reste , quoique cette rĂ©ponse sommaire pĂ»t suffire pour rĂ©futer un raisonnement qui n’est fondĂ© que sur des vraisemblances ; cependant , comme cette question est fort importante , il faut , pour la rĂ©soudre avec prĂ©cision , examiner si le dĂ©faut d'attention est dans les hommes , ou l’effet dune impuissance physique de Rappliquer, ou d'un dĂ©sir trop foi- ble de s’instruire. Tous les hommes que j’appelĂ­e bien organisĂ©s font capables d’attention , puisque tous apprennent Ă  lire , apprennent leur langue, & peuvent concevoir les premieres propositions d’Euclide. Or , tout homme capable de concevoir ces premieres propositions , a la puissance physique de les entendre toutes en effet , en gĂ©omĂ©trie somme en toutes les autres sciences , la facilitĂ© plus ou moins grande avec laquelle on saisit une vĂ©ritĂ© , dĂ©pend du nombre plus ou moins grand de propositions antĂ©cĂ©dentes que , pour la concevoir , il faut avoir prĂ©sentes Ă  la mĂ©moire. Or , si tout homme bien organisĂ© , comme je l’ai prouvĂ© dans le chapitre prĂ©cĂ©dent, peut placer dans fa mĂ©moire un nombre d’idĂ©es fort supĂ©rieur Ă  celui qu’exige la dĂ©monstration de quelque proposition de gĂ©omĂ©trie que ce soit ; & si , par le secours de l’ordre & par la reprĂ©sentation frĂ©quente 372 De l’ E s p r i t.' , des mĂȘmes idces , on peut , comme Fex- pĂ©rience le prouve , se les rendre assez familiĂšres , & assez habituellement prĂ©sentes pour se les rappeller sans peine ; il s’ensuit que chacun a la puissance physique de suivre la dĂ©monstration de toute vĂ©ritĂ© gĂ©omĂ©trique ; & qu'aprĂšs s’ĂȘtre Ă©levĂ© de propositions en propositions & d’idĂ©es analogues en idĂ©es analogues, jusqu’à la connoissance , par exemple, de quatre- vingt-dix-neuf propositions, tout homme peut concevoir la centieme avec la mĂȘme facilitĂ© que la deuxieme , qui est aulsi dii- tante de la premiere que la centieme Test de la quatre-vingt-dix-neuvieme. Maintenant, il faut examiner si le degrĂ© d’attention nĂ©cessaire pour concevoir la dĂ©monstration d’une vĂ©ritĂ© gĂ©omĂ©trique , ne suffit pas pour la dĂ©couverte de ces vĂ©ritĂ©s qui placent un homme au rang des gens illustres. C’est Ă  ce dessein que je prie le lecteur d’observer avec moi la marche que tient l’esprit humain , soit qu’il dĂ©couvre une vĂ©ritĂ© , soit qu’il cn suive simplement la dĂ©monstration. Je ne tire point mon exemple de la gĂ©omĂ©trie, dont la connoissance est Ă©trangĂšre Ă  la plupart des hommes ; je le prends dans la rrtorale ; & je me propose ce problĂšme Pourquoi les conquĂźtes injustes ne deshonorent-ellespoint autant Les nations que les vols dĂ©shonorent les particuliers ? Discours III. 373 Pour rĂ©soudre ce problĂšme moral , les idĂ©es qui se prĂ©senteront les premiĂšres Ă  mon esprit sont les idĂ©es de justice qui me font les plus familiĂšres je la considĂ©rerai donc entre particuliers ; & je sentirai que des vols , qui troublent & renversent l’ordre de la sociĂ©tĂ© , sont, avec justice , regardĂ©s comme infĂąmes. Mais quelque avantageux qu'il fĂ»t d’ap- pliquer aux nations les idĂ©es que j’ai de la justice entre citoyens ; cependant , Ă  la vue de tant de guerres injustes , entreprises de tous les temps par des peuples qui font l’admiration de la terre , je soupçonnerai bientĂŽt que les idĂ©es de la justice considĂ©rĂ©e par rapport Ă  un particulier ne sont point applicables aux nations ce soupçon sera le premier pas que fera mon esprit pour parvenir Ă  la dĂ©couverte qu'il se propose. Pour Ă©claircir ce soupçon, j'Ă©carterai d’abord les idĂ©es de justice qui me font les plus familiĂšres je rappellerai Ă  ma mĂ©moire , & j'en rejetterai successivement une infinitĂ© d’idĂ©es , jusqu’au moment oĂŹi j’appercevrai que , pour rĂ©soudre cette question , il faut d’abord sc former des idĂ©es nettes 6c gĂ©nĂ©rales de la justice ; & , pour cet effet, remonter juĂ­qu’à rĂ©tablissement des sociĂ©tĂ©s , jus-’ qu'Ă  ces temps reculĂ©s oĂč l'on en peut ajueux appercevoir l’origine , oĂč d’ail- 574 De l’ E s p r i „. leurs l’on peut plus facilement dĂ©couvrir la raison pour laquelle les principes de la justice considĂ©rĂ©e par rapport aux citoyens ne feroient pas applicables aux nations. Tel fera , si je l’ose dire , le second pas de mon esprit. Je me reprĂ©senterai, en consĂ©quence, les hommes obsolument privĂ©s de la connoissance des loix , des arts , & Ă  peu prĂšs tels qu'ils dĂ©voient ĂȘtre aux premiers jours du monde. Alors, je les vois dispersĂ©s dans les bois comme les autres animaux voraces ; je vois que , trop foibles avant l’invention des armes pour rĂ©sister aux bĂȘtes fĂ©roces, ces premiers hommes , instruits par le danger , le besoin ou la crainte , ont senti qu’il Ă©toit de í’interĂȘt de chacun d’eux en particulier de se rassembler en sociĂ©tĂ© , &c de former une ligue contre les animaux leurs ennemis communs. J’apperçois ensuite que ces hommes, ainsi rassemblĂ©s &c devenus bientĂŽt ennemis par le dĂ©sir qu’ils eurent de possĂ©der les mĂȘmes choses , durent s’armer pour se les ravir mutuellement ; que le plus vigoureux les enleva d'abord au plus Ipiri- tuel, qui inventa des armes & lui dressa des embĂ»ches pour lui reprendre les mĂȘmes biens ; que la force & 1 - adresse furent par consĂ©quent les premiers titres de propriĂ©tĂ©s ; que la terre appartint premiĂšrement au plus fort, & ensuite au plus fin ; que Discours III. 575 ce fut d’abord Ă  ces seuls titres cp’on possĂ©da tout mais qu’enfin , Ă©claires par leur malheur commun , les hommes sentirent que leur rĂ©union ne leur seroit point avantageuse , 6c que les sociĂ©tĂ©s nepourroient subsister, st, Ă  leurs premieres conventions ils n’en ajoutoient de nouvelles par lesquelles chacun en particulier renonçùt au droit de la force 6c de l’adresse , &i tous , en gĂ©nĂ©ral, se garantissent rĂ©ciproquement la conservation de leur vie 6c de leurs biens, 6c s’engageaffent Ă  s’armer contre l’infrac- teur de ces conventions ; que ce fut ainsi que , de tous les intĂ©rĂȘts des particuliers, le forma un intĂ©rĂȘt commun , qui dut donner aux diffĂ©rentes actions les noms de justes , de permises 6c d’injustes , selon qu’eiĂ­es Ă©toient utiles , indiffĂ©rentes ou nuisibles aux sociĂ©tĂ©s. Une fois parvenu Ă  cette vĂ©ritĂ© , je dĂ©couvre facilement la force des vertus humaines je vois que, fans la,sensibilitĂ© Ă  la douleur & au plaisir physiquĂš,les hommes, fans dĂ©sirs, fans passions, Ă©galement indiffĂ©rents Ă  tout, n’eussent point connu d'intĂ©rĂȘt perĂ­onnel ; que , fans intĂ©rĂȘt personnel, ils ne se fussent point rassemblĂ©s en sociĂ©tĂ© , n’eussent point fait entr’eux de conventions, qu’ii n’y eut point eu d’intĂ©rĂȘĂ­ gĂ©nĂ©ral, par conlĂ©querit point d’actions justes ou injustes; 6c qu’ainsi la sensibilitĂ© physi- 376 De l’ E s p r i t. que & l'intĂ©rĂȘt personnel ont Ă©tĂ© les auteurs de toute justice Ă©. Cette vĂ©ritĂ© appuyĂ©e fur cet axiome de jurisprudence , L’intĂ©rĂȘt ejl la. mesure des actions des hommes , & confirmĂ©e d’ailleurs par mille faits, me prouve que, vertueux ou vicieux , selon que nos pallions ou nos goĂ»ts particuliers font conformes 011 contraires Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, nous tendons si nĂ©cessairement Ă  notre bien particulier, que le lĂ©gislateur divin lui-mĂȘme a cru , pour engager les hommes Ă  la pratique de la vertu , devoir leur promettre un bonheur Ă©ternel en Ă©change des plaisirs temporels qu’ils font quelquefois obligĂ©s d'y sacrifier. Ce principe Ă©tabli, mon esprit en tire les consĂ©quences &j'apperçois que toute convention oĂŹi l’intĂ©rĂȘt particulier se trouve en opposition avec l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, eĂ»t toujours Ă©tĂ© violĂ©e , fi les lĂ©gislateurs n’eussent toujours proposĂ© de grandes rĂ©compenses Ă  la vertu ; & qu’au penchant naturel qui porte tous les hommes Ă  l'usurpation , ils n’eussent fans cesse opposĂ© la digue du dĂ©shonneur & du supplice je vois donc que la peine & la rĂ©compense Ă­ On ne peut nier cette proposition , sans admettre les idĂ©es innĂ©es. Discours III. 377 sont les deux seuls liens par lesquels ils ont pu tenir l’intĂ©rĂȘt particulier uni Ă  l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Sc j’en conclus que les loix faites pour le bonheur de tous ne seroient observĂ©es par aucun , si les magistrats n’é- toient armĂ©s de la puissance nĂ©cessaire pour en assurer F exĂ©cution. Sans cette puissance , les loix , violĂ©es par le plus grand nombre , seroient , avec justice , enfreintes par chaque particulier ; parce que les loix n’ayant que FutilitĂ© publique pour fondement , si-tĂŽt que , par une infraction gĂ©nĂ©rale, ces loix deviennent inutiles , dĂšs-lors estes sont nulles & cessent d’ĂȘtre des loix ; chacun rentre en ses premiers droits ; chacun ne prend conseil que de son intĂ©rĂȘt particulier , qui lui dĂ©fend avec raison d’observer des loix qui devien- droienĂ­ prĂ©judiciables Ă  celui qui en feroit l’obfervateur unique. Et c’est pourquoi, fi , pour la furetĂ© des grandes routes , on eĂ»t dĂ©fendu d’y marcher avec des armes ; & que , faute de marĂ©chaussĂ©e , les grands chemins fussent infestĂ©s de voleurs ; que cette loi , par consĂ©quent , n’cĂ»t point rempli son objet ; je dis qu un homme pourroit non seulement y voyager avec des armes & violer cette convention ou cette loi , fans injustice, mais qu’il ne pourroit mĂȘme Fobferver fans folie. AprĂšs que mon esprit est ainsi , de de- yi % De l’ Esprit. grĂ©s en degrĂ©s , parvenu Ă  se former des idĂ©es nettes & gĂ©nĂ©rales de la justice ; aprĂšs avoir reconnu qu’elle consiste dans l’ob- servation exacte des conventions que l’in- tĂ©rĂȘt commun , c’est-Ă -dire, l’ast'emblage de tous les intĂ©rĂȘts particuliers , leur a fait faire , il ne reste Ă  mon esprit qu’à faire aux nations l’application de ces idĂ©es de la justice. EclairĂ© par les principes ci- destus Ă©tablis , j’apperçois d’abord que toutes les nations n’ont point fait entr’elles de conventions par lesquelles elles fe garantissent rĂ©ciproquement la poffeĂ­lion des pays qu’elles occupent & des biens qu’cllespof- Ă­edent. Si j’en veux dĂ©couvrir la cause , ma mĂ©moire , en me retraçant la carte gĂ©nĂ©rale du monde, m’apprend que les peuples n’ont point fait entr’eux decesĂ­ortes de conventions ; parce qu’ils n’ont point eu , Ă  les faire, un intĂ©rĂȘt ausii preflant que les particuliers ; parce que les nations peuvent subsister fans conventions entr’elles , & que les sociĂ©tĂ©s ne peuvent fe maintenir fans loix. D’oĂč je conclus que les idĂ©es de la justice , considĂ©rĂ©e de nation Ă  nation ou de particulier Ă  particulier, doivent ĂȘtre extrĂȘmement diffĂ©rentes. Si l’églife &c les rois permettent la traite des negres; si le chrĂ©tien,qui maudit au nom de Dieu celui qui porte le trouble & la dissension dans les familles , bĂ©nit le nĂ©go- Discours III. 379 ciant qui court la CĂŽte-d’Or ou le SĂ©nĂ©gal , pour Ă©changer contre des negres Ăźcs marchandises dont les Africains font avides; fi , par ce commerce , les EuropĂ©ens entretiennent fans remords des guerres Ă©ternelles entre ces peuples ; c’est que, faufles traitĂ©s particuliers & des usages gĂ©nĂ©ralement reconnus auxquels on donne le nom de droit des gens , l’églife & les rois pensent que les peuples font , les uns Ă  l’égard des autres , prĂ©cisĂ©ment dans le cas des premiers hommes avant qu’ils eussent formĂ© des sociĂ©tĂ©s, qu’ils connussent d’autres droits que la force & Padresse , qu’il y eĂ»t entr’cux ancune convention , aucune loi , aucune propriĂ©tĂ© , Ăšc qu’il pĂ»t, par consĂ©quent, y avoir aucun vol& aucune injustice. APĂ©gard mĂȘme des traitĂ©s particuliers que les nations contractent entr’elles , ces traitĂ©s n’ayant jamais Ă©tĂ© garantis par un assez grand nombre de nations , je vois qu’ils n’ont presque jamais pu fe maintenir par la force ; & qu’ils ont par consĂ©quent, comme des loix lans force , dĂ» souvent rester fans exĂ©cution. Lorfqu’en appliquant aux nations les idĂ©es gĂ©nĂ©rales de la justice, mon esprit aura rĂ©duit la question Ă  ce point, pour dĂ©couvrir ensuite pourquoi le peuple qui enfreint les traitĂ©s faits avec un autre peu- z8o De l’ E s p r i t. pie, est moins coupable que le particulier qui viole les conventions faites avec la sociĂ©tĂ©, & pourquoi, conformĂ©ment Ă  l’opi- nion publique, les conquĂȘtes injustes dĂ©shonorent moins une nation que les volsn’a- vihssent un particulier ; ilĂ­iiĂ­ĂŹit de rappeiler Ă  ma mĂ©moire la liste de tous les traitĂ©s violĂ©s de tous les temps &c par tous les peuples alors je vois qu’il y a toujours une grande probabilitĂ© que , fans Ă©gard Ă  ses traitĂ©s , toute nation profitera des temps de trouble & de calamitĂ©s pour attaquer ses voiĂ­ins Ă  l'on avantage , les conquĂ©rir , ou du moins les mettre hors d’état de lui nuire. Or chaque nation instruite par l'hiĂ­toire , peut considĂ©rer cette probabilitĂ© comme assez grande , pour se persuader que l’infraction d’un traitĂ© , qu’il est avantageux de violer , est une clause tacite de tous les traitĂ©s qui ne font proprement que des trĂȘves ; & qu'en Ă­ĂĄisiĂ­- lant , par consĂ©quent , l’occalĂŹon favorable d’abai,sser ses voistns , elle ne fait que les prĂ©venir ; puisque tous les peuples , forcĂ©s de s exposer au reproche d’injustice ou au joug de la servitude , sont rĂ©duits Ă  i’aiternative d’ĂȘtre esclaves ou souverains. D’ailleurs , si , dans toute nation , ß’é- tat de conservation est un Ă©tat dans lequel il est presque impossible de se main- Discours III. 381 tenir ; & si le terme de PaggrandiĂ­Tement d’un empire doit , ainsi que le prouve l’histoire des Romains , ĂȘtre regardĂ© comme un prĂ©sage presque certain de sa dĂ©cadence ; il est Ă©vident que chaque nation peut mĂȘme se croire d’autant plus autorisĂ©e Ă  ces conquĂȘtes qu’on appelle injustes , que , ne trouvant point dans la garantie , par exemple, de deux nations contre une troisiĂšme , autant de furetĂ© qu’un particulier en trouve dans la garantie de fa nation contre un autre particulier , le traitĂ© en doit ĂȘtre d’autant moins sacrĂ© que l'exĂ©cution en est plus incertaine. L'est lorsque mon esprit a percĂ© jusqu’à cette derniere idĂ©e , que je dĂ©couvre la solution du problĂšme de morale que je m’étois proposĂ©. Alors je sens que Pin— fraction des traitĂ©s, & cette espece de brigandage entre les nations , doit, comme le prouve le passĂ©, garant cnceci de l’avenir, subsister jusqu’à ce que tous les peuples , ou du moins le plus grand nombre d’entr’eux , aient fait'clĂ©s conventions gĂ©nĂ©rales ; jusqu’à ce que les nations , conformĂ©ment au projet d’Henri IV. ou de í’abbc de Saint-Pierre , se soient rĂ©ciproquement garanti les possessions, se soient engagĂ©es Ă  s’arnter contre le peuple qui voudroit en assujettir un autre , Lc qu’eĂ­t-. 381 De l’ E s p r i t. fin lc hazard ait mis nne telle disproportion entre la puissance de chaque Ă©tat en particulier Sc celle de tous les autres rĂ©unis , que ces conventions puissent se maintenir par la force , que les peuples puissent Ă©tablir entr’eux la mĂȘme police qu’un sage lĂ©gislateur met entre les citoyens, lorsque , par la rĂ©compense attachĂ©e aux bonnes actions , Sc les peines infligĂ©es aux mauvaises , il nĂ©cessite les citoyens Ă  la vertu en donnant Ă  leur probitĂ© l’intĂ©rĂȘt personnel pour appui. II est donc certain que , conformĂ©ment Ă  l’opinion publique , les conquĂȘtes injustes , moins contraires aux loix de l'Ă©- quitĂ© , Sc par consĂ©quent moins criminelles que les vols entre particuliers, ne doivent point autant dĂ©shonorer une nation que les vols dĂ©shonorent un citoyen. Ce problĂšme moral rĂ©solu , fl l’on observe la marche que mon esprit a tenu pour le rĂ©soudre , on verra que je me suis d’abord rappellĂ© les idĂ©es qui m’é- toient les plus familiĂšres ; que je les ai comparĂ©es entr’elles , observĂ© leurs convenances Sc leurs disconvenances relativement Ă  l’objet de mon examen ; que j’ai ensuite rejettĂ© ces idĂ©es , que je m’en fuis rappellĂ© d’antres ; Sc que j’ai. rĂ©pĂ©tĂ© ce'mĂȘme procĂ©dĂ© jusqu’à ce qu’enfin ma Discours III. 383 mĂ©moire m’ait prĂ©sentĂ© les objets de la comparaison desquels devoit rĂ©sulter la vĂ©ritĂ© que je cherchois. Or, comme la marche de l’esprit est toujours la mĂȘme , ce que je dis fur la maniĂ©rĂ© de dĂ©couvrir une vĂ©ritĂ©, doit 5 'appliquer gĂ©nĂ©ralement Ă  toutes les vĂ©ritĂ©s. Je remarquerai seulement, Ă  ce sujet , que pour faire une dĂ©couverte , il faut nĂ©cessairement avoir dans la mĂ©moire les objets dont les rapports contiennent cette vĂ©ritĂ©. Si l’on se rappelle ce que j'ai dit prĂ©cĂ©demment Ă  Pexemple que je viens de donner, & qu’en consĂ©quence on veuille savoir si tous les hommes bien organisĂ©s sont rĂ©ellement douĂ©s d’une attention sus- sisante pour s'Ă©lever aux plus hautes idĂ©es, il faut comparer les opĂ©rations de Pesprit, lorsqu’il fait la dĂ©couverte , ou qu’il suit simplement la dĂ©monstration d’une vĂ©ritĂ© ; & examiner laquelle de ces opĂ©rations suppose le plus d’aĂ­tention. Pour suivre la dĂ©monstration d’une proposition de gĂ©omĂ©trie ,41 est inutile de rappelles beaucoup d’objets dans son esprit ; c’est au maĂźtre Ă  prĂ©senter aux yeux de son Ă©levĂ© les objets propres Ă  donner la solution du problĂšme qu’il lui propose. Mais, soit qu'un homme dĂ©couvre une vĂ©ritĂ© , soit qu’il en suive la dĂ©- 384 D L l* E s p r i t. monstration , il doit, dans l’un & l’autre cas, observer Ă©galement les rapports qu’ont entr’eux les objets que fa mĂ©moire ou son maĂźtre lui prĂ©sentent. Or, comme on ne peut, sans un hazard singulier, se reprĂ©senter uniquement les idĂ©es nĂ©cessaires Ă  la dĂ©couverte d’une vĂ©ritĂ©, &c n’en considĂ©rer prĂ©cisĂ©ment que les faces fous lesquelles on doit les comparer entr’elles ; il est Ă©vident , que , pour faire une dĂ©couverte , il faut rappeller Ă  son esprit une multitude d’idĂ©es Ă©trangĂšres Ă  l’objet de la recherche, & en faire une infinitĂ© de comparaisons inutiles ; comparaisons dont la multiplicitĂ© peut rebuter. On doit donc consommer infiniment plus de temps pour dĂ©couvrir une vĂ©ritĂ© que pour en suivre la dĂ©monstration mais la dĂ©couverte de cette vĂ©ritĂ© n’exige en aucun instant plus d’effort d’attention que n’en suppoĂ­e la suite d’une dĂ©monstration. Si, pour s’en assurer , l’on observe l’é— tudiant en gĂ©omĂ©trie , on verra qu’il doit porter d’autant plus d’attention Ă  considĂ©rer les figures gĂ©omĂ©triques que le maĂźtre met fous ses yeux , que ces objets lui Ă©tant moins familiers que ceux que lui prĂ©senteroit sa mĂ©moire, son esprit est Ă  la fois occupĂ© du double soin , & de considĂ©rer ces figures, Sc de dĂ©couvrir les rapports qu’elles ont entr’elles ; d’ou i,l Discours III. 385 suit que l’attention nĂ©cessaire pour suivre la dĂ©monstration d’une proposition de gĂ©omĂ©trie , suffit pour dĂ©couvrir une vĂ©ritĂ©. II est vrai que, dans ce dernier cas , l’at- tention doit ĂȘtre plus continue mais cette continuitĂ© d’attention n’est proprement que la rĂ©pĂ©tition des mĂȘmes actes d’attention. D’ailleurs , si tous les hommes , comme je l’ai dit plus haut, font capables d’apprendre Ă  lire & d’apprendre leur langue, ils sont tous capables non seulement de l’attention vive, mais encore de l’attention continue, qu’exige la dĂ©couverte d’une vĂ©ritĂ©. Quelle continuitĂ© d’attention ne faut-i! pas , ou pour connoĂźtre ses lettres, les assembler, en former des syllabes, en composer des mots ; ou pour unir dans fa mĂ©moire des objets d’une nature diffĂ©rente, & qui n’ont entr’eux que des raports arbitraires , comme les mots chĂȘne , grandeur , amour , qui n’ont aucun rapport rĂ©el avec l’idĂ©e, l’image ou le sentiment qu’ils expriment? II est donc certain que , si, par la continuitĂ© d’attention, c’est-Ă -dire, par la rĂ©pĂ©tition frĂ©quente des mĂȘmes actes d’attention , tous les Ttommes parviennent Ă  graver successivement dans leur mĂ©moire tous les mots d’une langue , ils font tous douĂ©s de la force & de la continuitĂ© d’attention nĂ©cessaire pour s’élever Tom. I.. R z86 De l’ E s p r i t. Ă  ces grandes idĂ©es , dont la dĂ©couverte les place au rang des hommes illustres. Mais , dira-t-on , si tous les hommes font douĂ©s de l'attention nĂ©cessaire pour exceller dans un genre , lorsque l’inhabi- tude ne les en a point rendu incapables , il est encore certain que cette attention coĂ»te plus aux uns qu’aux autres or, Ă  quelle autre cause, si ce n’est Ă  la perfection plus ou moins grande de l’organi- fation, attribuer cette attention plus ou moins facile ? Avant de rĂ©pondre directement Ă  cette objection, j’oblerverai quel’attentionn’est pas Ă©trangĂšre Ă  la nature de l'homme; qu’en gĂ©nĂ©ral , lorsque nous croyons l’at- tention difficile Ă  supporter, c’est que nous prenons la fatigue de l’ennui ĂŽt de ì’im- patience pour la fatigue de i’application. En effet, s’il n’est point d’homme fans dĂ©sirs , il n’est point d’homme fans attention. Lorsque l’habitude en est prise, l’attention devient mĂȘme un besoin. Ce qui rend l’attention fatigante, c’est le motif qui nous y dĂ©termine. Est-ce le besoin , l’indigence ou la crainte ? l’attention est alors une peine. Est-ce l’efpoir du plaisir ? l’attention devient alors elle-mĂȘme un plaisir. QiCon prĂ©sente au mĂȘme homme deux Ă©crits difficiles Ă  dĂ©chiffrer ; l’un est un procĂšs verbal, l’autre est la lettre dune Discours III. 387 maĂźtresse cjui doute que Pattention ne soit aussi pĂ©nible dans le premier cas , qu’agrĂ©able dans le second ? ConsĂ©quemment Ă  cette observation, on peut facilement expliquer pourquoi Pattention coĂ»te plus aux uns qu’aux autres. II n’est pas nĂ©cessaire , pour cet esset, de supposer en eux aucune diffĂ©rence d’organisa- tion il suffit de remarquer qu’en ce genre , la peine de Pattention est toujours plus ou moins grande proportionnĂ©ment au degrĂ© plus ou moins grand de plaisir que chacun regarde comme la rĂ©compense de cette peine. Or, si les mĂȘmes objets n'ont jamais le mĂȘme prix Ă  des yeux diffĂ©rents , il est Ă©vident qu’en proposant Ă  divers hommes le mĂȘme objet de rĂ©compense, on ne leur propose pas rĂ©ellement la mĂȘme rĂ©compense ; & que , s’ils font forcĂ©s de faire les mĂȘmes efforts Pattention, ces efforts doivent ĂȘtre, en consĂ©quence,plus pĂ©nibles aux uns qu’aux autres. L’on peut donc rĂ©soudre le problĂšme d’une attention plus ou moins facile, fans avoir recours au mystĂšre d’une inĂ©gale perfection dans les organes qui la produisent. Mais , en admettant mĂȘme , Ă  cet Ă©gard , une certaine diffĂ©rence dans l’organisation des hommes, je dis qu’en supposant en eux un dĂ©sir vif de s’instruire , dĂ©sir dont tous les hommes font susceptibles, il n’en est Rij 3 88 De l’ E s p r i t. aucun gui ne se trouve alors douĂ© cĂźe la capacitĂ© d’attcntion nĂ©cessaire pour se distinguer dans un art. En effet, st le dĂ©sir du bonheur est commun Ă  tous les hommes, s’il est en eux le sentiment le plus vif, il est Ă©vident que, pour obtenir ce bonheur, chacun fera toujours tout ce qu’il est en fa puissance de faire or, tout homme,comme je viens de le prouver , est capable ,du degrĂ© d’attention suffisant pour s’élever aux plus hautes idĂ©es. II fera donc usage de cette capacitĂ© d’attention , lorsque , par la lĂ©gisiation de son pays , son goĂ»t particulier ou son Ă©ducation, le bonheur deviendra le prix de cette attention. II fera, je crois, difficile de rĂ©sister Ă  cette conclusion,.fur-tout si , comme je puis le prouver , il n’est pas mĂȘme nĂ©cessaire , pour fe rendre supĂ©rieur en un genre, d’y donner toute l’attention dont on est capable. Pour ne laisser aucun doute fur cette vĂ©ritĂ© , consultons l’expĂ©rience,interrogeons les gens de lettres ils ont tous Ă©prouvĂ© que ce n’est pas auxplus pĂ©nibles efforts d’attention qu’ils doivent les plus beaux vers de leurs poĂšmes, les plus singuliĂšres situations de leurs romans, & les principes les plus lumineux de leurs ouvrages philosophiques. Ils-avoueront qu’ils les doivent Ă  la rencontre heureuse de certains objets Discours III. 389 que le hazard ou met sous leurs yeux ou prĂ©sente Ă  leur mĂ©moire , Sc tle la comparaison desquels ont rĂ©sultĂ© ces beaux vers , ces situations frappantes Sc ces grandes idĂ©es philosophiques idĂ©es que l’eĂ­prit conçoit toujours avecd’autant plus de promptitude & de facilitĂ©, qu’elles font plus vraies Sc plus gĂ©nĂ©rales. Or , dans tout ouvrage,si ces belles idĂ©es, de quelque genre qu’eĂ­les soient , sont , pour ainsi dire, le trait du gĂ©nie ; si l’art de les employer n’est que l’Ɠuvre du temps Sc de la patience , Sc ce qu’on appelle le travail du manƓuvre ; il est donc certain que le gĂ©nie est moins le prix de l’atten- tion qu’un don du hazard, qui prĂ©sente Ă  tous les hommes de ces idĂ©es heureuses dont celui-lĂ  seul prosite, qui., sensible Ă  - la gloire , est attentif Ă  les saisir. Si le hazard est, dans presque tous les arts, gĂ©nĂ©ralement reconnu pour sauteur de la plupart des dĂ©couvertes ; Sc si , dans les sciences spĂ©culatives, fa puissance est moins sensiblement apperçue, elle n’en est peut- ĂȘtre pas moins rĂ©elle; il n’en prĂ©sideras moins Ă  la dĂ©couverte des plus belles idees. Aussi ne sont-elles pas , comme je viens de le dire , le prix des plus pĂ©nibles efforts d'attention ; Sc peut-on assurer que l’atten- tion qu’exige l’ordre des idĂ©es, la maniĂ©rĂ© de les exprimer, Sc l’art de passer d’un 390 De l’ E s p r i t. sujet Ă  Pautre qu’on lui donne & qu’ils croient. n Un jour la mere du dieu Thic-ca vit en songe v un Ă©lĂ©phant blanc qui s’engendroit mystĂ©rieuĂ­e- » ment dans fa bouche s&Ă­ lui sortoit par le cĂŽtĂ© > gauche. Le songe sait, il se rĂ©alise , elle accouche » de Thic-ca. AussitĂŽt qu’il voit le jour, il sait mou- » rir sa mere ; fait sept pas, marquant le ciel avec un j» doit & la terre avec l’autre. II se glorifie d’ĂȘtre suri nique saint tant dans le ciel que fur la terre. A dix- v sept ans, il se marie Ă  trois femmes Ă  dix-neuf, n il abandonne ses femmes & son fils , se retire sur une montagne oĂč deux dĂ©mons , nommĂ©s A-la-la v & C a- la-la, lui servent de maĂźtres. II se prĂ©sente n ensuite au peuple, en est reçu, non comme un docteur , mais en qualitĂ© de pagode ou d’idole. II jj a quatre-vingt mille disciples , entre lesquels il en rr choisit cinq cents, nombre qu’il rĂ©duit ensuite Ă  » cent, puis Ă  dix qui font appelle s les dix grands, rr VoilĂ  ce qu’on raconte auxTonquinois & ce qu’ils -r croient, quoiqu'avertis, par une tradition sourde, rr que ces dix grands Ă©toient ses amis, les confidents, 3 ? & les seuls qu’il ne trompĂąt point; qu’aprĂšs avoir ,r prĂȘchĂ© fa doctrine pendant quarante-neut ans, se ,, sentant prĂšs de fa fin , il assembla tous ses disci- „ pies, & leur dit Je vtus ai trompĂ©s jusqu Ă  ce j} jour; je ne vous ai dĂ©bitĂ© que des fables la feule rr vĂ©ritĂ© que je puisse vous enseigner, c’efĂŹ que tout efl rr sorti du nĂ©ant , amoureux di la libertĂ© , veux ĂȘtre riche fans bien, puisant sans sujets , sujet sans maĂźtre , ose mĂ©priser la mort Les rois trembleront devant toi , toi seul ne craindras personne. Ce sont, en effet, les passions feules ^ qui, portĂ©es Ă  ce degrĂ© de force, peuvent exĂ©cuter les plus grandes actions , S t braver les dangers, la douleur, la mort &Ă­ le ciel mĂȘme. DicĂ©arque, gĂ©nĂ©ral de Philippe, Ă©leve en prĂ©sence de son armĂ©e, deux autels, l’un Ă  l’ImpiĂ©tĂ©, l’autre Ă  TÍnjustice, y sacrifie & marche contre les Cyclades. Quelques jours avant l’assassinat de CĂ©sar , l’amour conjugal uni Ă  la passion d'un noble orgueil, engage Porcie Ă  s’ouvrir la cuisse, Ă  montrer fa blessure Ă  son mari, lui disant Brutus, tu mĂ©dites & tu me caches un grand dessein. Je ne t'ai jusqu’à prĂ©sent fait aucune queslion indiscrette ; jesavois cependant que notre sexe faible par lui-mĂȘme } se sortifioit par le commerce des hommes sages & vertueux , que j’étois fille de Caton & femme de Brutus mais mon amour timide m’a fait dĂ©fier de ma soiblesse. Tu vois l’ejsai de mon 408 De l’ Esprit. courage juge fi je suis digne de ton secret , maintenant que f ai fait tĂ©preuve de la douleur. C’est la paillon de l’honneur & le fanatisme philosophique qui pouvoient seuls, au milieu des supplices, engager la pythagoricienne Timicha Ă  se couper la langue avec les dents, pour ne point s’exposer rĂ©vĂ©ler les secrets de fa secte.' Lorsqu’accompagnĂ© de son gouverneur, Caton, jeune encore, monte au palais de Sylla, &c qu’à l’aspect des tĂȘtes sanglantes des proscrits , il demande le nom du monstre qui avoit assassinĂ© tant de Romains C’est Sylla, lui dit-on. Quoi! Sylla les Ă©gorge , & Sylla vit encore ? Le nom seul de Sylla, lui rĂ©plique-t-on, dĂ©sarmĂ© le bras de no$ citoyens. O Rome ! s'Ă©crie alors Caton , que ton destin efĂŹ dĂ©plorable , f dans la vafĂŹe enceinte de tes murs, tu ne renfermes pas un “homme vertueux , . 1 34 Le public ne peut avoir , pour ce bon ton & ce bel usage , la mĂȘme estime que les sociĂ©tĂ©s particuliĂšres. Cl-Ăź. X. Pourquoi U homme admirĂ© du public n est pas toujours estimĂ© des gens du monde , 147 On prouve qu’à cet Ă©gard la diffĂ©rence des jugements du public S L des sociĂ©tĂ©s particuliĂšres, tient Ă  la diffĂ©rence de leurs intĂ©rĂȘts. Ch. XI. De la probitĂ© par rapport au public y 159 En consĂ©quence des principes ci-devant Ă©tablis , on fait voir que l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral prĂ©side au jugement que le public porte fur les actions des hommes. Ch. XII. De desprit par rapport au public , J 6 1 TABLE SOMMAIRE. 443 II s’agtt de prouver dans ce chapitre, que l’ef— time du public pour les idĂ©es des hommes est toujours proportionnĂ©e Ă  l’intĂ©rĂȘt qu’il a de les estimer. Ch. XIII. De la probitĂ©par rapport aux jĂźecles & aux peuples divers , \j 6 L'objet qu’on se propose , dans ce chapitre, c'est de montrer que les peuples divers n’ont, dans tous les siĂ©cles & dans tous les pays , jamais accordĂ© le nom de vertueuses qu’aux aĂ©rions ou qui , ou du moins qu’ilz croyoient utiles au public. C’est pour jeter plus de jour fur cette matiĂšre , qu’on distingue , dans ce mĂȘme chapitre , deux diffĂ©rentes especes de vertus. Ch. XIV. Des vertus de prĂ©jugĂ©, & des vraies vertus , 188 On entend, par vertus de prĂ©juge , celles dont l’exacte observation ne contribue en rien au bonheur public ; &, pzxvraicsverĂŹus, celles dont la pratique assure la fĂ©licitĂ© des peuples. ConsĂ©quemment Ă  ces deux diffĂ©rentes especes de vertus , on distingue, dans ce mĂȘme chapitre , deux diffĂ©rentes especes de corruption, de mƓurs ; Tune religieuse , &. l’autre politique connoissance propre Ă  rĂ©pandre de nouvelles lumiĂšres fur la science de la morale. Ch. XV, De quelle utilitĂ© peut ĂȘtre Ă  la morale la connoiffance des principes Ă©tablis dans les chapitres prĂ©cĂ©dents , 208 L’objet de ce chapitre est de prouver que c’est de la lĂ©gislation meilleure ou moins bonne 444 TABLE SOMMAIRE. que dĂ©pendent les vices ou les vertus des peuples ; & que la plupart des moralistes, dans la peinture qu’ils font des vices , paraissent moins inspirĂ©s par l’amour du bien public , que par des intĂ©rĂȘts personnels , ou de haines particuliĂšres. Ch. XVI. Des moralisles hypocrites, 218 DĂ©veloppement des principes prĂ©cĂ©dents. Ch. XVII. DĂ©savantagĂ©s que pour- roient procurer aux hommes les principes ct-deffus exposĂ©s , 224 Ces principes donnent aux particuliers , aux peuples , & mĂȘme aux lĂ©gislateurs, des idĂ©es plus nettes de la vertu , facilitent les rĂ©formes dans les loix , nous apprennent que la science de la morale n'est autre chose que la science mĂȘme de la lĂ©gislation ; & nous fournissent enfin les moyens de rendre les peuples plus heureux ĂŽĂ­ les empires plus durables. Ch. XVIII. De l'esprit considĂ©rĂ© par rapport aux siĂ©cles & aux pays divers , 237 Exposition de ce qu’on examine dans les chapitres suivants. Ch. XIX. Quel* eslime pour les diffĂ©rents genres d’esprit ejl , dans chaque fie c le , proportionnĂ©e Ă  l'intĂ©rĂȘt qu on a de les eslime r, 238 Ch. XX. De l’esprit considĂ©rĂ© par rapport aux diffĂ©rents pays } 267 TABLE SOMMAIRE. 445 II s’agit , conformĂ©ment au plan de ce discours , de montrer que 1’intĂ©rĂȘt est , chez tons les peuples , le dispensateur de l’estime accordĂ©e aux idĂ©es des hommes ; & que les nations, toujours fĂŹdeiles Ă  l’intĂ©rĂȘt de leur vanitĂ© , n’esti- ment , dans les autres nations , que les idĂ©es analogues aux leurs. Ch. XXL sue le mĂ©pris respeclis des nations tient Ă  l’intĂ©rĂȘt de leur vanitĂ© , 281 AprĂšs avoir prouvĂ© que les nations mĂ©prisent, dans les autres , les mƓurs , les coutumes & les usages diftĂ©rents des leurs on ajoute que leur vanitĂ© leur tait encore regarder comme un don de la nature la lupĂ©rioritĂ© que quelques-unes d’enrr’elles ont fur les autres supĂ©rioritĂ© qu’elles ne doivent qu’à la constitution politique de leur Ă©tat. Ch. XXII. Pourquoi les nations mettent au' rantr des dons de la nature des qualitĂ©s qu elles ne doivent qu'Ă  la forme de leurgouvernement , 292 On fait voir , dans ce chapitre , que la vanitĂ© commande aux nations comme aux particuliers ; que tout obĂ©it Ă  la loi de l’intĂ©rĂȘt; & que , lĂŹ les nations , consĂ©quemment Ă  cet intĂ©rĂȘt, n'ont point, pour la morale , l’estime qu'elles devroient avoir pour cette science, c'est que la morale , encore au berceau, semble n’avoir jusqu’à prĂ©sent Ă©tĂ© d aucune utilitĂ© Ă  l’univers. Ch. XXIII. Des causes qui jusqu Ă  446 TABLE SOMMAIRE. prĂ©sent ont retardĂ© les progrĂšs de la morale , 3 oo Ch. XXIV. Des moyens de perjec - donner la morale , 309 Ch. XXV. De la probitĂ© par rapport Ă  Vunivers , 327 Ch. XXVI. De resprit par rapport Ă  Vunivers , 330 L’objet de ce chapitre est de montrer qu’il est des idĂ©es utiles Ă  l’univers ; & que les idĂ©es de cette efpece font les seules qui puissent nous faire obtenir Testime des nations. La conclusion gĂ©nĂ©rale de ce discours, c’est que l 'intĂ©rĂȘt , ainsi qu’on s’étoit proposĂ© de le prouver , est Tunique dispensateur de Y estime &c du mĂ©pris attachĂ©s aux actions & aux idĂ©es des hommes. DISCOURS III. Si id E S P R I T DOIT ÊTRE considĂ©rĂ© comme un don de la nature , ou comme un effet de F Ă©ducation. P Our rĂ©soudre ce problĂšme , on recherche , dans ce discours , si la nature a douĂ© les hommes d’une Ă©gale aptitude . Ă  Y esprit, ou si elle a plus favorisĂ© les uns que les autres ; & Ton examine si tous les hommes } communĂ©ment bien organisĂ©s, n’au- TABLE SOMMAIRE. 447 soient pas en eux la puissance phyjĂŹque de s’élever aux plus hautes idĂ©es , lorsqu’ils ont des motifs suffisants pour surmonter la peine de Y application. Chapitre premier, 341 On fait voir dans ce chapitre , que , si la nature a donnĂ© aux divers hommes d’inĂ©gales dispositions Ă  l’esprit, c’est en douant les uns, prĂ©fĂ©rablement aux autres , d’un peu plus de finesse de sens , d’étendue de mĂ©moire , & de capacitĂ© d’attention. La question rĂ©duite Ă  ce point simple , on examine dans les chapitres suivants , quelle influence a fur l’efprit des hommes la diffĂ©rence qu Ă  cet Ă©gard la nature a pu mettre entr’eux. Ch. II. De la finesse des sens , 34^ Ch. III. De l'Ă©tendue de la mĂ©moires par les avantages qui y seront attachĂ©s , deviendront l’objet gĂ©nĂ©ral du dĂ©sir des hommes. De-lĂ  naĂźtront, selon la forme diffĂ©rente des gouvernements, des passions criminelles ou vertueuses ; telles font l’envie , l’avarice , l’orgueil, l’ambition, Famour de la patrie , la passion de la gloire, la magnanimitĂ©, St mĂȘme l’amour, qui, ne nous Ă©tant donnĂ© par la nature que comme un besoin , deviendra , en se confondant avec la vanitĂ©, une passion factice , qui ne sera , comme les autres, qu’un dĂ©veloppement de la sensibilitĂ© physique. Discours III. 7 Quelque certaine que soit cette conclusion , il est peu d’hommes qui conçoivent nettement les idĂ©es dont elle rĂ©sulte. D’ailleurs , en avouant que nos pallions prennent originairement leur source dans la sensibilitĂ© physique , on pourroit croire encore que , dans l’état actuel oĂč font les nations policĂ©es , ces passions existent indĂ©pendamment de la cause qui les Supposons , pour le prouver , que , pĂ©nĂ©trant, si je l’ose dire, plus avant dans les vues de la nature, ont eĂ»t imaginĂ© qu’en ornant les belles femmes de tant d’attraits , en attachant le plus grand plaisir Ă  leur jouissance, la nature eĂ»t voulu en faire la rĂ©compense de la plus haute vertu supposons encore qu’à l’exemple de ces vierges consacrĂ©es Ă  Isis ou Ă  Vesta, les plus belles LacĂ©dĂ©moniennes eussent Ă©tĂ© consacrĂ©es aumĂ©rite; que, prĂ©sentĂ©es nues dans les assemblĂ©es , elles eussent Ă©tĂ© enlevĂ©es par les guerriers comme le prix de leur courage ; &c que ces jeunes hĂ©ros eussentau mĂȘme instant, Ă©prouvĂ© la double ivresse de l’amour & de la gloire ; quelque bizarre & quel qu’éloignĂ© de nos mƓurs que soit cette lĂ©gislation, il est certain qu’elle eĂ»t encore rendu les Spartiates plus vertueux 6c plus vaillants , puisque la force de la vertu est toujours proportionnĂ©e au degrĂ© de plaisir qu on lui assigne pour rĂ©compense. Je remarquerai, Ă  ce sujet, que cette coutume , si bizarre en apparence, est en usage au royaume de Bisnagar , dont Nar- singue est la capitale. Pour Ă©lever le courage de ces guerriers , le roi de cet empire , au rapport des voyageurs, achette, çQurrit 6c habille, de la maniĂ©rĂ© la plus 6o De l’Esprit, galante &Ă­ la plus magnifique, des femmes charmantes, uniquement destinĂ©es aux plaisirs des guerriers qui se sont signalĂ©s par quelques hauts faits. Par ce moyen il inspire le plus grand courage Ă  ses sujets ; il attire Ă  fa cour tous les guerriers des peuples voisins , qui, flattĂ©s de l’es- poir de jouir de ces belles femmes, abandonnent leur pays &c s’établistent Ă  Nar- Ă­ingue , oĂč ils ne fe nourrissent que de la chair des lions & des tigres , & - ne s’ab- breuvent que du sang de ces animaux e. II rĂ©sulte des exemples ci-dessus apportĂ©s , que les peines & les plaisirs des sens peuvent nous inspirer toute efpece de paissons, de sentiments & de vertus. C’est pourquoi, fans avoir recours Ă  des siĂ©cles f Les femmes, chez les Gelons, Ă©toient obligĂ©es, parla loi, Ă  faire tous les ouvrages de force, comme de bĂątir les maiĂ­ons Ă­k de cultiver la terre mais, en dĂ©dommagement de leurs peines, la mĂȘme loi leur accordoit cette douceur, de pouvoir coucher avec tput guerrier qui leur Ă©toit agrĂ©able. Les femmes Ă©toient fort attachĂ©es Ă  cette loi. Voyez Bardezyints , citĂ© par Eujebe dans fa PrĂ©paration Ă©vangĂ©lique. Les Flotiens ont la composition d’un breuvage trĂšs-fort & trĂšs agrĂ©able ; mais ils n’en prĂ©sentent jamais qu’à ceux de leurs guerriers qui fe font signalĂ©s par des actions d’un grand courage, Recueil des lettres Ă©dif. Discours Ils, 6ĂŹ ou des pays Ă©loignĂ©s, je citerai, pour derniere preuve de cette vĂ©ritĂ©, ces siĂ©cles de chevalerie, oii les femmes ensei- gnoient Ă  la fois aux apprentifs chevaliers l’art d’aimer & le catĂ©chisme. Si, dans ces tems, comme le remarque Machiavel, & lors de leur descente en Italie, les François parurent lĂŹ courageux & si terribles Ă  la postĂ©ritĂ© des Romains, c’est qu’ils Ă©toient animĂ©s de la plus grande valeur. Gomment ne FeulĂŹĂ©nt-ils pas Ă©tĂ© } Les femmes, ajoute cet historien, n’ac- cordoient leurs faveurs qu’aux plus vaillants d’entr’eux. Pour juger du mĂ©rite d’un amant 6c de fa tendresse, les preuves qu’elles exigoient , c’ctoit de faire des prisonniers Ă  la guerre, de tenter une escalade , ou d’enlever un poste aux ennemis ; elles aimoient mieux voir pĂ©rir que voir fuir leur amant. Un chevalier Ă©toit alors obligĂ© de combattre, pour soutenir, 6c la beautĂ© de sa dame , 6c l’excĂšs de fa tendresse. Les exploits des chevaliers Ă©toient le sujet perpĂ©tuel des conversations 6c des romans. Par-tout on recom- xnandoit la galanterie. Les poĂštes ,vou- loient qu’au milieu des combats 6c des dangers, un chevalier eĂ»t toujours le por- , trait de fa dame prĂ©sent Ă  fa mĂ©moire. Dans les tournois , avant que de sonner la charge, ils vouloient qu’il tint les yeux 6r, De l’Esprit, sur sa maĂźtresse , comme le prouve cette ballade Servants dĂ©amour , regarde ç doucement , eschajfauds , anges de paradis ; Lors joujĂŹerc ÂŁ fort £‱ joyeusement , Et vousserei honore ÂŁ 6* chĂ©ris. Tout alors prĂ©choit l’amour ; & quel ressort plus puissant pour mouvoir les Ăąmes ? La dĂ©marche, les regards , les moindres gestes de la beautĂ© , ne Ă­'ont-ils pas le charme & l’ivresse des sens ? Les femmes ne peuvent-elles pas, Ă  leur grĂ©, crĂ©er des aines & des corps dans les irn- bĂ©cilles & les foibles ? La PhĂ©nicie n’a- Ăź-elle pas , fous le nom de VĂ©nus ou d’Af- tartĂ© , Ă©levĂ© des autels Ă  la beautĂ© ? Ces autels ne pouvoient ĂȘtre abbatus que par notre religion. Quel objet pour qui n’est pas Ă©clairĂ© des rayons de la foi est en effet plus digne de notre adoration, que celui auquel le ciel a confiĂ© le dĂ©pĂŽt prĂ©cieux du plus vif de nos plaisirs ? plaisirs dont la jouissance feule peut nous faire supporter avec dĂ©lices le pĂ©nible fardeau de la vie, & nous consoler du malheur d’ĂȘtre. La conclusion gĂ©nĂ©rale de ce que j’ai dit sur Porigine des passons, c’est que la douleur & le plaisir des sens font agir dc penser les hommes, Le font les seuls Discours III. contrepoids qui meuvent le monde moral. Les passions sont donc en nous l’effet immĂ©diat de la sensibilitĂ© physique or , tous les hommes sont sensibles & susceptibles de paffions ; tous, par consĂ©quent, portent en eux le germe productif de l’es- prit. Mais, dira-t-on, s’ils sont sensibles, ils ne le sont peut-ĂȘtre pas tous au mĂȘme degrĂ© ; l’on voit, par exemple, des nations entieres indiffĂ©rentes Ă  la paillon de la gloire & de la vertu or , li les hommes ne sont pas susceptibles de paillons auĂ­Ăźi fortes , tous ne sont pas capables de cette mĂȘme continuitĂ© d’attention qu’on doit regarder comme la cause de la grande inĂ©galitĂ© de leurs lumiĂšres d’oĂč il rĂ©sulte que la nature n’a pas donnĂ© Ă  tous les hommes d’égales dispositions Ă  l’esprit. Pour rĂ©pondre Ă  cette objection, il n’est pas nĂ©cessaire d’examiner si tous los hommes sont Ă©galement sensibles cette question , peut-ĂȘtre plus difficile Ă  rĂ©soudre qu’on ne l’imagine, est d’ailleurs Ă©trangĂšre Ă  mon sujet. Ce que je me propose , c’est d’examiner si tous les hommes ne sont pas du moins susceptibles de passions assez fortes pour les douer de l’attention continue Ă  laquelle est attachĂ©e la supĂ©rioritĂ© de l’esprit. C’est Ă  cet effet que je rĂ©futerai d’a- fcçjrd l’argument tirĂ© de la sensibilitĂ© df 64 De l’EspriT. certaines nations aux passions de la gloire & de la vertu ; argument par lequel on croit prouver que tous les hommes ne font pas susceptibles de paissons. Je dis donc que FinsensibilitĂ© de ces nations ne doit point ĂȘtre attribuĂ©e Ă  la nature; mais Ă  des causes accidentelles , telles que la forme diffĂ©rente des gouvernements. CHAPITRE XVI. A quelle cause on doit attribuer l'indĂŹffĂ©-* rence de certains peuples pour la vertu, o u r savoir si c’est de la nature, oit X de la forme particuliĂšre des gouvernements , que dĂ©pend FindiffĂ©rence' de certains peuples pour la vertu , il faut d’a- bord connoĂźtre l’homme ; pĂ©nĂ©trer jusques dans l’abysme du cƓur humain ; se rappelles que, nĂ© sensible Ă  la douleur Sc au plaisir , c’est Ă  la sensibilitĂ© physique que Fhomme doit ses paissons ,8c Ă  ses paissons qu’il doit tous ses vices & toutes ses vertus. Ces principes posĂ©s , pour rĂ©soudre la question ci-dessus proposĂ©e , il faut examiner ensuite si les mĂȘmes passons, modifiĂ©es selon les diffĂ©rentes formes de gouvernement , ne produiroient point en nous les vices oĂ© les vertus contraires. Discours III. 6 $ Qu’un homme soit assez amoureux de la gloire pour y sacrifier toutes ses autres pallions si, par la forme du gouvernement , la gloire est toujours le prix des actions vertueuses, il est Ă©vident que cet homme fera toujours nĂ©cessitĂ© Ă  la vertu ; & que , pour en faire un LĂ©oni- das, un Horatius CoclĂšs , il ne faut que le placer dans un pays & dans des circonstances pareilles. Mais, dira-t-on, il est peu d’hommes qui s’élevent Ă -ce degrĂ© de paillon. AuĂ­si, rĂ©pondrai-je , n’est-ce que l’homme fortement passionnĂ© qui pĂ©nĂ©tre jusqu’au sanctuaire de la vertu. II n’enest pas ainsi de ces hommes Incapables de passions vives , & qu’on appelle honnĂȘtes. Si, loin de ce sanctuaire , ces derniers cependant font toujours retenus par les liens de la paresse dans le chemin de la vertu, c’est qu’ils n’ont pas mĂȘme la force de s’en Ă©carter. La vertu du premier est la feule vertu Ă©clairĂ©e & active ; mais elle ne croĂźt ou du moins ne parvient Ă  un certain degrĂ© de hauteur , que dans les rĂ©publiques guerriĂšres ; parce que c’est uniquement dans cette forme de gouvernement que l’estime publique nous Ă©leve le plus au- dessus des autres hommes , qu’elle nous attire plus de respects de leur part, qu’elle 66 De l’ E s p r i t, est la plus flatteuse, la plus dĂ©sirable , la plus propre enfin Ă  produire de grands effets. La vertu des seconds , entĂ©e fur la pa- rcfle , & produite , st je l’ose dire , par l’absence des pallions fortes , n’est qu’une vertu passive, qui, peu Ă©clairĂ©e, 6c par consĂ©quent tres-dangcreuse dans les premiĂšres places , est d’ailleurs assez sure. Elle est commune Ă  tous ceux qu’on appelle honnĂȘus gins , plus estimables par les maux qu’ils ne font pas , que par les biens qu’ils font. A l’égard des hommes pasiĂŹonnĂ©s que j’ai citĂ© les premiers , il est Ă©vident que ĂŹe mĂȘme dĂ©sir de gloire, qui, dans les premiers siĂ©cles de la rĂ©publique Romaine , en eĂ»t fait des Curtius & des DĂ©- cius , en devoit faire des Marins & des Octave dans ces moments de trouble Ăšc de rĂ©volutions, oĂč la gloire Ă©toit, comme dans les derniers temps de la rĂ©publique , uniquement attachĂ©e Ă  la tyrannie & Ă  la puissance. Ce que je dis de la passion de la gloire, je le dis de l’a- mour de la considĂ©ration , qui n’est qu’un diminutif de l’amour de la gloire, & l’ob- jet des dĂ©sirs de ceux qui ne peuvent atteindre Ă  la renommĂ©e. Ce dĂ©sir de la considĂ©ration doit pareillement produire , en des siĂ©cles dit- Discours I ĂŻ Ă­- 67 sĂ©rents, des vices Se des vertus contraires. Lorsque le crĂ©dit a le pas fur le mĂ©rite , ce dĂ©sir fait des intrigants Se des flatteurs ; lorsque l’argent est plus honorĂ© que la vertu, il produit des avares , qui recherchent les richesses avec le mĂȘme empressement que les premiers Romains les fuyoient lorsqu’il Ă©toit honteux de les possĂ©der d’oĂč je conclus que, dans des mƓurs S C des gouvernements diffĂ©rents , le mĂȘme dĂ©sir doit produire des Cincinnatus , des Papyrius, des Cras- sus & des SĂ©jan. A ce sujet, je ferai remarquer en passant quelle diffĂ©rence on doit mettre entre les ambitieux de gloire oc les ambitieux de places ou de richesses. Les premiers ne peuvent jamais ĂȘtre que de grands criminels ; parce que les grands crimes, par la supĂ©rioritĂ© des talents nĂ©cessaires pour les exĂ©cuter, & le grand prix attachĂ© au succĂšs , peuvent seuls en imposer assez Ă  ^imagination des hommes , pour ravir leur admiration ; admiration fondĂ©e en eux fur un dĂ©sir intĂ©rieur Sc secret de ressembler Ă  ces illustres coupables. Tout homme amoureux de la gloire est donc incapable de tous les petits crimes. Si cette passion fait des Cromwel, elle ne fait jamais des Cartouche. D’oĂč je conclus que, Ă­ausies positions rares Sc extraordinaires 6È De l’ Esprit. oĂč se sont trouvĂ©s les Sylla 6c les CĂ©sar , dans toute autre position , ces mĂȘ- mes hommes, par la nature mĂȘme de leurs pallions , fuirent restes fidĂšles Ă  la vertu; bien diffĂ©rents en ce point de ces intrigants 6c de ces avares que la bassesse 6c l’obscuritĂ© de leurs crimes met journellement dans Poccasion d’en commettre de nouveaux. AprĂšs avoir montrĂ© comment da mĂȘme passion , qui nous nĂ©cessite Ă  l’amour & Ă  la pratique de la vertu, peut, en des temps 6c des gouvernements diffĂ©rents , produire en nous des vices contraires ; essayons maintenant de percer plus avant dans le cƓur humain ; 6c de dĂ©couvrir pourquoi y dans quelque gouvernement que ce soit, l’homme , toujours incertain dans fa conduite , est , par ses passions , dĂ©terminĂ© tantĂŽt aux bonnes , tantĂŽt aux mauvaises actions; 6c pourquoi son cƓur est une arene toujours ouverte Ă  la lutte du vice 6c de la vertu. Pour rĂ©soudre ce problĂšme moral, if faut chercher la cause du trouble 6c du repos successif de la conscience, de ces mouvements confus & divers de PĂąme, & enfin de ces combats intĂ©rieurs que le poĂšte tragique ne prĂ©sente avec tant de succĂšs au thĂ©Ăątre , que parce que les spectateurs en ent tous Ă©prouvĂ© de sembla- Discours III. 69 blĂ©s il faut Te demander quels font ces deux moi que Pascal / & quelques Philosophes Indiens ont reconnu en eux. Pour dĂ©couvrir la cause universelle de tous ces effets, il suffit d’observer que les hommes ne font point mus par une Ă­eule espece de sentiment ; qu’il n’en est aucun d’exactement animĂ© de ces pallions solitaires qui remplissent toute la capacitĂ© d’une ame ; qu’entraĂźnĂ© tour Ă  tour par des passions diffĂ©rentes, dont les unes font conformes &c les autres contraires Ă  l’in~ 'tĂ©rĂ«t gĂ©nĂ©ral, chaque homme est fournis Ă  deux attractions diffĂ©rentes, dont l’une le porte au vice & l’autre Ă  la vertu. Je dis chaque homme, parce qu’il n’y a point de probitĂ© plus universellement reconnue que celle de Caton & de Brutus , parce qu’aucun homme ne peut se flatter d’ĂȘtre plus vertueux que ces deux Romains cer pendant, le premier, surpris par un mouvement d’avarice , fit quelques vexations f Dans l’école de Vedantam , les Brachmanes de cette secte enseignent qu’il y a deux principes ; l’un positif, qui est le moi-, l’autre nĂ©gatif, au- quel ils donnent le nom de maya , c’est-Ă  dire du moi , c’est-Ă -dire erreur. La sagesse consiste Ă  se dĂ©livrer du maya , en se persuadant, par une application constante , qu’on est Y ĂȘtre unique , Ă©ternel , infini la clef de la dĂ©livrance est dans ces paroles Je suis F ĂȘtre suprĂȘme. 7© De l’Esprit. dans son gouvernement ; & le second , touchĂ© des priĂšres de fa fille, obtint du sĂ©nat, en faveur de Bibulus son gendre, une grĂące qu’il avoit fait refuser Ă  CicĂ©ron son ami, comme contraire Ă  Tin- tĂ©rĂȘt de la rĂ©publique. VoilĂ  la cause de ce mĂ©lange de vice & de vertu qu’on apperçoit dans tous les cƓurs ; & pourquoi , fur la terre , il n’est point de vice ni de vertu pure. Pour savoir maintenant ce qui fait donner Ă  un homme le nom de vertueux ou de vicieux, il faut observer que, parmi les passions dont chaque homme est animĂ© , il en est nĂ©cessairement une qui prĂ©side principalement Ă  fa conduite , & qui, dans son ame, l’emporte sur toutes les autres. Or, selon que cette derniere y commande plus ou moins impĂ©rieusement, &t qu’eĂ­le est , par sa hature ou par les circonstances , utile ou nuisible Ă  l’état , l'homme, plus souvent dĂ©terminĂ© au bien ou au mal, reçoit le nom de vertueux ou de vicieux. J’ajouterai seulement que la force de ses vices ou de ses vertus fera toujours proportionnĂ©e Ă  la vivacitĂ© de ses passions , dont la force fe mesure sur le degrĂ© de plaisir qu’il trouve Ă  les satisfaire, ; VoilĂ  pourquoi, dans la premiers jeu* D T S C O U R S III. 71 nesse, Ăąge oĂč Ton est plus sensible au plaisir Sc capable de pallions plus fortes , l’on est , e» gĂ©nĂ©ral, capable de plus grandes actions. La plus haute vertu, comme le vice le plus honteux , est en nous FeĂ­Fet du plaisir plus ou moins vif que nous trouvons Ă  nous y livrer. AuslĂź n’a-t-on une mesure prĂ©cise de sa vertu , qu’aprĂšs avoir dĂ©couvert, par un examen scrupuleux, le nombre 6c les degrĂ©s de peines qu’une passion telle que l’amour de la justice ou la gloire peuvent nous faire supporter. Celui pour qui Pes- time est tout Sc la vie n’est rien, siibira, comme Socrate, plutĂŽt la mort que de demander lĂąchement la vie. Celui qui devient FamĂ© d’un Ă©tat rĂ©publicain, que For- gueil 6c la gloire rendent passionnĂ© pour le bien public , prĂ©fĂ©rĂ© , comme Caton , la mort Ă  Phumiliation de voir lui 6c fa patrie asservis Ă  une autoritĂ© arbitraire. Mais de telles actions font l’effet du plus grand amour pour la gloire. C’eĂ­t Ă  ce dernier terme qu’atteignent les plus fortes passions , Sc Ă  ce mĂȘme terme que la nature a posĂ© les bornes de la vertu humaine. En vain voudroit-on se le dissimuler Ă  soi-mĂȘme; on devient nĂ©cessairement l’en- nemi des hommes, lorsqu’on ne peut ĂȘtre 7i De l’Esprtt. heureux que par leur infortune ri. C’est rheurcuse conformitĂ© qui se trouve entre notre intĂ©rĂȘt & FintĂ©rĂȘt public, conformitĂ© ordinairement produite par le deĂ­ĂŹr .de Festime, qui nous donne pour les hommes ces sentiments tendres dont leur affection est la rĂ©compense. Celui qui, pour ĂȘtre vertueux, auroit toujours ses penchants Ă  vaincre , feroit nĂ©cessairement un malhonnĂȘte homme. Les vertus mĂ©ritoires ne font jamais des vertus sĂ»resA. II est impossible, dans la pratique , de livrer, pour ainsi dire, tous les jours des batailles Ă  ses passions , fans en perdre un grand nombre. Toujours forcĂ© de cĂ©der Ă  FintĂ©rĂȘt le plus puissant, quelque amour qu’on ait pour Festime, on n’y sacrifie jamais des plaisirs plus grands que ceux qu’elle procure. Si, dans certaines occasions , de saints personnages fe font quelquefois exposĂ©s au mĂ©pris du public , c’est qu’ils ne vouloient pas sacrifier leur salut Ă  leur gloire. Si quelques femmes rĂ©sistent aux empressements d’un prince , c’est quelles g Secundhm id quoi ampliĂčs nos ddcfĂ­at upe- rvnur neceffe est , dit S. Augustin. { h Dans Ă­e harem , ce n’est point aux vertus mĂ©ritoires, mais Ă  rimpuiffance , que le grand seigneur donne ses femmes Ă  garder. ne Discours III. 73 ne se croyent pas dĂ©dommagĂ©es par fa conquĂȘte de la perte de leur rĂ©putation aussi en est-il peu d’insensibles Ă  l’amour d’un roi, presque aucune qui ne cede Ă  l’amour d’un roi jeune Sc charmant, &c nulle qui pĂ»t rĂ©sister Ă  ces ĂȘtres bienfaisants , aimables ĂŽc puissants, tels qu’on nous peint les sylphes & les gĂ©nies, qui, par mille enchantements , pourroient Ă  la fois enivrer tous les sens d’une mortelle. Cette vĂ©ritĂ©, fondĂ©e fur le sentiment de l’amour de soi, est non-seulement reconnue , mais mĂȘme avouĂ©e des lĂ©gislateurs. Convaincus que l’amour de la vie Ă©toit en gĂ©nĂ©ral la plus forte passion des hommes -, les lĂ©gislateurs n’ont, en consĂ©quence , jamais regardĂ© comme criminel ou l’homicide commis Ă  son corps dĂ©fendant , ou le refus que feroit un citoyen de fe vouer , comme DĂ©cius , Ă  la mort pour le salut de sa patrie. L’homme vertueux n’est donc point celui qui sacrifie ses plaisirs, ses habitudes &c ses plus fortes passions, Ă  l’intĂ©rĂȘt public, puifqĂč’un tel homme est impossible a ; mais celui dont la plus forte p?sl- a S*il est des hommes qui semblent avoir sacrifiĂ© leur intĂ©rĂȘt Ă  l’intĂ©rĂȘt public, c'est que l’i- Tome IL D 74 O L l’ E s p r i t. Ă­ĂŹon est tellement conforme Ă l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral , qu’il est presque toujours nĂ©cessitĂ© Ă  la vertu. C’est pourquoi l’on approche d’autant plus de la perfection & l’on mĂ©rite d’autant plus le nom de vertueux, qu’il faut, pour nous dĂ©terminer Ă  une action malhonnĂȘte ou criminelle, un plus grand motif de plaisir, un intĂ©rĂȘt plus puissant , plus capable d’enflammer nos dĂ©sirs, & qui suppose par consĂ©quent en nous plus de passion pour l’honnĂȘtetĂ©. CĂ©sar n’étoit pas , fans doute, un des Romains le plus vertueux cependant, s’il ne put renoncer au titre de bon citoyen qu’en prenant celui de maĂźtre du monde, peut-ĂȘtre n’est-on pas en droit de le bannir de la classe des hommes honnĂȘtes. En effet, parmi les hommes vertueux & rĂ©ellement dignes de ce titre, combien est-il d’hommes qui, placĂ©s dans les mĂȘmes circonstances, refusassent le sceptre du monde , sur-tout s’ils se sentoient, comme CĂ©sar, douĂ©s de ces talents supĂ©rieurs qui assurent le succĂšs des grande vertu est , dans une bonne forme de gou- ntj tellement unie Ă  l'idĂ©e de bonheur , & ’ e Ă  ridĂ©e de mĂ©pris, qu’emportĂ© par , dont on n’a pas toujours l’ori- *Cit faire par ce motif des ac- dĂ©e verneme. l’idĂ©e de vi un sentiment vu Discours III. 75 des entreprises? Moins de talent les ren- droit peut-ĂȘtre meilleurs citoyens; une mĂ©diocre vertu , soutenue de plus d’in- quiĂ©tude fur le succĂšs , suffiroit pour les dĂ©goĂ»ter d’un projet si hardi. C’est quelquefois un dĂ©faut de talent qui nous prĂ©serve d'un vice ; c’est souvent Ă  ce mĂȘme dĂ©faut qu’on doit le complĂ©ment de ses vertus. On est au contraire d’autant moins honnĂȘte , qu’il faut, pour nous porter au crime , des motifs de plaisirs moins puissants. Tel est, par exemple, celui de quelques empereurs de Maroc , qui, uniquement pour faire parade de leur adresse , enlĂšvent d’un seul coup de sabre , en fe mettant en selle , la tĂȘte de leur Ă©cuyer. VoilĂ  ce qui diffĂ©rencie , de la maniĂ©rĂ© la plus nette , la plus prĂ©cise & la plus conforme Ă  l’expĂ©rience, l’homme vertueux de l’homme vicieux c’est fur ce plan que le public feroit un thermomĂštre exact , oĂč ieroient marquĂ©s les divers degrĂ©s de vice ou de vertu de chaque citoyen , si , perçant au fond des cƓurs , il pouvoit y dĂ©couvrir le prix que chacun met Ă  fa vertu. L’impostibilitĂ© de parvenir Ă  cette connoiffance l’a forcĂ© Ă  ne juger des hommes que par leurs actions ; jugement extrĂȘmement fautif dans quelque cas particulier, mais en total assez D ij 7 6 De l’ E s p r i t. conforme Ă  TintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, &c presque auĂ­ĂŻĂŻ utile que s’il Ă©toit plus juste. AprĂšs avoir examinĂ© le jeu des passions , expliquĂ© la cause du mĂ©lange de vices & de vertus qu’on apperçoit dans tous les hommes ; avoir posĂ© la borne de la vertu humaine & fixĂ© enfin l’idĂ©e qu’on doit attacher au mot vertueux ; l’on est maintenant en Ă©tat de juger si c’est Ă  la nature ou Ă  la lĂ©gislation particuliĂšre de quelques Ă©tats qu’on doit attribuer Tin- cliffĂ©rence de certains peuples pour la vertu. Si le plaisir est Tunique objet de la recherche des hommes , pour leur inspirer l’amour de la vertu , il ne faut qu’imi- ter la nature le plaisir en annonce les volontĂ©s, la douleur les dĂ©fenses ; & l’homme lui obĂ©it avec docilitĂ©. ArmĂ© de la mĂȘme puissance , pourquoi le lĂ©- gistateur ne produiroit-il pas les mĂȘmes effets ? Si les hommes Ă©toient fans passions , nul moyen de les rendre bons mais Tamour du plaisir, contre lequel se sont Ă©levĂ©s des gens d’une probitĂ© plus respectable qu’ , est un frein avec lequel on peut toujours diriger au bien gĂ©nĂ©ral les passions des particuliers. La haine de la plupart des hommes pour la vertu n’est donc pas l’effet de la corruption de leur nature , mais de l’imper- * Discours III. 77 section ÂŁ de la lĂ©gislation. C’est la lĂ©gislation , si je l’ose dire , qui nous excite au vice , en y amalgamant trop souvent Ă­e plaisir le grand art du lĂ©gislateur est l’art de les dĂ©sunir, & de ne laisser aucune proportion entre l’avantage que le scĂ©lĂ©rat retire du crime & la peine Ă  laquelle il s’expose. Si, parmi les gens riches , souvent moins vertueux que les indigents , on voit peu de voleurs Sc d’as- saslins, c’est que le profit du vol n’est jamais , pour un homme riche, proportionnĂ© au risque du supplice. Il n’en est pas ainsi de l’indigent cette disproportion se trouvant infiniment moins grande Ă  son Ă©gard, il reste , pour ainsi dire, en Ă©quilibre entre le vice & la vertu. Ce n’est pas que je prĂ©tende insinuer ici qu’on doive mener les hommes avec une verge de fer. Dans une excellente lĂ©gislation, & chez b Si les voleurs font auffi fidĂšles aux conventions faites entr’eux que les honnĂȘtes gens, c’est que le danger commun qui les unit les y nĂ©cessite. C’est par ce mĂȘme motif qu’on acquitte si scrupuleusement les dettes du jeu , & qu’on fait si impudemment banqueroute Ă  fes crĂ©anciers. Or , si ü’intĂ©rĂȘt fait faire aux coquins ce que la vertu fait faire aux honnĂȘtes gens , qui doute qu’en maniant habilement le principe de l’intĂ©rĂȘt, un lĂ©gislateur Ă©clairĂ© ne pĂ»t nĂ©cessiter tous les hommes Ă  la vertu ? D iij 78 De l’Esprit, un peuple vertueux , le mĂ©pris, qui prive lin hdmme dĂ© tout consolateur, qui le laisse isolĂ© au milieu de sa patrie , est un motif suffisant pour former des Ăąmes vertueuses. Toute autre espece de chĂątiment rend fhomme timide , lĂąche & stupide. L’espece de vertu qu’engendre la crainte des supplices se ressent de son origine ; cette vertu est pusillanime & sans lumiĂšre ou plutĂŽt la crainte n’étousse que des vices , & ne produit point de vertus. La vraie vertu est fondĂ©e fur le dĂ©sir de f estime & de la gloire , &c fur l’horreur du mĂ©pris, plus effrayant que la mort mĂȘme. J’en prends pour exemple la rĂ©ponse que le Spectateur ^4nglois fait faire Ă  Phara- mond par un soldat duelliste , Ă  qui ce prince reprochoit d’avoir contrevenu Ă  ses ordres Comment , lui rĂ©pondit-il, niyseroĂŹs-je soumis Tu ne punis que de mort ceux qui les violent , & tu punis d'infamie ceux qui y obĂ©ifjent. Apprends que je crains moins la mort que h mĂ©pris. Je pourvois conclure de ce que j’ai dit, que ce n’est point de la nature , mais de la diffĂ©rente constitution des Ă©tats , que dĂ©pend famour ou l’indiffĂ©rence de certains peuples pour la vertu mais , quelque juste que fut cette conclusion , elle ne feroit cependant pas assez prouvĂ©e , si , pour jetter plus de jour fur cette ma- Discours III. 79 tiere , je ne cherchois plus particuliĂšrement dans les gouvernements , ou libres ou despotiques, les causes de ce mĂȘme amour ou de cette mĂȘme indiffĂ©rence pour la vertu. Je m’arrĂȘterai d’abord au despotisme ĂŽc, pour en micaix connoĂźtre la nature, j’examinerai quel motif allume dans l’homme ce dĂ©sir effrĂ©nĂ© d'un pouvoir arbitraire, tel qu’on l'exerce dans l’orient. Si je choisis liment pour exemple, c’est que l’indiffĂ©rence pour la vertu ne se fait constamment sentir que dans les gouvernements de cette espece. En vain quelques nations voisines 6c jalouses nous ac- cusent-elles dĂ©jĂ  de ployer fous le joug du despotisme oriental je dis que notre religion ne permet pas aux princes d’u- surper un pareil pouvoir ; que notre constitution est monarchique , 6c non despotique ; que les particuliers ne peuvent, en consĂ©quence , ĂȘtre dĂ©pouillĂ©s de propriĂ©tĂ© que par la loi, 6c non par une volontĂ© arbitraire ; que nos princes prĂ©tendent au titre de monarque, 6c non Ă  celui de despote ; qu’ils reconnoiĂ­fent des loix fondamentales dans le royaume ; qu’ils se dĂ©clarent les peres , 6c non les tyrans de leurs sujets. D’ailleurs , le despotisme ne pourroit s’établir en France , qu’elle ne fĂ»t bien-tĂŽt subjuguĂ©e. II n’en est pas de D iiij $o De l’Esprit. ce royaume comme de la Turquie, de la Perse, de ces empires dĂ©fendus par de vastes dĂ©serts, & dont l’immense Ă©tendue supplĂ©ant Ă  la dĂ©population qu’occa- sionne le despotisme , fournit toujours des armĂ©es au sultan. Dans un pays resserrĂ© comme le nĂŽtre, & environnĂ© de nations Ă©clairĂ©es & puissantes, les Ăąmes ne se- roient pas impunĂ©ment avilies. La France, dĂ©peuplĂ©e par le despotisme , seroit bientĂŽt la proie de ces nations. En chargeant de fers les mains de ses sujets , le prince ne les soumettroit au joug de l’esclavage que pour subir lui-mĂȘme le joug des princes ses voiĂ­irfs. II est donc impossible qu’il forme un pareil projet. CHAPITRE XVII. Ăźu dĂ©sir que tous Us hommes ont d'ĂȘtre despotes , des moyens qu’ils emploient pour y parvenir , & du danger auquel le despotisme expose les rois. C E dĂ©sir prend fa source dans l’amour du plaisir, & par consĂ©quent dans la nature mĂȘme de l’homme. Chacun veut ĂȘtre le plus heureux qu’il est possible ; chacun veut ĂȘtre revĂȘtu d’une puissance qui force les hommes Ă  contribuer de tout Discours III. St leur pouvoir Ă  son bonheur c’est pour cet effet qu’on veut leur commander. Or , l’on rĂ©git les peuples , ou selon des loix & des conventions Ă©tablies , ou par une volontĂ© arbitraire. Dans le premier cas , notre puissance fur eux est moins absolue ; ils sont moins nĂ©cessitĂ©s Ă  nous plaire d’ailleurs, pour gouverner un peuple selon ses loix, il faut les connoĂźtre, les mĂ©diter , supporter des Ă©tudes pĂ©nibles , auxquelles la paresse veut toujours se soustraire. Pour satisfaire cette paresse , chacun aspire donc au pouvoir absolu , qui, le dispensant de tout soin, de toute Ă©tude & de toute fatigue d’attention , soumet servilement les hommes Ă  ses volontĂ©s. Selon Aristote , le gouvernement despotique est celui oĂč tout est esclave , oĂč l’on ne trouve qu’un homme de libre. VoilĂ  par quel motif chacun veut ĂȘtre despote. Pour l’ĂȘtre , il faut abbaiffer la puissance des grands &c du peuple, & diviser , par consĂ©quent , les intĂ©rĂȘts des citoyens. Dans une longue fuite de siĂ©cles , le temps en fournit toujours l’oc- casion aux souverains , qui, presque tous animĂ©s d’un intĂ©rĂȘt plus actif que bien entendu , la saisissent avec aviditĂ©. C’est sur cette anarchie des intĂ©rĂȘts que s’est Ă©tabli le despotisme oriental, assez D v 8r De l’Esprit, semblable Ă  la peinture que Miltonfait de l’empire du Chaos , qui, dit-il, Ă©tend son pavillon royal fur un gouffre aride & dĂ©solĂ© , oĂč la Confusion entrelaĂ­TĂ©e dans elle- mĂȘme, entretient l’anarchie & la discorde des ElĂ©ments , & gouverne chaque atome avec un sceptre de fer. La division une fois semĂ©e entre les citoyens , il faut, pour avilir & dĂ©grader les Ăąmes , faire fans cesse Ă©tinceller aux yeux des peuples le glaive de la tyrannie, mettre les vertus au rang des crimes , skies punir comme tels. A quelles cruautĂ©s ne s’eĂ­t point, en ce genre, portĂ© le despotisme , non seulement en orient, mais mĂȘme sous les empereurs Romains? Sous le rĂ©gnĂ© de Domitien, dit Tacite, les vertus Ă©toient des arrĂȘts de mort. Rome n’é- toit remplie que de dĂ©lateurs ; l’esclave Ă©toit l’espion de son maĂźtre, l’affranchi de son patron , l’ami de son ami. Dans ces Ă­iecles de calamitĂ©, l’homme vertueux ne conseilloit pas le crime, mais il Ă©toit forcĂ© de s’y prĂȘter. Plus de courage eut Ă©tĂ© mis au rang des forfaits. Chez les Romains avilis , la foiblesse Ă©toit un hĂ©roĂŻsme. On vit, sous ce rĂ©gnĂ©, punir, dans SenĂ©cion & Rusticus , les panĂ©gyristes des vertus de Thrasea ĂŽc d’Helvidius ; ces illustres orateurs traitĂ©s de criminels d’état , & leurs ouvrages brĂ»lĂ©s par l’autoritĂ© publi- Discours III. 83 que. On vit des Ă©crivains cĂ©lĂ©brĂ©s , tels que Pline, rĂ©duits Ă  composer des ouvrages de grammaire , parce que tout genre d’ouvrage plus Ă©levĂ© Ă©toit suspect Ă  la tyrannie & dangereux pour son auteur. Les savants attirĂ©s Ă  Rome par les Auguste, les VespalĂŹen , les Antonins , & les Tra- jan , en Ă©toient bannis par les NĂ©ron, les Caligula , les Domitien & les Caracalla. On chassa les philosophes , on proscrivit les sciences. Ces tyrans vouloient anĂ©antir , dit Tacite , tout ce qui portoit l’em- preinte de l'esprit & de la vertu. C’est en tenant ainsi les Ăąmes dans les angoisses perpĂ©tuelles de la crainte, que la tyrannie fait les avilir c’est elle qui, dans l’orient, invente ces tortures , ces supplices c si cruels ; supplices quelquefois nĂ©cessaires dans ces pays abominables , parce que les peuples y font excitĂ©s aux forfaits , non seulement par leur misere , mais encore par le sultan qui leur donne l’exemple du crime, & leur apprend Ă  mĂ©priser la justice. c Si les supplices en usage dans presque tout l’orient font horreur Ă  l’humanitĂ© , c’esl que le despote , qui les ordonne , se sent au dessus das loix. II n’en est pas ainsi dans les rĂ©publiques ; les loix y font toujours douces, parce que celui qui les Ă©tablit s’y soumet. D vj 84 De l’ E s p r i t, VoilĂ , 5c les motifs fur lesquels est fondĂ© l’amour du despotisme , ĂŽc les moyens qu’on emploie pour y parvenir. C’est ainĂ­i que , follement amoureux du pouvoir arbitraire , les rois se jettent inconsidĂ©rĂ©ment dans une route coupĂ©e pour eux de mille prĂ©cipices , & dans laquelle mille d’entr’eux ont pĂ©ri. Osons, pour le bonheur de l’humanitĂ© , &c celui des souverains , les Ă©clairer fur ce point ; leur montrer le danger auquel , fous un pareil gouvernement, eux & leurs peuples font exposĂ©s. Qu’ils Ă©cartent dĂ©formais loin d’eux tout conseiller perfide qui leur ins- pireroit le dĂ©sir du pouvoir arbitraire qu’ils sachent enfin que le traitĂ© le plus fort contre le despotisme , seroit le traitĂ© du bonheur &c de la conservation des rois. Mais , dira-t-on , qui peut leur cacher cette vĂ©ritĂ© ? Que ne couiparent-ils le petit nombre de princes bannis d’Angleterre au nombre prodigieux d’empereurs Grecs oit Turcs Ă©gorgĂ©s fur lĂ© trĂŽne de Constantinople? Si les sultans, rĂ©pondrai - je, ne font point retenus par ces exemples effrayants , c’est qu’ils n’ont pas ce tableau habituellement prĂ©sent Ă  la mĂ©moire ; c’est qu’ils font continuellement poussĂ©s au despotisme par ceux qui veulent partager avec eux le pouvoir arbitraire ; c’est Discours IIĂŻ. 8; que la plupart des princes d’orient, instruments des volontĂ©s d’un vizir, cĂšdent par foibleffe Ă  ses dĂ©sirs , Sc ne font pas assez avertis de leur injustice par la noble rĂ©sistance de leurs sujets. L’entrĂ©e au despotisme est facile. Le peuple prĂ©voit rarement les maux que lui prĂ©pare une tyrannie affermie. S’il l’ap- perçoit enfin , c’est au moment qu’acca- blĂ© fous le joug, enchaĂźnĂ© de toutes parts, Sc dans l’impuissance de se dĂ©fendre , il n’attend plus qu’en tremblant le supplice auquel on veut le condamner. Enhardis par la foibleffe des peuples , les princes se font despotes. Ils ne savent pas qu’ils suspendent eux-mĂȘmes fur leurs tĂȘtes le glaive qui doit les frapper ; que, pour abroger toute loi Sc rĂ©duire tout au pouvoir arbitraire, il faut perpĂ©tuellement avoir recours Ă  la force , Sc souvent employer le glaive du soldat. Or l’usage habituel de pareils moyens , ou rĂ©volte les citoyens St les excite Ă  la vengeance , ou les accoutume insensiblement Ă  ne re- connoĂźtre d’autre justice que la force. Cette idĂ©e est long-temps Ă  se rĂ©pandre dans le peuple ; mais elle y perce , Sc parvient jusqu’au soldat. Le soldat apper- çoit enfin qu’il n’est dans l’état aucun corps qui puisse lui rĂ©sister ; qu’odieux Ă  ses sujets , le prince lui doit toute fa puissance 86 De l’Esprit. son. ame s’ouvre Ă  son insu Ă  des projets audacieux , il deĂ­ire d’amĂ©liorer fa condition. Qu’alors un homme hardi & courageux le flatte de cet espoir, & lui promette le pillage de quelques grandes villes, un tel homme , comme le prouve toute l’his- toire, suffit pour faire une rĂ©volution ; rĂ©volution toujours rapidement suivie d’u- ne seconde ; puisque, dans les Ă©tats despotiques , comme le remarque l’illustre prĂ©sident de Montesquieu , sans dĂ©truire la tyrannie, on massacre souvent les tyrans. Lorsqu’une fois le soldat a connu sa force, il n’est plus possible de le contenir. Je puis citer, Ă  ce sujet, tous les empereurs Romains proscrits par les prĂ©toriens , pour avoir voulu affranchir la patrie de la tyrannie des soldats , & rĂ©tablir l’ancienne discipline dans les armĂ©es. Pour commander Ă  des esclaves, le despote est donc forcĂ© d’obĂ©ir Ă  des milices toujours iniquiĂ©tes & impĂ©rieuses. II n’en est pas ainsi, lorsque le prince a crĂ©Ă© dans l’état un corps puissant de magistrats. JugĂ© par ces magistrats , le peuple a des idĂ©es du juste Sc de l’injuste; le soldat, toujours tirĂ© du corps des citoyens, conserve dans son nouvel Ă©tat quelqu’idĂ©e de la justice ; d’ailleurs , il sent qu’ameutĂ© par le prince &c par les magistrats, le corps entier des citoyens, fous l’étendard Discours III. 87 des loix, s’oppoferoit aux entreprises hardies qu’il pourroit tenter; 6c que , quelle que fĂ»t fa valeur , il succomberoit enfin sous le nombre il est donc ' Ă  la fois retenu dans l’on devoir, 6c par l’idĂ©e de la justice , 6c par la crainte. Ce corps puissant de magistrats est donc nĂ©cessaire Ă  la sĂ»retĂ© des rois c’est un bouclier fous lequel le peuple 6c le prince font Ă  l’abri, l’un des cruautĂ©s de la tyrannie , l’autre des fureurs de la sĂ©dition. C’étoit Ă  ce sujet , 6c pour se soustraire au danger qui, de toutes parts, environnent les despotes, que le khalife Aaron Al-Rafchid demandoit un jour au cĂ©lĂ©brĂ© Beloulh , son frere , quelques conseils fur la maniĂ©rĂ© de bien regner » Faites , lui » dit-il, que vos volontĂ©s soient confor- » mes aux loix, 6c non les loix Ă  vosvo- » lontĂ©s. Songez que les hommes fans mĂ©- » rite demandent beaucoup , 6c les grands » hommes rarement ; rĂ©sistez donc aux » demandes des uns, 6c prĂ©venez celles » des autres. Ne chargez point vos peu- » pies d’impĂŽts trop onĂ©reux rappellez- » vous , Ă  cet Ă©gard, les avis du roi Nou- » chirvon, le juste , Ă  son fils Ormous » A/on fils , lui diĂ­oit-il, personne ne sera » heureux dans ton empire , fi tu ne songes » qu Ă  tes aises. Lorsqu Ă©tendu sur des cous- sĂŹns tu feras prĂȘt Ă  t'endormir > souviens* 88 De l’Esprit. » toi de ceux que Voppression tient Ă©veillĂ©s ; » lorsqu on servira, devant toi un repas splen - » dide , songe Ă  ceux qui languissent dans la » misere ; lorsque du parcourras les bosquets » dĂ©licieux de ton harem , souviens-toi qiĂŹil » efĂŹ des infortunĂ©s que la tyrannie retient » dans les fers. Je n’ajouterai, dit Be- » loulh , qu’un mot Ă  ce que je viens de » dire Mettez en votre faveur les gens »> Ă©minents dans les sciences ; conduisez- » vous par leurs avis, afin que la monar- » chie soit obĂ©issante Ă  la loi Ă©crite, & » non la loi Ă  la Monarchie J. » ThĂ©misse e , chargĂ© de la part du sĂ©nat de haranguer Jovien Ă  son avĂšnement au trĂŽne , tint, Ă  peu prĂšs , le mĂȘme discours Ă  cet empereur Souvenez - vous , lui dit-il , que , fi Us gens de guerre vous ont Ă©levĂ© Ă  Vempire , les philosophes vous apprendront Ă  te bien gouverner. Les premiers vous ont donnĂ© la pourpre des .CĂ©sars ; les seconds vous apprendront Ă  la porter dignement. Chez les anciens Perses mĂȘme, les plus vils &z les plus lĂąches de tous les peuples, il Ă©toit permis aux f philosophes, chargĂ©s d’inaugurer les princes, de leur id Chardin , t o m. V. e Hifl. critique de la philosophie , par M. Des landes. if Voyez l’hijl. critique de la philosophie. Discours III. 89 rĂ©pĂ©ter ces mots au jour de leur couronnement Sache , o roi, que ton autoritĂ© cessera d'ĂȘtre lĂ©gitime , le jour mĂȘme que tu. cesseras de rendre les Perses heureux. VĂ©ritĂ© dont Trajan paroissoit pĂ©nĂ©trĂ©, lorf- qu’élevĂ© Ă  l’empire , &c faisant, selon l’u- sage , prĂ©sent d’une Ă©pĂ©e au prĂ©fet du prĂ©toire , il lui dit Receve ÂŁ de moi cette Ă©pĂ©e , & servevous-en fous mon rĂ©gnĂ© , ou pour dĂ©fendre en moi un prince juse , ou pour punir en moi un tyran. Quiconque , fous prĂ©texte de maintenir l’autoritĂ© du prince, veut la porter jusqu’au pouvoir arbitraire, est, Ăą la fois, mauvais pere , mauvais citoyen , & mauvais sujet mauvais pere & mauvais citoyen r parce qu’il charge fa patrie & fa postĂ©ritĂ© des chaĂźnes de l’esclavage ; mauvais sujet, parce que changer l’aiitoritĂ© lĂ©gitime en autoritĂ© arbitraire, c’est Ă©voquer contre les rois l'ambition & le dĂ©sespoir. J’en prends Ă  tĂ©moin les trĂŽnes de l’orient, teints st souvent du sang de leurs souverains g . L’intĂ©rĂȘt bien entendu des g MalgrĂ© 1’attachement des Chinois pour leurs maĂźtres , attĂĄchement qui souvent a portĂ© plusieurs milliers d’entr’eux Ă  s’immoler fur la tombe de leurs souverains , combien l’ambition , excitĂ©e par l’es- poir d’une puissance arbitraire , n’a t-elle "pas occasionnĂ© de rĂ©volutions dans cet empire Voyez /’histoire des Huns , par M. de Guignes , article de la Chine, ço De l’ E s p r i t. sultans ne leur permettroit jamais, ni de souhaiter un pareil pouvoir , ni de cĂ©der, Ă  cet Ă©gard , aux dĂ©sirs de leurs vizirs. Les rois doivent ĂȘtre sourds Ă  de pareils conseils , 6c se rappeller que leur unique intĂ©rĂȘt est de tenir , si je l’ose dire, toujours leur royaume en valeur, pour en jouir eux 6c leur postĂ©ritĂ©. Ce vĂ©ritable intĂ©rĂȘt ne peut ĂȘtre entendu que des princes Ă©clairĂ©s dans les autres , la gloriole de commander en maĂźtre , & l’intĂ©rĂȘt de la paresse qui leur cache les pĂ©rils qui les environnent, l’emporteront toujours fur tout autre intĂ©rĂȘt ; 6c tout gouvernement, comme l’histoire le prouve , tendra toujours au despotisme. CHAPITRE XVIII. Principaux effets du despotisme. J E distinguerai d’abord deux especes de despotisme l’un qui s’établit tout-Ă - coup par la force des armes , fur une nation vertueuse qui le souffre impatiemment. Cette nation est comparable au chĂȘne pliĂ© avec effort, 6c dont l’élasticitĂ© brise bientĂŽt les cables qui le courboient. La Grece en fournit mille exemples. L’autre est fondĂ© par le temps , le luxe 6c la mollesse. La nation chez laquelle il Discours III. 91 s’étabĂŻit est comparable Ă  ce mĂȘme chĂȘne , qui , peu Ă  peu courbĂ© perd insensiblement le ressort nĂ©cessaire pour se redresser. C’est de cette derniere espece de despotisme dont il s’agit dans ce chapitre. Chez les peuples soumis Ă  cette forme de gouvernement , les hommes en place ne peuvent avoir aucune idĂ©e nette de la justice ; ils font, Ă  cet Ă©gard, plongĂ©s dans la plus profonde ignorance. En effet, quelle idĂ©e de justice pourrait se former un vizir ? II ignore qu’il est un bien public sans cette connoissance cependant, on erre çà & lĂ  fans guide ; les idĂ©es du juste & de l’injuste , reçues dans la premiere jeunesse , s’obscurcisscnt insensiblement, & disparaissent enfin entiĂšrement. Mais, dira-t-on , qui peut dĂ©rober cette connoissance aux vizirs ? Et comment, rĂ©pondrai - je , l’acquerroient-ils dans ces pays despotiques , oĂč les citoyens n’ont nulle part au maniement des affaires publiques ; oĂč l'on voit avec chagrin quiconque tourne ses regards fur les malheurs de la patrie ; oĂč l’intĂ©rĂȘt mal entendu du sultan se trouve en opposition avec l'intĂ©rĂȘt de ses sujets ; oĂč servir le prince c’est trahir sa nation ? Pour ĂȘtre juste & vertueux, il faut savoir quels font les devoirs du prince Lc des sujets , Ă©tudier les engagements rĂ©ciproques qui lient ensemble tous y r, De l’ E s ĂŻ r i t. les membres de la sociĂ©tĂ©. La justice n’est autre chose que la connoissance profonde de ces engagements. Pour s’élever Ă  cette connoistance , il faut penser or, quel homme ose penser chez un peuple soumis au pouvoir arbitraire ? La paresse, l’inuti- litĂ© , l’inhabitude, & mĂȘme le danger de penser en entraĂźne bientĂŽt l’impuissance. L’on pense peu dans les pays oĂč l’on tait ses pensĂ©es. En vain diroit-on qu’on s’y tait par prudence , pour faire accroire qu’on n’en pense pas moins il est certain qu’on n’en pense pas plus, Sc que jamais les idĂ©es nobles & courageuses ne s’en- gendrent dans les tĂȘtes soumises au despotisme. Dans ces gouvernements , l’on n’est jamais animĂ© que de cet esprit d’égoĂŻsme &c de vertige , qui annonce la destruction des empires. Chacun , tenant les yeux fixĂ©s fur son intĂ©rĂȘt particulier, ne les dĂ©tourne jamais fur l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Les peuples n’ont donc, en ces pays, aucune idĂ©e ni du bien public , ni des devoirs des citoyens. Les vizirs , tirĂ©s du corps de cette mĂȘme nation, n’ont donc, en entrant en place , aucun principe d’administration ni de justice ; c’est donc pour faire leur cour, pour partager la puissance du souverain, & non pour faire le bien, qu’ils recherchent les grandes places. Discours III. 93 Mais, en les supposant mĂȘme animĂ©s du dĂ©sir du bien, pour le faire, il saut s’éclai- rer & les vizirs , nĂ©cessairement emportĂ©s par les intrigues du serrail, n’ont pas le loisir de mĂ©diter. D’ailleurs , pour s’éclairer, ilfauts’ex- poser Ă  la fatigue de s Ă©tude & de la mĂ©ditation & quel motif les y pourroit engager ? ils n’y font pas mĂȘme excitĂ©s par la crainte de la censure k. Si l’on peut comparer les petites choses aux grandes, qu’on se reprĂ©sente l’état de la rĂ©publique des lettres. Si l’on en bannis- soit les critiques, ne sent-on pas qu’assran- chi de la crainte salutaire de la censure, qui force maintenant un auteur Ă  soigner, Ă  perfectionner ses talents , ce mĂȘme auteur ne prĂ©senteroit plus au public que des ouvrages nĂ©gligĂ©s & imparfaits ? VoilĂ  prĂ©cisĂ©ment le cas oĂč se trouvent les vizirs ; c’est la raison pour laquelle ils ne donnĂ©nt aucune attention Ă  l’administra- tion des affaires , &c ne doivent en gĂ©nĂ©ral jamais consulter les gens Ă©clairĂ©s i. h C’est pourquoi la nation Angloise , entre ses privilĂšges , compte la libertĂ© de la presse pour un des plus prĂ©cieux. fi Si, dans le parlement d’Angleterre , on a citĂ© l'autoritĂ© du prĂ©sident de Montesquieu , c’est que TAngleterre est un pays libre En fait de loix & d'administration , si le czar Pierre prenoit conseil du fameux Leibnhz , c’est qu’un grand 94 De l’Esprit. Ce que je dis des vizirs , je le dis des sultans. Les princes n’échappent point Ă  l’ignorance gĂ©nĂ©rale de leur nation. Leurs yeux mĂȘme , Ă  cet Ă©gard , font-couverts de tĂ©nĂšbres plus Ă©paisses que ceux de leurs sujets. Presque tous ceux qui les Ă©lĂšvent ou qui les environnent, avides de gouverner fous leur nom k , ont intĂ©rĂȘt de les abrutir. Auffi les princes destinĂ©s Ă  rĂ©gner , enfermĂ©s dans le serrail jusqti’à la mort de leur pere , passent-ils du harem fur le trĂŽne fans avoir aucune idĂ©e nette de la science du gouvernement & sans avoir une feule fois assistĂ© au divan. Mais, Ă l’exemple de Philippe de MacĂ©doine , Ă  qui la supĂ©rioritĂ© de courage &c de lumiĂšres n’inspiroit point une aveu- homme consulte sans honte un autre grand homme ; & que les RulTes , par le commerce qu’ils ont avec les autres nations de l’Europe, peuvent ĂȘtre plus Ă©clairĂ©s que les Orientaux. k Dans une tortue de gouvernement bien diffĂ©rente de la constitution orientale -, chez nous mĂȘme , Louis XIII, dans une de ses lettres, se plaint du marĂ©chal d’Ancre »I1 m’empĂȘche , dit— » il , de me promener dans Paris ; il ne m’accor- » de que le plaisir de la chaste, que la prome- » nade des thuileries ; il est dĂ©fendu aux officiers » de ma maison , ainsi qu’à tous mes sujets, de » m'entretenir d’affaires ferieuses , & de me par- » 1er en particulier. » II semble qu'en chaque pays on cherche Ă  rendre les princes peu dignes du trĂŽne oĂč la naissance les appelle. Discours III. 95 gle confiance, &c qui payoit des pages pour lui rĂ©pĂ©ter tous les jours ces paroles , Philippe , souviens - toi que tu ts homme ; pourquoi les vizirs ne permet- troient - ils pas aux critiques de les avertir quelquefois de leur humanitĂ© / ? Pourquoi ne pourroit-on fans crime douter de la justice de leurs dĂ©cisions , & leur rĂ©pĂ©ter , d’aprĂšs Grotius , que tout ordre ou toute loi dont on dĂ©fend Vexamen & la critique ne peut jamais'ĂȘtre qu une loi injuste ? C’est que les vizirs font des hommes. Parmi les auteurs, en est-il beaucoup qui eussent la gĂ©nĂ©rositĂ© d’épargner leurs critiques , s’ils avoient la puissance de les punir ? Ce ne feroit du moins que des hommes d’un esprit supĂ©rieur & d’un caractĂšre Ă©levĂ© , qui, sacrifiant leur ressentiment Ă  l’avantage du public , conserveroient Ă  la rĂ©publique des lettres des critiques , si nĂ©cessaires au progrĂšs des arts & des sciences. Or , comment exiger tant de gĂ©nĂ©rositĂ© de la part du vizir ? II ejl , dit Balzac , peu de miniflres ajfeç gĂ©nĂ©reux pour prĂ©fĂ©rer les louanges de la clĂ© - l Ce n'est point en orient qu’on trouve un duc de Bourgogne. Ce prince lisoĂŹt tous les libelles laits contre lui & contre Louis XIV. II vouloir s'Ă©clairer ; & il sentoit que la haine & Thumeur seules osent quelquefois prĂ©senter la vĂ©ritĂ© aux rois, y6 De l’ E s p r x t. mence % qui durent aujji long’-temps que les races conservĂ©es , au plaisir que donne la vengeance ; & qui cependant passe auss vite que le coup de hache qui ahbat une tĂȘte. Peu de vizirs font dignes de l’éloge donnĂ© dans S'ethos Ă  la reine NephtĂ© , lorsque les prĂȘtres , en prononçant son panĂ©gyrique, disent Elle a pardonnĂ© comme les dieux , avec plein pouvoir de punir. Le puissant sera toujours injuste & vindicatif, M. de VendĂŽme disoit plaisamment Ă  ce sujet que , dans la marche des armĂ©es , il avoit souvent examinĂ© les querelles des mulets 6c des muletiers ; 6c qu’à la honte de l’humanitĂ©, la raison Ă©toit presque toujours du cĂŽtĂ© des mulets. M. du Vernay , st savant dans l’histoire naturelle , 6c qui connoissoit, Ă  la feule inspection de la dent d’un animal, s’il Ă©toit carnacier ou pĂąturant, disoit souvent Qu’on me prĂ©sente la dent d’un animal inconnu ; par sa dent , je jugerai de ses mƓurs. A son exemple , un philosophe moral pourroit dire Marquez - moi le degrĂ© de pouvoir dont un homme est revĂȘtu ; par son pouvoir , je jugerai de sa justice. En vain , pour dĂ©sarmer la cruautĂ© des vizirs , rĂ©pĂ©teroit-on d’aprĂšs Tacite , que le supplice des critiques est la trompette qui annonce Ă  la postĂ©ritĂ© la honte 6c les vices de leurs bourreaux dans Discours III. 97 dans les Ă©tats despotiques, on se soucie & l’on doit se soucier peu de la gloire & de la postĂ©ritĂ© , puisqu’on n’aime point, comme je l’ai prouvĂ© plus haut, l’estime pour l’estime mĂȘme, mais pour les avantages qu’elle procure ; Sc qu’il n’en est aucun qu’on accorde au mĂ©rite Sc qu’on .use refuser Ă  la puissance. Les vizirs n’ont donc aucun intĂ©rĂȘt de s’instruire Sc par consĂ©quent de supporter la censure ils doivent donc ĂȘtre en gĂ©nĂ©ral peu Ă©clairĂ©s les IL est hors des royaumes qui lui appartien- „ nent ; mais , entre toutes les raisons qui peuvent » engager les rois nos maĂźtres Ă  songer Ă  son rĂ©- s> tabĂ­istement, une des plus fortes est d’empĂȘcher » FAngleterre de former une rĂ©publique puissante » qui, dans la fuite , donneroit a penser Ă  tous ses » voisins. i^4 De l’Esprit. Ă©tonnement, jusqu’oĂč peut ĂȘtre portĂ©e la hauteur du courage Sc l’hĂ©roĂŻsme de la patience. Je citerai ThĂ©miĂ­tocle pour exem- ple en ce genre Peu de jours ayant la bataille de 8 ai aminĂ© , ce guerrier , insultĂ© en plein conseil par le gĂ©nĂ©ral des LaccdĂ©- monicns , ne rĂ©pond Ă  ses menaces que ces deux mdts Frappe , mais Ă©coute.. A cet exemple , Rajouterai celui de Timolcon ; jl est accusĂ© de malversation, le peuple est prĂȘt Ă  mettre en pieces ses dĂ©lateurs ; il en arrĂȘte la fureur en disant O Syracusains , qu'ailei vous faire ? Songes que tout citoyen a le droit de ni accuser gardes vous , en cĂ©dant Ă  la rĂ©connoĂŹsfance , de donner atteinte Ă  cette mĂȘme libertĂ© , qttil m'es s glo Combien la pauvretĂ© d’une nation ne rondelle pas Ă  la patrie d’hommes vertueux que le luxe eut corrompus ? O philosophes s'Ă©crioit souvent Socrate , vous qui reprĂ©sente ÂŁ les dieux fur la terre , sache ÂŁ comme eux vous suffire Ă  vous-mĂ©mes > vous conten- ter de peu ; fur-tout , n allt?^ point , en ram- pant , importuner les princes & les » Rien de plus ferme & de plus vertueux,' » dit CicĂ©ron , que le caractĂšre des pre- » rniers sages de la Grece. Aucun pĂ©ril ne » les eĂ­frayoit, aucun obstacle ne les dĂ©- » couragoit, aucune considĂ©ration ne les » retenoit, & ne leur faisoif sacrifier la » vĂ©ritĂ© aux volontĂ©s absqlues des prin- » ces. » Mais ces philosophes Ă©Ă­oient nĂ©s' dans un pays pauvre austi leurs Ă­ucçes- E v ĂŻio De l’ Esprit. feurs ne conscrverent-ils pas toujours les mĂȘmes vertus. On reproche Ă  ceux d’Alexandrie d’avoir eu trop de complaisance pour les princes leurs bienfaiteurs , & d’avoir achetĂ© par des bassesses le tranquille loisir dont ces princes les laissoient jouir. C’est Ă  ce sujet que Plutarque s’écrie „ Quel spectacle plus avilissant pour l’hu- „ manitĂ© que de voir des sages prostituer „ lĂšurs Ă©loges aux gens en place ! Faut-iĂź ,, que les cours des rois soient si souvent „ TĂ©cueil de la sagesse & de la vertu ! Les* ,, grands ne devroient - ils pas sentir que ,, tous ceux qui ne les entretiennent que de choses frivoles les trompent / ? 3 , La vraie maniĂ©rĂ© de les servir c’est de „ leur reprocher leurs vices & leurs tra- ,, vers , de leur apprendre qu’il leur sied „ mal de passer les jours dans les diver- „ tissements. VoilĂ  le seul langage digne / 11 fat sans doute un temps oĂč les gens d’ef- prĂŹt n’avoient droit de parler aux princes que pour leur dire des choses vraiment ijtiles. En consĂ©quence , les philosophes de l’Intie ne sortoient qu’une fois Tan de leur retraite. C’étoit pour se rendre au palais du roi- LĂ  , chacun declaroit Ă  haute voix & ses rĂ©flexions politiques fur Tadmintstration , & les changements ou les modifications qu’on devoit ap- porterdans les loix. Ceux dont les rĂ©flexions Ă©toient, trois fois de fuite , jugĂ©es fausses ou peu importantes, perdoient le droit de parler, Histoire critique de la philosophie , tome / /, Discours III. 13 1 ,, d’un homme vertueux ; le mensonge &c „ la flatterie n’habitent jamais fur ses- plĂšvres.,, , Cette exclamation de Plutarque est lans-' doute trĂšs-belle ; mais elle prouve plus- d’amour pour la vertu que de connois- sanee de l’humanitĂ©. II en est de mĂȘme- de celle de Pythagore » Je refuse, dit-il,; » le nom de philosophes Ă  ceux qui ce- » dent Ă  la corruption des cours ceux- » lĂ  seuls font dignes de ce nom, qui font » prĂȘts Ă  sacrifier, devant les rois, leur » vie , leurs richesses , leurs dignitĂ©s , » leurs familles, &c mĂȘme leur rĂ©putation. » C’est, ajoute Pythagore, par cet amour" » pour la vĂ©ritĂ© qu’on participe Ă  la di- » vinitĂ©, 8c qu’on s’y unit de la maniers » la plus noble & la plus intime. De tels hommes ne naissent pas indiffĂ©remment dans toute espece de gouver- nements tant de vertus font l’effet ou d’un fanatisme philosophique qui s’éteint promptement, ou d’une Ă©ducation singuliĂšre , ou d’une excellente lĂ©gislation. Les philosophes , de l’espece dont parlent Plutarque 8c Pythagore , ont presque tous- reçu le jour chez des peuples pauvres dĂ©passionnĂ©s pour la gloire. Non que je regarde l’indigence cĂČmme' la source des vertus c’est Ă  l’administra- tion , plus ou moins sage, des honneurs- F v rzi De l’Esprit. & des rĂ©compenses qu’on doit, chez tous les peuples, attribuer la production des grands hommes. Mais ce qu’on n’imagi- nera pas fans peine, c’est que les vertus &c les talents ne lont nulle part rĂ©compensĂ©s d’une maniĂ©rĂ© auffi flatteuse, que dans les rĂ©publiques pauvres & guerriĂšres,. CHAPITRE XXIV. Preuve de cette vĂ©ritĂ©. P OUR ĂŽter Ă  cette proposition tout air- de paradoxe , il suffit d’observer que les deux objets les plus gĂ©nĂ©raux du de- fir des hommes font les richesses & les honneurs. Entre ces deux objets , c’est des honneurs dont ils font le plus avides , lorsque ces honneurs font dispensĂ©s d’une maniĂ©rĂ© flatteuse pour l’amour-propre. Le deĂ­ir de les obtenir rend alors les, hommes capables des plus grands efforts, & c’est alors qu’ils opĂšrent des prodiges. Or ces honneurs ne font nulle part repartis avec plus de justice , que chez les peuples qui, n’ayant que cette monnoie pour payer les services rendus Ă  la patrie, ont, par consĂ©quent, le plus grand intĂ©rĂȘt Ă  la tenir en valeur auĂ­h les'rĂ©publiques pauvres de Rome de la Grecs Discours Ă­ Ă­ I. ont-eĂ­les produit plus de grands hommes que tous les vastes Sc riches empires de Porient. Chez les peuples opulents Sc soumis au despotisme, on fait Sc l'on doit faire peu de cas de la monnoie des honneurs. En effet, fi les honneurs empruntent leur prix de la maniĂ©rĂ© dont ils sont administrĂ©s r & fi dans Porient les sultans en sont les dispensateurs , on sent qu’ils doivent souvent les dccrĂ©diter par le mauvais choix de ceux qu’ils en dĂ©corent. Aufli, dans ces pays, les honneurs ne sont proprement que des titres ; ils ne peuvent vivement flatter Porgueil, parce qu’ils sont rarement unis Ă  la gloire , qui n’est point en la disposition des princes , mais du peuple ; puisque la gloire n’est autre chose que l’acclamation de la reconnoiffance publique. Or, lorsque les honneurs sont avilis , le dĂ©sir de les obtenir s’attiĂ©dit ; ce dĂ©sir ne porte plus les hommes aux grandes choses ; Sc les honneurs deviennent dans l’état un ressort fans force , dont les gens en place nĂ©gligent avec raison dose servir. II est un canton dans P AmĂ©rique , oĂč , lorsqu’un sauvage a remportĂ© une victoire , ou maniĂ© adroitement une nĂ©gociation , on lui dit dans une assemblĂ©e de la nation; un homme, Cet Ă©loge P ex-. 134 De i/Esprit* cite plus aux grandes actions que toutes les dignitĂ©s proposĂ©es dans les Ă©tats despotiques Ă  ceux qui s’illustrent par leurs talents. Pour sentir tout le mĂ©pris que doit quelquefois jetter fur les honneurs la maniĂ©rĂ© ridicule dont on les administre , qu’on se rappelle l’abus qu’on en faisoit sous le rĂ©gnĂ© de Claude Sous cet empereur , dit Pline, un citoyen tua un corbeau cĂ©lĂ©brĂ© par son adresse ; ce citoyen fut mis Ă  mort; on fit Ă  cet oiseau des funĂ©railles magnifiques; un joueur de flĂ»te prĂ©cĂ©doit le lit de parade fur lequel deux esclaves por- Ă­oient le corbeau , & le convoi Ă©toit fermĂ© par une infinitĂ© de gens de tout sexe & de tout Ăąge. C’est Ă  ce sujet que Pline s’écrie » Que diroient nos ancĂȘtres, fi, » dans cette mĂȘme Rome , oĂ» l’on en- » terroit nos premiers rois fans pompe, » oĂč l’on n’a point vengĂ© la mort du » destructeur de Carthage & de Numance, » ils astĂŹstoient aux obsĂšques d’un cor- » beau ! Mais, dira-t-on, dans les pays fournis au pouvoir arbitraire, les honneurs cependant font quelquefois le prix du mĂ©rite. Oui, fans doute mais ils le font plus sou vent du vice & de la bassesse. Les honneurs font, dans ces gouvernements, comparables Ă  ces arbres Ă©pars dans les. Discours III. rz^ dĂ©serts, dont les fruits, quelquefois enlevĂ©s par les oiseaux du ciel, deviennent trop souvent la proie du serpent qui, du pied de l’arbre , s’est en rampant Ă©levĂ© jusqu’àsa cime. Les honneurs une fois avilis , ce n’eĂ­fc plus qu’avec de l’argent qu'on paye les services rendus Ă  l’état. Or , toute nation qui ne s’acquitte qu’avec de l’argent est bientĂŽt surchargĂ©e de dĂ©penses, l’état Ă©puisĂ© devient bientĂŽt insolvable; alors- il n’est plus de rĂ©compense pour les vertus & les talents. En vain dira-t-on qu’éclairĂ©s par le besoin , les princes , en cette extrĂ©mitĂ© devroient avoir recours Ă  la monnoie des honneurs si , dans les rĂ©publiques pauvres , oĂč la nation en corps est la distributrice des grĂąces, il est facile de rehausser le prix de ces honneurs , rien de plus difficile que de les mettre en valeur dans un pays despotique. Quelle probitĂ© cette administration delĂ  monnoie des honneurs ne suppol'eroit- elle pas dans celui qui voudroit y donner du cours ? Quelle force de caractĂšre pour rĂ©sister aux intrigues des courtisans ? Quel discernement pour n’accorder ces honneurs qu’à de grands talents & de grandes vertus, & les refuser constamment Ă  tous ces mĂ©diocres qui les dĂ©- rz6 De l’ E s p r ĂŻ t. crĂ©diteroient ? Quelle justesse d’esprit pour Ă­Ă isir le moment prĂ©cis oĂč ces honneurs, devenus trop communs , n’excitent plus les citoyens aux mĂȘmes' efforts, oĂč l'on doit, par consĂ©quent, en crĂ©er de nou- veaux ? II n’en est pas des honneurs comme des richesses. Si l’intĂ©rĂȘt public dĂ©fend les refontes dans les monnoies d’or & d’argent, il exige , au contraire, qu’on en fasse dans la monnoie des honneurs , lorsqu’ils ont perdu du prix qu’ils ne doivent qu’à l'opinion des hommes. Je remarquerai Ă  ce sujet, qu’on ne peut, fans Ă©tonnement, considĂ©rer la conduite de la plupart des nations , qui chargent tant de gens de la rĂ©gie de leurs finances , & n’en nomment aucuns pour veiller Ă  l’administration des honneurs. Quoi de plus utile cependant que la discussion sĂ©vere du mĂ©rite de ceux qu’on Ă©leve aux dignitĂ©s ? Pourquoi chaque nation n’auroit-elle pas un tribunal qui , par un examen profond &c public, l’aĂ­ĂŹĂčrĂąt de ia rĂ©alitĂ© des talents qu’elle rĂ©compense ? Quel prix un pareil examen ne mettroit-il pas aux honneurs ? quel dĂ©sir de les mĂ©riter? quel changement heureux ce dĂ©sir n’occasionneroit-il pas & dans l’éducation particuliĂšre , & , peu Ă  peu , dans l’éducation publique ? changement duquel dĂ©- Discours III. 137 pend, peut-ĂȘtre , toute la diffĂ©rence qu’o n remarque entre les peuples. Parmi les vils Sc lĂąches courtisans d’An- Ă­iochus , que d’hommes, s’ils eussent Ă©tĂ© dĂšs l’enfance Ă©levĂ©s Ă  , auraient comme Popilius, tracĂ© au tour de ce roi le cercle dont il ne pouvoit sortir sans se rendre l’esclave ou l’enncmi des Romains. AprĂšs avoir prouvĂ© que les grandes rĂ©compenses font les grandes vertus , & que la sage administration des honneurs est le lien le plus fort que les lĂ©gislateurs puissent employer pour unir l’intĂ©rĂȘt particulier Ă  f intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, & former des citoyens vertueux; je fuis , je pense, en droit d’en conclure que l’amour ou l’in- dissĂ©rence de certains peuples pour la vertu est un effet de la forme diffĂ©rente de leurs gouvernements. Or ce que je dis. de la paillon de la vertu, que j’ai pris pour exemple, peut Rappliquer Ă  toute autre efpece de passions. Ce n’est donc point Ă  la nature qu’on doit attribuer ce degrĂ© inĂ©gal de passons dont les divers peuples paraissent susceptibles. Pour derniere preuve de cette vĂ©ritĂ©, je vais montrer que la force de nos passions est toujours proportionnĂ©e Ă  la force- des moyens employĂ©s pour les exciter, iz8 De l’ È s p r i t. CHAPITRE XXV. D u rapport exacĂŹ entre* la force des passons & ta grandeur des rĂ©compenses qu’on leur propose pour objet . OU R sentir toute P exactitude de ce X rapport, c’est Ă  l’histoire qu’il faut avoir recours. Rouvre celle du Mexique ; je vois des monceaux d’or offrir Ă  l’ava- rice des Espagnols plus de richesses que ne leur en eĂ»t procurĂ© le pillage de l’Eu- rope entiere. AnimĂ©s du dĂ©sir de s’en emparer, ces mĂȘmes Espagnols quittent leurs liens, leurs familles ; entreprennent, fous , a conduite de Cortex , la conquĂȘte du nouveau monde ; combattent Ă  la fois le climat, le besoin , le nombre , la valeur ; Lc en triomphent par un courage aussi opiniĂątre qu’impĂ©tueux. Plus Ă©chauffĂ©s encore de la soif de for, & d’autant plus avides de richesses qu’ilĂą font plus indigents , je vois les Flibustiers passer des mers du nord Ă  celles du sud ; attaquer des retranchements impĂ©nĂ©trables; dĂ©faire, avec une poignĂ©e d’hom- mes , des corps nombreux de soldats disciplinĂ©s & ces mĂȘmes Flibustiers , aprĂšs avoir ravagĂ© les cĂŽtes du sud, se r’ou- / D i s c o u r s 11 Ă­. ĂŻ 39 vrir de nouveau un passage dans Ă­es mers du nord , en surmontant, par des travaux incroyables, des combats continuels & un courage Ă  toute Ă©preuve , les obstacles que les hommes 6c la nature mettoient Ă  leur retour. Si je jette les yeux fur l’histoire du nord, les premiers peuples qui se prĂ©sentent Ă  mes regards font les disciples d’O- din. Ils font animĂ©s de l’espoir dune rĂ©compense imaginaire , mais la plus grande de toutes, lorsque la crĂ©dulitĂ© la rĂ©alise. Aussi , tant qu’ils font animĂ©s dune foi vive , ils montrent un courage qui, proportionnĂ© Ă  des rĂ©compenses cĂ©lestes , est encore supĂ©rieur Ă  celui des Flibustiers. Nos guerriers , avides du trĂ©pas , dit un de leurs poĂštes , le cherchent avec fureur dans les combats , frappĂ©s du coup mortel 3 on les volt tomber , rire & mourir. Ce qu’un de leurs rois, nommĂ© Lodbrog , confirme 9 lorsqu’il s’écrie fur le champ de bataille ; Quelle joie inconnue me saisit ? Je meurs f entends la voix dOdin qui m appelle ; dĂ©jĂ  les portes de son palais s'ouvrent ; j'en vois sortir des filles demi-nues ; elles font ceintes d'une Ă©charpe bleue qui releve la blancheur de leur sein ; elles s'avancent vers moi , & trioffrent une bierre dĂ©licieuse dans le crĂąne sanglant de mes ennemis. Si du nord je passe au midi , j’y vois *40 ĂŻ> e l’EsprĂŻ T. Mahomet, crĂ©ateur d’une religion pareille Ă  celle d’Odin, se dire FenvoyĂ© du ciel r annoncer aux Sarrazins que le TrĂšs-haut leur a livrĂ© la terre, qu’il fera marcher devant eux la terreur & la dĂ©solation, mais qu’il faut en mĂ©riter l’empire par la valeur. Pour Ă©chauffer leur courage, il enseigne que f Eternel a jette un pont sur l’abyme des enfers. Ce pont est plus Ă©troit que le tranchant du cimeterre. AprĂšs la rĂ©surrection , le brave le franchira d’un pied lĂ©ger pour s’élever aux voĂ»tes cĂ©lestes ; & le lĂąche, prĂ©cipitĂ© de ce pont, fera , en tombant, reçu dans la gueule de fhorrible serpent qui habite Cobjcure caverne de la maison de la fumĂ©e. Pour confirmer la mission du prophĂšte, ses disciples ajoutent que, montĂ© fur l’Al-borak, il a parcouru les sept cieux , vu Fange de la mort & le coq blanc , qui , les pieds posĂ©s fur le premier ciel, cache fa tĂȘte dans le septiĂšme ; que Mahomet a fendu la lune en deux, a fait jaillir des fontaines de fes doigts ; qu’il a donnĂ© la parole aux brutes ; qu’il s’est fait suivre par les forĂȘts , saluer par les montagnes g ; & qu’ami g On rapporte beaucoup d’autres miracles de Mahomet. Un chameau rĂ©tif l’ayant apperçu de loin , vint , dit-on , fe jeter aux genoux de ce prophĂšte , qui le flatta & lui ordonna de Ă  Discours III. 141 de Den .-porte la loi que ce ..ppĂ©s- de ces rĂ©cits , discours de Ma- ‱hom ‱ ‱ diiUtaiit plus crĂ©dule , qu\Ă­ f . s descriptions plus volup- Ăźir..os .lu ; c jour cĂ©leste destine aux hommes vaillants. IntĂ©ressĂ©s par les plaisirs des fers Ă  l’existence de ces beaux lieux , je les vois, Ă©chauffĂ©s de la plus vive croyance & soupirant sans cesse aprĂšs les houris , fondre avec fureur fur leurs ennemis. Guerriers , s’ccrie dans le combat un de leurs gĂ©nĂ©raux , nommĂ© Ikrimach , fe les vois ces belles jides aux yeux noirs ; elles font quatre-vingt. Si Hune d'elles apparois- corriger. On raconte qu’une autrefois ce mĂȘme prophĂšte rassasia trente mille hommes avec le foie d’une brebis. Le P. Maracio convient du fait, & prĂ©tend que ce fut l’oeuvre du dĂ©mon. A l’égard de prodiges encore plus Ă©tonnants, tels que de fendre la lune , de faire danser les montagnes , parler les Ă©paules de moutons rĂŽtis , les musulmans assurent que , s’il les opĂ©ra, c’est que des prodiges aussi frappants & qui surpassent autant toute la force & la supercherie humaines , font absolument nĂ©cessaires pour convertir las esprits forts , gens toujours trĂšs-diĂ­lĂŹcĂŹles en fait de miracles. Les Persans, au rapport de Chardin , croient que Fatime , femme de Mahomet, fut de son vivant enlevĂ©e- au ciel. Ib cĂ©lĂšbrent son assomption. L4r De l’ Esprit. soit sur la terre , tous les rois descendraient de leur trĂŽne pour la suivre. Mais , jue vois- je ? C’en ejl une qui s’avance ; elle a un cothurne es or pour chaujsure ; dune main elle tient un mouchoir de [oie verte , es de Vautre une coupe de topaze ; elle me sait signe de la tĂȘte , en me disant Vene{ ici , mon bien - aimĂ© . Attende ÂŁ - moi , divine houri ; je me prĂ©cipite dans les bataillons ĂŹnfidelles , je donne , je reçois la mort & vous rejoins. f Tant que les yeux crĂ©dules des Sarra- zĂŹns virent aussi distinctement les houris , la passion des conquĂȘtes , proportionnĂ©e en eux Ă  la grandeur, des rĂ©compenses qu’ils attendoient, les anima d’un courage supĂ©rieur Ă  celui qu’inspire l’amour de la patrie aussi produiĂ­it-il de plus grands effets, & les vit-on, en moins d’un siecle, soumettre plus de nations que les Romains n’en avoient subjuguĂ© en Ă­ĂŹx cents ans. Aussi les Grecs, supĂ©rieurs aux Arabes, en nombre , en discipline , en armures & en machines de guerre, fuyoient-ils devant eux , comme des colombes Ă  la vue de l'Ă©pervier hj. Toutes les nations li- h L'empereur HĂ©racliiis, Ă©tonnĂ© des dĂ©faites multipliĂ©es de ses armĂ©es , assemble Ă  ce sujet un conseil, moins composĂ© d'hommes d’état que de thĂ©ologiens on y expose les maux actuels Discours III. 145 guĂ©es ne leur auroient alors opposĂ© que d’impuissantcs barriĂšres. Pour leur rĂ©sister, il eĂ»t fallu amer les chrĂ©tiens du mĂȘme esprit dont la loi de Mahomet animoit les musulmans ; promettre le ciel &c la palme du martyre , comme S. Bernard la promit du temps des croisades, Ă  tout guerrier qui mour- roit en combattant les infidĂšles proposition que Pempereur NicĂ©phore fit aux Ă©vĂȘques assemblĂ©s , qui, moins habiles que S. Bernard, la rejetteront d’une commune voix z. Ils ne s’apperçurent point de l’empire, on en cherche les causes ; & l’on conclut , selon l’usage de ces temps , que les crimes de la nation avoient irritĂ© le trĂšs - haut, & qu’on ne pourroit mettre fin Ă  tant de malheurs que par le jeĂ»ne , les larmes & la priere. Cette rĂ©solution prise , l’empereur ne considĂ©rĂ© aucune des ressources qui lui restoient encore aprĂšs tant de dĂ©sastres ; ressources qui se luisent d’abord prĂ©sentĂ©es Ă  son esprit, s'il avoir su que le courage n’étoit jamais que l’effet des passions ; que , depuis la destruction de la rĂ©publique , les Romains n'Ă©tant plus animĂ©s de l’amour de la Î latrie , c’étoit opposer de timides agneaux Ă  des oups furieux , que de mettre des hommes fans passions aux mains avec des fanatiques. Ă­ i ; Ils allĂ©guoient , en faveur de leur sentiment , Tancienne diieipline de l’églife d'Orient, & le treiziĂšme canon de la lettre de Bazile le grand Ă  Amphiloque. Cette lettre portoit que tout Joldat qui tuuit un ennemi dat\s le combat 5 144 D L L’ E S P R I T. ce que refus dccourageoit les Grecs , fa- voriiok l’extinction du christianisme & les progrĂšs des Sarrazins, auxquels on ne pouvoir opposer que la digue d’un zĂšle Ă©gal Ă  leur fanatisme. Ces Ă©vĂȘques continuĂšrent donc d’attribuer aux crimes de la nation les calamitĂ©s qui dĂ©foloient l’em- pire , & dont un Ɠil Ă©clairĂ© eut cherchĂ© & dĂ©couvert la cause dans l’aveuglement de ces mĂȘmes prĂ©lats , qui, dans de pareilles conjonctures, pouvoient ĂȘtre regardĂ©s comme les verges dont le ciel se l’er- voit pour frapper l’empire, &c comme la plaie dont il ì’affligcoit. Les succĂšs Ă©tonnants des Sarrazins dĂ©- pendoient tellement de la force de leurs passions, & la force de leurs passions des rnoyens dont on se servoit pour les allumer en eux ; que ces mĂȘmes Arabes , ces guerriers Ă­i redoutables , devant lesquels la terre trembloit & les armĂ©es Grecques fuyoient dispersĂ©es comme la poussiĂšre devant les aquilons , frĂ©miffoient eux- znĂȘmes Ă  l’aspect d’une secte de musulmans ne pouvoit , de trois ans, s'approcher de la communion. D’oĂč l’on pourroit conclure que , s’il est avantageux d’ĂȘtre gouvernĂ© par un homme, Ă©clairĂ© & vertueux, rien ne seroit quelquefois plus dangereux que de l’ĂȘtre par un saint. nommĂ©s Discours I l'X. 145 .nommĂ©s les Safriens a. EchauffĂ©s, commue tous rĂ©formateurs , d’un orgueil plus fĂ©roce & d’une croyance plus ferme , ces sectaires voyoient, d’une vue plus distincte , les plaisirs cĂ©lestes que l’espĂ©rance ne prĂ©sentoir aux autres musulmans que dans un lointain plus confus,. AustĂŹ ces furieux Safriens vouloient-ils purger la terre de ses erreurs , Ă©clairer ou exterminer les nations, qui, difoient-ils, Ă  leur aspect, dĂ©voient, frappĂ©es de terreur ou de lumiĂšre , fe dĂ©tacher de leurs prĂ©jugĂ©s 011 de leurs opinions auĂ­Ă­i promptement que la flĂ©chĂ© fe dĂ©tache de l’arc dont elle est dĂ©cochĂ©e. Ce que je dis des Arabes & des Safriens peut s’appliquer Ă  toutes les nations mues par le ressort des religions ; c’est en ce genre l’égal degrĂ© de crĂ©dulitĂ© , qui, chez tf Ces Safriens Ă©toient si redoutĂ©s, qu’Adi, capitaine d’une grande rĂ©putation , ayant reçu ordre d’attaquer, avec six cents hommes , cent vingt de ces fanatiques qui s’étoient rassemblĂ©s dans le gouvernement d’un nommĂ© Ben-Mervan; Ă©e capitaine reprĂ©senta qu’avides de la mort, chacun de ces sectaires pouvoir combattre avec avantage contre vingt Arabes ; & qu'ainsi l’inĂ©- galitĂ© du courage n'Ă©tant point dans cette occasion compensĂ©e par l’inĂ©garitĂ© du , il ne hazarderoit point un combat que fa valeur dĂ©terminĂ©e de ces fanatiques rendoit si inĂ©gal, » Tome IL G 146 .De l’Esprit. tous les peuples , produit l’équilibre de leur paíßÏon & de leur courage. A l’égard des ‱ pallions d’une autre espe- ce, c’est encore le degrĂ© inĂ©gal de leur force , toujours occasionnĂ© par la diversitĂ© des gouvernements & des positions des peuples, qui, dans la mĂȘme extrĂ©mitĂ© , les dĂ©termine Ă  des partis trĂšs-dif- fĂ©rents. Lorsque ThĂ©raistocle vint , Ă  main armĂ©e , lever des subsides considĂ©rables fur ses riches alliĂ©s de fa rĂ©publique ; ces alliĂ©s, dit Plutarque, s’empresserent de les lui fournir, parce qu’unc crainte proportionnĂ©e aux richesses qu’il pouvoit leur enle- ver les rendoit souples aux volontĂ©s d’A- thenes. Mais, lorsque ce mĂȘme ThĂ©mis- tocle s’adressa Ă  des peuples indigents ; que , dĂ©barquĂ© Ă  Andros , il sit les mĂȘmes demandes Ă  ces insulaires , leur dĂ©clarant qu’il- venoit, acc-ompagnĂ© de deux puissantes divinitĂ©s , le Besoin & la Force, qui, disoit-il , entraĂźnent toujours la persuasion Ă  leur fuite , TkĂ©miflocle , .lui rĂ©pondirent les habitants d’Andros , nous nous soumettrions , comme Les autres alliĂ©s , Ă  tes ordres^ f nous n Ă©tions aujjlprotĂ©gĂ©s par deux divinitĂ©s auss puissantes que les tiennes , l'Indigence , & le DĂ©sespoir qui mĂ©connoĂźt la Force. La vivacitĂ© des paissons dĂ©pend donc Discours III. 147 .ondes moyens b que le lĂ©gislateur em» plpie pour les allumer en nous, ou des positions oĂč la fortune nous place. Plus nos passions font vives , plus les effets qu’elles produisent font grands. Aussi, les Ă­ĂčccĂšs, comme le prouve toute l’histoire, accompagnent toujours les peuples animĂ©s de passions fortes ; vĂ©ritĂ© trop peu con» b De petits moyens produisent toujours de petites passions & de petits effets ; il faut de grands motifs pour nous exciter aux entreprises Imrdies. C’est la foiblesse , encore plus que la sottise , qui dans la plupart des gouvernements Ă©ternise les abus. Nous ne sommes pas aussi im- bĂ©ciiles que nous le paroĂŹtrons Ă  la postĂ©ritĂ©. Est il, par exemple , un homme qui ne fente ? absurditĂ© de la loi qui dĂ©fend aux citoyens dĂ© disposer de leurs biens avant vingt-ciuq ans, & qui leur permet Ă  feue ans -d’engager leur libertĂ© cher. aes moines ? Chacun fait Ye remede Ă  ce mal , 8t sent en mĂȘme temps combien il seroit difficile de rappliquer. Oue d’obstacles, en esset, s intĂ©rĂȘt de quelques sociĂ©tĂ©s ne met- troit-il pas Ă  cet Ă©gard au bien public ? Que de longs & pĂ©nibles efforts de courage & d'esprit, que de constance enfin ne supposeroit pas l’exĂ©- cution d’un pareil projet ? Pour le tenter , peut- ĂȘtre faudroit - iĂ­ que l’homme en place 34, fĂ»t excitĂ© par l’efpoir de la plus grande gloire ; qu'il put se flatter de voir la reconnoissance publique lus dresser partout des statues. L’on doit toujours se rappeller qu’en morale , ainst qu’en physique & en mĂ©canique , les effets font toujours proportionnĂ©s aux causes. G j j ĂŻ4^ De l’ E s p r i t. nue, & dont Fignorance s’est opposĂ©e aux progrĂšs qu’on eĂ»t fait dans Fart d’infpircr des passions ; art jusqu’à prĂ©sent inconnu, mĂȘme Ă  ces politiques de rĂ©putation, qui calculent allez bien les intĂ©rĂȘts Sc les forces d’un Ă©tat, mais qui n’ont jamais senti les ressources singuliĂšres qu’en des instants critiques on peut tirer des passions lorf- qu’on fait Fart de les allumer. Les principes de cet art, aussi certains que ceux de la gĂ©omĂ©trie , ne paroissent , en effet, avoir Ă©tĂ© jufqu’ici apperçus que par de grands hommes dans la guerre ou dans la politique. Sur quoi j’obferverai que, si la vertu , le courage , Sc par consĂ©quent les passions dont les soldats font animĂ©s, ne contribuent pas moins au gain des batailles , que l’ordre dans lequel ils font rangĂ©s, un traitĂ© fur Fart de les inspirer ne seroit pas moins utile Ă  F instruction des gĂ©nĂ©raux que F excellent traitĂ© de Fillustre chevalier Folard fur la tactique c. Ce furent les passions rĂ©unies de Famour c La discipline n’est, pour ainsi dire , que l’art d’inspirer aux soldats plus de peur de leurs officiers que des ennemis. Cette peur a souvent -l’effet du courage ; mais elle ne tient pas devant Ăźa fĂ©roce & opiniĂątre valeur d’un peuple animĂ© par le ou l’amour vif de ia patrie, i Discours II f. 145s de la libertĂ© &c de la haine de l’esclavage » qui, plus que l’habiletĂ© des ingĂ©nieurs, firent les cĂ©lĂ©brĂ©s &c opiniĂątres dĂ©fenses d’Abydos , de Sagunte , de Carthage, de Numance & de Rhodes. Ce fut dans l’art d’exciter des pallions qu’Alexandre surpassa presque tous les autres grands capitaines c’ést Ă  ce mĂȘme art qu’il dut ces succĂšs, attribuĂ©s tant de fois, par ceux auxquels on donne le nom de gens sensĂ©s, au hazard, ou Ă  une folle tĂ©mĂ©ritĂ© , parçe qu’ils n’apperçoivent point les ressorts presque invisibles dont ce hĂ©ros se servoit pour opĂ©rer tant de prodiges. La conclusion de ce chapitre, c’est que la force des paissons est toujours proportionnĂ©e Ă  la force des moyens employĂ©s pour les allumer. Maintenant je dois examiner si ces mĂȘmes passions peuvent, dans tous les hommes communĂ©ment bien organisĂ©s , s’exalter au point de les douer de cette continuitĂ© d’attention Ă  laquelle est attachĂ©e la supĂ©rioritĂ© d’esprit. tsv r> E l’EsPR I T. CHAPITRE XXVI. Dt qu tilt degrĂ© de paffĂ­on les kommes forte susceptibles. S I, pour dĂ©terminer ce degrĂ©, je me transporte sur les montagnes de TA- byffinie , j’y vois, Ă  Tordre de leurs Khalifes , des hommes, impatients de la mort, se prĂ©cipiter les uns fur la pointe des poignards & des rochers , & les autres dans les abymes de la mer on ne leur propose cependant point d’autre rĂ©compense que les plaisirs cĂ©lestes promis Ă  tous les musulmans ; mais la posseĂ­Ăźion leur en pa- roĂźt plus assurĂ©e ; en consĂ©quence, le dĂ©sir d’en jouir se fait plus vivement sentir en eux, & leurs efforts pour les mĂ©riter font plus grands. Nulle autre part que dans T Abyssinie , on n’employoit autant de foin & d ? art pour affermir la croyance de ces aveugles & zĂ©lĂ©s exĂ©cuteurs des volontĂ©s du prince. Les victimes destinĂ©es Ă  cet emploi ne reçevoient & n’auroient reçu nulle part une Ă©ducation si propre Ă  former des fanatiques. TransportĂ©s, dĂšs l’ñgeleplus tendre, dans un endroit Ă©cartĂ©, dĂ©sert &c sauvage du fer rail, c’est lĂ  qu’on Ă©ga- Discours III. 151 soit leur raison dans les tĂ©nĂšbres de la foi musulmane , qu’on leur annonçoit lĂ  mission, la loi de Mahomet, les prodiges opĂ©rĂ©s par ce prophĂšte , & sentier dĂ©vouement du aux ordres du Khalife c’cil lĂ , qu’en leur faisant les descriptions les plus voluptueuses du paradis , on excito t en eux la solfia plus ardente des plaisirs cĂ©lestes. A peine avoient-ils atteint cet Ăąge oii l’on est prodigue de son ĂȘtre ; oĂč, par des dĂ©sirs fougueux , la nature marque & Fimpatience &c la puissance qu’elle a de jouir des plaisirs les plus vifs ; qu’a- lors , pour fortifier la croyance d’un jeune homme , &c Fenstammer du fanatisme le plus violent, les prĂȘtres, aprĂšs avoir mĂȘlĂ© dans fa boisson une liqueur assoupissante , le transportoient, penchant son sommeil, de sa triste demeure dags un bosquet charmant destinĂ© Ă  cet usage. LĂ , couchĂ© sur des fleurs , entourĂ© do fontaines jaillissantes , il repose jusquau moment oĂč F aurore , en rendant la forme & la couleur Ă  l’univers , Ă©veille toutes 1 .'S puissances productrices de la nature, & fait circuler F amour dans les veines de la jeunesse. FrappĂ© de la nouveautĂ© des objets qui Fenvironnent , le jeune homme porte par-tout ses regards, &c les arrĂȘte fur des femmes charmantes, que son imar gination crĂ©dule transforme en houris. De l’Esprit. Complices de la fourbe des prĂȘtres , elles font instruites dans l’art de sĂ©duire ; il les voit s’avancer vers lui en dansant; elles jouissent du spectacle de sa surprise ; par mille jeux enfantins, elles excitent en lui des dĂ©sirs inconnus, opposent la gaze lĂ©'- gere d’une feinte pudeur Ă  Pimpatience des dĂ©sirs qui s’en irritent elles cĂšdent enfin Ă  son amour. Alors, substituant Ă  ces jeux enfantins les caresses emportĂ©es de l’ivresse, elles le plongent dans ce ravissement dont PĂąme ne peut qu’à peine supporter les dĂ©lices. A cette ivresse succĂšde un sentiment tranquille , mais voluptueux , qui bientĂŽt est interrompu par de nouveaux plaisirs ; jusqu’à ce qifenfin Ă©puisĂ© de dĂ©sirs, ce jeune homme, assis parmi ces femmes dans un banquet dĂ©licieux, y soit enivrg de nouveau, & reportĂ© pendant son sommeil dans fa premiers demeure. II y cherche , Ă  son rĂ©veil, les objets qui Pont enchantĂ© ; ils ont, comme une vision trompeuse, disparu Ă  ses yeux. II appelle encore les houris ; il ne retrouve prĂšs de lui que des imans il leur raconte les songes qui Pont fatiguĂ© Ă  ce rĂ©cit, le front attachĂ© fur la terre , les imans s’é- crient » O vase d’élection ! ĂŽ mon fils ! » fans doute que notre"saint prophĂšte t’a » ravi aux cieux , t’a fait jouir des plaisirs » rĂ©servĂ©s aux fidĂšles, pour fortifier ta Discours II Ă­. ĂŻj$ » foi & ton courage. MĂ©rite donc une pa- » reille faveur par un dĂ©vouement absolu » aux ordres du Khalife. C’est par une semblable Ă©ducation que ces dervis animoient les IsmaĂ©lites de la plus ferme croyance c’est ainsi qu’ils leur fa isolent prendre , st je l’ofe dire , la vie en haine &Ă­ la mort en amour ; qu’ils leur faifoient considĂ©rer les portes du trĂ©pas comme une entrĂ©e aux plaisirs cĂ©lestes , bi leur inĂ­piroient enfin ce courage dĂ©terminĂ© , qui, pendant quelques instants , a fait l’étonnement de l’univers. Je dis quelques instants, parce que cette efpece de courage difparoĂźt bientĂŽt avec la cause qui le produit. De toutes les passions , celle du fanatisme, qui, fondĂ©e sur le dĂ©sir des plaisirs cĂ©lestes, est fans contredit la plus forte , est toujours chez un peuple la passion la moins durable, parce que le fanatisme ne s’établit que fur des prestiges &c des sĂ©ductions dont la raison doit insensiblement sapperles fondements. Aussi , les Arabes , les Abyssins, & gĂ©nĂ©ralement tous les peuples mahomĂ©tans > perdirent-ils, dans l’efpace d’un siecle, toute la supĂ©rioritĂ© de courage qu’ils avoicnt fur les autres nations ; bi c’est en ce point qu’ils furent fort infĂ©rieurs aux Romains. La valeur de ces dermes s, excitĂ©e par G v 154 De l’ E s p a 1 t, la paillon du patriotisme , &c fondĂ©e sur des rĂ©compenses rĂ©elles & temporelles, eĂ»t toujours Ă©tĂ© la mĂȘme , si le luxe n’eĂ»t passĂ© Ă  Rome avec les dĂ©pouilles de l’A- sie , si le dĂ©sir des richesses n’eĂ»t brisĂ© les liens qui unitfoient FintĂ©rĂȘt personnel Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, & n’eĂ»t Ă  la fois corrompu chez ce peuple , &ÂŁ les mƓurs &c la forme du gouvernement. Je ne puis'm’empĂȘcher d’obferver , au sujet de ces deux espĂšces de courages, fondĂ©s, l’un fur un fanatisme de religion, l’autre sur l’amour de la patrie, que le dernier est le seul qu’un habile lĂ©gislateur doive inspirer Ă  ses concitoyens. Le courage fanatique s’assoiblit & s’éteint bientĂŽt. D’aillcurs, ce courage prenant fa source dans l’aveuglement &c la supersti- tion , dĂšs qu’une nation a perdu son fanatisme , il ne lui relie que sa stupiditĂ© ; alors elle devient le mĂ©pris de tous les peuples auxquels elle est rĂ©ellement infĂ©rieure Ă  tous Ă©gards. C’est Ă  la stupiditĂ© musulmane que les chrĂ©tiens doivent tant d’avantages remportĂ©s fur les Turcs , qui, par leur nombre seul, dit le chevalier F olard , seroient si redoutables , s’ils saisissent quelques lĂ©gers changements dans leur ordre de bataille , leur discipline & leur armure , s’ils quittQÌent le sabre pour la bayonnette, & Discours. III. 155 qu’ils pussent enĂ­ĂŹn sortir de rabrutissement oĂŹi la superstition les retiendra toujours tant leur religion, ajoute cet illustre auteur , est propre Ă  Ă©terniser la stupiditĂ© ĂŽc l’incapacitĂ© de cette nation. J’ai fait voir que les pallions pouvoient, si je l’ose dire , s’exalter en nous jusqu’au prodige vĂ©ritĂ© prouvĂ©e & par le courage dĂ©sespĂ©rĂ© des IsmaĂ©lites , & par les mĂ©ditations des GymnosophiĂ­tes , dont le noviciat ne s’achevoit qu’en trente-sept ans de retraite, d’étude & de silence, & par les macĂ©rations barbares & continues des fakirs , & par la fureur vengeresse des Japonnois ^ , & par les duels des EuropĂ©ens , & enfin par la fermetĂ© des gladiateurs , de ces hommes pris au hasard , qui, frappĂ©s du coup mortel, lomboient & meuroient fur l’arĂȘne avec le mĂȘme courage qu’ils y avoient combattu, j- Tous les hommes, -eomme je nfĂ©tois' proposĂ© de le prouver, sont donc en gĂ©- \ nĂ©ral, susceptibles d’un degrĂ© de passion plus que suffisant pour les faire triomphes de leur paresse & les douer de la continuitĂ© d’attention Ă  laquelle est attachĂ©e la supĂ©rioritĂ© des lumiĂšres. d Ils se fendent le ventre en prĂ©sence de celui pi Les a offensĂ©s ; &Ă­ celui-ci est , lotis peine d'ia* amie , pareillement contraint de se l’ouvrir. G vj r;6 De l’Ësprit, La grande inĂ©galitĂ© d’esprit qu’on ap- perçoit entre les hommes, dĂ©pend donc uniquement & de la diffĂ©rente Ă©ducation qn ils reçoivent, &c de^PenchaĂźnement inconnu & divers des circonstances dans lesquelles ils se trouvent placĂ©s. En effet, si toutes les opĂ©rations de l’esprit se rĂ©duisent Ăą sentir , se ressouvenir, & Ă  observer les rapports que ces divers objets ont entr’eux & avec nous ; il est Ă©vident que tous les hommes Ă©tant douĂ©s, comme je viens de le montrer, de la finesse de sens, de PĂ©tendue de mĂ©moire , & enfin de la capacitĂ© d’attention nĂ©cessaire pour s’élever aux plus hautes idĂ©es j^parmi les hommes communĂ©ment bien organisĂ©s e , il n’en est, par consĂ©quent, aucun qui ne puisse s’illustrer par de grands talents J’ajouterai , comme une seconde dĂ©monstration de cette vĂ©ritĂ© , que tous les faux jugements, ainsi que je Pai prouvĂ© dans mon premier discours, font P effet ou de l’ignorance, ou des passions de Pignorance, lorsqu’on n’a point dans fa mĂ©moire les objets de la comparaison des- quels doit rĂ©sulter la vĂ©ritĂ© que l’on cher- { e C’est-Ă -dire , ceux dans l’organisaticn deĂ­- quels c n n’ap perçoit aucun dĂ©faut, tels que font la plupart des hommes. Discours III. 1^7 che des passions, lorsqu’elles font tellement modifiĂ©es , que nous avons intĂ©rĂȘt Ă  voir les objets diffĂ©rents de ce qu’ils font, Or, ces deux causes uniques &Ă­ gĂ©nĂ©rales de nos erreurs font deux causes accidentelles. L’ignorance, premiĂšrement, n’eĂ­t point nĂ©cessaire ; elle n’elt l’effet d’aucun dĂ©faut d’organiĂ­ation , puifqu’il n’est point d’homme, comme je l’ai montrĂ© au commencement de ce discours , qui ne soit douĂ© d’une mĂ©moire capable de contenir infiniment plus d’objets que n’ert exige la dĂ©couverte des plus hautes vĂ©ritĂ©s. A FĂ©gard des passions, les besoins physiques Ă©tant les feules passions immĂ©diatement donnĂ©es par la nature, & les besoins n’étant jamais trompeurs, il est encore Ă©vident que le dĂ©faut de justesse dans l’efprit n’est point l'effet d’un dĂ©faut dans l’organifation ; que nous avons tous en nous la puissance de porter les mĂȘmes jugements fur les mĂȘmes choses. Or, voir de mĂȘme , c’est avoir Ă©galement d’esprit. II est donc certain que l’inĂ©galitĂ© d’esprit, apperçue dans les hommes que j’appelle communĂ©ment bien organisĂ©s ne dĂ©pend nullement de l’excellence plus ou moins grande de leur organisation / ; mais f J’observerai Ă > ce sujet que , si le titre d’homme d’esprit, comme je l’ai lait voirdaas ls ĂŻ $ 8 De t’ E s p r t t. de sĂ©ducation diffĂ©rente qu’ils reçoivent, des circonstances diverses dans lesquelles ils se trouvent, enfin du peu d’habitude qu’iĂ­s ont de penĂ­er, de la haine qu’en consĂ©quence ils contractent, dans leur premiĂšre jeunesse , pour supplication dont ils deviennent absolument incapables dans un Ăąge plus avancĂ©. Quelque probable que soit cette opinion , comme sa nouveautĂ© peut encore Ă©tonner, qu’on se dĂ©tache difficilement de ses anciens prĂ©jugĂ©s , & qu’ensin la vĂ©ritĂ© d’un systĂšme se prouve par l’ex- plication des phĂ©nomĂšnes qui en dĂ©pendent ; je vais, consĂ©quemment Ă  cipes, montrer , dans le chapitre suivant, fĂ©cond discours , n’est point accordĂ© au nombre., s Ăźa sineĂ­Ăźe , mais au choix heureux des idĂ©es qu’on prĂ©sente au public ; & si le hasardcomme l’ex- pĂ©rience le prouve , nous dĂ©termine Ă  des Ă©tudes plus ou moins intĂ©ressantes , & choisit presque toujours pour nous les sujets que nous traitons ; ceux qui regardent l’efprit comme un don de la nature font , dans cette supposition-lĂ  mĂȘme, obligĂ©s de convenir que l’esprit est plutĂŽt l’effet du hasard que de l’excellence de l’organisation ; ĂŽĂ­ qu’on ne peut le regarder comme un pur don de la nature ; Ă  moins d’entendre , par le mot nature , l'enchaine- ment Ă©temel &r universel qui lie ensemble tous les Ă©vĂ©nements du monde , & dans lequel l’idĂ©e mĂȘme du hasard se trouve comprise. DTscoursĂŻIÏ. Isy pourquoi l’on trouve lĂŹ peu de gens de gĂ©nie parmi tant d’hommes tous faits pour en avoir. CHAPITRE XXVII. D u, rapport des faits avec les principes c>- dejjits Ă©tablis. ’experience semble dĂ©mentir mes- raisonnements \ 8>c cette contradiction apparente peut rendre mon opinion suspecte. Si tous les hommes, dira-t-on, avoient une Ă©gale disposition Ă  l’esprit, pourquoi, dans un Royaume composĂ© de quinze Ă  dix-huit millions d’ames, voit- on Ă­ĂŹ peu de Turenne, de Rony, de Colbert, de Descartes , de Corneille, de MoliĂšre, de Quinault, de le Brun , de ces hommes enfin citĂ©s comme l’honneur de leur Ă­ĂŹecle &c de leur pays ? Pour rĂ©soudre cette queĂ­ĂŹion, qu’on examine la multitude des circonstances dont le concours est absolument nĂ©cessaire pour former des hommes illustres, en quelque genre que ce soit ; & l’on avouera que les hommes font fi rarement placĂ©s dans ce concours heureux de circonstances, que les gĂ©nies du premier ordre doivent ĂȘtre 3 en effet , auĂ­Ă­irares qu’ils le font. i6o De t E s p r i t. Supposons en France seize millions d’a- mes douĂ©es de la plus grande disposition Ă  l’esprit ; supposons dans le gouvernement un dĂ©sir vif de mettre ces dispositions en valeur ; si , comme l’expĂ©rience le prouve , les livres , les hommes Sc les secours propres Ă  dĂ©velopper en nous ces dispositions, ne se trouvent que dans une ville opulente, c’est , par consĂ©quent, dans les huit cent mille Ăąmes qui vivent ou qui ont longtemps vĂ©cu Ă  Paris g qu’on doit chercher Sc qu’on peut trouver des hommes supĂ©rieurs dans les diffĂ©rents genres de sciences Sc d’arts. Or , de ces huit cent mille Ăąmes, si d’abord l’on en supprime la moitiĂ© , c’est-Ă -dire , les femmes , dont l’éducation Sc la vie s’oppose au progrĂšs qu’elles pourroient faire dans les sciences Sc les arts , qu’on en retranche encore les enfants , les vieillards, les g Qu’on parcoure la liste des grands hommes on verra que les MolierĂ« , les Quinault , les Corneille , les CoudĂ© , les Pascal , les Fon- tenelle , les Mallebranche , &c. ont, pour perfectionner leur esprit, eu besoin du secours de la capitale ; que les talents campagnards font toujours condamnĂ©s Ă  la mĂ©diocritĂ© ; & que les Muses , qui recherchent avec tant d’empresse- ment les bois , les fontaines & les prairies , ne feroient que des villageoises , si elles ne prenoient flç temps en temps lair des grandes villes. Discours III. i6r Artisans, les manƓuvres, les domestiques* les moines, les soldats, les marchands, 8c gĂ©nĂ©ralement tous ceux qui, par leur Ă©tat, leurs dignitĂ©s , leurs richesses , font assujettis Ă  des devoirs ou livrĂ©s Ă  des plaisirs qui remplissent une partie de leur journĂ©e ; si l'on ne considĂ©rĂ© enfin que le petit nombre de ceux qui, placĂ©s dĂšs leur jeunesse dans cet Ă©tat de mĂ©diocritĂ© oĂč l’on n’éprouve d’autre peine que celle de ne pouvoir soulager tous les malheureux ; oĂč d'ailleurs l'on peut, fans inquiĂ©tude , se livrer tout entier Ă  l’étude & Ă  la mĂ©ditation ; il est certain que ce nombre ne peut excĂ©der celui de six mille ; que , de ces six mille, il n’en est pas six cents d’ani- mĂ©s du dĂ©sir de s’instruire ; que , de ces six cents, il n’en est pas la moitiĂ© qui soient Ă©chauffĂ©s de ce dĂ©sir, au degrĂ© de chaleur propre Ă  fĂ©conder en eux les grandes idĂ©es ; qti’on n’en comptera pas cent, qui, au dĂ©sir de s’instruire, joignent la constance 8c la patience nĂ©cessaires pour per- fecti onner leurs talents , 8c qui rĂ©unissent ainsi deux qualitĂ©s, que la vanitĂ©, trop impatiente de se produire , rend presque toujours inalliables ; qu’enfin , il n’en est peut-ĂȘtre pas cinquante qui , dans leur premiere jeunesse , toujours appliquĂ©s au mĂȘme genre d’étude , toujours insensibles Ă  l’amour & Ăą l’ambition, n’aient, ou dans i 6 t De l’Esprit; des Ă©tudes trop variĂ©es, ou dans les plaisirs , ou dans les intrigues, perdu des moments dont la perte est toujours irrĂ©parable pour quiconque veut se rendre supĂ©rieur en quelque science ou quelque art que ce soit. Or, de ce nombre de cinquante , qui, divisĂ© par celui des divers genres d’étude, ne dĂłnneroit qu’un ou deux hommes dans chaque genre, si je dĂ©duis ceux qui n’ont pas lu les ouvrages, vĂ©cu avec les hommes les plus propres Ă  les Ă©clairer ; Ă­k que , de ce nombre ainsi rĂ©duit , je retranche encore tous ceux dont la mort, les renversements de fortune ou d’autres accidents pareils ont arrĂȘtĂ© les progrĂšs ; je dis que , dans la forme actuelle de notre gouvernement, la multitude des circonstances, dont le concours cĂ­t absolument nĂ©cessaire pour former de grands hommes , s’oppose Ă  leur multiplication ; & que les gens de gĂ©nie doivent ĂȘtre aussi rares qu’ils le font. C’est donc uniquement dans le moral qu’on doit chercher la vĂ©ritable cause de l’inĂ©galitĂ© des esprits. Alors , pour rendre compte de la disette ou de f abondance des grands hommes dans certains siĂ©cles ou certains pays , on ssa plus recours aux influences de l’air , aux diffĂ©rents Ă©loignements oh les climats font du soleil, ni Ă  , tous les raisonnements pareils, qui, tau- Discours III. i6z jours rĂ©pĂ©tĂ©s ont toujours Ă©tĂ© dĂ©mentis par l’expĂ©rience & Fhistoire. Si la diffĂ©rente tempĂ©rature des climats avoit tant d’inĂ­luence fur les arnes & fur les esprits, pourquoi ces Romains Ă­ , E L’ESPRIÍ. des loix de Lycurgue , perdirent-ĂŹls l’unç & l’autre de ces rĂ©putations, lorsqu aprĂšs la guerre du PĂ©loponnĂšse, ils eurent laisTĂ© introduire l’or & le luxe chez eux ? Pourquoi ces anciens Lattes, fi redoutables aux Gaulois , n’auroient-ils plus le mĂȘme courage ? Pourquoi ces Juifs , fi souvent dĂ©faits par leurs ennemis, montrerent-ils, fous la conduite des MachabĂ©es , un courage digne des nations les plus belliqueuses ? Pourquoi les sciences & les arts, tour Ă  tour cultivĂ©s & nĂ©gligĂ©s chez diffĂ©rents peuples, ont-ils successivement parcouru presque tous les climats ? Dans un dialogue de Lucien, Ce n’est » point en Grece, dit la Philosophie, que m je Ă­ĂŹs ma premiere demeure. Je portai » d’abord mes pas vers l’Indus ; ĂŽc l’In- » dien, pour m’écouter, descendit hum- » blement de son Ă©lĂ©phant. Des Indes , » je tournai vers l’Ethiopie ; je me trans- » portai en Egypte d’Egypte, jepaffai » Ă  Babylone ; je m’arrĂȘtai en Scythie ; » je revins par la Thrace. Je conversai w avec OrphĂ©e, & OrphĂ©e m’apporta en » Grece. » Pourquoi la philosophie a-t-elle passĂ© de la Grece dans l’HespĂ©rie , de l’HespĂ©- rie Ă  Constantinople & dans l’Arabie ? & pourquoi, repassant d'Arabie en Italie, a-t-elle trouvĂ© des azyles dans la France , Discours III. 165 TAngleterre , & jusques dans le nord de f Europe ? Pourquoi ne trouve-t-on plus de Phocion Ă  AthĂšnes, de PĂ©lopidas Ă  Thebes, de DĂ©cius Ă  Rome ? La tempĂ©rature de ces climats n’a pas changĂ© A quoi donc attribuer la transmigration des arts , des sciences , du courage &i de la vertu , si ce n’est Ă  des causes morales } C’est Ă  ces causes que nous devons l’ex- plication d’une insinitĂ© de phĂ©nomĂšnes politiques, qu’on essaie en vain d’expli- quer par le physique. Tels font les conquĂȘtes des peuples du nord, l’esclavage des orientaux, le gĂ©nie allĂ©gorique de ces mĂȘmes nations , la supĂ©rioritĂ© de certains peuples dans certains genres de sciences ; supĂ©rioritĂ© qu’on cessera , je pense, d’attribuer Ă  la diffĂ©rente tempĂ©rature des climats , lorsque j’aurai rapidement indiquĂ© la cause de ces principaux effets. CHAPITRE XXVIII. Des conquĂȘtes des peuples du nord. L A cause physique des conquĂȘtes des septentrionaux est, dit-on , renfermĂ©e dans cette supĂ©rioritĂ© de courage ou de force dont la nature a douĂ© les peuples »66 De l j E s p r Ăź t. du nord prĂ©fĂ©rablement Ă  ceux du midi. Cette opinion , propre Ă  .flatter l’orgueil des nations de FEurope , qui, presque routes, tirent leur origine des peuples du nord, n’a point trouvĂ© de contradicteurs. Cependant, pour s’affurer de la vĂ©ritĂ© d’une opinion Ă­ĂŹ flatteuse, examinons fl les septentrionaux sont rĂ©ellement plus courageux & plus forts que les peuples du midi. Pour cet effet ., sachons d’abord ce que e’est que le courage, & remontons jusqu’aux principes qui peuvent jetter du jour fur une des questions les plus importantes de la morale & de politique. Le courage n’eĂ­t, dans les animaux, que ü’effet de leurs besoins ces besoins Ă­bnt-ils satisfaits ? ils deviennent lĂąches le lion affamĂ© attaque l’homme , le lion rassasiĂ© le fuit. La faim de l’animal une fois appaifĂ©e, l’amour de tout ĂȘtre pour fa conservation l’éloigne de tout danger. Le courage, dans les animaux, efl donc un effet de leur besoin. Si nous donnons le nom de timides -aux animaux pĂąturants, c’est qu’iĂ­s ne font pas forcĂ©s de combattre pour fe nourrir , c’est qu’ils n’ont nuls motifs de braver les dangers ont-ils un besoin ? ils ont du courage ; le cerf en rut est aussi furieux qu’un animal vorace. Appliquons Ă  l’homme ce que j’ai dit des animaux. La toujours prĂ©oé» Discours III. 167 dĂ©e de douleurs ; la vie toujours accompagnĂ©e de quelques plaisirs. On est donc attachĂ© Ă  la vie par la crainte de la douleur & par Pamour du plaisir ; plus la vie est heureuse, plus on craint de la perdre & delĂ  les horreurs qu’éprouvent, Ă  l’inf- tant de la mort , ceux qui -vivent dans l’abondance. Au contraire , moins la vie est heureuse , moins on a de regret Ă  la quitter de-lĂ  cette insensibilitĂ© avec laquelle le paysan attend la mort. Or , si Pamour de notre ĂȘtre est fondĂ© sur la crainte de la douleur & Pamour du plaisir,.le dĂ©sir d’ĂȘtre heureux est donc en nous plus puissant que le dĂ©sir d’ĂȘtre. Pour obtenir Pobjet Ă  la possession duquel on attache son bonheur , chacun est donc capable de s'exposer Ă  des dangers plus ou moins grands , mais toujours proportionnĂ©s au dĂ©sir plus 011 moins vif qu’il a de possĂ©der cet objet i. Peur ĂȘtre absolument sans courage, il faudroit ĂȘtre absolument sans dĂ©sir. Les objets des dĂ©sirs des hommes font variĂ©s ; ils font animĂ©s de passons diffĂ©rentes, telles font l’avarice., Pambifion, Pamour de la patrie, celui des femmes , &c. En consĂ©quence , l’homme capable X i La nation la plus courageuse est , par cette raison , la nation oĂč la valeur est le mieux rĂ©compensĂ©e* Si h lĂąchetĂ© la plus punie* s 68 De i’Esprtt. des rĂ©solutions les plus hardies , pour satisfaire une certaine passion, fera lans courage lorsqu’il s’agira d’une autre passion. On a vu mille fois le flibustier animĂ© d’une valeur plus qu’humaine, lorsqu’elle Ă©toit soutenue par l’espoir du butin, se trouver sans courage pour se venger d’un affront. CĂ©sar, qu’aucun pĂ©ril n’étonnoit quand il marchoit Ă  la gloire , ne montoit qu’en tremblant dans ion char, & ne s’y affeyoit jamais qu’il n’eĂ»t superstitieusement rĂ©citĂ© trois fois un certain vers qu’il s’imaginoit devoir l’empĂȘcher de verser k. L’hom- rae timide, que tout danger effraie, peut s’animer d’un courage dĂ©sespĂ©rĂ© , s’il s’agit de dĂ©fendre fa femme , fa maĂźtresse ou ses enfants. VoilĂ  de quelle maniĂ©rĂ© l’on peut expliquer une partie des phĂ©nomĂšnes du courage, & la raison pour laquelle le mĂȘme homme est brave ou timide , selon les circonstances diverses dans lesquels il est placĂ©. AprĂšs avoir prouvĂ© que le courage est un effet de nos besoins , une force qui nous est communiquĂ©e par nos passions , ‱& qui s’exerce fur les obstacles que le ha- zard ou l’intĂ©rĂȘt d’autrui mettent Ă  notre bonheur ; il faut maintenant, pour prĂ©- k Voyc^ l’histoire critique de la philosophie. venir Discours III. 1S9 venir toute objection & jetĂ­er plus de jour fur une matiĂšre Ă­i importante , distinguer deux especes de courage,. II en est un que je nomme vrai courage il consiste Ă  voir le danger tel qu’il est &c Ă  l’affronter. II en est un autre qui n’en a , pour ainsi dire, que les esters cette efpece de courage, commun Ă  presque tous les hommes, leur fait braver les dangers, parce qu’ils Jes ignorent ; par ce que les pallions , en sixant toute leur attention fur ü’objet de leurs dĂ©sirs ., leur dĂ©robent du moins une partie du pĂ©ril auquel elles les exposent. Pour avoir une mesure exacte du vrai courage de ces fortes de gens , il faudroit pouvoir en soustraire toute Ă­a partie du danger que les pallions ou les prĂ©jugĂ©s leur cachent ; & cette partie est ordinairement trĂšs-considĂ©rable. Proposez le pillage d’une ville Ă  ce mĂȘme soldat qui monte avec crainte Ă  Tassaut, l’avarice fascinera ses yeux ; il attendra impatiemment l’heure de l’attaque ; le danger disparaĂźtra ; il sera d’autant plus intrĂ©pide , qu’il fera plus avide. Mille autres causes produisent l’effet de l’avarice le vieux soldat est brave , parce que l’habitude d’un pĂ©ril auquel il a toujours Ă©chappĂ© rend Ă  les yeux le pĂ©ril nul ; le soldat victorieux marche Ă  l’ennemi avec intrĂ©piditĂ©, parce Tome II. H ĂŹ*7° De l’Esp rit, qu’il ne s’attend point Ă  fa rĂ©sistance & croĂźt triompher fans danger. Celui-ci est hardi, parce qu’il fe croit heureux ; celui- lĂ  , parce qu’il fe croit dur ; un troisiĂšme, parce qu’il fe croit adroit. Le courage est donc rarement fondĂ© fur un vrai mĂ©pris de la mort. Aussi l’homme intrĂ©pide l’épĂ©e Ă  la main, fera souvent poltron au combat du pistolet. Transportez sur un vaisseau le soldat qui brave la mort dans le combat; il ne la verra qu’avec horreur dans la tempĂȘte , parce qu’il ne la voit rĂ©ellement que lĂ . Le courage est donc souvent l’effet d’une vue peu nette du danger qu’on affronte , ou de l’ignorance entiere de ce mĂȘme danger. Que d’hommes font saisis d’effroi au bruit du tonnerre. & craindroient de passer une nuit dans un bois Ă©loignĂ© des grandes routes, lorĂ­qu’on n’en voit aucun qui n’aiĂŹle de nuit ĂŽc fans crainte de Paris Ă  Versailles ? cependant la maladresse d’un postillon, ou la rencontre d’un assassin dans .une grande route , font des accidents plus communs, & par consĂ©quent plus Ă  craindre , qu’un coup de tonnere ou la rencontre de ce mĂȘme assassin dans un bois Ă©cartĂ©. Pourquoi donc la frayeur est-elle plus commune dans le premier cas que dans le second ? C’est que la lueur des Ă©clairs & le hrult du tonnerre, ainsi que l’obfçuritç Discours III. 171 des bois , prĂ©sentent chaque instant Ă  l’es- prit Pimage cPun pĂ©ril que ne rĂ©veille point la route de Paris Ă  Versailles. Or il est peu d’hommes qui soutiennent la prĂ©sence du danger cet aspect a sur eux tant de puissance , qu’on a vu des hommes, honteux de leur lĂąchetĂ© , se tuer & ne pouvoir se Venger cl’un affront. L’aĂ­pect de leur ennemi Ă©touffoit en eux le cri de Phonneur ; il falloit, pour y obĂ©ir, que, seuls & s’échauffant eux-mĂȘmes de ce sentiment, ils saisissent le moment d’un transport pour se donner , st je Pose dire, la mort, sans s’en appercevoir. . C’est auffi pour prĂ©venir Peffet que produit, fur presque tous les hommes , la vue du danger , qu’à la guerre, non content de ranger les soldats dans un ordre qui rend leur fuite trĂšs-dif- stcile, on veut encore , en Aste , les Ă©chauffer S opium ; en Europe , d’eau-de- vĂŹe ; & les Ă©tourdir ou par le bruit du tambour ou par les cris qu’on leur fait jetter . C’est par ce moyen que, leur a Le marĂ©chal de Saxe , en parlant des Prussiens , dit Ă  ce sujet , dans ses RĂȘveries , que Thabitude oĂč ils font de charmer leurs armes eii marchant , est trĂšs-bonne. Distrait par cette occupation , le soldat, ajoute-t-il, en volt moins le., danger. . En parlant d’un peuple nommĂ© les Aries, qu» H ij 171 De l’Esprit. cachant nne partie du danger auquel on les expose, on met leur amour pour s honneur en Ă©quilibre avec leur crainte. Ce qus je dis des soldats, je le dis des capitaines entre les plus courageux , il en est peu , qui, dans le lit b ou fur l’échaffaud , considĂšrent la mort d’un Ɠil tranquille. Quelle foiblesse ce marĂ©chal de Biron, Ă» brave -dans les combats , ne montra-t-il pas au supplice ? Pour soutenir la prĂ©sence du trĂ©pas , il faut ĂȘtre ou dĂ©goĂ»tĂ© de la vie, ou dĂ©vorĂ© de ces pallions fortes qui dĂ©terminĂšrent Calanus , Caton & Porcie Ă  se donner la mort. Ceux qu’animent ces fortes pallions n’aiment la vie qu’à certaines conditions leur passion ne leur cache point le danger auquel ils s’exposent ; ils le voient tel qu’il est, & le bravent. Brutus veut affranchir —v——- se peignoient le corps d’une maniĂ©rĂ© effroyable , pourquoi Tacite dit-il que, dans un combat, les yeux font les premiers vaincus ? C’est qu un objet nouveau rappelle jstus distinctement Ă  la mĂ©moire du soldat l’image de la mort qu’il n’en- trevoyoit que confusĂ©ment. b Si les jeunes montrent en gĂ©nĂ©ral plus de courage au lit de la mort, & plus de foi- bleffe fur l’échaffaud que les vieilllards , c’est qpe, dans le premier cas, les jeunes gens conservent plus d’elpoir ; & que , dastS lç seconds jlf font ims plus graqde perte» Discours III. 17$ Rome de la tyrannie ; il aĂ­TaĂ­Ăźine CĂ©sar, il leve une armĂ©e, attaque , combat Octave ; il est vaincu, il se tue la vie lui est insupportable sans la libertĂ© de Rome. Quiconque est susceptible de passions aussi vives est capable des plus grandes choses non seulement il brave la mort, mais encore la douleur. II n’en est pas aussi de ces hommes qui se donnent la mort par dĂ©goĂ»t pour la vie ils mĂ©ritent presqu’au- tant le nom de sages que de courageux ; la plupart seroient sans courage dans les tortures ils n’ont point aster de vie & de force en eux pour en supporter les douleurs. Le mĂ©pris de la vie n’est point, en eux, l’estet d’une passion forte, mais de l’absence des passions ; c’est le rĂ©sultat d’un calcul par lequel ils se prouvent qu’il vaut mieux n’ĂȘtre pas que d’ĂȘtre malheureux. Or cette disposition de leur ame les rend incapables des grandes choses. Quiconque est dĂ©goĂ»tĂ© de la vie s’occupe peu des affaires de ce monde. Aussi , parmi tant de Romains qui se sont volontairement donnĂ© la mort, en est-il peu qui, par le massacre des tyrans, aient osĂ© la rendre utile Ă  leur patrie. En vain diroit- on que la garde qui, de toutes parts, environnent les palais de la tyrannie, leur en dĂ©fendoit l’accĂšs c’étoit la crainte des supplices qui dĂ©sarment leur bras. De pa- *74 D e i/E s p r i t. reils hommes se noient, se font ouvrir Ăźes veines, mais ne s’exposent point Ă  des supplices cruels nul motif ne les y dĂ©termine. C’est la crainte de la douleur qui nous explique toutes les bizarreries de cette espece de courage. Si Fhomme assez courageux pour se brĂ»ler la cervelle n’ose se frapper d'un coup de stilet, s’il a de l’hor- reur pour certains genres de mort, cettfe horreur est fondĂ©e fur la crainte vraie ou fausse d’une plus grande douleur. Les principes ci-dessus Ă©tablis donnent^ je pense , la solution de toutes les questions de ce genre ; & prouvent que le courage n’est point, comme quelques-uns le prĂ©tendent, un effet de la tempĂ©rature diffĂ©rente des climats, mais des passions & des besoins communs Ă  tous les hommes. Les bornes de mon sujet ne me permettent pas de parler ici des divers noms donnĂ©s au courage , tels que ceux de bravoure , de valeur , d’ intrĂ©piditĂ© , &c. Ce ne sont proprement que des maniĂ©rĂ©s diffĂ©rentes dont le courage se manifeste. Cette question examinĂ©e , je passe Ă  la seconde. II s’agit de savoir li, comme on le soutient, on doit attribuer les conquĂȘtes des peuples du nord Ă  la force & Ă  la vigueur particuliĂšre dont la nature , dit- ©n, les a douĂ©s» Discours II Ăź. 17 ? Pour s’assurer de la vĂ©ritĂ© de cette opinion , c’est en vain que l’on auroit recours Ă  l’expĂ©rience rien n’indique , julqu’à prĂ©sent, Ă  l’examinateur scrupuleux, que la nature soit, dans ses productions du septentrion, plus forte que dans celles du midi. Si le nord a ses ours blancs &c ses orox , P Afrique a ses lions , ses rhinocĂ©ros &c ses Ă©lĂ©phants. On n’a point fait lutter un certain nombre de NĂšgres de la CĂŽte d’or ou du SĂ©nĂ©gal, avec un pareil nombre de Russes ou de Finlandois on n’a point mesurĂ© l’inĂ©galitĂ© de leur force par la pesanteur diffĂ©rente des poids qu’ils pourroient soulever. On est st loin d’avoir rien constatĂ© Ă  cet Ă©gard , que , si je voulois combattre un prĂ©jugĂ© par un prĂ©jugĂ©, j’opposerois, Ă  tout ce qu’on dit de la force des gens du nord, l’éloge qu’on fait de celle des Turcs. On ne peut donc appuyer l’opinion qu’on a de la force & du courage des septentrionaux, que sur l’his- toire de leurs conquĂȘtes mais alors, toutes les nations peuvent avoir les mĂȘmes- prĂ©tentions, les justifier par les mĂȘmes- titres, & se croire toutes Ă©galement favo-; risĂ©es de la nature. Qu’on parcoure l’histoire on y verra les Huns quitter les Palus-MĂ©otides pour enchaĂźner des nations situĂ©es au nord de leur pays ; on y verra les Sarrazins dĂ©fis iiij. 176 Ă­ E L’ È S P R I f. cendre en foule des sables brĂ»lants de í’ArabiĂš poiĂ­r venger la terre, domptes les nations, triompher des Efpagnes, & porter la dĂ©solation jusques dans le cƓur de la France ; on verra ces mĂȘmes Sarra- 1 zins briser d’une main victorieuse les Ă©tendards des croisĂ©s ; & les nations de FEu- fope , par des tentatives rĂ©itĂ©rĂ©es , multiplier , dans la Palestine , leurs dĂ©faites & leur honte. Si je porte mes regards fur d’autres rĂ©gions, j’y vois encore la vĂ©ritĂ© de mon opinion confirmĂ©e ; & par les triomphes de Tamerlan , qui, des bords de l’Indus, descend en conquĂ©rant jus- qu’aux climats glacĂ©s de la SibĂ©rie ; & par les conquĂȘtes des Incas ; & par la valeur des Egyptiens , qui, regardĂ©s du temps de Cyrus comme les peuples les plus courageux , se montrĂšrent, Ă  la bataille de Trembreia , st dignes de leur rĂ©putation ; & enfin, par ces Romains qui porterent leurs armes victorieuses jusques dans la Sarmatie, & les istes Britanniques. Or, st la victoire a volĂ© alternativement du midi au nord , & du nord au midi ; st tous les peuples ont Ă©tĂ© , tour-Ă -tour, conquĂ©rants & conquis ; st, comme l’histoire nous „ apprend , les peuples du septentrion c c Tacite dit que , si !e> septentrionaux supportent mieux la faim ik le froid que les mĂ©- D I S C O U*R S III. 177 Ă­ie font pas moins sensibles aux ardeurs brĂ»lantes du midi, que les peuples du midi le font Ă  l’ñpretĂ© des froids du nord, &c s’ils font la guerre avec un dĂ©savantage Ă©gal dans des climats trop diffĂ©rents du leur ; il eĂ­ĂŹ Ă©vident que les conquĂȘtes des septentrionaux sont absolument indĂ©pendantes de la tempĂ©rature particuliĂšre de leurs climats ; & qu’on chercheroit en vain dans le physique la cause d’un fait dont le moral donne une explication simple & naturelle. Si le nord a produit les derniers conquĂ©rants de TEurope , c’est que des peuples fĂ©roces & encore sauvages d tels rldionaux, ces derniers supportent mieux qu’eux la soif & la chaleur. Le mĂȘme Tacite , dans les MƓurs des Germains , dit qu'ils ne soutiennent point les fatigues de la guerre. d Olaiis vormius , dans ses AntiquitĂ©s Dan- noifĂ­s , avoue qu’il a tirĂ© la plupart de ses con- noiflances des rochers du Dannemarck , c’est- Ă -dire , des inscriptions qui y Ă©toient gravĂ©es en caractĂšres Runes ou Gothiques. Ces roches formoient une fuite d’histoire & de chronologie qui compostĂąt presque toute la bibliothĂšque du nord. Pour conserver la mĂ©moire de quelque Ă©vĂ©nement , on se servoĂŻt de pierres brutes , d’une grosseur prodigieuse ; les unes Ă©toient jettĂ©es confusĂ©ment , on donnoit aux autres quelque Ă­ym- mĂ©trie. On voit beaucoup de ces pierres dans H v iy8 De l’ E s p r i r. que l’etoĂŹent alors les septentrionaux' ÂŁ sont, comme le remarque le chevalier Folard, infiniment plus courageux Sc plus propres Ă  la guerre que des peuples nourris dans le luxe, la mollesse , Sc soumis au pouvoir arbitraire , comme l’étoient e alors les Romains. Sous les derniers empereurs, les Romains n’etoient plus’ce peuple qui, vainqueur des Gaulois Sc des Germains, tenoit encore le midi fous ses. loix alors ces maĂźtres du monde succom- boient sous les mĂȘmes vertus qui les avoient. fait triompher de l’univers. Mais , pour jubjuguer l’Asie , ils n’eu- rent, dira-t-on , qu'Ă  lui porter des chaĂźnes. La rapiditĂ© , rĂ©pondrai-je , avec laquelle ils la conquirent, ne prouve point la lĂąchetĂ© des peuples du midi. Quelles, villes du nord se sont dĂ©fendues avec plus d’opiniĂątretĂ© que Marseille , Numance,, la plaine de Salirbury en Angleterre’, qui fer- voient, de sĂ©puhure aux princes & aux hĂ©ros Bretons , comme ie prouve la grande quantitĂ©, d ossements & d’armures qu’on en tire.. e Si les Gaulois, dit CĂ©sar, autrefois plus. belliqueux que tes Germains, leur cĂšdent’maintenant la gloire des armes ; c’est depuis qu’ünG truits, par"les Romains, dans. le commerce , ils. se sont enrichis &' policĂ©s. Ce qui est arrivĂ© , dit Tacite, aux Gaulois,', est arrivĂ© aux Bretons ; ces deux peuples ont. gerdu lĂ©ur courage avec leur libertĂ©. Discours II Ăź. 179 Sagunte , Rhodes ? Du temps de CraĂ­Ă­iis, les Romains ne trouverent-ils pas dans le ; Parthes des ennemis dignes d’eux ? C’est donc Ă  l’esclavage & Ă  la mollesse des Asiatiques que les Romains durent la rapiditĂ© de leurs Lorsque Tacite dit que la monarchie des Parthes est moins redoutable aux Romains que la libertĂ© des Germains , c’est Ă  la forme du gouvernement de ces derniers qu’il attribue la supĂ©rioritĂ© de leur courage, C’est donc aux causes morales , & non Ă  la tempĂ©rature particuliĂšre des pays dru nord, que l’on doit rapporter les conque^ tes des septentrionaux. CHAPITRE XXIX. De F esc lavage-, & du gĂ©nie allĂ©gorique dep orientaux . Gaiement frappĂ©s de la pesanteur du' J 2 j despotisme oriental, & de la longue & lĂąche patience des peuples soumis Ă  ce joug odieux, lĂ©s occidentaux, fiers de leur' libertĂ© , ont eti recours aux causes physiques pour expliquer ce phĂ©nomĂšne poli- tique. Ils ont soutenu que la luxurieuse ; Asie n’enfantoit que des hommes fans» i8o De l’ E s p r i t, force , sans vertu , & qui, livrĂ©s Ă  des deĂ­irs brutaux , n’étoient nĂ©s que pour Felclavage. Ils ont ajoutĂ© que les contrĂ©es du midi ne pouvoient, en consĂ©quence , adopter qu’une religion sensuelle. Leurs conjectures font dĂ©menties par l’expĂ©rience & FhiĂ­loire on fait que FAfxe a nourri des nations trĂšs-belliqueu- ses ; que l’amour n’amcllit point le courage /' ; que les nations les plus sensibles Ă  les plaisirs ont, comme le remarquent Plutarque & Platon, souvent Ă©tĂ© les plus braves & les plus courageuses ; que le dĂ©sir ardent des femmes ne peut jamais ĂȘtre regardĂ© comme une preuve de la foiblesse du tempĂ©rament ^ des Asia- f Les Gaulois , dit Tacite , aimoient les femmes , avoient pour elles la plus grande vĂ©nĂ©ration ; ils leur croy oient quelque chose de divin , les admettoient dans leurs conseils , & dĂ©libĂ©roient avec elles fur les affaires d’état. Les Germains en ufoient de mĂȘme avec les leurs ; les dĂ©cisions des femmes paĂ­foient, chez eux, pour des oracles. Sous Vefpasien, une Velleda , avant elle une AurinĂŹa & plusieurs autres , s’étoient attirĂ© la mĂȘme vĂ©nĂ©ration. C’est enfin, dit Tacite, Ă  la sociĂ©tĂ© des femmes que les Germains doivent leur courage dans les combats & leur sagesse dans les conseils. g Au rapport du chevalier de Beaujeu , les septentrionaux ont toujours Ă©tĂ© trĂšs-sensibles aux j-laiĂ­trs de i’amour. Qgerius, irt lĂșntu Danko 4 dit la mĂȘme chose, Discours II Ă­. i8r tiques ; & qu’enfin, longtemps avant Mahomet , O clin avoit Ă©tabli, chez les nations les plus septentrionales, une religion absolument semblable Ă  celle du prophĂšte de l’orient /-. ForcĂ© d’abandonner cette opinion , & de restituer , si j’ose le dire , l’ame & le corps aux Asiatiques , on a cherchĂ©, dans la position physique des peuples de l’orient, la cause de leur servitude en consĂ©quence, on a regardĂ© le midi comme une vaste plaine dont l’étendtie fourniĂ­soit Ă  la tyrannie les moyens de retenir les peuples dans l’esclavage. Mais cette supposition n’eĂ­t pas confirmĂ©e par la gĂ©ographie on fait que le midi de la terre est de toutes parts hĂ©rissĂ© de montagnes ; que le nord, au contraire, peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une plaine vaste, dĂ©serte &c couverte de bois , comme vraisemblablement l’ont jadis Ă©tĂ© les plaines de l’Asie. AprĂšs avoir inutilement Ă©puisĂ© les causes physiques pour y trouver les fondements du despotisme oriental, il faut bien avoir recours aux causes morales, & par consĂ©quent Ă  l’histoire. Elle nous apprend qu’ense poliçant les nations perdent insensiblement leur courage , leur vertu , &C h Voyez , dans le chapitre XXV; l’exacte ÂŁÂŁpforinitĂ© de cfs dsĂŹvc religion?.. ĂŻSl D E t’Es PRIT, mĂȘme leur amour pour la libertĂ© ; qu’in- conĂźinent aprĂšs fa formation, toute sociĂ©tĂ© , selon les diffĂ©rentes circonstances oĂŹi elle fe trouve, marche d’un pas plus ©u moins rapide Ă  l’efclavage. Or, les peuples du midi s’étant les premiers rassemblĂ©s en sociĂ©tĂ© , doivent-, par consĂ©quent , avoir Ă©tĂ© les premiers soumis au despotisme ; parce que c’est Ă  ce terme qu’aboutit toute espece de gouvernement, Ôc la forme que tout Ă©tat conserve jusqu’à ion entiere destruĂ©tion. Mais, diront ceux qui croient le monde plus ancien, que nous ne le pensons , comment est-il encore des rĂ©publiques fur la terre ? Si toute sociĂ©tĂ© leur repondra-t-on, tend , poliçant, au despotisme , toute puissance despotique tend Ă  la dĂ©population. Les climats soumis Ă  ce pouvoir , incultes St dĂ©peuplĂ©s aprĂšs un certain nombre destecles , se changent en dĂ©serts.; les plaines , oh s’étendoient des villes immenses , ou s’élevoient des Ă©difices somptueux , se couvrent peu Ă  peu de forĂȘts oĂč se rĂ©fugient quelques familles, qui insensiblement reforment de nouvelles nations sauvages ; succession qui doit toujours conserver des rĂ©publiques fur la terre. J’ajouterai seulement Ă  ce que je viens de dire , que , fi les peuples du midi font les peuples le plus anciennement esclaves; Discours, fl s. 185 & st les nations de l’Europe , Ă  Fexception des Moscovites , peuvent ĂȘtre regardĂ©es comme des nations libres ; c’est que ces nations font plus nouvellement policĂ©es c’est , que du temps de Tacite, les Germains & les Gaulois n’étoient encore que des efpeces de sauvages; & qu’à moins de mettre, par la force des armes, toute une nation Ă  la fois dans les fers , ce n’est qu’aprĂšs une longue fuite de stecles &c par des tentatives insensibles , mais continues, que les tyrans peuvent Ă©touffer dans les cƓurs l’arnour vertueux que tous les hommes ont naturellement pour la libertĂ© , & avilir aster les Ăąmes pour les plier Ă  l’es- clavage. Une fois parvenu Ă  ce terme, un peuple devient incapable d’aucun acte de gĂ©nĂ©rositĂ© i. Si les nations de l’Asie font le mĂ©pris de l’Europe , c’est que le temps i Dans ces pays , la magnanimitĂ© ne triomphe point de la vengeance. On ne verra point en Turquie ce qu’on a vu il y a quelques annĂ©es- en Angleterre. Le prince Edouard , poursuivi parles troupes du roi , trouve un asyle dans la maison d’u n seigneur. Ce seigneur est accusĂ© d’avoir donnĂ© retraite au prĂ©tendant. On le cite devant les juges ; il s’y prĂ©sente , & leur dit Souffre^ qu avant de jubir l’inierragatoire , je vous demande lequel d’entre vous , fi le prĂ©tendant fe fĂ»t rĂ©fugiĂ© dans fa m aijon , eĂ»t Ă©tĂ© ajfe \[ vil 6* afie[ lĂąche pour le livrerĂŹ. A cette question, le tribunal se tait , se leve > & renvoie 1 acculĂ©- 184 O L L* Es PRIT. les a soumises Ă  un despotisme incompatible avec une certaine Ă©lĂ©vation d’ame. C’est ce mĂȘme despotisme , destructeur de toute espece d’esprit & de talents , qui fait encore regarder la stupiditĂ© de certains peuples de Forient, comme l’efset d’un dĂ©faut d’organisation. II seroit cependant facile d’appercevoir que la diffĂ©rence extĂ©rieure qu’on remarque , par exemple , dans la physionomie du Chinois & du SuĂ©dois, ne peut avoir aucune influence fur leur esprit ; & que , si toutes nos idĂ©es , comme l'a dĂ©montrĂ© M. Locke, nous viennent par les sens, les septentrionaux n’ayant point un plus grand nombre de sens que les orientaux, tous par ConsĂ©quent ont , par leur con- On ne voit point en Turquie de pofTeĂ­Teur de terre s’occuper du bien de ses vassaux ; un Turc n'Ă©tablit point chez lui de manufacture ; il ne supportera point , avec un plaisir Tecret, l’insolence de ses infĂ©rieurs ; insolence qu’une fortune subite inspire prelque toujours Ă  ceux qui naissent dans l’indigence. On n’entendra point sortir de sa bouche cette belle rĂ©ponse que , dans un cas pareil , fit un seigneur Anglois Ă  ceux qui l’accusoient de ’ ' 'ĂŹi je voulois plus de respetl de mes vajjaux , je jais comme vous, que la mifere a la voix humble & timide ; mais je veux leur bonheur & je rends grĂąces au cid , puisque leur insolence m assure maintenant au ils font plus riches -& plus peureux, Discours ,111. 185 formation physique, d’égales dispositions Ă  l’esprit. *, Ce n’est donc qu’à la diffĂ©rente constitution des empires , & par consĂ©quent aux causes morales , qu’on doit attribuer toutes les diffĂ©rences d esprit &c de caractĂšre qu’on dĂ©couvre entre les nations, C’est , par exemple , Ă  la forme de leur gouvernement que les orientaux doivent ce gĂ©nie allĂ©gorique * qui fait & qui doit rĂ©ellement faire le caractĂšre distinctif de leurs ouvrages. Dans les pays oĂč les sciences ont Ă©tĂ© cultivĂ©es, oĂč l’on conserve encore le dĂ©sir d’écrire , oĂč l’on est cependant soumis au pouvoir arbitraire, oĂč par consĂ©quent la vĂ©ritĂ© ne peut se prĂ©senter que sous quelque emblĂšme , il est certain que les auteurs doivent insensiblement contracter l’habitude de ne penser qu’en allĂ©gorie. Ce siit ausii pour faire sentir Ă  je ne sais quel tyran l’injustice de ses vexations , la duretĂ© avec laquelle il traitoit ses sujets , & la dĂ©pendance rĂ©ciproque & nĂ©cessaire qui unit les peuples & les souverains , qu’un philosophe Indien inventa, dit-on , le jeu des Ă©checs, II en donna des leçons au tyran ; lui sit remarquer , que , si , dans ce jeu , les pie- ces devenoient inutiles aprĂšs la perte du roi, le roi , aprĂšs la prise de ses pieces, se trouvoit dans l’impuistance de se dĂ©fen- r 86 De l* E s p r i t> dre ; & que, dans l’un & fautre cas , Ă­a partie Ă©toit k , Je pourrois donner mille autres exemples de la forme allĂ©gorique fous laquelle les idĂ©es se prĂ©sentent aux Indiens ; ces exemples feroient, je crois , sentir que la forme du gouvernement, Ă  laquelle les k Les Vizirs ont, par de semblables adresses trouvĂ© le moyen de donner des leçons visses aux Souverains. » Un roi de Perse en eoiere , dĂ©posa » son grand vizir, & en mit un autre Ă  sa place ; sv nĂ©anmoins , parce que bailleurs il- Ă©toit contenu » des services du dĂ©posĂ©, i! lui dit de choisir dans » ses Ă©tats un endroit tel qu’il lui plairoit, pour y w jouir le reste de ses jours avec fa famille , des j bienfaits qu’il avoir reçus de lui jusqu’alors. Le n Vizir lui rĂ©pondit , je n ai pas besoin de tous les' n biens dont votre majejĂŹĂ© m’a comblĂ© , je la fĂŹtp- » plie de les reprendre , & fi elle a encore quelque n bontĂ© pour moi , ]e ne lui demande pas un lieu qui n soit habitĂ© , je lui demande avec instance de m’ac- » corder qu [que village dĂ©sert , que je puĂŹjse repeu- » pler & rĂ©tablir avec mes gens , par mon travail , » mes foins & mon indufirie. Le roi donna ordre n qu’on cherchĂąt quelques villages tels qu’il les de- » mandoit ; mais aprĂšs une grande recherche » ceux qui en avoient eu la commission , vinrent » lui rapporter qu’ils n’en avoient pas trouvĂ© un » seul. Le roi le dit au vizir dĂ©posĂ© , qui lui dit » Je favois fort bien qu il n y avait pas un seul » endroit ruinĂ© dans tous lis pays dont le foin n m’avoit Ă©tĂ© confiĂ©. Ce que j'en ai fait, a Ă©tĂ© » afin que votre majeflĂ© sĂ»t elle - mĂȘme en quel » Ă©tat je les lui rends , & qu elle en charge un au~ » ire qui puisse lui en rendre un aussi bon compte, » Galland. Bons mots des Orientaux, Discours III. 187 nations de l’orient doivent tant d’ingĂ©- nieuses allĂ©gories, a, dans ces mĂȘmes, nations , du occasionner une grande disette d’historiens. En effet, le genre de Fhistoire , qui suppose , sans doute , beaucoup d’esprit, n’en exige cependant pas davantage que tout autre genre d’ccrire. Pourquoi donc , entre les Ă©crivains, les bons historiens sont-ils si rares ? C’est que, pour s’illustrer en ce genre, il faut non Ă­eulçment naĂźtre dans l’heureux concours de circonstances propres Ă  former un grand homme , mais encore dans les pays oĂč l’on puisse impunĂ©ment pratiquer la vertu & dire la vĂ©ritĂ©. Or, le despotisme s’y oppose , & ferme la bouche aux historiens / , si fa puissance n’est , Ă  / Si, dans ces pays , l’historien ne peut ; fans s’exposer Ă  de grands dangers , nommer les traĂźtres qui, dans les siĂ©cles prĂ©cĂ©dents , ont quelquefois vendu leur patrie ; s’il est forcĂ© de sacrifier ainsi la vĂ©ritĂ© Ă  la vanitĂ© de descendants souvent aussi coupables que leurs ancĂȘtres ; comment, en ces pays , un ministre feroit - il le bien public ĂŻ- Quels obstacles ne mettroient point Ă  ses projets des gens puissants, infiniment plus intĂ©ressĂ©s Ă  la prolongation d’un abus qu’à la rĂ©putation de leurs pures ? Comment, dans ces gouvernements , oser demander des vertus Ă  un citoyen ? oser dĂ©clamer contre la mĂ©chancetĂ© des hommes ? Ce ne font point les hommes qui font mĂ©chants ; c’est la. lĂ©gislation qui les rends tels , en punissant quiconque fait le bien & dit la vĂ©ritĂ©. '*88 De l’Es prit, "cet Ă©gard , enchaĂźnĂ©e par quelque prĂ©jugĂ© , quelque superstition ou quelque Ă©tablissement particulier. Tel est, Ă  la Chine, rĂ©tablissement d’un tribunal d’histoire ; tribunal Ă©galement sourd , jusqu’aujour- d’hui, atix priĂšres comme aux menaces des rois m. m Le tribunal d’histoire , dit M. Freret , est composĂ© de deux sortes d’historiens. Les uns sont chargĂ©s d’écrire ce qui se passe au - dehors- dtt palais-, c’est-Ă -dire , tout ce qui concerne les affaires gĂ©nĂ©rales ; & les autres tout ce qui se passe se dit au-dedans , c’est-Ă -dire , toutes les actions & les discours du prince , des ministres & des officiers. Chacun des membres de ce'tribunal Ă©crit fur une feuille tout ce qu’il a appris. II la signe , & la- jette , fans la communiquer Ă  ses confrĂšres , dans un grand tronc placĂ© au miilieu de la salle oĂč l’on 'assemble. Pour faire connoitre l’esprit de ce tribunal , M. Freret rapporte qu’un nommĂ© Tsou-i- chong fit assassiner T-chouang-chong dont il Ă©toit le gĂ©nĂ©ral ; c’étoit pour se venger de l’affront que ce prince lui avoir fait en lui enlevant sa femme. Le tribunal de l’histoire fit dresser une relation de cet Ă©vĂ©nement , & la mit dans ses archives. Le gĂ©nĂ©ral en ayant Ă©tĂ© informĂ© , destitua le prĂ©sident , le condamna Ă  mort, supprima la relation, 6c nomma un autre prĂ©sident. A peine celui - ci fut - il en place , qu’il sit faire de nouveaux mĂ©moires de cet Ă©vĂ©nement, pour remplacer la perte des premiers. Le gĂ©nĂ©ral instruit de cette hardiesse cassa le tribunal , & en fit pĂ©rir tous les membres. Aussi-tĂŽt l'empire fut inondĂ© d’écrits publics , oĂč la conduite du gĂ©nĂ©ral Ă©toit peinte avec les couleurs les plus noires. II craignit une sĂ©dition ; il rĂ©tablit le tribunal de l’histoire. Discours III. 189 Ce que je dis de l’histoire , je le dis de í’éloquence. Si l’Italie fut lĂŹ fĂ©conde en orateurs, ce n’est pas, comme l’a soutenu la savante imbĂ©cillitĂ© de quelques pĂ©dants de college , que le fol de R orne fut plus propre que celui de Lisbonne ou de Constantinople Ă  produire de grands orateurs. Rome perdit au mĂȘme instant son Ă©loquence dc fa libertĂ© cependant nul accident arrivĂ© Ă  la terre n’avoit, fous les empereurs , changĂ© le climat de Rome. A quoi donc attribuer la disette d’orateurs oĂč fe trouvĂšrent alors les Romains, si ce n’est Ă  des causes morales , c’est-Ă -dire , aux changements arrivĂ©s dans la forme de Les annales de la dynastie des Tang rapportent un autre fait Ă  ce sujet. Ta-i-t-song , deuxieme empereur de la dynastie des Tang , demanda un jour au prĂ©sident de ce mĂȘme tribunal qu’il lui fit voir les mĂ©moires destinĂ©s pour rhistoire de son rĂ©gnĂ©. Seigneur , lui dit le prĂ©sident , songes que nous rendons un compte exafl des vices & des vertus des souverains ; que nous cesserions d’ĂȘtre libres , fi vous persifliez dans votre demande .... Eh quoi ! lui rĂ©pondit l’empereur , vous qui me devez ce que vous Ă©tĂ©s , vous qui ni Ă©tiez fi attachĂ© , voudriez-vous instruire la postĂ©ritĂ© de mes fautes, fi j’en commettois ? . . . . II ne feroit pas , reprit Je prĂ©sident , en mon pouvoir de les cacher. Ce feroit avec douleur que je les Ă©crirois . mais tel est le devoir de mon emploi , qu il moblige mĂȘme d’in- Jtruire la postĂ©ritĂ© de la conversation que vous avez aujourd’hui avec moi. ryo De l’ K s p r i t, leur gouvernement? Qui doute qu’en forçant les orateurs Ă  s’exercer fur de petits sujets /r , le despotisme n’ait tari les sources de f Ă©loquence ? Sa force consiste principalement dans la grandeur des sujets qu’elle traite. Supposons qu’il fallĂ»t autant d’efprit pour Ă©crire le panĂ©gyrique de Trajan , que pour composer les Catilinaires dans cette hypothĂšse mĂȘme, je dis que , par le choix de son sujet, Pline seroit restĂ© fort infĂ©rieur Ă  CicĂ©ron. Ce dernier ayant Ă  tirer les Romains de l’assoupissement oĂč Catilina vculoit les surprendre , il avoit Ă  rĂ©veiller en eux les passions de la haine &i de la vengeance & comment un sujet st intĂ©ressant pour les maĂźtres du monde n’auroit-il pas fait dĂ©fĂ©rer Ă  CicĂ©ron la palme de l’élo- quence? Qu’on examine Ă  quoi tiennent les reproches de barbarie & de stupiditĂ© que les Grecs , les Romains Sc tous les EuropĂ©ens ont toujours faits aux peuples de l’orient l’on verra que les nations n’ayant n L’air de libertĂ© que Tacite respira dans fa premiere jeunesse, fous le rĂ©gnĂ© de VeĂ­pasien, donna du ressort Ă  son ame. 11 devint, dit M. l’AbbĂ© de la BĂŹetterie , un homme de gĂ©nie ; & il n’eĂ»t Ă©tĂ© qu’un homme d’efprit, s’il fĂ»t entrĂ© dans jfĂŽ monde fous le rĂ©gnĂ© de NĂ©ron, Discours III. 191 jamais donnĂ© le nom d’esprit qu’à l’assem- blage des idĂ©es qui leur ctoient utiles ; & le despotisme ayant interdit, dans presque toute F Asie , l’étude de la morale , de la mĂ©taphysique, de la jurisprudence P de la politique , enfin de toutes les sciences intĂ©ressantes pour l’humanitĂ© , les orientaux doivent en consĂ©quence ĂȘtre traitĂ©s de barbares , de stupides, par les peuples Ă©clairĂ©s de l’Europe , & devenir Ă©ternellement le mĂ©pris des nations libres & de la postĂ©ritĂ©, .. ^ CHAPIT1E XXX, De la supĂ©rioritĂ© que certains peuples ont eue dans divers genres de sciences. L A position physique de la Grece est toujours la mĂȘme pourquoi les Grecs d’aujourd’hui font-ils si diffĂ©rents desGrecs d’autrefois ? C’est que la forme de leur gouvernement a changĂ© ; c’est que , semblable Ă  l’eau qui prend la forme de tous les vases dans lesquels on la verse , le caractĂšre des nations est susceptible de toutes fortes de formes ; c’est qu’en tous les pays, le gĂ©nie du gouvernement fait le '%Ci De l’Esprit^ gĂ©nie des nations o, Or , fous la forme de rĂ©publique , quelle contrĂ©e devoir ĂȘtre plus fĂ©conde que la Grece en capitaines , en politiques & en hĂ©ros ? Sans parler des hommes d’état, quels philosophes ne devoit point produire un pays oĂč la philosophie Ă©toit si honorĂ©e ? oĂč le vainqueur de la Grece , le roi Philippe , Ă©crivoit Ă  Aristote Ce n est point de m'avoir o Rien en gĂ©nĂ©ral de plus ridicule & de plus faux que les portraits qu’on fait du caractĂšre des peuples divers. Les uns peignent leur nation d’aprĂšs leur sociĂ©tĂ© , & la font en consĂ©quence ou triste , ou gaie , ou grossiĂšre , ou spirituelle. II me semble entendre des minimes auxqueĂźs on demande quel est , en fait de cuisine , le goĂ»t François , & qui rĂ©pondent qu’en France on mange tout Ă  l’huile. l autres copient ce que mille Ă©crivains ont dit avant eux ; jamais ils n'ont examinĂ© le changement que doivent nĂ©cessairement apporter, dans le caractĂšre d’une nation, les changements arrivĂ©s dans son administration & dans ses mƓurs. On a dit que les François Ă©toienĂ­ gais ; ils le rĂ©pĂ©teront jusqu Ă  l’éternitĂ©. Ils n’ap- perçoivent pas que le malheur des temps ayant forcĂ© les princes Ă  mettre des impĂŽts considĂ©rables fur les campagnes , la nation .^Françoise ne peut ĂȘtre gaie ; puisque la classe des paysans , qui compose Ă  elle seule les deux tiers de la nation , est dans le besoin , & que le besoin n’est jamais gai qu’à l’égard mĂȘme des villes , la nĂ©cessitĂ© oĂč , dit - on, se trouvoit la police de payer , les jours gras une partie des mascarades de la porte S. Antoine, n’est point une preuve de la donni Discours III. 19 j donnĂ© un fils , dont j t rends grĂąces aux dieux ; cefi de lavoir fiait naĂźtre de votre vivant. Je vous charge de son Ă©ducation j f efpere que vous h rendre ÂŁ digne de vous tĂ© de moi. Quelle lettre plus flatteuse encore pour ce philosophe que celle d’Alexandre , du maĂźtre de la terre , qui, furies dĂ©bris du trĂŽne de Cyrus, lui Ă©crit fi apprends que tu publies tes traitĂ©s acroa- gaietĂ© de Partisan & du bourgeois que l’efpion- nage peut ĂȘtre utile Ă  la furetĂ© de Paris ; rirais que , poussĂ© un peu trop loin , il rĂ©pand dans les plprits une mĂ©fiance absolument contraire Ă  la joie ,*par l’abus qu’en ont pu faire quelques-uns de ceux qui en ont Ă©tĂ© chargĂ©s que la jeunesse , en s’interdisant le cabaret , a perdu une partie de cette gaietĂ© qui souvent a besoin d ĂȘtre aminĂ©e par le vin &Ă­ qu’enfin , la bonne compa- f nie , en excluant la grosse joie de ses assem- lĂ©es, en a banni la vĂ©ritable. Aussi la plupart des Ă©trangers trouvent-ĂŹls, Ă  cet Ă©gard, beaucoup de diffĂ©rence entre le caractĂšre de notre nation & celui qu'on lui donne. Si la gaietĂ© habite quelque part en France , c’est certainement les jours de fĂȘte aux Porcherons ou fur les Boulevards le peuple y est trop sage pour pouvoir ĂȘtre regardĂ© comme un peuple gai. La joie est toujours am peu licencieuse. D'ailleurs , la gaietĂ© suppose l’aisance ; & le signe de l’aisance d’un peuple , est ce que certaines gens appellent son insolence , c’est- Ă  dire , la connoissance qu’un peuple a des droits de l’humanitĂ© , & de ce que l’homme doit Ă  Thomme connoissance toujours interdise jf la pauvretĂ© timide & dĂ©couragĂ©e. L’aisance dĂ©fend ses droits; l’indigence les cede. Tome II. I 394 E. C E s p r I T. manques. Quille supĂ©rioritĂ© ine refle -t-il maintenant fur les autres hommes ? Les hau » tes sciences que tu m as enseignĂ©es vont devenir communes ; & tu favois cependant que j'aime encore mieux surpasser les hommes par la science des choses sublimes , que par la puisance. Adieu. Ce n’éíoit pas dans le seul Aristote qu’on honoroit la philosophie. On sait que PtoßémĂ©e, roi d’Egypte , traita Zenon en souverain , & dĂ©puta vers lui des ambassadeurs ; que les AthĂ©niens Ă©levĂšrent Ă  ce philosophe un mausolĂ©e construit aux dĂ©pens du public ; qu’avant lapnort de ce mĂȘme ZĂ©non, Antigonus , roi de MacĂ©doine , lui Ă©crivit Si la fortune m'a Ă©levĂ© Ă  la plus haute place , fi je vous surpasse en grandeur , se reconnois que vous me surpasseen science & en vertu. Vene^ donc Ă  ma cour ; vous y sere^ utile non seulement Ă  un grand roi , mais encore Ă  toute la nation MacĂ©donienne. Vous faveq_ quel es sur ies peuples le pouvoir de t exemple imitateurs serviles de nos vertus , qui les inspire aux princes en donne aux peuples. Adieu. ZĂ©non lui rĂ©pondit Japplaudis Ă  la noble ardeur qui vous anime ait milieu du fafle , de la pompe & des plaisirs qui environnent les rois , il ejĂŹ beau de desiret encore la science & la vertu. Mon grand dge & la foiblesse de ma santĂ© ne me permettent point se ms ren - Discours III. 19; dre prĂšs de vous- ; mais je vaus envols deux de mes disciples. PrĂȘtes Voreille Ă  leurs ins- truclions Ji vous les Ă©coute^ , ils vous ou - vriront la route de la J'ugejse & du vĂ©ritable bonheur. Adieu. Au reste , ce n’étoit point Ă  la seule philosophie , c’étoit Ă  tous les arts que les- Grecs rendoient de pareils hommages. Un poĂ«te Ă©toit si prĂ©cieux Ă  la Grece, que , fous peine de mort & par une loi expresse, .AthĂšnes leur dĂ©fendoit de s’embarquer a. Les LacĂ©dĂ©moniens, que certains auteurs ont pris plaisir Ă  nous peindre comme des hommes vertueux , mais plus gros? siers que spirituels , n’étoient pas moins sensibles que les autres Grecs b aux beautĂ©s des arts & des sciences. PaißÏon- a Un poĂ«te est aux istes Marianne* regardĂ© comme un homme merveilleux. Ce titre seul le rend respectable Ă  la nation. / A la vĂ©ritĂ©, ils avoient en horreur toute poĂ©sie propre Ă  amollir le courage. Ils chassĂšrent Archiloque de Sparte r pour avoir dit, en vers, qu’il Ă©toit plus sage de fuir que de pĂ©rir les armes Ă  la main. Cet exil n’étoit pas l’effet de leur indiffĂ©rence pour la-poĂ©sie, mais de leur amour pour la vertu. Les foins que se donna Lycurgue pour recueillir les ouvrages d’Homere, la statue du Ris qu’il fit Ă©lever au milieu de Sparte , & les loix qu’il donna aux LacĂ©dĂ©mo- stiens , prouvent que le dessein de ce grand homme n’étoit pas d’en faire un peuple grossier. iç6 D e t’ E s p r i t. nĂ©s pour la poĂ©sie, ils attirĂšrent chez eux Archiloque , Xenodame, Xenocrite, Po- lymneste , Sacados, PĂ©riclitĂ© , Phrynis, TimothĂ©e c pleins d’estime pour les poĂ©sies de Terpandre , de Spendon &C d’Alcman , il Ă©toit dĂ©fendu A tout esclave de les chanter ; c’étoit , selon eux , profaner les choses divines. Non moins habiles dans l’art de raisonner que dans l’art de peindfe ses pensĂ©es en vers quiconque, » dit Platon, cepverfe avecunLacĂ©dĂ©mo- »> nien , fĂ»t-ce le dernier de tous, peut lui » trouver l’abord grossier mais,s’il entre en nmatiere, il verra ce mĂȘme homme s’énon- » cer avec une dignitĂ© , une prĂ©cision, une » finesse, qui rendront ses paroles comme » autant de traits perçants. Tout autre Grec » ne paroĂźtra, prĂšs de lui, qu’un enfant qui » bĂ©gaie. » Aussi leur apprenoit-on, dĂšs la premiere jeunesse, Ă  parler avec Ă©lĂ©gance & puretĂ© on vouloit qu’à la vĂ©ritĂ© pensĂ©es , ils joignissent les grĂąces Sc la finesse de l’expreĂ­Ă­ion ; que les rĂ©ponses , toujours courtes & justes , fussent c Les LacĂ©dĂ©moniens Cynethon, DionyĂ­o- dote , Areus , & Chilon l’un des sept sages , s’étoient distinguĂ©s par le talent des vers. La poĂ©ste LacĂ©dĂ©monienne , dit Plutarque , Ă­Ăźinple, mĂąle , Ă©nergique , Ă©toit pleine de ces traits de feu propres Ă  porter dans les Ăąmes l’ardeur Ôfc -k courage. Discours IIL 1^7 pleines de sel & d’agrĂ©ment. Ceux qui, par prĂ©cipitation ou par lenteur d’esprit, rĂ©p ondoient mal ou ne rĂ©pondoient rien , Ă©toient chĂątiĂ©s fur le champ. Un mauvais raisonnement Ă©toit puni Ă  Sparte, comme le seroit ailleurs une mauvaise conduite. Audi, rien n’ Ă  la raison de ce peuple. U11 LacĂ©dĂ©monien, exempt dĂšs le berceau des caprices & des humeurs de l’enfance, Ă©toit dans fa jeunesse affranchi de toute crainte ; il marchoit avec assurance dans les solitudes & les tĂ©nĂšbres moins superstitieux que les autres Grecs , les Spartiates citoient leur religion au tribunal de la raison. Or, comment les sciences & les arts n’auroient-ils pas jettĂ© le plus grand Ă©clat, dans un pays tel que la Grece, oĂč l’on leur rendoit un hommage st gĂ©nĂ©ral Sc st constant ? le dis constant , pour prĂ©venir l’objection de ceux qui prĂ©tendent, comme M. l’abbĂ©Dubos , que , dans certains siĂ©cles , tels que ceux d’Auguste & de Louis XIV , certains vents amenent les grands hommes , comme des volĂ©es d’oi- seaux rares. On allĂ©guĂ© , en faveur de ce sentiment, les peines que se sont vainement donnĂ©es quelques souverains jeunes gens dans un concours de circonstances propres Ă  dĂ©velopper en eux le germe de l’esprit & de la vertu. L/amour qu’elle a pris de son organisation. En consĂ©quence,, iĂź n’est presque point d’hommes qui ne doivent traiter de paradoxe des principes qui choquent ouvertement leurs prĂ©tentions. Toute vĂ©ritĂ© qui blesse- l’orgueil , lutte long-tems contre ce sentiment,, avant que d’en pouvoir triompher. On est juste que lorsqu’on a intĂ©rĂȘt de l’ĂȘtre. Si le bourgeois exagere moins les avantages de la naissance que le grand seigneur, s’il en apprĂ©cie mieux la valeur , ce n’est pas qu’il soit plus sensĂ© ; ses infĂ©rieurs n’ont que trop souvent Ă  se plaindre de la sotte hauteur dont il accuse les grands seigneurs la justesse de son jugement n’est donc qu’un effet de fa vanitĂ© c’est que , dans ce cas particulier, il a intĂ©rĂȘt d’ĂȘtre raisonnable. J’ajouterai Ă  ce que je viens de dire, que les principes ci-dessus Ă©tablis, en les supposant vrais, trouveront encore des contradicteurs dans tous ceux qui ne ies peuvent admettre fans abandonner d’anciens prĂ©jugĂ©s. Parvenus Ă  un certain Ăąge,, la paresse nous irrite contre toute idĂ©e neuve qui nous impoĂ­e la fatigue de l’examen. Une opinion nouvelle ne trouve de partisans que parmi ceux des gens d’espriĂ­ qui, trop jeunes encore pour avoir arrĂȘtĂ© leurs idĂ©es , avoir senti l'aiguillon de l’enviĂš,, saisissent avidement le vrai par tout oĂč ils l’aperçoi- vent. Eux seuls , comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, rendent tĂ©moignage Ă  la vĂ©ritĂ© , la prĂ©sentent , la font percer & 1’établissent dans le monde ; c’est d’eux seuls qu’un philosophe peut attendre quelque Ă©loge ls plupart des autres hommes sont des juges corrompus par la paresse ou par l’envie. io8 DĂ© l’Esprit. du paradoxe ne m’a point conduit Ă  cette conclusion ; mais le seul dĂ©sir di; bonheur des hommes. J’ai senti & ce-qu’une bonne Ă©ducation rĂ©pandroit de lumiĂšres , de vertus , &c par consĂ©quent de bonheur dans la sociĂ©tĂ© ; & combien la persuasion oĂŹi l’on est que le gĂ©nie & la vertu sont de purs dons de la nature , s’opposoit aux progrĂšs de la science de l’éducation, favorisait, Ă  cet Ă©gard , la paresse & la nĂ©gligence. C’est dans cette vue qu’exa- minant ce que p ou voient fur nous la nature & l’éducation, je me fuis apperçu que l’éducation nous faisoit ce que nous sommes en consĂ©quence, j’ai cru qu’il Ă©toit du devoir d’un citoyen d’annoncer une vĂ©ritĂ© propre Ă  rĂ©veiller l’attention sur les moyens de perfectionner cette mĂȘme Ă©ducation. Et c’est pour jetter encore plus de jour fur une matiĂšre st importante , que je tĂącherai, dans le discours suivant, de fixer, d’une maniĂ©rĂ© prĂ©cise, les idĂ©es diffĂ©rentes qu’on doit attacher aux divers noms donnĂ©s Ă  l'esprit. ĂŹ-e- ' D E U ESPRIT. DISCOURS IV. Des diffĂ©rents noms donnĂ©s Ă  VEsprit. CHAPITRE PREMIER. D u GĂ©nie. 4'ckĂ d 4 *[ 13 & EA-ueouP d’auteurs ont Ă©crit fur 4 ^5=? *. le gĂ©nie la plupart l’ont considĂ©rĂ© comme un feu , une inspiration , un enthousiasme divin ; & l’on a pris ces mĂ©taphores pour des dĂ©finitions. Quelque vagues que soient ces espaces de dĂ©finitions , la mĂȘme raison cependant qui nous fait dire que le feu est chaud, & mettre au nombre de ses propriĂ©tĂ©s l’effet qu’il produit fur nous , a dĂ» faire donner le nom de feu Ă  toutes les idĂ©es ĂŹiĂŽ De l’ E s p b i t. & les sentiments propres Ă  remuer nos- passions, & Ă  les allumer vivement- en nous. Peu d’hommes ont senti que ces mĂ©taphores, applicables Ă  certaines especes de gĂ©nie , tel que celui de la poĂ©sie ou de l’éloquertce , ne l’éroient point Ă  des gĂ©nies de rĂ©flexion , tels que ceux de Locke & de Newton. Pour avoir une dĂ©finition exacte du mot gĂ©nie , & gĂ©nĂ©ralement de tous les noms divers donnĂ©s Ă  l’esprit, il faut s’é- lever Ă  des idĂ©es plus gĂ©nĂ©rales ; &, pour cet effet, prĂȘter une oreille extrĂȘmement attentive aux jugements du public. Le public place Ă©galement au rang des gĂ©nies, les Descartes, les Newton, les Locke , les Montesquieu, les Corneille , les MoliĂšre , &c. Le nom de gĂ©nies qu’il donne Ă  des hommes si diffĂ©rents suppose donc une 'qualitĂ© commune qui caractĂ©rise en eux le gĂ©nie. Pour reconnoĂźtre cette qualit Ă©, remontons jusqu'Ă  l'Ă©tymologie du mot gĂ©nie , puisque c’est communĂ©ment dans ces Ă©tymologies que le public manifeste le plus clairement les idĂ©es qu’il attache aux mots. Celui de gĂ©nie dĂ©rive de gignere , gi- gno ; j’enfante , je produis ; il suppose toujours invention t &c cette qualitĂ© est la Discours IV. iĂŹĂ­ seule qui appartienne Ă  tous les gĂ©nie k diffĂ©rents. Les inventions ou les dĂ©couvertes font de deux efpeces. II en est que nous devons au hasard ; telles font la bQuffole , la poudre Ă  canon , & gĂ©nĂ©ralement presque toutes les dĂ©couvertes que nous avons faites dans les arts. II en est d’autres que nous devons au gĂ©nie, & , par ce mot de dĂ©couverte y on doit alors entendre une nouvelle combinaison , un rapport nouveau apperçu entre certains objets ou certaines idĂ©es. On obtient le titre d’homme de gĂ©nie , si les idĂ©es qui rĂ©sultent de ce rapport forment un grand ensemble , font fĂ©condes en vĂ©ritĂ©s, & intĂ©ressantes pour l’hu- manitĂ© k . Or, c’est le hasard qui ehoi- fit presque toujours pour nous les sujets de nos mĂ©ditations. II a donc plus de part qu’on n’imagine aux succĂšs des grands hommes , puifqu’il. leur fournit les sujets plus ou moins intĂ©ressants qu’ils traitent,, & que c’est ce mĂȘme hasard qui les fait k Le neuf & le singulier dans les idĂ©es ne suffit pas pour mĂ©riter le titre de gĂ©nie ; il faut de plus que ces idĂ©es neuves soient ou belles , ou gĂ©nĂ©rales* ou extrĂȘmetĂĄent intĂ©ressantes. C’est en ce point que l’ouvrage de gĂ©nie diffĂ©rĂ© de l’ouvrage original , principalement caractĂ©risĂ© par la singularitĂ©. De l’Esprit. naĂźtre dans un moment oĂč ces grands hom mes peuvent faire Ă©poque. Pour Ă©claircir ce mot Ă©poque , il faut observer que tout inventeur dans un art ou une science, qu’il tire, pour ainsi dire, du berceai1,est toujours surpassĂ© par l’homme d’efprit qui le fuit dans la mĂȘme carriĂšre, & ce second par un troisiĂšme , ainsi de fui j te,jusqu’àce que cet art ait fait de certains progrĂšs. En est-ĂČn au point oĂč ce mĂȘme art peut recevoir le dernier degrĂ© de perfection , ou du moins le degrĂ© nĂ©cessaire pour en constater la perfection chez un peuple , alors celui qui la lui donne , obtient le titre de gĂ©nie, fans avoir quelquefois avancĂ© cet art dans une proportion plus grande que ne Pont fait ceux qui Pont prĂ©cĂ©dĂ©. Il ne suffit donc pas d’avoir du gĂ©nie poĂčr en avoir le titre. Depuis les tragĂ©dies de la Passion juC- qu’aux poĂštes Hardy & Rotrou , & juf- qu’à la Mariamne de Tristan , le thĂ©Ăątre François acquiert successivement une infinitĂ© de degrĂ©s de perfection. Corneille naĂźt dans un moment oĂč la perfection qu’il ajoute Ă  cet art doit faire Ă©poque ; Corneille est un gĂ©nie /. l Ce n’est pas que la tragĂ©die ne fĂ»t encore , du tems de Corneille, susceptible de nouvelles Discours IV. ri; Je ne prĂ©tends nullement, par cette observation , diminuer la gloire'de ce grand poĂšte , mais prouver seulement que la loi de continuitĂ© est toujours exactement observĂ©e , & qu’il n’y a point de sauts dans la nature m. Audi peuĂź-onappliquer a^x sciences ^observation faite lur sart dramatique. Kepler trouve la loi dans laquelle les corps doivent peser les uns Ă­ur les autres ; Newton, par l’application heureuse qu’un calcul trĂšs-ingĂ©nieux lui permet d’en faire au systĂšme cĂ©leste , assure l’existence de cette loi Newton fait Ă©poque, il est mis au rang des gĂ©nies. perfections. Racine a prouvĂ© qu’on pouvoir Ă©crira avec plus d’élĂ©gance ; CrĂ©bilton , qu’on pouvoir y porter plus de chaleur ; & V chaire eĂ»t, fans contredit , fait voir qu’on pouvoir y mettre plus de pompe & de spectacle , ft le thĂ©Ăątre , toujours couvert de spectateurs , ne fe fĂ»t pas absolument opposĂ© Ă  ce genre de beautĂ© si connu des Grecs. m , IIest, en ce genre , mille sources d’illusion. Vn homrne fait parfaitement une langue Ă©trangĂšre c’est , si l’on veut, l’Espagnol. Si les Ă©crivains Espagnols nous font alors supĂ©rieurs dans le genre dramatique , fauteur François qui profitera de 1» lecture de leurs ouvrages, ne surpassĂąt il que de peu ses modelĂ©s, doitparoĂźtre un homme extraordinaire Ă  des compatriotes ignorants. On ne doutera pas qu’il n’ait portĂ© cet art Ă  ce haut degrĂ© de perfection auquel il seroit impossible que l'esprit humain pĂ»t dabord l’élever. De l’ Esprit. Aristote, Gassendi, Montaigne , entrevoient confusĂ©ment que c’est Ă  nos sensations que nous devons toutes nos idĂ©es ‱Locjce Ă©claircit, approfondit ce principe, en constate lĂ  vĂ©ritĂ© par une infinitĂ© d’ap- plications ; & Loace est un gĂ©nie. II est impossible qu’un grand homme ne soit toujours annoncĂ© par uft autre grand homme . Les ouvrages du gĂ©nie font semblables Ă  quelques-uns de ces superbes monuments de l’antiquitĂ© , qui, exĂ©cutĂ©s par plusieurs gĂ©nĂ©rations de rois, porte le nom de celui qui les acbeve. Mais, st le hasard , c’est-Ă -dire, l’en- chaĂźnement des effets dont nous ignorons les causes, a tant de part Ă  la gloire des hommes illustres dans les arts & dans les sciences; s’il dĂ©termine rinstant dans lequel ils doivent naĂźtre pour faire Ă©poque n Je pourrois mĂȘme dire accompagnĂ© de quelques grands hommes. Quiconque se plaĂźt Ă  considĂ©rer ì’esprit humain volt, dans chaque siecle , cinq ou six hommes d'esprit tourner autour de la dĂ©couverte que fait l’homme de gĂ©nie Si l’honneur en reste Ă  ce dernier, c’est que cette dĂ©couverte est , entre ses mains , plus fĂ©conde que dans les mains de toute autre ; c’est qu’il rend ses idĂ©es avec plus de force & de nettetĂ© ; & qu’enfin on voit toujours , Ă  la maniĂ©rĂ© diffĂ©rente dont les hommes tirent parti d’un principe ou d’une dĂ©couverte, s qui ce principe ou cette dĂ©couverte appartient. Discours IV. 115 6 c recevoir le 110m de gĂ©nie ; quelle influence plus grande encore ce mĂȘme hasard n’a-t-il pas fur la rĂ©putation des hommes d’états? CĂ©sar &c Mahomet ont rempli la terre de leur renommĂ©e. Le dernier est, dans la moitiĂ© de l’univers, respectĂ© comme l’ami de Dieu ; dans l’autre , il est honorĂ© comme un grand gĂ©nie cependant, ce Mahomet, simple courtier d’Arabie , fans lettres , fans Ă©ducation , &c dupe lui-mĂȘ- me en partie du fanatisme qu’il inspiroit, avoit Ă©tĂ© forcĂ©, pour composer le mĂ©diocre & ridicule ouvrage nommĂ© Al- koran, d’avoir recours Ă  quelques moi nĂ©s Grecs. Or , comment, dans un tel homme , ne pas reconnoĂźtre l’ouvrage du hasard qui le place dans le tems &c les circonstances oĂč devoir s’opĂ©rer la rĂ©volution Ă  laquelle cet homme hardi ne fit guere que prĂȘter son nom. Qui doute que ce mĂȘme hasard, si vorable Ă  Mahomet, n’ait aussi contribuĂ© Ă  la gloire de CĂ©sar ? Non que je prĂ©tende rien retrancher des louanges dues Ă  ce hĂ©ros mais enfin Syllaavoit, comme lui, asservi les Romains. Les faits de guerre ne font jamais assez circonstantiĂ©s dans l’histoire , pour juger si CĂ©sar Ă©toit rĂ©ellement supĂ©rieur Ă  Sertorius ou Ă  quel- qu’autre capitaine semblable. S’U est le 2,16 De l’Esprit, seul des Romains qu’on ait comparĂ© au vainqueur de Darius , c’est que tous deux asservirent un grand nombre de nations Si la gloire de CĂ©sar a terni celle de presque tous les grands capitaines de la rĂ©publique , c’est qu’il jettapar ses victoires les fondements du trĂŽne qu’Auguste affermit o ; c’est que fa dictature fut l’é- poque de la servitude des Romains ; &c qu’il fit dans l’univers une rĂ©volution dont l’éclat dut nĂ©cessairement ajouter Ă  la cĂ©lĂ©britĂ© que ses grands talents lui avoient mĂ©ritĂ©e. Quelque rĂŽle que je fasse jouer au hasard , quelque part qu’il ait Ă  la rĂ©putation des grands hommes , le hasard cependant ne fait rien qu’en faveur de ceux qu’anime le dĂ©sir vif de la gloire. o Ce n’est pas que CĂ©sar ne fĂ»t un des plus grands gĂ©nĂ©raux , mĂȘme au jugement sĂ©vere de Machiavel , qui efface de la liste des capitaines cĂ©lĂ©brĂ©s tous ceux qui , avec de petites armĂ©es, n’ont pas exĂ©cutĂ© de grandes choses & des choses nou- -velles. » Si , pour exciter leur verve , ajoute cet illustra j? auteur , on voirde grands PoĂštes prendre Ho- „ mere pour m-dele , se demander , en Ă©crivant ,> Komere eĂ»t il pensĂ©, se fĂ»t il exprimĂ© comme moiĂŹ u U faut pareillement qu’un grand gĂ©nĂ©ral, admira- » teur de quelque grand capitaine de l’antiquitĂ©, » imite Scipion &r Zisxa, dont l’u'n s’étoit propBfĂ© », Cyrus, Sc l’autre Annibal pour modelç. „ Discours IV. * 217 Ce deĂ­ĂŹr, comme je l’ai dĂ©ja dit , fait supporter sans peine la fatigue de l’étude & de la mĂ©ditation. II doue un homme de cette constance d’attention nĂ©cessaire pour s’illustrer dans quelque art ou quelque science que ce soit. C’estĂ  ce dĂ©sir qu’on doit cette hardiesse de gĂ©nie qui cite au tribunal de la raison les opinions, les prĂ©jugĂ©s & les erreurs consacrĂ©es par les temps.. C’est ce dĂ©sir seul qui, dans les sciences ou les arts , nous Ă©leve Ă  des vĂ©ritĂ©s nouvelles, ou nous procure des amusements nouveaux. Ce dĂ©sir ensin est Panne de rhomme de gĂ©nie il est la source de ies ridicules & de ses succĂšs ; succĂšs a Tout homme absorbĂ© dans des mĂ©ditations profondes , occupĂ© d’idĂ©es grandes 6 C gĂ©nĂ©rales , vit & dans l’oubli de ces attentions , & dans l’ì- gnorance de ces usages qui font la science des gens du monde aussi leur paroĂźt-il presque toujours ridicule. Peu d’emre les gens du monde sentent que la connoissance des petites choses suppose presque toujours l’ignorance des grandes ; que tout homme qui mene Ă  peu prĂšs la vie de tout le monde , n’a que las idĂ©es de tout le monde; qu’un pareil homme ne s’éleve point au-dessus de la mĂ©diocritĂ© & qu’en- sin le gĂ©nie suppose toujours , dans un homme , un dĂ©sir vif de la gloire , qui , le rendant insensible Ă  toute eipece de dĂ©sir, n’ouvre son ame qn’à la passion de s’éclairer. Anaxagore un exemple,. U est pressĂ© par Tome II, K 2,18 De l’ E s p r i t. qu’il ne doit ordinairement qir ft PopiniĂą- tretĂ© avec laquelle il se concentre dans un ses amis de mettre ordre Ă  ses affaires , fi amusant ? ‱ Tout homme qui se concentre dans FĂ©tude d’ob- jets intĂ©ressants, vit isolĂ© au milieu du monde. II est toujours lui, & presque jamais les autres; il doit donc leur parvĂźtre presque toujours ridicule, Kii 210 De l’Espri t. Le gĂ©nie, en quelque genre que ce soit,' est toujours le produit d’une infinitĂ© de combinaisons qu’on ne fait que dans la premiere jeunesse. Au reste , par gĂ©nie , je n’entends pas simplement le gĂ©nie des dĂ©couvertes dans les sciences , ou de l’invention dans le fond & le plan d’un ouvrage ; il est encore un gĂ©nie de l'expression. Les principes de sart d’écrire font encore si obscurs &c si imparfaits ; il est en ce genre si peu de donnĂ©es , qu’on n’obtient point le titre de grand Ă©crivain fans ĂȘtre rĂ©ellement inventeur en ce genre. La Fontaine & BoiĂźeau ont portĂ© peu d’invention dans le fond des sujets qu’ils ont traitĂ©s cependant l’un &c l’autre font, avec raison , mis au rang des gĂ©nies; le premier , par la naĂŻvetĂ© , le sentiment ĂŽc l’agrĂ©ment qu’il a jettes dans ses narrations ; le second, par la correction, la force & la poĂ©sie de stile qu’il a mises dans ses ouvrages. Quelques reproches qu’on fasse Ă  Boileau , on est forcĂ© de convenir qu’en perfectionnant infiniment sart de la versification , il a rĂ©ellement mĂ©ritĂ© le titre d’inventeur. Selon les divers genres auxquels on s’applique,sune ou l’autre de ces diffĂ©rentes especes de gĂ©nie font plus ou moins dĂ©sirables. Dans la poĂ©sie , par exemple. Discours IV. m le gĂ©nie de l’expression est, sije l’ose dire, le gĂ©nie de nĂ©cessitĂ©. Le poĂšte Ă©pique le plus riche dans l’invention des fonds, n’est p>oint lu s’il est privĂ© du gĂ©nie de l'expression ; au contraire, un poĂšme bien versifiĂ© , 8c plein de beautĂ©s de dĂ©tail 8c de poĂ©sie , fĂ­ĂŹt-il d’ailleurs fans invention , fera toujours favorablement accueilli du public. II n’en est pas ainsi des ouvrages philosophiques dans ces fortes d’ouvrages, le premier mĂ©rite est celui du fond. Pour instruire les hommes , il faut, ou leur prĂ©senter une vĂ©ritĂ© nouvelle, ou leur montrer le rapport qui lie ensemble des vĂ©ritĂ©s qui leur paroiffent isolĂ©es. Dans le genre instructif, la beautĂ© , l’élĂ©gance de la diction 8c l’agrĂ©ment des dĂ©tails ne font qu’un mĂ©rite secondaire. Aussi, parmi les modernes, a-t-on vu des philosophes , fans force, fans grĂące , 8c mĂȘme fans nettetĂ© dans í’expression , obtenir encore une grande rĂ©putation. L’obfcuritĂ© de leurs Ă©crits peut quelque temps les condamner Ă  í’oubli ; mais enfin ils en sortent il naĂźt tĂŽt ou tard un esprit pĂ©nĂ©trant 8c lumineux , qui, saisissant les vĂ©ritĂ©s contenues dans leurs ouvrages , les dĂ©gage de l’obfcuritĂ© qui les couyre , 8c fait les exposer avec clartĂ©. Cet esprit lumineux partage avec les inventeurs le M % De l’ E 5 p r r t.. mĂ©rite & la gloire de leurs dĂ©couvertes, C’est un laboureur qui dĂ©terre un trĂ©sor, & partage avec le propriĂ©taire du fonds les richesses qui s’y trouvent enfermĂ©es. D’aprĂšs ce que j’ai dit de l’invention des fonds & du gĂ©nie de l’expreffion, il est facile d’expliquer comment un Ă©crivain dĂ©jĂ  cĂ©lĂ©brĂ© , peut composer de mauvais ouvrages il suffit, pour cet effet, qu’iĂź Ă©crive dans un genre oĂč l’espece de gĂ©nie dont il est douĂ© ne joue , st je l’ose dire , qu’un rĂŽle secondaire. C’est la raison pour laquelle le poĂšte cĂ©lĂ©brĂ© peut ĂȘtre un mauvais philosophe , & l’excel- lent philosophe un poĂšte mĂ©diocre ; pourquoi le romancier peut mal Ă©crire l’his- toire , & l’historĂŹen mal faire un roman. La conclusion de ce chapitre, c’est que, si le gĂ©nie suppose toujours invention, toute invention cependant ne suppose pas le gĂ©nie. Pour obtenir le titre d’homme de gĂ©nie , il faut que cette invention porte fur des objets gĂ©nĂ©raux & intĂ©ressants- pour l’humanitĂ© ; il faut de plus naĂźtre dans le moment oĂč , par ses talents & ses dĂ©couvertes, celui qui cultive les arts ou les sciences puisse faire Ă©poque dans le monde savant. L’homme de gĂ©nie est donc, en partie , l’Ɠuvre du hasard ; c’est le hasard qui, toujours en action, prĂ©pare Discours IV. 223 Ăźes dĂ©couvertes , rapproche insensiblement les vĂ©ritĂ©s, toujours inutiles lors- qu’elles font trop Ă©loignĂ©es les unes des autres ; &C qui fait naĂźtre l’homme de gĂ©nie dans l’instanĂ­ prĂ©cis oĂč les vĂ©ritĂ©s, dĂ©jĂ  rapprochĂ©es , lui donnent des principes gĂ©nĂ©raux & lumineux le gĂ©nie s’en saisit, les prĂ©sentĂ© , & quelque partie de l’empire des arts ou des sciences en est Ă©clairĂ©e. Le hasard remplit donc auprĂšs du gĂ©nie l’office de ces vents qui, dis* perlĂ©s aux quatre coins du monde, s’y chargent des matiĂšres inflammables qui composent les mĂ©tĂ©ores ces matiĂšres, poussĂ©es vaguement dans les airs , n’y produisent aucun effet, jusqu’au moment oĂč , par des souffles contraires , portĂ©es impĂ©tueusement les unes contre les autres , elles se choquent en un point ; alors f Ă©clair s’allume &c brille, & l'horiion est Ă©clairĂ©e MS CHAPITRE IL De C imagination & du sentiment. L A plupart de ceux qui, jusqu’à prĂ©sent , ont traite de l’imagination y ont trop restreint ou trop Ă©tendu la signification de ce mot. Pour attacher une K- iiij si4 De l’EspriĂŻ, idĂ©e prĂ©cise Ă  cette expression, remontons Ă  Fetymologie du mot imagination ; il dĂ©rive d u latin imago , image. Plusieurs ont confondu la mĂ©moire & Pimagination. Ils n’ont point senti qu’il n’est point de mots exactement synonimesĂ­ que la mĂ©moire consiste dans un souvenir net des objets qui se sont prĂ©sentĂ©s Ă  nous ; & Pimagination dans une com-* binaison , un assemblage nouveau d’i- mages & un fĂĄpport de convenances ap- perçues entre ces images & le sentiment qu’on veut exciter. Est-ce la terreur ? Pimagination donne l’ĂȘtre aux Sphinx, aux Furies. Est-ce PĂ©Ăźonnement ou P admiration ? elle crĂ©e le jardin des HespĂ©rides, Piste enchantĂ©e d’Armide , & le palais PAtlant. L’imagination est donc l’invention en fait d’images b , comme P esprit P est en fait d’idĂ©es. b On ne doit rĂ©ellement le nom d’homme d’i- magination qu’à celui qui rend ses ideespar des images. 11 est vrai que , dans la conversation , on confond presque toujours l'imagination avec Finvention & la passion. II est cependant facile de distinguer l’homme passionnĂ© del’homme d’imagination , puisque c’est presque toujours faute d’imagination qu’un poĂšte excellent dans le genre tragique ou comique, ne fera souvent qu’un poĂšte mĂ©diocre dans l’épique ou le lyrique. Discours IV. La mĂ©moire , qui n’est que le souvenir exact des objets qui se sont prĂ©sentĂ©s Ă  nous , ne diffĂ©rĂ© pas moins de l’imagina- tion , qu’un portrait de Louis XIV , fait par Lebrun , diffĂ©rĂ© du tableau composĂ© c de la conquĂȘte de la Franche-ComtĂ©. II suit de cette dĂ©finition de l’imagina- tion qu’elle n’est guere employĂ©e seule que dans les descriptions, les tableaux 6c les dĂ©corations. Dans tout autre cas, l’i- magination ne peut; servir que de vĂȘtement aux idĂ©es 6c aux sentiments qu’on nous prĂ©sente. Elle jouoit autrefois un plus grand rĂŽle d'ans le monde ; elle expli- quoit presque seule tous les phĂ©nomĂšnes de la nature. C’étoit de l’urne fur laquelle s’appuyoit une naĂŻade , que sortoient les ruisseaux qui serpentoient dans les vallons; les forĂȘts 6c les plaines se couvroient de verdure par les foins des dryades 6c des napĂ©es ; les rochers-dĂ©tachĂ©s des montagnes çtoient roulĂ©s dans les plaines par les orcades; c’étoient les puissances del’air,. fous les noms de gĂ©nies ou de dĂ©mons qui dĂ©chaĂźnoient les Vents 6c amonceloient les orages fur les pays qu’elles vouloient ravager. Si, dans l’Europe , l’on n’aban- c II faut se rappelle r que peint dans ce tableau,. Louis XIV. se trouve & Y r * De l’EsprĂźt, donne plus Ă  l’imagination l’explication des phĂ©nomĂšnes de la physique, si l’on n’en fait usage que pour jetter plus de clartĂ© & d’agrĂ©ment fur les principes des sciences , & qu’on attende de la feule expĂ©rience la rĂ©vĂ©lation des secrets de la nature , il ne faut pas penser que toutes, les nations soient Ă©galement Ă©clairĂ©es fur ce point. L’imagination est encore le philosophe dĂĄ FInde c’est elle qui, dans le Tonquin , a fixĂ© l’instant de la formation des perles c’ést elle peu* d L’imagination , soutenue de quelque tradition obscure & ridicule , enseigne, Ă  ce sujet, qu’un roi du Tonquin , grand magicien , avoit forgĂ© un arc d’or pur ; tous les traits dĂ©cochĂ©s de cet arc portoient des coups mortels armĂ© de cet arc , lui seul mettoit une armĂ©e en dĂ©route. Un roi voisin l’attaque avec une armĂ©e nombreuse il Ă©prouve la puissance de cette arme , il est battu , fait un traitĂ© & obtient, pour son fils , la fille du roi vainqueur. Dans rivreĂ­Ăźe des premieres nuits, le nouvri Ă©poux conjure fa 'femme de substituer Ă  l’arc magique de ‱ son pere , un arc absolument semblable. L’amour imprudent le promet, exĂ©cute sa promesse , & ne soupçonne point le crime. Mais, Ă  peine le gendre est-il armĂ© de Tare merveilleux , qu’il marche contre ion beau-pere , le dĂ©fait, & le force Ă  fuir avec fa fille fur les cĂŽtes inhabitĂ©es de la mer. C’ess lĂ  qu’un dĂ©mon roi du Tonquin & h» fait connoĂźtre fauteur de ses infortunes. Le pere indignĂ© saisit sa fille, tire son cimeterre elle proteste sn vain de son innocence , elle le trouve inflexibleĂĄ- Discours IV. plant les Ă©lĂ©ments de demi-dieux ,- crĂ©ant Ă  son grĂ© des dĂ©mons, des gĂ©nies, des fĂ©es Sc des enchanteurs pour expliquer les phĂ©nomĂšnes du monde physique, s’est d’une aile audacieuse souvent Ă©levĂ©e jus- qu’à son origine. AprĂšs avoir long-temps parcouru les dĂ©serts immesurables de ses- pace Sc de l’éternitĂ© , elle est enfin forcĂ©e de s’arrĂȘter en un point ; ce point marquĂ© , le temps commence. L’air obscur epais SC spiritueux , qui, selon le Taau-, tus des PhĂ©niciens , couvroit le vaste ahy- me , est affectĂ© d’amour pour ses propres principes; cet amour produit un mĂ©langes & ce mĂ©lange reçoit le nom de dejĂŹr, c dĂ©sir conçoit le mui r ou la corruption^ aqueuse'; cette corruption contient le germe de Punivers, Sc les semences de toutes les crĂ©atures. Des animaux intelligents* fous le nom de ^ophafemin ou de contemplateurs des cieux, reçoivent l’ĂȘtre le soleil luit ; les terres Sc les mers font Ă©chauffĂ©es de ses rayons, elles les rĂ©flĂ©- Elle lui prĂ©dit alors quĂ« les gouttes de son sang fo changeront en autant de perles, dont la blancheur' rendra aux siĂ©cles Ă  venir tĂ©moignage de son imprudence Sc de Ion innocence. Elie se tait. Le pere ; la frappe , le sang coule la mĂ©tamorphose commence ; & la cĂŽte , souillĂ©e de ce parricide, eff encore celle oĂč l’on pĂȘche les plus belles perles* 2, De l’E*s prit. chissent & en embrasent les airs les vents soufflent, les nuages s’élevent, se frappent; Sc, de leur choc, rĂ©jailliffcnt les Ă©clairs & le tonnerre ; ses Ă©clats rĂ©veillent les animaux intelligents, qui, frappĂ©s d’cfroi, se meuvent Sc fuient, les uns dans les cavernes de la terre , les autres dans les gouffres de PocĂ©an. La mĂȘme imagination , qui, jointe Ă  quelques principes d’une fausse philosophie , avoit, dans la PhĂ©nicie , dĂ©crit ainsi la formation de Punivers, lut, dans les divers pays, dĂ©brouiller successivement le cahos de mille autres maniĂ©rĂ©s diffĂ©rentes e. e Elle assure , au royaume de Lao , que la terre & le ciel font de toute Ă©ternitĂ©. Seize mondes terrestres font soumis au nĂŽtre , & les plus Ă©levĂ©s jsont les plus dĂ©licieux. Une flamme , dĂ©tachĂ©e tous. les trente-six mille ans des abvmes du firmament , enveloppe la terre comme l’éccrce embrasse le tronc, & la rĂ©sout en eau. La nature rĂ©duite quelques ins- tans Ă  cet Ă©tat, est revivifiĂ©e par un gĂ©nie du premier ciel. 11 descend portĂ© sur les ailes des vents , leur. souffle fait Ă©couler les eaux ; le terrein humide est dessĂ©chĂ©, les plaines , les forĂȘts se couvrent de verdure , & la terre reprend sa premiere forme. Au dernier embrasement qui prĂ©cĂ©da , disent les habitants de Lao , le siecle de Xaca , un mandarin, rtorrmĂ© Pontabobamy-fuan , s'a baisse fur la surface des eaux une fleur surnage sur leur immensitĂ© ; lg Ă­nandaua I’apperçoit, la partage d’un coup de s©» Discours IV, ĂŹzf Dans la Grece , elle inspiroit HĂ©siode-, lorsque plein de son enthousiasme , il dit » Au commencement Ă©toient le Chaos, le » noir Erebe & le Tartare. Les temps » n’existoient point encore , lorsque la » Nuit Ă©ternelle , qui, Ă­iir des ailes Ă©ten- » dues & pesantes, parcourait les immeiv » ses plaines de leĂ­jpace , s abbat tout-Ă - » coup fur l’Érebe ; elle y dĂ©potĂ© un Ɠuf;. Ă . » . . cimeterre. Par une mĂ©tamorphose subite , la fleur,, dĂ©tachĂ©e de sa tige , se changea %n fille ; la nature n’a jamais rien produit de fi beau Le mandarin', Ă©pris pour elle de la plus violente ardeur lui dĂ©clare ta tendresse. L’amour de la virginitĂ© rend la fille insensible aux larmes de son amant. Le mandarin, respecte sa vertu ; mais , ne pouvant se priver entiĂšrement de sa vue , il se place Ă  quelque distance d’elle c’est de-lĂ  qu’ils se dardent rĂ©ciproquement des regards enflammĂ©s dont l’influence est telle, que la fille conçoit & enfante fans perdre la virginitĂ©. Pour subvenir Ă  la nourriture des nouveaux habitants de la terre , le mandarin fait retirer les eaux , il creuse les vallĂ©es, Ă©leve les montagnes ; & vit parmi les hommes jusqu Ă  ce qu’enfĂŹn , lassĂ©, du sĂ©jour de la terre , il vole vers le ciel mais les portes lui en sont fermĂ©es , & ne se r'ouvrent qu’aprĂšs qu’il a, fur le monde terrestre , subi une longue & dure pĂ©nitence. Tel est, au royaume de Lao , le tableau poĂ©tique que l'imagination nous fait de la gĂ©nĂ©ration des ĂȘtres ; tableau , dont la composition VariĂ©e a , chez les diffĂ©rents peuples , Ă©tĂ© plus ou moins grande ou bizarre , mais toujours donnĂ©e par l’imagination. IssO D e l’ Es pri » l’Érebe le reçoit dans son sein, le » fĂ©conde,. T Amour en sort. II s'Ă©levs » sur des ailes dorĂ©es , il s’unit au Chaos ; s» cette union donne l ? ĂȘtre aux cieux , Ă  la » terre , aux dieux immortels , aux hom- » mes & aux animaux. DĂ©ja VĂ©nus, con- » çue dans le sein des mers , s’est Ă©levĂ©e » fur la surface des eaux ; tous les corps- » animĂ©s s’arrĂȘtent pour la contempler; » les mouvements que TAmour avoit » vaguement imprimĂ©s dans toute la na- » ture se dirigent vers la beautĂ©. Pour la » premiers rais, TordreFĂ©quilibre & » le dessein font connus Ă  Tunivers. VoilĂ , dans le premier’ siecle de la Grece , de quelle maniĂ©rĂ© Timagination construisit le palais du monde. Maintenant , plus sage dans ses conceptions , c’est par la connaissance de Thistoire prĂ©sente de la terre qu’elle s’éleve Ă  la con- de fa formation. Instruite par une infinitĂ©* Terreurs, elle ne marche plus , dans Texplication des phĂ©nomĂšnes- de la nature, qu’à la fuite de TexpĂ©rience elle ne s’abandonne Ă  elle-mĂȘme que dans l’es descriptions & les tableaux. C’est alors qu’elle peut crĂ©er ces ĂȘtres & ces lieux nouveaux , que la poĂ©sie, parla prĂ©cision de ses tours , la magnificence de Texpression & la propriĂ©tĂ© des mofS /end visibles aux yeux des lecteurs^- D r s c o c r s IV. 2 31 S’agit-il de peintures hardies ? L’imagi- nation fait que les plus grands tableaux , fuĂ­fent-ils les moins correctsfont les plus propres Ă  faire impression ; qu’on prĂ©fĂ©rĂ© Ă  la lumiĂšre douce & pure des lampes allumĂ©es devant les autels, les jets mĂȘlĂ©s de feu, de cendre 8c de filmĂ©e, lancĂ©s parTEthna. S’agit-il d’un tableau voluptueux ? C’est Adonis que ^imagination conduit avec PAlbane au milieu d’un bocage ; VĂ©nus y paroĂźt endormie fur des roses ; la dĂ©esse fe rĂ©veille , l’incarnat de la pudeur couvre ses joues , un voile lĂ©ger dĂ©robe une partie de ses beautĂ©s ; fardent Adonis les dĂ©vore , il saisit la "dĂ©esse triomphe de fa rĂ©sistance; le voile est arrachĂ© d’une main impatiente , VĂ©nus est nue, l’albĂą- tre de son corps est exposĂ© aux regards du dĂ©sir ; & c’est lĂ  que le tableau reste vaguement terminĂ©, pour laisser aux caprices 8c aux fantaisies variĂ©es de l’amour le choix des caresses Sc des attitudes. S’agit-il de rendre un fait simple fous- une image brillante ? d’annoncer , par exemple, la dissension qui s’éleve entre les citoyens ? L’imagination reprĂ©sentera la Paix qui sort Ă©plorĂ©e de la ville, err abaissant fur ses yeux l’olivier qui lui ceint le front. G’est ainsi que dans la poĂ©sie Bimagination fait tout exposer four de- .2, z r. De l’ Esprit. courtes images, ou fous des allĂ©gories qui ne font proprement que des mĂ©taphores prolongĂ©es ‱ Dans la philosophie l’usage qu’on en peut faire , est infiniment plus bornĂ© ; elle ne sert alors, comme je l’ai dit plus haut, qu'Ă  jeter plus de clartĂ© & d’agrĂ©- ment fur les principes. Je dis plus de clartĂ© , parce que les hommes qui s’en- tendent aster bien lorfqu’ils prononcent des mots qui peignent des objets sensibles , tels que chĂȘne, ocĂ©an , soleil , ne 'entendent plus lorfqu'ils prononcent les mots beautĂ©, jujlice, vertu , dont la signification embrasse un grand nombre d’idĂ©es-. Il leur est presque impossible d’attacher la mĂȘme collection d’idĂ©esau mĂȘme mot; 6c de-lĂ  ces disputes Ă©ternelles & vives qui, st souvent, ont ensanglantĂ© la terre. L’imagination , qui cherche Ă  revĂȘtir d’images sensibles les idĂ©es abstraites 6c les principes des sciences , prĂȘte donc infiniment de clartĂ© 6c d’agrĂ©ment Ă  la philosophie. Elle n’embellit pas moins les ouvrages de sentiment. Quand l’Arioste conduit Roland dans la grotte oĂč doit se rendre AngĂ©lique , avec quel art ne dĂ©core-t-il pas cette grotte ? Ce font par-tout des inscriptions gravĂ©es par l’amour , des lits de gazon dressĂ©s par le plaisir ; le mur- D I S C O U R S IV. f mure des ruisseaux, la fraĂźcheur de l’air , les parfiims des fleurs, tout s’y rassemble pour exciter les dĂ©sirs de Roland 1 LepoĂ«te fait que plus cette grotte embellie promettra de plaisir 8c portera d’iyresse danS PĂąme du hĂ©ros , plus son dĂ©sespoir sera violent lorsqu’ily apprendra la trahison d’AngĂ©lique , & plus ce tableau excitera dans PĂąme des lecteurs de ces mouvements tendres auxquelssont attachĂ©s leurs plaisirs. Je terminerai ce morceau fur l’imagi- nation par une fable orientale , peut-ĂȘtre incorrecte Ă  certains Ă©gards, mais trĂšs- ingĂ©nieuse 8c trĂšs-propre Ă  prouver combien Pimagination peut quelquefois prĂȘter de charme au sentiment. C’est uU amant fortunĂ©, qui, soiis le voile d’une allĂ©gorie , attribue ingĂ©nieusement Ă  sa- maĂźtresse 8c Ă  l’amour qu’il a pour elle les qualitĂ©s qu’on admire en lui » J’étois un jour dans le bain une terre » odorante , d’une main aimĂ©e , passĂĄ » dans la mienne. Je lui dis Es-tu le » musc ? es-su l’ambre ? Elle me rĂ©pon- » dit Je ne fuis qu’une terre commune , » mais j’ai eu quelque liaison avec la » rose ; sa vertu bienfaisante m’a pĂ©nĂ©- » trĂ©e ; sans elle je ne serois encore qu’une » terre commune. * » Voyez, k Guliflan ou l’empire-des- Roses de Saadi. i>4 De l’ Esprit, J’ai , je pense , nettement dĂ©teĂ­minĂ© ce qu’on doit entendre par imagination , & montrĂ©, dans les diffĂ©rents genres, Pufage qffon en peut faire. Je passe maintenant au sentiment, Le moment oĂč la passion se rĂ©veille le plus fortement en nous , est ce qu’on appelle le sentiment. Aussi n’entend-on par passion qu’une continuitĂ© de sentiments de mĂȘme cspece. La passion dÙm homme pour une femme n’est que la durĂ©e de ses dĂ©sirs & de ses sentiments pour. cette mĂȘme femme. Cette dĂ©finition donnĂ©e pour distinguer ensuite !es sentiments 'des sensations, & savoir quelles idĂ©es diffĂ©rentes on doit attacher Ă  ces deux mots , qu’on emploie souvent l’un pour l’autre , il faut se rappelles qu’il est des passions de deux efpe- ees ; les unes qui nous font immĂ©diatement donnĂ©es par la nature , tels font les dĂ©sirs ou les besoins physiques de boire , manger, &c. ; les autres , qui-, ne nous Ă©tant point immĂ©diatement donnĂ©es par la nature , supposent rĂ©tablissement des sociĂ©tĂ©s , & ne font proprement que des passions factices , telles font Pambition, Porgueil, la passion du luxe, &cc. ConsĂ©quemment Ă  ces deux especes de passions,, je distinguerai deux especes de Les urs ont rapport aux passions de la Discours IV. 23^ premiers especee’est-Ă -dire , Ă  nos besoins physiques ; ils reçoivent le nom de sensation ; les autres ont rapport aux pallions factices , & sont plus particulie- ment connus sous le nom de sentiments, C’est de cette derniere espece dont il s’agit dans ce chapitre. Pour s’en sonner une idĂ©e nette , j’ob- scrverai qu’il n’est point d’hommes l'ans- desirs, ni par consĂ©quent sans sentiments ; mais que ces sentiments sont en eux ou foibles ou vifs. Lorsqu’on n’en a que de- foibles, on est censĂ© n’en point avoir, Ce n’est qu’aux hommes fortement affectĂ©s qu’on accorde du sentiment. Est-orr saisi d’effroi ? st cet effroi ne nous prĂ©cipite pas dans de plus grands dangers que ceux qu’on veut Ă©viter , si notre peur calcule & raisonne , notre peur est foible, & l’on ne sera jamais citĂ© comme un. homme peureux. Ce que je dis du sentiment de la peur, je le dis Ă©galement de celui de l’amour & de l’ambition. Ce n’est qu’à des pallions bien dĂ©terminĂ©es quel’homme doit ces mouvements fougueux & ces accĂšs auxquels on donne le nom de sentiment. On est animĂ© de ces pallions, lorsqu’un desir-scul rĂ©gnĂ© dans notre ame , y commande impĂ©rieusement Ă  des dĂ©sirs subordonnĂ©s. Quiconque cede succelsivementĂ  Ă­ 13 6 D e l’ E s p r i f. des dĂ©sirs diffĂ©rents, se trompe s’il se croĂźt passionnĂ© ; il prend en lui des goĂ»ts pour des passions. Le despotisme, si je l’cse dire, d’un dĂ©sir auquel tous les autres font subordonnĂ©s , est donc en nous ce qui caractĂ©risĂ© la passion. II est, en conlĂ©quence, peu d’hommes passionnĂ©s & capables de sentiments vifs. Souvent mĂȘme les moeurs d’un peuple Ăšc la constitution d’un Ă©tat s’oppofent au dĂ©veloppement des paĂ­sions & des sentiments. Que de pays oĂč certaines passions ne peuvent sc manifester , du moins par des actions ! Dans un gouvernement arbitraire, toujours sujet Ă  mille rĂ©volutions , si les grands y font presque toujours embrasĂ©s dn feu de l’ambition , il n’estest pas ainsi d’un Ă©tat monarchique oĂč les loix font en vigueur. Dans Ășn pareil Ă©tat, les ambitieux font Ă  la chaĂźne , 6c l’on y voit que des intriguants que je ner dĂ©core pas du titre d’ambitieux. Ce n’est pas qu’en ce pays une infinitĂ© d’hommes ne portent en eux le germe de l’ambition; mais , fans quelques circonstances singuliĂšres , ce germe y meurt fans se dĂ©velopper. L’ambition est, dans ces hommes,comparable a ces feux louterrains allumĂ©s dans les entrailles de la terre ; ils y brĂ»lent fans explosion, jufqu’au moment oĂč les eaux y pĂ©nĂ©trent, 6c que, rarĂ©fiĂ©es par le feu,este; Discours IV. 137 soulĂšvent, entr’ouvrent les montagnes, en Ă©branlant les fondements du monde. Dans les pays oĂč le germe de certaines pallions &c de certains sentiments est Ă©touffĂ©, le public ne peut les connoĂźtre Lc les Ă©tudier que dans les tableaux qu’en donnent les Ă©crivains cĂ©lĂšbres & principalement les poĂštes. Le sentiment est famĂ© de la poĂ©sie , & surtout de la poĂ©sie dramatique. Avant d’indiquer les signes auxquels on recon- noĂźt, en ce genre , les grands Peintres & les hommes Ă  sentiments, il est bon d’observer qu’on ne peint jamais bien les pallions ĂŽcles sentiments, si l’on n’en est soi-mĂȘme susceptible. Place-t-on un hĂ©ros dans une situation propre Ă  dĂ©velopper en lui toute l’activitĂ© des passions? Pour faire un tableau vrai, il faut ĂȘtre affectĂ© des mĂȘmes sentiments dont on dĂ©cnit en lui les effets, & trouver en foi son modelĂ©. Si l’on n’est passionnĂ©, on ne saisit jamais ce point prĂ©cis que le sentiment atteint, & qu’il ne franchit jamais ; / on est toujours en deçà ou au delĂ  d’une nature forte. f Dans les ouvrages de thĂ©Ăątre , rien de plus commun que de faire du sentiment avec de l’esprit. Veut-pn peindre la vertu ? On fera exĂ©cuter en ce gĂšnre , Ă  son hĂ©ros, des actions que les motifs qui le portent à’la vertu ne lui permettent point de faire. II eĂ» peu de poĂštes. dramatiques exempts de ce dĂ©faut. Lz8 De l’ E s p r i l D’ailleurs , pour rĂ©ussir en ce genre , ßí ne suffit pas cFĂȘtrc en gĂ©nĂ©ral susceptible de passions ; il faut, de plus , ĂȘtre animĂ© de celle dont on fait le tableau. Une efpece de sentiment ne nous en fait pas deviner une autre. On rend toujours mal ce que l'on sent faiblement. Corneille, dont l’ame Ă©toit plus Ă©levĂ©e que tendre, peint mieux les grands politiques & les hĂ©ros qu’il ne peint les amants. C’est principalement Ă  la vĂ©ritĂ© des peintures qu'est, en ce genre, attachĂ©e la cĂ©lĂ©britĂ©. Je fais cependant que d’heureu- les situations , des maximes brillantes des vers Ă©lĂ©gants, ont quelquefois, au thĂ©Ăątre, obtenu les plus grands succĂšs ; mais , quelque mĂ©rite que supposent ces succĂšs , ce mĂ©rite cependant n’est, dans le genre dramatique , qu’un mĂ©rite secondaire. Le vers de caractĂšre est, dans les tragĂ©dies , le vers qui fait fur nous le plus d’impression. Qui n’est pas frappĂ© de cette scene oĂč Catilina, pour rĂ©ponse aux reproches d’affassinats que lui fait Lentu- lus , lui dit ; Crois que ces crimes Sontdemapolitique, & nonpasdemoncƓur; Forci de se plierauxtnmrsde ses complices , Discours IV. 23s Ăźifaut , ajoute-t-il, qu un chef de conjurĂ©s prenne succejjĂŹvement tous les caractĂšres. Si je navois que de 9entulus dans mon parti Et s'il nĂ©toh rempli que d’hommes vertueux , Je n aurois pas de peine, Ă  VĂȘtre encor plus qu’eux. Quel caractĂšre renfermĂ© dans ces deux vers ! Quel chef de conjurĂ©s qu’un homme assez maĂźtre de lui pour ĂȘtre Ă  son choix vertueux ou vicieux ! Quelle ambition enfin que celle qui peut, contre Pin- flexibilitĂ© ordinaire des pallions, plier Ă  tous les caractĂšres le superbe Catilina ! Une telle ambition annonce le deĂ­tructeur cle Rome, De pareils vers ne sont jamais inspirĂ©s que par les pallions. Qui n’en est pas susceptible doit renoncer Ă  les peindre. Mais , dira-t-on , Ă  quel ligne le public , souvent peu instruit de ce qui est en deçà ou au delĂ  d’une nature forte , reconnoĂź- Ăźroit-il les grands peintres de sentiments ? A la maniĂ©rĂ© , rĂ©pondrai-je , dont ils les expriment. A force de mĂ©ditations & de rĂ©miniscences , un homme d’efprit peut, Ă  peu prĂšs, deviner ce qu’un amant doit faire ou dire dans une telle situation ; il peut substituer , si je peux m’exprimer De l’Esp ri t. -ainsi, le sentiment pense au sentiment senti ; mais il est dans le cas d’un peintre qui, fur le rĂ©cit qu’on 1» auroit fait de la beautĂ© d’une femme , & l’image qu’il s’en seroit formĂ©e , voudroit en faire le portrait ; il seroit peut-ĂȘtre un beau tableau , niais jamais nn tableau ressemblant. L’es- prit ne devinera jamais le langage du sentiment. Rien de plus insipide pour un vieillard que la conversation de deux amants. L’homme insensible , mais spirituel, est dans le cas du vieillard ; le langage simple du sentiment lui paroĂźt plat ; il cherche , malgrĂ© lui, Ă  le relever par quelque tour ingĂ©nieux qui dĂ©cele toujours en lui le dĂ©faut -de sentiment. Lorsque PĂ©lĂ© brave le courroux du ciel, lorsque les Ă©clats du tonnerre annoncent la prĂ©sence du Dieu son rival, & que ThĂ©tis intimidĂ©e , pour calmer les soupçons d’un amant jaloux , lui dit Va , suis ; te montrer que je crains , jeft te dire affe^ que je t'aime , g g Si, dans ce vers d’Ovide , P ignora certa petis , do signera cma timendo , le Soleil dit Ă  peu prĂšs !a mĂȘme chose Ă  PhaĂ«totl spii fils ; c’esl que PhaĂ«ton n’est point encore montĂ© fur son char, jii par consĂ©quent dans le moment du danger. on Discours I -V. 041 nient que le danger oĂč se trouve Petee est trop instant , que ThĂ©tis n’est pas dans une situation assez tranquille pour tourner auĂ­si ingĂ©nieusement sa rĂ©ponse. EffrayĂ©e de Fapproche d’un Dieu qu-i, d’un mot, peut anĂ©antir son amant, & pressĂ©e de le voir partir, elle n’a proprement que le temps de lui crier de fuir & qu’elle l’adore.. Toute phrase ingĂ©nieusement tournĂ©e prouve Ă  la fois l'esprit & le dĂ©faut de sentiment. L’homme agitĂ© d’une pasiĂŹon , tout entier Ă  ce qu’il sent, ne s’occupe point de la maniĂ©rĂ© dont il le dit ; l’ex- preĂ­fion la plus simple est d’abord celle qu’il saisit. Lorsque l’amour, en pleurs aux genoux de VĂ©nus , lui demande la grĂące de PsychĂ© , & que la dĂ©esse rit de sa douleur , l'amour lui dit Je ne meplaindrais pas^fjje pouvois mourir. Lorsque Titus dĂ©clare Ă  BĂ©rĂ©nice qu’en- fin le destin ordonne qu’ils se sĂ©parent pour jamais i'es larmes , la console dans son malheur. Demain 3 rhymen peut te remettre en ses bras. Quelle est au contraire ma destinĂ©e ! Que l’amour se taise „ un moment dans ton cƓur, il ne me reste aucun espoir. Je ne puis, comme elle, gĂ©mis „ prĂšs de ce que j'aime , espĂ©rer de Tattendrir, me ,, flatter d'un retour. Un seul instant d'indiffĂ©rence, & tout pour moi est anĂ©anti ; l’efpace immense Si l’éteraitĂ© me sĂ©parent Ă  jaunis de toi, » Discours IV. 145 maximes. HabituĂ© Ă  cette marche , il est presque impossible que l’homme cl’esprit sans avoir senti l’arnour, en voudra peindre la paillon , ne mette, sans s’en apper- cevoir , souvent le sentiment en maxime- Auíßß M. de Fontenelle a-t-ilfait dire Ă l’un de ses bergers Von ne doit point aimer , lorsqu’on a le coeur tendre, idĂ©e qui lui est commune avec Quinault qui Fexprime bien diffĂ©remment, lorĂ­'qu’iĂź fait dire Ă  Atys Si saimoĂŹs un jour , par malheur , Je connois bien mon cƓur , IIferait trop sensible. Si Quinault n’a point mis en maxime le sentiment dont Atys est agitĂ© , c’eĂ­t qu’il sentoit qu'un homme vivement affectĂ© ne s’amuse point Ă  gĂ©nĂ©raliser. II n’en est pas Ă  cet Ă©gard de F ambition comme de Famour. Le sentiment, dans l’ambition , s’allie trĂšs-bien avec Fcsprit Ă­k la rĂ©flĂ©xion la cause de cette diffĂ©rence tient Ă  F obi et diffĂ©rent que se proposent ces deux pallions» Que dĂ©lirĂ© un amant ? les faveurs de ce qu’il aime. Or ce n’est point Ă  la subli- L ij 1 244 O L l’Esprit. mitĂ© de son esprit, mais Ă  PexcĂšs de fa tendresse, que ces faveurs font accordĂ©es. L’amour en larmes , & dĂ©sespĂ©rĂ© aux pieds d’une maĂźtresse , efĂŹ l’éloquence la plus propre Ă  la toucher. C’estl’ivresse de Pamant qui prĂ©pare & saisit ces instants de foiblesse qui mettent le comble Ă  son bonheur. L’efprit n’a point de part au triomphe ; l’efprit est donc Ă©tranger au sentiment de l’amour. D’ailleurs , PexcĂšs de la passion d’un amant promet mille plaisirs Ă  Pobjet aimĂ©. Il n’en est pas ainĂ­i d’un ambitieux. La violence de son ambition ne promet aucuns plaisirs Ă  fes complices. Si le thrĂŽne est Pobjet de ses dĂ©sirs, & si, pour y monter , il doit s’appuyer d’un parti puissant, ce feroit en vain qu’il Ă©taleroit aux yeux de ses partisans tout PexcĂšs de son ambition ; ils ne PĂ©couteroient qu avec indiffĂ©rence, s’ii n’assignoit Ă  chacun d’eux la part qu’il doit avoir au gouvernement, & ne leur prouvoit l’intĂ©rĂȘt qu’ils ont de l’élcver. L’amant enfin ne dĂ©pend que de Pobjet aimĂ© ; un seul instant assure fa fĂ©licitĂ© ; la rĂ©flexion n’a pas le temps de pĂ©nĂ©trer dans un cƓur d’autant plus vivement agitĂ© , qu’il est plus prĂšs d’obtenir ce qu’il dĂ©sirĂ©. Mais P ambitieux a , pour P exĂ©cution de ses projets , continuellement besoin du ..secours de toutes fortes d’hommes ; pour Discours ÏV. 14^ s*cri servir utilement, il faut les con- noĂźtre ; d’ailleurs son succĂšs tient Ă  des projets mĂ©nagĂ©s avec art &c prĂ©parĂ©s de Ă­oin. Que d’esprit ne faut-il pas pour les concerter &i les suivre ? Le sentiment de l’ambition s’allie donc nĂ©cessairement' avec F esprit & la rĂ©flexion. Le poĂšte dramatique peut donc rendre fidĂšlement le caractĂšre de l’ambitieux, en mettant quelquefois dans fa bouche de ces vers sententieux , qui, pour frapper fortement le spectateur , doivent ĂȘtre le rĂ©sultat d’un sentiment vif ĂŽt d’une rĂ© fie-» xion profonde. Tels font ces vers , oĂč pour justifier Faudace qu’il a de se prĂ©senter au sĂ©nat, Catilina dit Ă  k r obus qui Faccufe d’imprudence L'imprudence rĂŹ t fl. pas dans la tĂ©mĂ©ritĂ© , Elle el dans un projet faux & mal concertĂ© ; Mais , s’il efl bien suivis c’efl un trait de prudence Que dĂ© aller quelquefois jusques Ă  Pins o- lencet Et je fais,pour dompter les plus impĂ©rieux t Qu’il faut souvent moins ÂŁ art que de mĂ©pris pour eux. Ce que j’ai dit de Fambition indique en quelles doses diffĂ©rentes , si je l’ose dire, Fesprit peut s’allier aux diffĂ©rents genres de passions, L iij De l’Esprit. Je finirai par cette observation, c'est que nos mƓurs Sc la forme de notre gouvernement ne nous permettant point de nous livrer Ă  des paillons fortes , telles que l’ambition 8c la vengeance , on ne cite communĂ©ment ici comme peintres de sentiments que les hommes sensibles Ă  la tendresse paternelle ou filiale, & enfin Ă  l’amour, qui , par cette raison, occupe presque seul le thĂ©Ăątre François. CHAPITRE III. D t V Esprit. 'esprit n’est autre chose qu’un 1 j assemblage d’idĂ©es Sc de combinaisons nouvelles. Si l'on avoit fait , en un genre, toutes les combinaisons possibles , l'on n’y pourroit plus porter ni invention ni esprit ; l’on pourroit ĂȘtre savant en ce genre , mais non pas' spirituel. 11 est donc Ă©vident que , s’il ne Vestoit plus de dĂ©couvertes Ă  faire en aucun genre, alors tout seroit science , Sc l'esprit se- roit impossible on auroit remontĂ© jus- qu’aux premiers principes des choses. Une fois parvenus Ă  des principes gĂ©nĂ©raux Sc simples, la science des faits qui nous y auroient Ă©levĂ©s ne seroit plus qu’- Discours IV. 147 tine science futile , Sc toutes les bibliothĂšques oĂč ces faits font renfermĂ©s devicn- droient inutiles. Alors , de tous les matĂ©riaux de la politique Sc de la lĂ©gislation , c’est-Ă -dire de toutes les histoires , on au- roit extrait, par exemple, le petit nombre de principes qui, propres Ă  maintenir entre les hommes le plus d’égalitĂ© possible donneroient un jour naissance Ă  la meilleure forme de gouvernement. II enferoit de mĂȘme de la physique Sc gĂ©nĂ©ralement de toutes les sciences. Alors l’efpxit humain , Ă©pars dans une infinitĂ© d’ouvrages divers , feroit, par une main habile , concentrĂ© dans un petit volume de principes ; Ă  peu prĂšs comme les esprits des fleurs, qui couvrent de vastes plaines, font, par l’art du chymiste , facilement concentrĂ©s dans un vase d’essence. L’efprit humain , Ă  la vĂ©ritĂ© , est est tout genre fort loin du terme que je suppose. Je conviens volontiers que nous ne serons pas sitĂŽt rĂ©duits Ă  la triste nĂ©cessitĂ© de n’ĂȘtre que savants ; Sc qu’enfin, grĂące Ă  l’ignorance humaine , il nous fera longtemps permis d’avoir de l’efprit. L’esprit suppose donc toujours invention. Mais quelle diffĂ©rence, dira^t-on entre cette efpece d’invention Sc celle qui nous fait obtenir le titre de gĂ©nies ? l^our la dĂ©couvrir , consultons le publics i4^ De l’Esprit. Ën morale & en politique, il honorera, par exemple , du titre de gĂ©nies' & Machiavel & hauteur de VEsprit des loix , & ne donnera que le titre d’hommes de beaucoup d’esprit Ă  la Rochefoucault & Ă  la Bruyere. L’unique diffĂ©rence sensible qu’on remarque entre ces deux especes d’hommes , c’est que les premiers traitent de matiĂšres plus importantes, lient plus de vĂ©ritĂ©s entr’elles , & forment un plus grand ensemble que les seconds. Or surdon d’un plus grand nombre de vĂ©ritĂ©s suppose une plus grande quantitĂ© de combinaisons , & par consĂ©quent un homme plus rare. D’ailleurs , le public aime Ă  Voir , du haut d’un principe , toutes les consĂ©quences qu’on en peut tirer il doit donc rĂ©compenser par un titre supĂ©rieur, tel que celui de gĂ©nie, quiconque lui procure cet avantage , en rĂ©unissant une infinitĂ© de vĂ©ritĂ©s fous le mĂȘme point de vue. Telle est , dans le genre philosophique , la diffĂ©rence sensible entre le gĂ©nie Òc l’esprit. Dans les arts, oĂč, par le mot de talent v on exprime ce que , dans les sciences , on dĂ©signe par le mot d’ejprit , il semble que la diffĂ©rence soit Ă  peu prĂšs la mĂȘme. Quiconque ou se modelĂ© sur les grands hommes qui l’ont dĂ©jĂ  prĂ©cĂ©dĂ© dans la mĂȘme carriĂšre , ou ne les surpasse pas, ou Discours IV. 149 n’a point fait un certain nombre de boni ouvrages , n’a pas assez combinĂ©, n’a pas fait d’assez grands efforts d’efprit, ni donnĂ© assez de preuves d’invention pour mĂ©riter le titre de gĂ©nie. En consĂ©quence , on place dans la liste des hommes de talent les Regnard, les Vergier, les CampĂŹstron & les FlĂ©chier ; lorfqu’on cite comme gĂ©nies les MoliĂšre , les la Fontaine, les Corneille & les Bossuet. Rajouterai mĂȘme , Ă  ce lujeĂ­ , qu’on refuse quelquefois Ă  Fauteur le titre qu’on accorde Ă  l’ouvrage. Un conte, une tragĂ©die ont un grand succĂšs on p sut dire, de ces ouvrages, qu’ils font pleins de gĂ©nie , fans oser quelquefois en accorder le titre Ă  Fauteur. Pour l’obtenir, il faut ou, comme la Fontaine , avoir, st je Foie dire , dans une infinitĂ© de petites pieces la monnoie d’un grand ouvrage ; ou, comme Corneille & Racine , avoir composĂ© un certain nombre d’ex- cellentes tragĂ©dies. Le poĂšme Ă©pique est, dans la poĂ©fie le seul ouvrage dontl’étendue suppose une mesure d’attention & d’invention suffisante pour dĂ©corer un homme du titre de gĂ©nie. Il me reste , en finissant ce chapitre , deux observations Ă  faire. La premiere, c’est qu’on ne defigne dans les arts par la nom d’esprit, que ceux qui, sans gĂ©nie ni salent pour un genre ? y transportent les- * D fi í’Es prĂź t. beautĂ©s d’un autre genre telles font, par exemple , les comĂ©dies de M. de Fonte- nelle , qui, dĂ©nuĂ©es du gĂ©nie &Ă­ du talent comique, Ă©tincellent de quelques beautĂ©s philosophiques. La seconde, c’eĂ­l que l’in- vention appartient tellement Ă  l’esprit, cpi’on n’a jusqu’à prĂ©sent, par aucune des epithetes applicables au grand esprit, dĂ©signĂ© ceux qui remplissent des emplois utiles , mais dont l’exercice n’exige point d’invention. Le mĂȘme usage qui donne l’épithete de bon au juge, au financier ÂŁ , Ă  l’arithmĂ©ticien habile , nous permet d’appliquer l’épithete de sublime au poĂšte , au lĂ©gislateur , au gĂ©omĂštre , Ă  l’orateur. L’esprit suppose donc toujours invention. Cette invention , plus Ă©levĂ©e dans le gĂ©nie, embrasse d’ailleurs plus d’étendue 4e vue ; elle suppose par consĂ©quent & plus de cette opiniĂątretĂ© qui triomphe de toutes les difficultĂ©s , & plus de cette hardiesse de caractĂšre qui fe fraie des routes nouvelles. Telle est la diffĂ©rence entre le gĂ©nie k Je ne dis pas que de bons juges, de bons financiers n’aient de fefprit ; mais je dis feulement que ce n’est pas en qualitĂ© de juges ou de financiers qu’ils en ont ; Ă  moins que l'on ne confonde la qiĂ­a- litĂ© de juge avec celle, de lĂ©gislateur. Discours IV. 251 &c l'esprit , & l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale qu’on doit attacher Ă  ce mot esprit. Cette diffĂ©rence , Ă©tablie je dois observer que nous sommes forcĂ©s, par la disette de la langue , Ă  prendre cette expression dans mille acceptions diffĂ©rentes , qu'on ne distingue entr’elles que par les Ă©pithĂštes qu’pn unit aumot is>rit» Ces Ă©pithetes, toujours donnĂ©es par le lecteur ou spectateur, sont toujours relatives Ă  l’impression que fait fur lui certain genre d’idĂ©es. Si l'on a tant de fois. & peut-ĂȘtre fans succĂšs , traitĂ© ce mĂȘme fuiet, c’est qu’on n’a point considĂ©rĂ© l’esprit sous ce mĂȘme __ point de vue ; c’est qu’on a pris pour des qualitĂ©s rĂ©elles & distincts les Ă©pithetes d o, fin , de fort , de lumineux , &c. qu’on joint au mot esprit ; c’est qu’enfin l’on n’a point regardĂ© ces Ă©pithetes comme l’ex- pression des effets diffĂ©rents que font fur nous , & les diverses efpeces d’idĂ©es & les diffĂ©rentes maniĂ©rĂ©s de les rendre. C’est pour dissiper l’obfcuritĂ© rĂ©pandue fur ce sujet, que je vais , dans les chapitres suivants , tĂącher de dĂ©terminer nettement Ăźes idĂ©es diffĂ©rentes qu’on doit attacher aux Ă©pithetes souvent unies au mot esprit, De l’Esprit. CHAPITRE IV. De V esprit fin , d t P esprit sort. A n s le physique , on donne le nom -L J de sin Ă  oe qu’on n’apperçoit point sans quelque peine. Dans le moral, c’est- Ă -dire , en fait d’idĂ©es Ă  mesure qu’ib le construisoient» af6 De l’ E s p r i t. M. de Fontanelle dit que ce prĂ©lat avoit tous les jours travaillĂ© Ă  fe rendre inutile ; feĂ­ĂŹ Ă  robscuritĂ© de Tex-pression que cette idĂ©e doit sa finesse. Dans Topera dc ThĂ©tis , lorsque cette dĂ©esse, pour se venger de PelĂ©e qsselle croit infidĂšle , dit Mon cƓur s’efl engagĂ© fous Û apparence vaine Des feux que tu feignis pour moi ; Mais je veux l'in punir , en m imposant la peine D'en aimer un autre que toi ; il ess encore certain que cette idĂ©e & toutes les idĂ©es de cette espece ne devront le nom de fines qu’on leur donnera communĂ©ment qu’au tour Ă©nigmatique sous lequel on les prĂ©sente, & par consĂ©quent au petit essort d’esprit qu’il faut faire pour les saisir. Or un auteur n'Ă©crit que pour se faire entendre. Tout ce qui s’oppose Ă  la clartĂ© est donc un dĂ©faut dans le style; toute maniĂ©rĂ© fine de s’exprimer est donc vicieuse {J j ; il faut donc ĂȘtre d’autant f/j Je sais bien que les tours fins ont leurs partisans. Ce que tout le monde entend,taeilement, diront-ils , tout le monde croit savoir pensĂ© ; Ă­a clartĂ© de l’exprçssioa est donc un» maladresse dç sauteur ; Discours. IV. plus attentif Ă  rendre son idĂ©e par un tour & une expression simple & naturelle , quĂš cette idĂ©e est plus sine , & peut, plus facilement , Ă©chapper Ă  la sagacitĂ© du lecteur. Portons maintenant nos regards fur la forte d’efprit dĂ©signĂ© par PĂ©pithete de fort. Une idĂ©e forte est une idĂ©e intĂ©ressante & propre Ă  faire fur nous une impression vive. Cette impression peut ĂȘtre l’esset on de PidĂ©e mĂȘme, ou de la maniĂ©rĂ© dont elle est exprimĂ©e g. il faut toujours jeter quelques nuages fur ses pensĂ©e*. FlattĂ©s de percer ce nuage impĂ©nĂ©trable au commun des lecteurs , & d’appercevoir une vĂ©ritĂ© Ă  travers l’obscuritĂ© de V expression , mille gens louent avec d'autantplus d'enthouĂ­iasme cette maniĂ©rĂ© d’écrire , que , sous prĂ©texte de faire 1 Ă©loge de fauteur , ils font celui de leur pĂ©nĂ©tration. Ce fait est certain. Mais je soutiens qu’on doit dĂ©daigner de pareils Ă©loges , & rĂ©sister au dĂ©sir de les mĂ©riter. Une pensĂ©e est-elle finement exprimĂ©e ? il est d’abord peu de gens qui l’eirtendent ; mais enfin elle est gĂ©nĂ©ralement entendue. Or , dĂšs qu’on a devinĂ© l’énigme de fexpreffion , cette pensĂ©e est , par les gens d’es- prit , rĂ©duite Ă  sa valeur intrinsĂšque , & mise fort au- dessous de cette mĂȘme valeur par les gens mĂ©diocres honteux de leur peu de pĂ©nĂ©tration , on les voit toujours , par un mĂ©pris injuste , venger l’af- front que la finesse d’un tour a fait Ă  la sagacitĂ© de leur esprit. g On dĂ©signe en Perse , par les Ă©pithetes de peintres ou de jcuipteurs , l’inĂ©gale force des diffĂ©rents poĂštes & l’on dit, en consĂ©quence 3 urĂŹpocte peintre , un poĂšte sculpteur. r;8 De l’ Esprit. Une idĂ©e assez commune , mais rendue par une expression ou une image frappante , peut faire fur nous une impression assez forte. M. l’abbĂ© Cartaut, par exemple , comparant Virgile Ă  Lucain ; » Vir- » gile , dit-il, n’est qu’un prĂȘtre Ă©levĂ© au » milieu des grimaces du temple ; le carac- » tere pleureur , hypocrite &c dĂ©vot de » son hĂ©ros dĂ©shonore le poĂšte ; son en- » thousiafme semble ne s’échauffer qu’à la » lueur des lampes suspendues devant les » autels, & l’enthousiafme audacieux de » Lucain s’allumer au feu de la foudre ». Ce qui nous frappe vivement est donc ce qu’on dĂ©signe par l’épithete de fort. Or le grand Sc le fort ont cela de commun , qu’ils font fur nous une impression vive ; aussi les a-t-on souvent confondus. Pour sixer nettement les idĂ©es diffĂ©rentes qu’on doit fe former du grand & du fort, je considĂ©rerai sĂ©parĂ©ment ce que c’est que le grand & le fort, x°. dans les idĂ©es, z°. dans les images, 3 0 . dans les sentiments. Une idĂ©e grande est une idĂ©e gĂ©nĂ©ralement intĂ©ressante. Mais les idĂ©es de cette efpece ne font pas toujours celles qui nous affectent le plus vivement. Les axiomes du portique ou du lycĂ©e, intĂ©ressants pour tous les hommes en gĂ©nĂ©ral & par consĂ©quent pour les AthĂ©niens, ne dĂ©voient Discours IV. 2^9 cependant pas faire fur eux l’impreffion des harangues de D Ă©mosthene, lorsque cet orateur leur reprochoit leur lĂąchetĂ©. Vous vous demande ç l’un Ă  Vautre , leur difoit-il , Philippe ejl-il mort ? HĂ© ! que vous importe r AthĂ©niens , qu il vive ou qu’il meure ; Quand le ciel vous en auroit dĂ©livrĂ©s , vous vous ferie^ hĂŹentĂłt vous-mĂȘmes un autre Philippe. Si les AthĂ©niens Ă©toient plus frappĂ©s dit discours de leur orateur que des dĂ©couvertes de leurs philosophes , c’est que D Ă©mosthene leur prĂ©sentoir des idĂ©es plus convenables Ă  leur situation prĂ©sente , & par consĂ©quent plus immĂ©diatement intĂ©ressantes pour eux. Or les hommes , qui ne connoissent çn gĂ©nĂ©ral que l'existence du moment » seront toujours plus vivement affectĂ©s de cette espĂšce d’idĂ©es, que de celles qui, par la raison mĂȘme qu’elles font grandes & gĂ©nĂ©rales , appartiennent moins directement Ă  l’état oh ils se trouvent. Auffi ces morceaux d’éloquence propres Ă  porter l’émotion dans les Ăąmes , & ces harangues si fortes parce qu’on y discute les intĂ©rĂȘts actuels d’un Ă©tat, ne sont-elles pas d’une utilitĂ© auffi Ă©tendue , auffi durable , &c ne peuvent-elles , comme les dĂ©couvertes d’un philosophe , convenir Ă©galement Ă  tous les temps & Ă  tous les lieux. En fait d’idĂ©es, la feule diffĂ©rence entre ĂĄSo De ^Esprit. le grand Sc le fort, c’est que l’un est plusr gĂ©nĂ©ralement Sc l’autre plus vivement intĂ©ressant A. S’agit-il de ces belles images , de ces descriptions ou de ces tableaux faits pour frapper f imagination ? le fort & le grand ont ceci de commun , qu’ils doivent nous prĂ©senter de grands objets. Tamerlan Sc Cartouche sont deux brigands , dont f un vole avec quatre cent mille hommes, Sc l’autre avec quatre cents hommes ; le premier attire notre respect, Sc le second notre mĂ©pris i . Ce que je dis du moral, jc l’applique aa phisique. Tout ce qui, par soi - mĂȘme , est petit , ou le devient par la comparaison qu’on en fait aux grandes choses, ne fĂșt fur nous presque aucune impression. Que l’on se peigne Alexandre dans l’atti* tude la plus hĂ©roĂŻque, au moment qu’il fond suri'ennemi si l’imagination place Ă  cĂŽtĂ© du hĂ©ros l’un de ces fils de fa Terre ÂŁ qui, croissant par an d’une coudĂ©e en grosseur , h On dit quelquefois d’un raisonnement qu’il est fort , mais c’est lorsqu’il s’agit d’un objet intĂ©ressant pour nous. Aussi ne donne t on pas ce nom aux dĂ©monstrations de gĂ©omĂ©trie, qui , de tous les raisonnements , font fans contredit Ă­es plus forts» i Tout devient jidĂŹcuie fans la force ; touts’en- noblit avec diffĂ©rence de la fripponnerie d’un contrebandier Ă  celle de Charles-quint ? k] Aux yeux de ce mĂȘme gĂ©ant, ce CĂ©sar qui'dit Discours IV. r6r .& de trois ou quatre coudĂ©es en hauteur, ponvoient entasser Ossa fur Pelion, Alexandre n’est plus qu'une marionnette plaisante , & Ă­a fureur n’est que ridicule. Mais st le fort est toujours grand, le grand rf est pas toujours fort. Une dĂ©coration, ou ge soit neuve , ou du moins prĂ©sentĂ©e sous une face nouvelle. C’est la surprise excitĂ©e par sa nouveautĂ©, qui, fixant toute notre attention sur une idĂ©e, lui laisse le temps de faire fur nous une plus forte impression. L’on atteint enfin, en ce genre, au dernier degrĂ© de perfection, lorsque l’ima- ge fous laquelle on prĂ©sente une idĂ©e est une image de mouvement. Ce tableau toujours prĂ©fĂ©rĂ© au tableau d’un objet immobile , excite en nous plus de sensations, Sc nous fait, Ăšn consĂ©quence, une impression plus vive. On est moins frappĂ© du calme que des tempĂȘtes de l’air, C’est donc Ă  l’imagination qu’un auteur doit, en partie , la force de son expression ; c’est par ce secours qu il transmet dans l’ame de ses lecteurs tout le feu de ses pensĂ©es. Si les Anglois , Ă  cet Ă©gard , s’attribuent une grande supĂ©rioritĂ© fur nous , c’est moins Ă  la force particuliers de leur langue qu’à la forme de leur gouvernement qu’ils doivent cet avantage, qu'il est peu d’hommes dont 1’imagĂ­natĂ­on soit assez forte pour fe faire un tableau net & vif' montagnes fautant comme des çabrits. D t s c o u r s IV. rdy Òn est toujours fort dans Ășn Ă©tat libre , oĂ» l’homme conçoit les pins hautes pensĂ©es , & peut les exprimer aussi vivement qu’il les conçoit. II n’en est pas ainĂ­i des Ă©tats monarchiques dans ces pays , fintĂ©rĂȘt de certains corps , celui de quelques particuliers puissants, & plus souvent encore une fausse & petite politique , s’oppofe aux Ă©lans du gĂ©nie. Quiconque , dans ceĂą gouvernements , s’éleve jusqu’aux grandes idĂ©es , est souvent forcĂ© de les taire, ou du moins contraint d’est Ă©nerver la force par le louche, fĂ©nigmatique Sc la foibleĂ­fe de l’expreĂ­Ăźion. AuíßÏ le lord Chef* terficld, dans une lettrĂ© adressĂ©e Ă  M. l’ de uafco , dit, en parlant de fauteur de VEsprit dts loix » C’est dommage » que M. le prĂ©sident de Montesquieu, retenu , fans doute , par la crainte du » ministĂšre , n’ait pas eu le courage de » tout dire. On sent bien , en gros, ce » qu’il pense fur certains sujets ; mais il » ne s’exprime point assez nettement Sc » assez fortement ; on eĂ»t bien mieux su » ce qu’il penfoit, s’il eĂ»t composĂ© Ă  Lon- » dres, Sc qu’il fĂ»t nĂ© Anglois. » Ce dĂ©faut de force dans f expression n’est cependant point un dĂ©faut de gĂ©nie dans la nation. Dans tous les genres , qui, futiles aux yeux des gens en place , font, avec dĂ©dain, abandonnĂ©s au gĂ©nie, je vjo De i’Espri t. puis cites mille preuves de cette vĂ©ritĂ©. Quelle force d’expreĂ­Ăźion dans certaines oraisons de Bossuet & certaines scenes de Mahomet ! tragĂ©die qui, peut-ĂȘtre , quelques critiques qu’on en fasse, est un des plus beaux ouvrages du cĂ©lĂ©brĂ© M. de Voltaire. Je finis par un morceau de M. l'abbĂ© Cartaut ; morceau plein de cette force d’exprelĂŻĂźon dont on ne croit pas notre langue susceptible. II y dĂ©couvre les causes de la superstition Egyptienne. » Comment ce peuple n’eĂ­it-il pas Ă©tĂ© le » peuple le plus superstitieux ? L’Egypte, » dit-il, Ă©toit un pays d’enchantements ; » l’imagination y Ă©toit perpĂ©tuellement » battue par les grandes machines du mer- » veilleux ; ce n’étoit par - tout que des » perspectives d’effroi & d’admiration. Le » prince Ă©toit un objet d’étonnement & de » terreur Semblable au foudre , qui, » reculĂ© dans la profondeur des nuages , » semble y tonner avec plus de grandeur » & de majestĂ© , c’étoit du fond de ses la- » byrinthes &c de son palais que le monar- » que dictoit ses volontĂ©s. Les rois ne Ă­e » montroient que dans Fappareil effrayant » & formidable d’une puissance relevĂ©e » en eux d’une origine cĂ©leste. La mort » des rois Ă©toit une apothĂ©ose la terre » Ă©toit affaissĂ©e sous le poids de leurs mau- Discours IV. vjx » solĂ©es. Dieux puissants , l’Egypte Ă©toit » par eux couverte de superbes obĂ©lisques » chargĂ©s d’inscriptions merveilleuses , & » de pyramides Ă©normes dont le sommet » se perdoit dans les airs dieux bienfai- » sants, ils avoient creusĂ© ces lacs qui ras- » suroient orgueilleusement l’Egypte con- » tre les inattentions de la nature. » » Plus redoutables que le trĂŽne & ses » monarques, les temples & leurs ponti- » fes en imposoient encore plus Ă  l’imagi- » nation des Egyptiens. Dans l’un de ces » temples, Ă©toit le colosse de SĂ©rapis. Nul » mortel n’osoit en approcher. C’étoit Ă  » la durĂ©e de ce colosse qu’étoit attachĂ©e » celle du monde quiconque eut brisĂ© ce » talisman eĂ»t replongĂ© l’univers dans son » premier chaos. Nulles bornes Ă  la crĂ©- m duĂ­itĂ© ; tout, dans l’Egypte, Ă©toit eni- »gme, merveille &c myĂ­tere. Tous les temples rendoient des oracles ; tous les » antres vomissoient d’horribles hurle- » ments ; par tout l’on voyoit des trĂ©pieds » tremblants , des pythies en fureur , des » victimes , des prĂȘtres , des magiciens » qui, revĂȘtus du pouvoir des Dieux , » Ă©toient chargĂ©s de leur vengeance. » » Les philosophes , armĂ©s contre la su- »> perstition, s’éleverent contr’elle mais , » bientĂŽt engagĂ©s dans le labyrinthe d’une » mĂ©taphysique trop abstraite, la dispute M iiij '%-]% De l’Esprit. » les y divise d’opinions ; l’intĂ©rĂȘt & le » fanatisme en profitent, ils fĂ©condent le w chaos de leurs systĂšmes diffĂ©rents ; il en fort les pompeux mystĂšres d’Ifis, d’OfĂŹ- »> ris & d’Horus. Couverte alors des tĂ©- » nebres mystĂ©rieux &c sublimes de la »> thĂ©ologie & de la religion , l’imposture » fut mĂ©connue. Si quelques Egyptiens » l’apperçurent Ă  la lueur incertaine du » doute , la vengeance toujours fospen- due fur la tĂȘte des indiscrets ferma leurs » yeux Ă  la lumiĂšre, & leur bouche Ă  la » vĂ©ritĂ©. Les rois mĂȘme, qui, pour fe » mettre Ă  l’abri de toute insulte, avoient »> d’abord, de concert avec les prĂȘtres , » Ă©voquĂ© autour du trĂŽne la terreur , la » superstition & les fantĂŽmes de leur fuite ; » les rois, dis-je , en furent eux-mĂȘmes » effrayĂ©s, bientĂŽt ils confiĂšrent aux tem- » pies le dĂ©pĂŽt sacrĂ© des jeunes princes ; w fatale Ă©poque de la tyrannie des prĂȘtres » Egyptiens ! Nul obstacle alors qu’on » pĂ»t opposer Ă  leur puissance. Les sou- »> verains forent ceints dĂšs l’enfance du » bandeau de l’opinion ; de libres & d’in- » dĂ©pendants qu’ils Ă©toient, tant qu’ils ne » voyoient dans ces prĂȘtres que des four- » bes ĂŽc des enthousiastes soudoyĂ©s , ils » en devinrent les esclaves & les victimes. »> Imitateurs des rois , les peuples foivi- » rent leur exemple , Ă  toute FEgypte fe Discours IV. 173 o prosterna aux pieds du pontife 8c de » l’autel de la superstition. » Ce magnifique tableau, de M. l’abbĂ© Cariant, prouve , je crois , que la faiblesse d’expreĂ­ĂŻĂŻon qu’on nous reproche 8c qu’en certain genre on remarque dans nos Ă©crits , ne peut ĂȘtre attribuĂ© au dĂ©faut de gĂ©nie de la nation. CHAPITRE V. JDi C esprit de lumiĂšre , de Vesprit Ă©tendu , dĂ­ C esprit pĂ©nĂ©trant , & du goĂ»t. S I l’on en croit certaines gens , le gĂ©nie est une espece d’instinct qui peut , Ă  l’insu mĂȘme de celui qu’il anime , opĂ©rer en lui les plus grandes choses. Ils mettent cet instinct fort au-deĂ­sous de l’esprit de lumiĂšre , qu’ils prennent pour l’intelli- gence universelle. Cette opinion, soutenue par quelques hommes de beaucoup d’esprit , n’est cependant point encore adoptĂ©e du public. Pour arriver sur ce sujet Ă  quelques rĂ©sultats , il taut, je pense , attacher des idĂ©es nettes Ă  ces mots esprit de lumiĂšre. Dans le physique la lumiĂšre est un corps dont la prĂ©sence rend les .objets visibles. E'esprit de lumiĂšre est donc la M y 274 O L l’ E s p r I T. sorte d’esprit qui rend nos idĂ©es visibles au commun des lecteurs. II consiste Ă  disposer tellement toutes les idĂ©es qui concourent Ă  prouver une vĂ©ritĂ© , qu'on puisse facilement la saisir. Le titre d’esprit sse lumiĂšre est donc accordĂ© par la reconnoissance du public Ă  celui qui l'Ă©claire. Avant M. deFontenelle , la plupart des savants, aprĂšs avoir escaladĂ© le sommet escarpĂ© des sciences, s’y trouvoient isolĂ©s & privĂ©s de toute communication avec les autres hommes. * Ils n’avoient point applani la carriĂšre des sciences , ni frayĂ© Ă  l’ignorance un chemin pour y marcher. M. de Fontenelle , que je ne considĂ©rĂ© point ici fous l’aspect qui le met au rang des gĂ©nies, fut un des premiers qui, si je Fole dire , Ă©tablit un pont de communication entre la science & F ignorance. II s’appcrçut que l’ignoranĂ­ mĂȘme pouvoit recevoir les semences de toutes les vĂ©ritĂ©s ; mais que , pour cet effet, il falloit, avec adresse , y prĂ©parer son esprit ; qu une idĂ©e nouvelle , pour me servir de son expression , ĂštoĂŹt un coin qu on ne pouvoit faire entrer par le gros bout. II sit donc ses efforts pour prĂ©senter ses idĂ©es avec la plus grande nettetĂ© , il y rĂ©ussit ; la tourbe des esprits mĂ©diocres se sentit tout-Ă -coup Ă©clairĂ©e , & la reconnoissance Discours IV, 175 -'publique lui dĂ©cerna le titre d’esprit de lumiĂšre. Que falloit-il pour opĂ©rer un pareil prodige ? Simplement observer la marche des esprits ordinaires ; savoir que tout se tient & s’amene dans í’univers ; qu’en fait d’idĂ©cs , Pignorance est toujours contrainte de cĂ©der Ă  la force immense des progrĂšs insensibles de la lumiĂšre, que je compare Ă  ces racines dĂ©liĂ©es qui, s’insi- nuant dans les fentes des rochers , y grossissent & les font Ă©clater. II falloit ensin sentir que la nature n'est qu un long enchaĂźnement ; & que , par le secours des idĂ©es intermĂ©diaires, l’on pouvoit Ă©lever de proche en proche les esprits mĂ©diocres jusqu’aux plus hautes idĂ©es. Q b I! n’est rien que les hommes ne puissent entendre. Quelque compliquĂ©e que soit une pro- Í ioĂ­ĂŹtion , on peut, avec le secours de l’analyse , a dĂ©composer en un certain nombre de propositions simples & ces propositions deviandront Ă©videntes , lorsqu’on y rapprochera le oui du non ; c’est-Ă -dire, lorsqu’un homme ne pourra les nier sans tomber en contradiction astec lui-mĂȘme , Sc fans dire Ă  la fois que la mĂȘme chose efl & rĂ­efl pas. Toute veri, atteint la derniere rĂ©solution possible. Qui sauroit, ajoute M. Formey , Ă  quel point chaque homme a poussĂ© cette analyse, auroit TĂ©chelle graduĂ©e de la profondeur de tous les esprits. Discours IV. r§» II suit de cette idĂ©e que le court espace de la vie ne permet point Ă  l’homme d’ĂȘtre profond en plusieurs genres, qu on a d’autant moins d’étendue d’esprit qu’on Fa plus pĂ©nĂ©trant & plus profond , 6c qu’il n’est point d’esprit universel. A l’égard de l’esprit pĂ©nĂ©trant, /'observerai que le public n’accorde ce titre qu’aux hommes illustres , qui s'occupent de sciences dans lesquelles il est plus ou moins initiĂ© ; telles font , la morale , la politique la mĂ©taphysique , &c. S’agit- il de peinture ou de gĂ©omĂ©trie ? on n’est . pĂ©nĂ©trant qu’aux yeux des gens habiles dans cet art ou cette science. Le public , trop ignorant pour apprĂ©cier , en ces divers genres , la pĂ©nĂ©tration d’esprit d’un homme , juge ses ouvrages , & n’appli- que jamais Ă  son esprit l’épithete de pĂ©nĂ©trant ; il attend , pour louer , que , par la solution de quelques problĂšmes difficiles , ou par la composition de tableaux sublimes , un homme ait mĂ©ritĂ© le titre de grand gĂ©omĂštre ou de grand peintre. Je n’ajouterai qu un mot Ă  ce que j’ai dit, c’est que la sagacitĂ© & la pĂ©nĂ©tration E l’ E s p r i t„ rcs,sans doute moins estimables que les gens de gĂ©nie , font cependant trĂšs-utiles au public ; qu’un bon ouvrage, pour ĂȘtre gĂ©nĂ©ralement connu , doit avoir Ă©tĂ© dĂ©pecĂ© dans une infinitĂ© d’ouvrages mĂ©diocres. En effet, st les particuliers qui composent la sociĂ©tĂ© doivent se ranger sous plusieurs classes , qui toutes ont, pour entendre & pour voir , des oreilles & des yeux diffĂ©rents , il est Ă©vident que le mĂȘme Ă©crivain, quelque gĂ©nie qu'il ait, ne peut Ă©galement leur convenir ; qu’il faut des auteurs pour toutes les classes K , des Neuville pour prĂȘcher Ă  la ville , & des Bridaine pour les campagnes. En morale; comme en politique, certaines yĂ©es ne font pas universellement senties, & leur Ă©vidence n’est point constatĂ©e , qu’elles n’aient, de la plus sublime philosophie , descendu jufqu’à la poĂ©sie ; &, de la poĂ©sie , jusqu’aux pont-nçufs Ce n’est ordi- A Je rapporterai Ă  ce sujet un fait assez plaisant. Un homme se faisoit un jour prĂ©senter Ă  un magistrat, homme de beaucoup d’esprit. Que faites-vous ? lui demanda le magistrat. fais des livres , rĂ©pondĂŹt-il. Mais aucun de ces livres ne m’est encore parvenu ? Je le crois bien , reprend sauteur je ne fais rien pour Paris. DĂšs qu’un de mes ouvrages efl imprimĂ©, f en envoie P Ă©dition en AmĂ©rique je ne compose que pour Les coLoiuss. Discours IV. 307’ nĂĄirement que dans cet instant seul qu’eL. les deviennent aĂ­sez-communes pour ĂȘtre utiles. Au reste, cette envie , qui prend si souvent le nom de justice , 8c dont personne n’est entiĂšrement exempt, n’est le vice d’aucun Ă©tat. Elle n’est ordinairement active & dangereuse que dans des hommes bornĂ©s 8c vains. L’homme supĂ©rieur a trop peu d’objets de jalousie, 8c les gens du monde font trop lĂ©gers, pour obĂ©ir longtemps au mĂȘme sentiment d’aillcurs, ils ne haĂŻssent point le mĂ©rite 8c sur-tout le mĂ©rite littĂ©raire ; souvent mĂȘme ils le protĂšgent leur unique prĂ©tention , c’est d'ĂȘtre agrĂ©ables 8c brillants dans la conversation. Cest dans cette prĂ©tentien que consiste" proprement l’efprit du siecle aussi n’est-il rien qu’on n’imagine pour Ă©chapper en ce genre au reproche d’insi- piditĂ©. . Une femme de peu d’esprit paroĂźt entiĂšrement occupĂ©e de son chien , elle ne parle qu’à lui ; l’orgueil des auditeurs s’en offense ; on la taxe d’impertinence on a tort. Elle sait qu’on est quelque chose dans la sociĂ©tĂ©, lorsqu’on a prononcĂ© tant de mots / , qu’on a fait tant 1 C’est Ă  ce sujet que las Persans disent J’entends le bruit di la. meule y mais je. ne vois pas la farine* zo8 De l’Esprit, de gestes & tant de bruit l’occupation deKon chien est donc moins, pour elle , un amusement, qu’un moyen de cacher sa mĂ©diocritĂ© ; elle est, Ă  cet Ă©gard, trĂšs- bien conseillĂ©e par son amour-propre , qui, pour le moment, nous fait presque toujours tirer le meilleur parti de notr-e sottise. Je n’ajouterai qu’un mot Ă  ce que j’ai dĂ©jĂ  dit de l’esprit du siecle ; c’est qu’il est facile de se le reprĂ©senter sous une image sensible. Qu’on charge, pour cet effet, un peintre habile de faire, par exemple, les portraits allĂ©goriques de l’esprit de quelques-uns des siĂ©cles de la Grece , & de l'esprit actuel de notre nation. Dans le premier tableau , ne sera-t-il pas forcĂ© de reprĂ©senter l’esprit sous la figure d’un homme, qui, l’Ɠil fixe , l’ame absorbĂ©e dans de profondes mĂ©ditations, reste dans quelques-unes des attitudes qu’on donne aux Muses ? Dans le second tableau , ne sera-t-il pas nĂ©cessitĂ© Ă  peindre l’esprit sous les traits du Dieu de la raillerie, c’est-Ă -dire, fous la figure d’un homme qui considĂ©rĂ© tout avec un ris malin & un Ɠil moqueur ? Or , ces deux portraits si diffĂ©rents nous donneroient aster exactement la diffĂ©rence de l’esprit des Grecs au nĂŽtre. Sur quĂłi j’observerai que , dans chaque siecle , un peintre ingĂ©nieux don- Discours IV. 309 neroit Ă  l’esprit une physionomie diffĂ©rente ; & que la suite allĂ©gorique de pareils portraits seroit fort agrĂ©able &c fort curieuse pour la postĂ©ritĂ© , qui, d’un coup d’Ɠil,, jugeroit de l’estime ou du mĂ©pris que, dans chaque fiecle , l’on a dĂ» accorder Ă  ? esprit de chaque nation. CHAPITRE VIII. De VesprĂŹt jujie m. P Our porter , sur les idĂ©es & les opinions diffĂ©rentes des hommes , des jugements toujours justes , il faudroit ĂȘtre exempt de toutes les paillons qui corrompent notre jugement ; il faudroit avoir habituellement prĂ©sentes Ă  la mĂ©moire les idĂ©es dont la connoiffance nous donneroit celle de toutes les vĂ©ritĂ©s humaines pour cet effet, il faudroit tout savoir. Personne ne sait tout on n’a donc l'esprit juste qu’à certains Ă©gards. Dans le genre dramatique , par exem- m Dans un sens Ă©tendu, l’esprit juste seroit l’esprit universel. II ne s’agit point de cette forte d'eĂź'prit dans ce chapitre je prends ici ce mot dans l’acception la plus commune. guo De l’Esprit. pie , l’un est bon juge de l’harmonĂźe des vers, de Ă­a propriĂ©tĂ© , de la force de l’ex- pression , & enfin de toutes les beautĂ©s de style ; mais il est mauvais juge de la justesse du plan. L’autre, au contraire , est connoisseur en cette derniere partie ; mais il n’est frappĂ© ni de cette justesse, ni de cet Ă  propos, ni de cette force de sentiment d’oĂč dĂ©pend la vĂ©ritĂ© ou la faussetĂ© des oaracteres tragiques, &c le premier mĂ©rite des pieces. Je dis le premier mĂ©rite , parce que l’ $c par consĂ©quent la principale beautĂ© de ce genre , consiste Ă  peindre fidĂšlement les effets que produisent sur nous les pallions fortes. On n’a donc proprement de 'justesse d’efprit que dans les genres fur lesquels on a plus ou moins mĂ©ditĂ©. On ne peut donc , fans confondre le gĂ©nie & l'esprit Ă©tendu & profond avec l’cfprit juste , s’empĂȘcher d’avouer que cette derniĂšre forte d’efprit n’est plus qu’un esprit faux, lorfqu’il s’agit de ces propositions compliquĂ©es , oĂč la vĂ©ritĂ© est le rĂ©lĂčltat d’un grand' nombre de combinaisons , oĂč , pour bien voir , il faut voir beaucoup ; &c oĂč la justesse de l’efprit dĂ©pend de son Ă©tendue auĂ­si n’entend- on communĂ©ment par esprit juste , que la forte d’esprit propre 'Ă  tirer des Discours IV. 311 consĂ©quences justes & quelquefois neuves des opinions vraies ou fausses qu’on lui prĂ©sente. ConsĂ©quemment Ăą cette dĂ©finition, F esprit juste contribue peu Ă  Favancement de l’esprit humain cependant il mĂ©rite quelque estime. Celui qui, partant des principes ou des opinions admises , en tire des consĂ©quences toujours justes Sc quelquefois neuves , est un homme rare parmi le commun des hommes. 11 est mĂȘme , en gĂ©nĂ©ral, plus estimĂ© des gens mĂ©diocres, que ne le fera F esprit supĂ©rieur , qui , rappellant trop souvent les hommes Ă  Fexamen des principes reçus, & les transportant dans des rĂ©gions inconnues , doit Ă  la fois fatiguer leur paresse & blesser leur orgueil. Au reste, quelque justes qtie soient les consĂ©quences qu’on tire , ou d’un sentiment , ou d’un principe , je dis que , loin d’obtenir le nom d’eĂ­'prit juste , l’on ne Ă­era jamais citĂ© que comme un fou , st ce sentiment ou ce principe paroĂźt ou ridicule ou fou. Un Indien vaporeux s’étoit imaginĂ© que, s’il pissoit, il submer- geroit toutle Bisnagar. En consĂ©quence , ce vertueux citoyen , prĂ©fĂ©rant le salut de sa patrie au sien propre , retenoit toujours son urine ; il Ă©toit prĂȘt Ă  pĂ©rir, lors- qu’un mĂ©decin, homme d’esprit , entre zir De l’ Esprit. tout effrayĂ© dans fa chambre NarjĂŹngue n, lui dit-il , ejl en feu ; ce n ejl bientĂŽt qu un monceau de cendres hĂąte ç - vous de lĂącher votre urine. A ces mots , le bon Indien pisse, raisonne juste, 6c passe pour fou. o n Capitale du BĂŹsnagar. o Les esprits justes pouvoient regarder l’usage oĂč l’on ĂĄtoit autrefois de dĂ©cider de la justice ou de l’injustice d’une cause , par la voie des armes , comme un usage trĂšs - bien Ă©tabli. 11 leur paroissoit la consĂ©quence juste de ces deux propositions Rien n arrive que par Vordre de Dieu , & Dieu ne peut pas permettre ü’injuflĂŹce. ,, S’il s’élevoit une dis- ,, pute sur la propriĂ©tĂ© d’un fonds, fur TĂ©tĂąt d’une „ personne; si le droit n’étoit pas bien clair de part ,, & d’autre , on prenoit des champions pour i’é- ,, claircir. L’empereur O thon vers Tan 968 , ayant 5, consultĂ© les Docteurs pour savoir si eníí’gne directe la reprĂ©sentation devoir avoir lieu ; comme ils ,, Ă©toient de diffĂ©rents avis, on nomma deux braves ,, pour dĂ©cider ce point de dioit Tavantage Ă©tant ,, demeurĂ© Ă  celui qui soutenoit la reprĂ©sentation , ,, Tempereur ordonna qu’elle eĂ»t lieu Ă  Tavenir. ,, MĂ©moires de l’AcadĂ©mie des inscriptions & belles - lettres , tom. X V. Je pourrois citer encore ici d’aprĂšs les mĂ©moires de TAcadĂ©mie des inscriptions , beaucoup d’autres exemples des diffĂ©rentes Ă©preuves , nommĂ©es, dans ces temps d’ignorance , Jugement de Dieu . Je me borne donc Ă  l’épreuve par Teau froide qui se pra- ,, tiquoic ainsi AprĂšs quelques oraisons prononcĂ©es ,, fur le patient, on lui lioit la main droite avec le ,, pied gauche , & la main gauche avec le pied droit, Sf dans cet Ă©tat on le jettoit- Ă  Teau ; „ s'il surnageait, on le traitoit en criminel; s’il Discours IV. ziz Si de pareils hommes font gĂ©nĂ©ralement -regardĂ©s comme fous , ce n’est pas uniquement par ce qu’ils appuient leur raison- -nement fur des principes faux , mais fur des principes rĂ©putĂ©s tels. En effet , le thĂ©ologien Chinois , qui prouve les neuf incarnations de ’Wisthnou , Sc le musulman qui, á’aprĂšs l’alcoran , soutient que la terre est portĂ©e sur les cornes d’un ‱taureau , fe fondent certainement fur des principes aussi ridicules que ceux de mon Indien ; cependant l’un & l’autre seront , chacun en leur pays , citĂ©s comme des gens sensĂ©s. Pourquoi le feront-ils ? C’est qu’ils soutiennent des opinions qui font gĂ©nĂ©ralement reçues. En fait de vĂ©ritĂ©s religieuses , la raison est sans force contre deux grands missionnaires , l’Exemple Sc la Crainte. D’ailleurs , en tout pays , les prĂ©jugĂ©s des grands font la loi des petits. Ce Chinois & ce musulman passeront donc ,, enfonçoit , il Ă©toit dĂ©clarĂ© innocent. Sur ce pied- ,, lĂ  j il devoit se trouver peu de coupables , parce „ qu’un homme ne pouvant faire aucun mouve- „ ment, & son volume Ă©tant supĂ©rieur Ă  un Ă©gal ,, volume d'eau , il doit nĂ©cessairement enfon- „ cer. On n’ignoroit pas fans doute un principe de ,, statique aussi simple ^ d’une expĂ©rience si com— >t mune ; mais la simplicitĂ© de ces temps-!Ă  atten- „ doit toujours un miracle , qu’ils ne croyoienĂź ,, pas que le ciel pĂ»t leur refuser pour leur faire „ connoĂźtre la vĂ©ritĂ©, IbĂŹd. Tome IL ' O f 14 D L l’Espsi t. pour sages , uniquement parce qu’ils font sous de. la fo'ĂŹe commune. que je dis de la folie, je l’applique Ă  la bĂȘtise celui - lĂš seul est citĂ© comme bĂȘte qui n’est pas bĂȘte ,de la bĂȘtise commune. Certains villageois, dit-on, bĂątissent un pont ils y gravent cette inscription Le PRES en t PO n t est fait ici j d’autres veulent retirer un homme d’un puits dans lequel il Ă©toit tombĂ© , ils lui passent au cou un nƓud coulant , & le retirent Ă©tranglĂ©. Si les bĂȘtises de cette çspece doivent toujours exciter le tire , comment, dira-t-on, Ă©couter sĂ©rieusement les dogmes des bonzes , des brachmanes de des talapoins ? dogmes austĂŹ absurdes que rinscription du pont. Comment peut- on , sans rire , voir les rois , les peuples, les ministres , 6c mĂȘme les grands hommes , se prosterner quelquefois aux pieds idoles , & montrer , pour des fables ridicules, la vĂ©nĂ©ration la plus profonde ? Comment , en parcourant les voyages , n est - on pas Ă©tonnĂ© d’y voir l’existence des sorciers & des magiciens austi gĂ©nĂ©ralement reconnue que ^existence de Dieu , & passer , chez la plupart des nations , pour aussi dĂ©montrĂ©e ? Par quelle raison enĂ­m des absurditĂ©s diffĂ©rentes , mais Ă©galement ridicules, ne feroient-elles pas fur flous la mĂȘme impression } C est qu'on se Discours IV. 315 moque volontiers t^’une bĂȘtise dont on se croit exempt; c’est que personne ne rĂ©pĂ©tĂ© , d’aprĂšs le villageois , U prĂ©jent pont eji fait ici ; & qu’il n’en est pas Ă inst lorf- qu’il s’agit d’une pieuse absurditĂ©. PeriĂČn- ne ne se croyant tout - Ă  - fait Ă  l’abri de l’ignorance qui la produit , 011 craint de rire de soi sous le nom d'autrui. Ce n’est donc point , en gĂ©nĂ©ral, Ă  l’absurditĂ© d’un raisonnement , mais Ă  l'absurditĂ© d’une certaine espeqe de raisonnement , qu’on donne le nom de bĂȘtise. On ne peut donc entendre par ce mot qu’une ignorance peu commune. Aussi Ă©tonne-t-on quelquefois le nom de bĂȘte Ă  ceux mĂȘme aufquels on accorde un grand gĂ©nie. La science des choses communes est la science des genĂĄpĂ­bĂ©diocres ; & quelquefois l’homme de gĂ©nie est, Ă  cet Ă©gard, d’une ignorance grossiĂšre. Ardent Ă  s’élan- cer jusqu’aux premiers principes de l’art ou de la science qu’il cultive , & content d’y saisir quelques - unes de ces vĂ©ritĂ©s neuves, premiĂšres & gĂ©nĂ©rales, d’oĂč dĂ©coulent une infinitĂ© de vĂ©ritĂ©s secondaires , il nĂ©glige toute autre espece de connoissimce. Sort-il du sentier lumineux que lui trace le gĂ©nie ? il tombe dans mille erreurs ; & Newton commente ü’ Apocalypse. Le gĂ©nie Ă©claire quelques - uns des oi; zl6 De l’Êspri t. arpents de cette nuit immense qui environne les esprits mĂ©diocres ; mais il n’é- claire pas tout. Je compare l’homme de gĂ©nie Ă  lĂ  colomne qui marchoit devant les HĂ©breux , & qui tantĂŽt Ă©toit obscure , & tantĂŽt lumineuse. Le grand homme, toujours supĂ©rieur en un genre , manque nĂ©cessairement d’esprit en beaucoup d’au- tres ; Ă  moins qu’on n’entende ici par esprit l’aptitude Ă  s’instruire , que , peut- ĂȘtre , on paut regarder comme une con- noissance commencĂ©e. Le grand homme, par l’habitude de Inapplication, la mĂ©thode d’étudier & la distinction qu’il est Ă  portĂ©e de faire entre une demi-connoiss Lance &c une connoissance entiere , a certainement , Ă  cet Ă©gard , un grand avantage fur le commim des hommes. Ces derniers n’ayant point contracte l’habi- tude de la mĂ©ditation , & n’ayant rien su profondĂ©ment, se croient toujours assez instruits lorsqu’ils ont une connoissance superficielle des choses. L’ignorance & la sottise se persuadent aisĂ©ment qu’elles savent tout l’une & Tautre sont toujours orgueilleuses. Le grand homme seul peut ĂȘtre modeste. Si je rĂ©trĂ©cis l’empire du gĂ©nie , & montre les bornes dans lesquelles la nature le force Ă  se renfermer, c’est pour - taire plus sentir que l’esprit Discours IV. 317 juste, dĂ©jĂ  fort infĂ©rieur au gĂ©nie, ne peut, comme on l’imagine , porter des jugements toujours vrais fur les divers objets du raisonnement. Un tel esprit est impossible. Le propre de l'esprit juste est de tirer des consĂ©quences exactes des opinions reçues Or ces opinions font faufles- pour la plupart, & l’efprit juste ne remonte jamais jufqu’à l’examen de ces opinions l’efprit juste n’est donc, le plus souvent, que l’art de raisonner mĂ©thodiquement faux. Peut-ĂȘtre cette sorte d’esprit suffit pour faire un bon juge ; mais jamais elle ne fait un grand homme. Quiconque en est douĂ© n’excelle ordinairement en aucun, genre & ne se rend re- commandable par aucun talent. II obtient, difa-t-on, souvent l’estime des gens mĂ©diocres. J’en conviens mais leur estime, en lui faisant concevoir une trop haute idĂ©e de lui-mĂȘme, devient pour lui une source d’erreurs ; erreurs auxquelles il est impossible de l’arracher. Car enfin, si le miroir, de tous les conseillers le conseiller le plus poli &c le plus discret, n’ap- prend Ă  personne Ă  quel point ii est difforme , qui pourroit dĂ©sabuser un homme de la trop haute opinion qu’il a conçue de lui-mĂȘme , surtout lorsque cette opinion est appuyĂ©e de l’estime de la plupart de ceux qui F environnent ? C’est ĂȘtre encore 318 De i’Esprit. assez modeste que dcne s’estimer que d’a- prĂšs l’éloge d’autrui. De-lĂ  cependant cette confiance de FesprĂŹt juste en ses propres lumiĂšres, & ce mĂ©pris pour les- grands hommes, qu’il regarde souvent comme des visionnaires, comme des esprits systĂ©matiques & dc mauvaises tĂȘtes a. O esprits justes ! leur diroit-on, lorsque vous traitez de mauvaises tĂȘtes ces grands hommes , qui du moins font si supĂ©rieurs dans le genre oĂč le public les admire ; quelle opinion pensez-vous que le public puisse avoir de vous , dont l’efprit ne s’étend pas au-delĂ  de quelques petites consĂ©quences tirĂ©es d’un principe vrai ou faux, & dont la dĂ©couverte est peu importante ? Toujours en extase devant votre petit mĂ©rite , vous n’ĂȘtes pas-, direz-vous, sujets aux erreurs des hommes cĂ©lĂ©brĂ©s. Oui, fans doute;parce qu’il faut ou courir ou du moins marcher pour tomber. Lorsque vous vantez entre vous la justesse de votre esprit, il mĂ© semble entendre des culs- de-jatte se glorifier de ne point faire de faux pas. Votre conduite, ajouterez-vous,. est souvent plus sage que celle des hommes; a Dire d’un homme qu’il a une mauvaise tĂȘte,, c’eft le plus souvent dire , sans le savoir , qu’il a glus, d’eĂ­prit que nous DĂ­scĂŽĂșrs IV. 3 Ă­ de gĂ©nie. Oui', parce que vous n’avez pas' ĂȘn vous ce principe de vie & de paillons qui produit Ă©galement les grands vices",? Ăźes grandes vertus St les grands talents.' Mais, en ĂȘtes-vousplus recommandables* Qu’imporfe au public la bonne ou mauvaise conduite d’un particulier ? Un homme de gĂ©nie ? eĂ»t-il des vices , est encore' plus estimable que vdVis. En effet, on sert fa patrie, ou par l’innoccncc de ses mƓurs St les exemples de vertus qu’on y donne,, ou par les lumiĂšres qu’on y rĂ©pand. De ces deux maniĂ©rĂ©s de servir sa patrie, la derniete , qui, sans contredit, appartient plus directement au gĂ©nie, est , en mĂȘme 1 temps , celle qui procure le plus d’avan- tages au public. Les exemples de vertu que donne un particulier ne font guere utiles qu’au petit nombre de ceux qui composent sa sociĂ©tĂ© au contraire , les lumiĂšres nouvelles, que ce mĂȘme' particulier rĂ©pandra fur les arts Sc les sciences , font des bienfaits pourl’univers. ÍI est donc' certain que l’homme de gĂ©nie, fĂ»t-ild’une pYobitĂ© peu exacte, aura toujours plus de droits qĂ­ie vous Ă  la reconnoissĂĄnce pu-' blique. Les dĂ©clamations des esprits justes con-' fre les gens de gĂ©nie doivent, fans doute, Ă©n imposer quelque temps Ă  la multitude ; rien de plus facile Ă  tromper. Si l’Efpa- O iiij. z 26 De t’ E s p r i t. gnol, Ă  Taspect des lunettes que portent' toujours fur le nez quelques-uns de ses docteurs , fe persuade que ces docteurs ont perdu leurs yeux Ă  la lecture , &C qu’ils font trĂšs-favants ; fi l’on prend tous les jours la vivacitĂ© du geste pour celle de l’efprit, & la taciturniĂ­Ă© pour profondeur; il faut bien qu'on prenne austi la gravitĂ© ordinaire aux esprits justes pour un effet de leur sagesse. Mais le prestige se dĂ©truit, & l’on se rappelle bientĂŽt que la gravitĂ© , comme le dit mademoiselle de Scudery , n’est qu’un secret du corps pour cacher les dĂ©fauts de l'esprit />. II n’y a donc proprement que ces esprits justes qui soient long-temps dupes de la gravitĂ© qu’ils affectent. Au reste , qu’ils se croient sages , parce qu’ils font sĂ©rieux ; qu’ins- pirĂ©s par l’orgueil & l’envie, lorsqu’ils dĂ©crient le gĂ©nie , ils croient l’ĂȘtre par la justice; personne, Ă  cet Ă©gard, n’échape Ă  l’erreur. Ces mĂ©prises de sentiment sont en tous genres fi gĂ©nĂ©rales ĂŽc fi frĂ©quentes, que je crois rĂ©pondre au dĂ©sir de mon lecteur, en consacrant Ă  cet examen quelques pages de cet ouvrage. t L’ñne, dit , Ă  ce sujet, Montaigne, est le plus sĂ©rieux des animaux. Discours IV. 3 2,1 CHAPITRE IX. MĂ©prise de smtĂŹrritnt. emblable au trait de la lumiĂšre, qui O se compose d’un faisceau de rayons, tout sentiment se compose d’une infinitĂ© de sentiments, qui concourent Ă  produire telle volontĂ© dans notre ame & telle action dans notre corps. Peu d’hommes ont le prisme propre Ă  dĂ©composer ce faisceau de sentiments en cons Ă©quence, l’on se croit souvent animĂ© ou d’un sentiment unique, ou de sentiments diffĂ©rents de ceux qui nous meuvent. VoilĂ  la cause de tant de mĂ©prises de sentiment, 6c pourquoi nous ignorons presque toujours les vrais motifs de nos actions. Pour faire mieux sentir combien il eĂ­l difficile d’échapper Ă  ces mĂ©prises dĂ© sentiment, je dois prĂ©senter quelques-unes des. erreurs oĂč nous jette la profonde ignorance de nous-mĂȘmes. O „ De i’EsprĂŻt* Z CHAPITRE. X. Combien l'on, ejl. sujet Ă  se mĂ©prendre su?" les motifs qui nous dĂ©terminent., U N E mere idolĂątre, son fils. Je l’aime, 1 , dira-t-ell,e , pour. lui-mĂȘme. Cependant , rĂ©pondra-Ă­-on , vous. ne prenez aucun foin de son Ă©ducation , & vous ns doutez pas qu’une bonne Ă©ducation ne puisse infiniment contribuer Ă  son bonheur; pourquoi donc , fur ce sujet, ne consultez-vous. point les gens d’efprit , & ne lifez-vous aucuns des ouvrages faits fur cette matiĂšre ? C’eĂ­t , rĂ©pliquera-Ă­-elle , parce qu’en ce genre , je crois en savoir autant que les, auteurs & leurs ouvrages. . Mais, d’oĂŹi naĂźt cette confiance en vos ; lumiĂšres? Ne feroit-ellepas l’esset de votre indiffĂ©rence ?. Un dĂ©sir vif nous inspire toujours une salutaire mĂ©fiance de nousrmĂȘmes, A-t-on un procĂšs considĂ©rable ? on voit des procureurs des avocats ; on en consulte un grand nombre ,, on lit fes factums. Est-on attaquĂ© de ces ; maladies de langueur qui fans cessĂ© nous environnent de? ombres &. des horreurs de la mort? on voit des mĂ©decins-, on Recueille leurs avis, on lit des. livres .de Discours IV. z r. z mĂ©decine, on devient soi-mĂȘme un peu mĂ©decin. T elle est la conduite de FintĂ©rĂȘt vif. Lorsqu’il s’agit de l’éducation des enfants , st vous n’ĂȘtes point susceptible du mĂȘme intĂ©rĂȘt , c’est que vous ne les aimez point pour eux-mĂȘmes. Mais, ajoutera cette mere , quels feroient les motifs de ma tendresse ? Parmi les peres Sc les mcres, rĂ©pondrai-je , les uns font affectĂ©s du Ă­dnimcnt de la postĂ©romanĂŹe ; dans leurs enfants , ils n’aiment proprement que leur nom les autres font jaloux de commander ; Sc , dans leurs enfants , ils n’aiment que leurs esclaves. L’animal le sĂ©pare de ses petits-, lorsque leur foiblesse' ne les tient plus dans fa dĂ©pendance ; SC Famour paternel s’éteint dans presque tous les cƓurs , lorsque les enfants ont, par leur Ăąge ou leur Ă©tat, atteint PindĂ©pen- dance. Alors, dit le poĂ«te Saadi, le pere - ne volt en eux que des hĂ©ritiers avides Ă­ Sc c’est la cause, ajoute ce mĂȘme poĂ«te ,, de Famour extrĂȘme de l’aieul pour ses pe- tĂŹts-fils ; il les regarde comme les ennemis de ses II est enfin des peres Sc des meres qui ^ dans leurs- enfants, n’apperçoivent qu’un joujou Sc qu’une occupation. La perte de ce joujou leur ferait insupportable mais- leur affliction prouveroit-elle qu’ils aiment un enfant pour lui-mĂȘme ? Tout le monde- 1 O yj, z 2,4 De l’ E s p r i t, sait ce trait de la vie de M. de Lauzun il Ă©toit Ă  la bastille ; lĂ  , sans livres, fans occupation, en proie Ă  Pennui & Ă  l’hor- reur de la prison, il s’avise d’apprivoiser une araignĂ©e, C’étoit la seule consolation qui lui restĂąt dans son malheur. Le gouverneur de la bastille, par une inhumanitĂ© commune aux hommes accoutumĂ©s Ă  voir des malheureux c, Ă©crase cette araignĂ©e. Le prisonnier en restent un chagrin cuisant ; il n’est point de mere que la mort de son fils affecte d’une douleur plus violente. Or, d’oĂč vient cette conformitĂ© de sentiments pour des. objets fi diffĂ©rents? C’est que , dans la perte d’un enfant, comme dans la perte d’une araignĂ©e , l’on n’a souvent Ă  pleurer que Pennui & le dĂ©sƓuvrement oĂč l’on tombe. Si les meres paroiffent en gĂ©nĂ©ral plus sensibles Ă  la mort d’un enfant que ne le seroit un pere, distrait par les affaires, ou livrĂ© aux foins de l’ambition , ce n’est pas que cette mere c L’habitude c!e voir des malheureux rend les hommes cruels & mĂ©chants. En vain, disent-ils, que cruels Ă  regret, c’est le devoir qui leur impose la nĂ©ceflitĂ© d’ĂȘtre durs. Tout homme qui , pour l’in- tĂ©rĂȘt de la justice , peut, comme le bourreau , tuer de Ă­ĂĄng froid son semblable , le maffacreroit certainement pour son intĂ©rĂȘt personnel, s’il ne crai- gnçßi la potençe, Discours IV. zrs aime plus tendrement son fils , mais c’est qu’elle fait une perte plus difficile Ă  remplacer. Les mĂ©prises de sentiment sont, en ce genre , trĂšs-frĂ©quentes. On chĂ©rit rarement un enfant pour lui-mĂȘme. Cet amour paternel d , dont tant de gens font parade & dont ils fe croient vivement affectĂ©s , n’est le plus souvent en eux qu’un effet ou du sentiment de la postĂ©romanie d Ce que je dis del’àmour paternel'peut suppliques Ă  cet amour mĂ©taphysique , tant vantĂ© dans nos anciens romans. L’on est , en ce genre , sujet Ă  bien -des mĂ©prises de sentiment. Lorsqu’cn s’i— magine, par exemple, n’en vouloir qu'a Lame d'une femme , ce n’est certainement qu’à Ion corps qu’on en veut ; & c’est , Ă  cet Ă©gard , pour satisfaire & ses besoins & surtout sa curiositĂ© qu’on est capable de tout. La preuve de cette vĂ©ritĂ© , c est le peu de sensibilitĂ© que la plupart des spectateurs marquent au thĂ©Ăątre pour la tendresse de deux Ă©poux , lorsque ces mĂȘmes spectateurs font si vivement Ă©mus de l’amour d’un jeune homme pour une jeune fille. Qui produiroit en eux cette diffĂ©rence de sentiment, si ce ne sont les sentiments diffĂ©rents qu’ils ont eux mĂȘmes Ă©prouvĂ©s dans ces deux situations ? La plupart d’entre eux ont senti que, si l’on fait tout pour les faveurs dĂ©sirĂ©es, l’on fait peu pour les faveurs obtenues; qu’en fait d’amour, la curiositĂ© une fois satisfaite , l’on se console aisĂ©ment de la perte dune infidelĂ­e , 8c qu’alors le malheur d’un amant est trĂšs suportable. D’oĂč je conclus que l’amour ne peut jamais ĂȘtre qu’un dĂ©sir dĂ©guisĂ© dc la jouissance j 31 6 De l’Esprit. ©ii de l’orgueil de commander, ou d’une - crainte de l’cnnui & du dĂ©sƓuvrement. Une pareille mĂ©prise de sentiment persuade aux dĂ©vots fanatiques que c’est Ă  leur zĂ©lĂ© pour la religion qu’ils doivent la haine qu’ils ont pour les Philosophes,& les persĂ©cutionsqu’ilsexcitent contr’eux. vĂ­ais, leur dit-on, oul’opinion qui vous rĂ©volte dansl’ouvrage d’un philosophe est fausse,ou elle est vraie. Dans le premier cas, vou$> pouvez , animĂ©s de cette vertu douce que suppose la religion , lui en prouver philosophiquement la faussetĂ© ; vous le devez mĂȘme chrĂ©tiennement. Nous n exigeons point , dit S. Paul , une obĂ©issance aveugle p nous enseignons , nous prouvons , nous persuadons. Dans le second cas, c’est-Ă -dire, st l’opinion de ce philosophe est vraie , elle n’est point alors contraire Ă  la religion le croire , seroit un blasphĂšme. Deux vĂ©ritĂ©s ue peuvent ĂȘtre contradictoires & la- vĂ©ritĂ© , dit M. l’abbĂ© de Fleury, ne peut jamais nuire Ă  lĂ  vĂ©ritĂ©s Mais cette, opinion, dira le dĂ©vot fanatique , ne paroĂźt pas se concilier avec les principes de la religion; Vous pensez donc, frii rĂ©plĂŹquera-t-on, que tout ce qui rĂ©siste aux efforts de votre esprit , & ce que vous ne pouvez concilier avec les dogmes de votre religion , est rĂ©ellement inconciliable avec ces mĂȘmes dogmes. ? Net D I S C O TIR S IV. J 1 7 fkvez-vous pas que GalilĂ©e c indignement traĂźnĂ© dans les prisons de rĂ©quisition , pour avoir soutenu que le soleil c Ees persĂ©cuteurs de GalilĂ©e se crurent, sans- doute , animĂ©s du zele de la religion , & furent la dupe de cette croyance. J’avouerai cependant que* s’ils s’étoient scrupuleusement examinĂ©s, & qu’ils se fussent demandĂ© pourquoi l’église se rĂ©servoir le droit de punir par l’aĂ­sreux du feu les erreurs; d’un homme , lorsque , faisant trouver au crime un asyle inviolable prĂšs des autels,, elle se dĂ©clarent , pour ainsi dire, la protectrice des assassins s’ils. se fussent encore demandĂ© pourquoi cette mĂȘme Ă©glise , par sa tolĂ©rance ,. sembloit favoriser les forfaits de ces peres qui mutilent fans pitiĂ© l’enfant que , dans les temples , les concerts & fur le thĂ©Ăątre , ils dĂ©vouent au plaisir de quelques oreilles, dĂ©licates ? ĂČc qu’enfin ilr eussent apperçu que les ecclĂ©siastiques encouragement eux-mĂȘmes les peres dĂ©naturĂ©s Ă  ce crime , en permettant que ces victimes infortunĂ©es fussent reçues & chĂšrement gagĂ©es dans les Eglises alors ils seroient nĂ©cessairement convenus que lĂ© zele de la religion rfĂ©toit pas Punique sentiment qui les animoit. Ils auroient senti, qu’ils ne f’aisoient du temple le rĂ©fuge du crime,, que pour conserver pat ce moyen un plus grand crĂ©dit fur une infinitĂ© d’hommet , qui reĂ­pecteroienr dans les moines les seuls protecteurs qui pussent les soustraire Ă  lĂ  rigueur des loix ; qu’ils ne punisse» en t , dans GalilĂ©e , la dĂ©couverte d’un nouveau systĂšme , que pour se venger de l’injure Involontaire que leur faisoit un grand homme., qui, peut- ĂȘtre, en Ă©clairant ThumanitĂ©, en paraissant plus instruit que les ecclĂ©siastiques , pouvoit diminuer leur crĂ©dit fur lĂ© peuple. 11 est vrai que , mĂȘme' dans l’Italie., l’on ne se rappelle qu’avec horreur leu De l’Espri t. Ă©toit immobile au centre du monde , que son systĂšme scandalisa d’abord les imbĂ©- cilles , & leur parut Ă  ce texte de rĂ©criture , ArrĂȘte-toi , soleil ? Cependant d’habiles thĂ©ologiens ont depuis accordĂ© les principes de GalilĂ©e avec ceux de la religion. Qui vous assure ju’un thĂ©ologien , plus heureux ou plus Ă©clairĂ© que vous , ne levera pas la contradiction que vous croyez appercevoir entre votre religion &c Fopinion que vous condamnez ? Qui vous force , par une censure prĂ©cipitĂ©e , d’exposer , st ce n’est la religion , du moins ses ministres , Ă  la haine qu’excite la persĂ©cution? Pourquoi" traitement que l’ínquisitĂŹon fit Ă  ce philosophe. Je citerai, pour preuve de cette vĂ©ritĂ© , un morceau d’un poĂšme du prĂȘtre Benedetto Menzini. Ce poĂšme , imprimĂ© & vendu publiquement Ă  Florence , est rapporte dans le Journal-Ă©tranger. Le poĂšte s’addreffe aux inquisiteurs qui condamnĂšrent GalilĂ©e ,, Quel Ă©toit, leur dit-il , votre aveuglement , lorf- „ que vous traĂźnĂątes indignement ce grand homme 3 , dans vos cachots ? Est-ce lĂ  cet esprit pacifique 3, que vous recommande le saint apĂŽtre qui mourut ,, en exil Ă  Patmos ? Non vous futĂ©s toujours sourds 33 Ă  ses prĂ©ceptes. PersĂ©cutons les savants telle est 33 votre maxime. Orgueilleux humains , fous un ,, extĂ©rieur qui ne respire que l’humilitĂ© , vous qui ,, parlez d un ton si doux , & qui trempez vos ,, mains dans Je sang , quel dĂ©mon funeste yqus ĂŹ > introduisit parmi nous ? , 4 Discours IV. 319s toujours empruntant le secours de la force 8c de la terreur ; vouloir imposer silence aux gens de gĂ©nie , 8c priver l’humanitĂ© des lumiĂšres utiles qu’ils peuvent lui procurer ? Vous obĂ©issez, dites-vous , Ă  la religion, Mais elle vous ordonne la mĂ©fiance de vous-mĂȘmes 8c ? amour du prochain. Si vous n’agiffez pas confiManĂ©ment Ă  ces principes , ce n’est donc*pas l’esprit de Dieu qui vous anime d . Mais , direz- vous , quellĂšs font donc les divinitĂ©s qui m’inspirent ? La paresse 8c l’orgueil. G’est la paresse , ennemie de toute contention d’esprit, qui vous rĂ©volte contre des opinions que vous ne pouvez , sans. Ă©tude 8c sans- quelque fatigue d’attention , lier aux principes reçus dans les Ă©coles ; mais qui , philosophiquement dĂ©montrĂ©es , ne peuvent ĂȘtre thĂ©ologiquement- sauffes. C’est l’orgueil , ordinairement plus exaltĂ© dans le bigot que dans tout autre {d Si le mĂȘme dĂ©vot fanatique , doux Ă  !a Chine & cruel Ă  Lisbonne, prĂȘche dans les divers pays la tolĂ©rance ou la persĂ©cution, selon qu’il y est plus ou moins puissant ; comment concilier des conduites austĂŹ contradictoires avec l’esprit de l’évangile ; & ne pas sentir que , sous le nom de la religion , c "est l’orgueil de commander qui les inspire ? 33° DĂ© í’Es'p ri t. homme , qui lui fait dĂ©tester dans I’hom- ; me de gĂ©nie le bienfaiteur de l’hunlanitĂ© , & quĂź le soulevĂ© contre des vĂ©ritĂ©s dont la dĂ©couverte C’est donc cette mĂȘme paresse & ce mĂȘme orgueil qui, fe dĂ©guisant e Ă  ses yeux fous l’apparence du zele f , en fortt le persĂ©cuteur des hommes Ă©clairĂ©s ; & qui , f Italie, l^pagne&le Portugal, ont forgĂ© les chaĂźnes, bĂąti les cachots ĂŽt dressĂ© les bĂ»chers de rinquisition. consĂ©quent aux principes de fa religion , ne mĂ©prisĂšrent pas l’existence fugitive des plaisirs d’ici bas ; &, tout entier au foin de son salut, ne chereheroit pas , dans une vie plus austere , le moyen d’accroĂźtre la fĂ©licitĂ© promise Ă  Ă­a saintetĂ© ? Quel homme ne chdisiroit pas , en ConsĂ©quence , l’état le plus parfait, celui dans lequel son salut seroit le moins exposĂ© ; ne prĂ©fĂ©rĂšrent pas la palmĂ© de la virginitĂ© aux myrthes de famour , & n’iroit pas enfin s’enĂ­ĂȘvelir 'Discours IV. 357 Ă©lans un monastĂšre g ? C’est donc Ă  l’in- confĂ©quence que la postĂ©ritĂ© devra son existence. C’est la prĂ©sence du plaisir, sa vue toute puissante, qui brave les malheurs Ă©loignĂ©s, anĂ©antit la prĂ©voyance. C’est donc Ă  imprudence &c Ă  la folie que le ciel attache la conservation des empires & la durĂ©e du monde. 11 paroĂźt donc qu’au moins dans la constitution actuelle de la plupart des gouvernements, la prudence n’est dĂ©sirable .que dans un trĂšs-petit nombre de citoyens; que la raison , synonyme du mot de bon sens &c ventĂ©e par tant de gens, ne mĂ©rite que peu d’estime ; que la sagesse qvfonjui suppose tient Ă  son inaction ; & que son infaillibilitĂ© apparente ri’est le plus-souvent qu’une apathie. J’a- vouerai cependant cpe le titre d’homme de bon sens, usurpe par une infinitĂ© de gens, ne leur appartient certainement pas. Si l’on dit de presque tousses sots qu’ils font gens de bon sens , il en est, Ă  cet Ă©gard , des sots comme des filles laides , mais, 376 De l’ Esprit. encore d’une infinitĂ© d’autrĂ«s passions ceux-lĂ  peuvent se faire un nom dans les divers genres oĂč , pour rĂ©uĂ­ĂŻĂŻr , il faut Ă©mouvoir. Tel est , par exemple , le genre dramatique. Mais, pour ĂȘtre'peintre des passions , il faut, comme je Fai dĂ©jĂ  dit, les avoir vivement senties On ignore &c le langage des paillons qu’on n’a point Ă©prouvĂ©es & les sentiments qu’elles excitent en nous. AuĂ­Ă­i Fignorance , en ce genre , produit toujours la mĂ©diocritĂ©. Si M. de Fontenelle eĂ»t eu Ă  peindre les caractĂšres de Rhadamiste , de Brutus ou de Catilina, ce grand homme seroit certainement , en ce genre , restĂ© fort au-deĂ­sous du mĂ©diocre. Ces principes Ă©tablis , j'en conclus que la passion de la gloire est commune Ă  tous les hommes qui se distinguent en quelque genre que ce soit ; puisqu’elle seule, comme je. Fai prouvĂ©, peut nous faire supporter la fatigue de penser. Mais cette passion, selon les circonstances oĂč la fortune nous place, peut s’unir en nous Ă  d’autres passions. Les hommes , dans lesquels cette union se fait, n’auront jamais de grands succĂšs , s’ils s’adonnent Ă  l'Ă©tude d’une science telle , par exemple, que la morale , oĂč , pour bien voir , il faut voir d’un Ɠil attentif, mais indiffĂ©rent en ce genre, c’est l’indiffĂ©rence qui Discours IV. * 377 tient en main la balance de la justice. Dans les contestations , ce ne font point les parties , c’est l’indiffĂ©rent qu’on prend pour juge. Quel homme , par exemple , s’il est capable d’un amour violent, saura, comme M. de Fontenelle , apprĂ©cier le crime de l’infidĂ©litĂ© ? Dans un Ăąge , disoit ce philosophe oĂčfĂ©tois le plus amoureux , ma maĂźtresse me quitte & prend un autre amant. Je L’apprends , je fuis furieux je vais cĂ e^ elle , je /’accable de reproches ; elle mĂ©coute, & me dit en riant Fontenelle, » lorsque je vous pris , c’étoit fans con- » tredit le plaisir que je cherchois ; j’en » trouve plus avec un autre. EĂ­t-ce au » moindre plaisir que je dois donner la » prĂ©fĂ©rence ? Soyez juste, & rĂ©pondez- » moi. » Ma foi, dit Fontenelle, vous ave^ raison ; & , fi je ne Juis plus votre amant , je veux du moins rejler votre ami. Une pareille rĂ©ponse supposoit peu d’a- mour dans M. de Fontenelle. Les passions ne raisonnent point si juste. On peut donc distinguer deux genres diffĂ©rents de sciences Sc d’arts, dont le premier suppose une ante exempte de toute autre passion que celle de la gloire, & le second, au contraire , suppose une ame susceptible d’une infinitĂ© de pallions. II est donc des talents exclusifs. L’igno- rance de cette vĂ©ritĂ© est la source de mille 37* . ' D Ê ^' Esprit. injustices. On dĂ©sirĂ© en consĂ©quence, dans les hommes , des qualitĂ©s contradictoires ; on leur demande í’impoisible on veut que la pierre jettĂ©e reste suspendue dans les airs , &c n’obĂ©iffe point Ă  la loi de la gravitation. Qu’un homme , par exemple, tel que M. de Fontenelle, contemple fans aigreur la mĂ©chancetĂ© des hommes , qu’il la considĂ©rĂ© comme un effet nĂ©cessaire de l’en- chaĂźnement universel ; qu’il s’éleve contre le crime fans haĂŻr le criminel'; on vantera Ă­a modĂ©ration & , dans le mĂȘme instant, on l’accusera , par exemple , de trop de tiĂ©deur dans l’amitiĂ©. On ne sent pas que cette mĂȘme absence de passions, Ă  laquelle il doit la modĂ©ration dont on le loue, doit le rendre moins sensible aux charmes de l’amitiĂ©' Rien de plus commun que d’exiger, dans les hommes , des qualitĂ©s contradictoires. L’amour aveugle du bonheur excite en nous ce dĂ©sir on veut ĂȘtre toujours heureux , & par consĂ©quent, que les mĂȘmes objets prennent Ă  chaque instant la forme qui nous seroit la plus agrĂ©able. On a vu diverses perfections Ă©parses dans. diffĂ©rents - objets ; on veut les retrouver rĂ©unis dans un seul, & goĂ»ter Ă  la fois mille plaisirs. Pour cet effet, on veut que le mĂȘme fruit ait l’éclat du diamant, l’odeur de la rose , Discours IV. 379 ßå saveur de la pĂȘche , & la fraĂźcheur de la grenade. C’est donc l’amour aveugle du bonheur , sĂŽurce d’une infinitĂ© de souhaits ridicules , qui nous fait desirer dans les hommes des qualitĂ©s absolument inallia- blĂ©s. Pour dĂ©truire en nous ce germe de mille injustices, il faut nĂ©cessairement traiter ce sujet avec quelqu*Ă©tendue. C’est en indiquant, conformĂ©nĂŹant Ă  l’objet que je me propose , 6c les qualitĂ©s absolument exclusives , 6c celles qui fe trouvent trop rarement rĂ©unies dans le mĂȘme homme pour que l’on soit en droit de les y desirer* qu’on peut rendre Ă  la fois les hommes- plus Ă©clairĂ©s 6c plus indulgents. Un pere veut qu’à de grands talents son 1 fils joigne la conduite, la plus sage. Mais fentez-vous , lui dirai-je, que vous dĂ©sirez dans votre fils des qualitĂ©s presque' contradictoires? Sachez que , si quelque concours singulier de circonstances les a quelquefois rassemblĂ©es dans le mĂȘme homme, elles s’y rĂ©unissent trĂšs-rarement ; que les grands talents supposent toujours de grandes passions que les grandes passions font le germe de mille Ă©carts; 6c qu’au contraire ce qu’on appelle banni conduite est presque toujours l’eflĂšt de l’abfence des passions , 6c par consĂ©quent l’appanage de la mĂ©diocritĂ©. 11 faut de grandes passions pour faite du grand en z8o De l’Esprit. quelque genre que ce soit. Pourquoi voit- on tant de pays stĂ©riles en grands hommes ? Pourquoi tant de petits Catons, si merveilleux dans leur premiere jeunesse, ne sont-ils communĂ©ment, dans un Ăąge avancĂ©, que des esprits mĂ©diocres ? Par quelle raison enfin tout est-il plein de jolis enfants 8c de sots hommes ? C’est que , dans la plupartjjples gouvernements , les citoyens ne font pas Ă©chauffĂ©s de passions fortes. Eh bien ! je consens , dira le pere, que mon fils en soit animĂ© il me suffit d’en pouvoir diriger l’activitĂ© vers certains objets d’étude. Mais, sentez-vous , lui rĂ©pondrai-] e , combien ce dĂ©sir est hasardeux ? C’est vouloir qu’avec de bons yeux un homme n’apperçoive prĂ©cisĂ©ment que les objets que vous lui indiquerez. Avant que de former aucun plan d’éduca- tion, il faut ĂȘtre d’accord avec vous- mĂȘme, 8c savoir ce que vous dĂ©sirez le plus dans votre fils , ou de grands talents , ou de la conduite sage. Est-ce Ă  la bonne conduite que vous donnez la prĂ©fĂ©rence ? Croyez qu’un caractĂšre passionnĂ© seroit pour votre fils un don funeste , surtout chez les peuples oĂč, par la constitution du gouvernement, les passions ne font pas toujours dirigĂ©es vers la vertu ; Ă©touffez donc en lui, s’il est possible , tous les germes des passions. Mais il faudra donc, Discours IV. 381 rĂ©pliquera le pere, renoncer en mĂ©me- temps Ă  l’espoir d’en faire un homme de mĂ©rite ? Oui, sans doute. Si vous ne pouvez vous y rĂ©soudre, rendez-lui des pallions ; tĂąchez de les diriger aux choies honnĂȘtes mais attendez-vous Ă  lui voir exĂ©cuter de grandes choies , Se quelquefois commettre les plus grandes fautes. Rien de. mĂ©diocre dans l’homme passionnĂ© ; Se c’est le hazard qui dĂ©termine presque toujours fes premiers pas. Si les hommes passionnĂ©s s’illustrent dans les arts , fi les sciences conservent fur eux quelqu’em- pire , Se fi quelquefois ils tiennent une conduite sage ; il n’en est pas ainsi de ces hommes passionnes que leur naissance , leur caractĂšre, leurs dignitĂ©s & leurs richesses appellent aux premiers postes du monde. La bonne ou mauvaise conduite de ceux-ci est presque entiĂšrement soumise Ă  l'empire du hazard selon les circonstances dans lesquelles il les place Se le moment qu’il marque Ă  leur naissance , leurs qualitĂ©s fe changent en vices ou en vertus. Le hazard en fait, Ă  son grĂ©, des Appuis ou des DĂ©cius. Dans la tragĂ©die de M. de Voltaire , CĂ©sar dit Si je n'Ă©tois le maĂźtre des Romains , je serois leur vengeur’. Si je n’étois CĂ©sar , j’aurois Ă©tĂ© Brutus. 1 2 8 r. De DE s p ri ĂŻ. Mettez, dans le fils d’iin tonnelier , de l’esprit, du courage , de la prudence & de FactivitĂ© chez des rĂ©publicains , oĂč le mĂ©rite militaire ouvre la porte des grandeurs, vous en ferez un ThĂ©misto- cle , un Marins sc ; Ă  paris , vous n’en ferez qu’un Cartouche. Qu’un homme hardi, entreprenant & capable d’une rĂ©solution dĂ©sespĂ©rĂ©e , naisse au moment oĂč , ravagĂ© par des ennemis puissants , l’état paroĂźt fans ‱ressource ; fi le succĂšs favorise ses entreprises , c’est un demi-dieu Dans tout autre moment ce n’est qu’un furieux ou un insensĂ©. C’est Ă  ces termes fi diffĂ©rents que nous conduisent souvent les mĂȘmes pallions. VoilĂ  le danger auquel s’expofe le pere , dont les enfants font susceptibles de ces passions fortes qui .fi souvent changent la s c Lu-cong-pang , fondateur de la dynastie des Han , fut d’abord chef de voleurs ; il s’empare d’une place , s’attacbe au service de T-cou ; devient gĂ©nĂ©ral des armĂ©es , dĂ©fait les T - fin , fe rend maĂźtre de plusieurs villes , prend le titre de roi , combat, dĂ©sarme les princes rĂ©voltĂ©s contre l’em- pire par fa clĂ©mence , plus que par fa valeur , il rĂ©tablit le calme dans la Chine , est reconnu empereur , & citĂ© , dans l’histoire des Chinois, comme un de leurs princes les plus illustres. Discours IV. z8; face du monde. Cest, dans ce cas , la convenance de leur esprit & de leur. caractĂšre avec la place qu’ils occupent , qui les fait ce qu’ils font. Tout dĂ©pend de cette convenance. Parmi ces hommes ordinaires , qui, par des services importants , ne peuvent se rendre utiles Ă  l’uni- vers , se couronner de gloire , ni prĂ©tendre Ă  l’estime gĂ©nĂ©rale , il n’en est aucun qui ne fut utile Ă  ses concitoyens , & qui n’eĂ»t droit Ă  leur reconnoissance, s’il Ă©toit prĂ©cisĂ©ment placĂ© dans le poste qui lui convient. C’est Ă  ce sujet que la Fontaine a dit \ Vn roi prudent & sage De ses moindres sujets fait tirer quelquerusage. Supposons , pour en donner un exemple , qu’il vaque une place confiance. II y faut nommer. Elle demande un homme sĂ»r. Celui qu’on prĂ©sente a peu d’esprit ; de plus , il est paresseux. N’impor- te, dirai-je au nominateur ; donnez-lui la La bonne conscience est souvent paresseuse l’activitĂ© , lorsqu’elle n’est point l’effet de Pamour de la gloire, est toujours- suspecte ; le fripon , toujours agitĂ© de remords & de craintes, est fans cesse en action. La vigilance, dit Rousseau , est la vertu du vice. ' 3^4 De l’Esprit. On est prĂȘt Ă  disposer d’une place elle exige de l’astiduitĂ©. Celui qu’on propose est maussade , ennuyeux, Ă  charge Ă  la bonne compagnie tant mieux , l’assiduitĂ© sera la vertu de sa maussaderie. Je ne m’étendrai pas davantage fur ce sujet ; &Ă­ je conclurrai, de ce que j’ai ci - dessus , qu’un pere , en exigeant qu’aux plus grands talents ses sils joignent la conduite la plus sage , demande qu’ils aient en eux le principe des Ă©carts de conduite , & qu’ils n’en fassent aucuns. Non moins injuste envers les despotes que le pere envers ses fils , dans tout l’orient est-il un peuple qui n'exige de ses sultans, & beaucoup de vertus , &c surtout beaucoup de lumiĂšres cependant quelle demande plus injuste ? Ignorez- vous, diroit-on Ă  ces peuples , que les lumiĂšres font le prix de beaucoup d’étu- des &c de mĂ©ditations ? L’étude &c la mĂ©ditation font une peine l’on fait donc tous ses efforts pour s’y soustraire ; l’on doit donc cĂ©der Ă  sa paresse, si l’on n’est animĂ© d’un motif assez puissant pour en triompher. Quel peut ĂȘtre ce motif ? le dĂ©sir seul de la gloire. Mais ce dĂ©sir, comme je l’ai prouvĂ© dans le troisiĂšme discours , est lui - mĂȘme fondĂ© fur le dĂ©sir des plaisirs physiques, que la gloire & 1 estime Discours IV. 385 ï’estime gĂ©nĂ©rale procurent. Or , si le sultan , en qualitĂ© de despote, jouit de tous les plaisirs que la gloire peut promettre aux autres hommes , le sultan est donc fans dĂ©sirs rien ne peut donc allumer en lui Famour de la gloire il n’a donc point de motif suffisant pour se risquer Ă  l’ennui des affaires , & s’exposer Ă  cette fatigue d’attention nĂ©cessaire pour s'Ă«clai- rer. Exiger de lui des lumiĂšres, c’est vouloir que les fleuves remontent Ăą leur source ; & demander un effet sans cause. Toute Phistoire justifie cette vĂ©ritĂ©. Qu’on ouvre celle de la Chine on y volt les rĂ©volutions fe succĂ©der rapidement les unes aux autres. Le grand homme, qui s’éleve Ă  Fempire, a .pour ses successeurs des princes nĂ©s dans la pourpre, qui, pour ^illustrer , n’ayant point les motifs puissants de leur pere , s’endorment fur le trĂŽne ; & , dĂšs la troisiĂšme gĂ©nĂ©ration, la plupart en descendant sans avoir souvent Ă  se reprocher d'autre crime que celui de la paresse. Je n’ep rapporterai qu’un exemple a Li-t-ching, homme, d’une naissance obscure , prend les armes contre Tempereur T-cong-ching 3 se metii la tĂȘte des mĂ©con- f a Voyez l'hijĂŹ. de Him, par M* de Guignes , rem. x. pag. 74. Tome 1 I, R z86 De l’Esprit. tens, leve une armĂ©e , marche Ă  Pefcing^ & le surprend. L’impĂ©ratrice & les reines s’étranglent; l’ëmpereur poignarde fa fille ; il se retirĂ© dans un endroit Ă©cartĂ© de son palais c’est lĂ  qu’avant de -se donner la mort, il Ă©crit ces paroles sur un pan de -sa robe f ai rĂ©gnĂ© dix - sept ans ; je fuis dĂ©trĂŽnĂ© A- je ne vois , dans ce malheur , ..qu une punition du ciel , jujlement irritĂ© de mon indolence. Je ne fuis cependant pas le seul coupable les grands de ma cour le font encore plus que moi ; ce font eux qui me dĂ©r robant la connaissance des affaires de l’empire , ont creusĂ© l'abyme oĂč je -tombe. De quel front oferai-je paro'ttre devant mes ancĂȘtres .? Comment soutenir leurs reproches ? O vous / qui me rĂ©duises^ Ă  cet Ă©tat affreux, preneÂŁ mon corps , metterp-le enpieces,sy consens ; mais Ă©pargne ÂŁ mon pauvre peuple il efi innocents 6* dĂ©jĂ  affe^ malheureux de m’avoir eu fi longtemps pour maĂźtre. Mille traits pareils, rĂ©pandus dans toutes les histoires , prouvent que la mollesse commande Ă  presque tous ceux qui naissent armĂ©s du pouvoir arbitraire. L’atmosphere , rĂ©pandu autour des trĂŽnes despotiques & des souverains qui s’y asseyent , semble rempli d’une vapeur lĂ©thargique qui saisit toutes les facultĂ©s de leur ame. Auffi ne compte- teon guere parmi les grands rois que ceux . qui se. frayent la route du trĂŽne , ou qiĂ­i Discours IV. jSy “Te sont longtemps instruits Ă  PĂ©cole du malheur. On ne doit ses lumiĂšres qu’à l’intĂ©rĂȘt qu’on a d’en acquĂ©rir. Pourquoi les petits potentats sont-ils en gĂ©nĂ©ral, plus habiles que les despotes les plus puissants ? Ç’est qu’ils ont’, pour ainsi dire , encore leur fortune Ă  faire ; c’est qu’ils ont, avec de moindres forces , Ă  rĂ©sister Ă  des forces supĂ©rieures ; c’est qu’ils vivent dans la crainte perpĂ©tuelle de Ă­e voir dĂ©pouillĂ©s ; c’est que leur intĂ©rĂȘt, plus Ă©troitement liĂ© Ă  l’intĂ©rĂȘt de leurs sujets , doit les Ă©clairer fur les diverses parties de la lĂ©gislation. AuĂ­Ăźi sont-ils , en gĂ©nĂ©ral, infiniment plus occupĂ©s du foin de former-d es soldats, de contraster des alliances , de peupler & d’en- richir leurs provinces. Aussi pourroit-on , consĂ©quemment Ă  je viens de dire, dresser , dans les divers empires de l’orient , des cartes gĂ©ographi-politiques du mĂ©rite des princes. Leur intelligence , mesurĂ©e sur l’échelle dc leur puissance , dĂ©croßíroit proportionnĂ©ment Ă  dĂ©tendue , Ă  la force de leur empire , Ă  la difficultĂ© d’y pĂ©nĂ©trer , enfin Ă  l’autoritĂ© plus ou moins absolue qu’ils auroient fur leurs sujets , c’est-Ă -dire, Ă  l’intĂ©rĂȘt plu? ou moins pressant qu’ils auroient d’ĂȘtre Ă©clairĂ©s. Cette table'une fois calculĂ©e , Sc comparĂ©e Ă  l’observation, donncroit cciy -R j j 3’8-S 'De l’ Esfrit. Ă­ainemcnt des rĂ©sultats assez justes les sofĂ­s Ă­S c les mqgols y seroient mis , par exemple , au nombre des princes les plus stupides ; parce que, sauf des circonstances .singuliĂšres, ou le hazard d’une bonne Ă©ducation, les plus puissants d’entre les hommes ; en doivent communĂ©ment ĂȘtre Jes moins Ă©clairĂ©s. Exiger qu’un despote d’orient s’occupe ,du bonheur de ses peuples ; que, d’une main forte & d’un bras assurĂ© , il tienne le gouvernail de l’empire; ce seroit, avec Je bras de Ganimede, vouloir soulever la massue d’Hercule. Supposons qu’un Indien, ÂŁ t Ă  cet Ă©gard , quelques reproches Ă  son sultan De quoi te plains-tu ? lui rĂ©pon- çlroit celui-ci. As-tu pu, fans injustice , exiger que je lusse plus Ă©clairĂ© que toi- mĂȘme fur tes propres intĂ©rĂȘts ? Quand tum’as revĂȘtu du pouvoir suprĂȘme, pouvois - tu croire qu’oubliant les plaisirs pour le pĂ©nible honneur de te rendre heureux , mes successeurs & moi ne jouirions pas des avantages attachĂ©s Ă  la toute- puiĂ­Ăźance ? Tout homme s’aime , de prĂ©fĂ©rence aux autres ; tu le fais. Exiger que, sourd Ă  la voix de ma paresse, au çri de rncs passions , je les sacrifie Ă  tes intĂ©rĂȘts, c’est vouloir le renversement de la nature. Comment imaginer que , pouvant tout , jc nç youdrois jamais que la justice Ăź UI S C O URS IV. z8- L’horhme amoureux de l’estime publique , diras - tu, use autrement de son pouvoir. J T en conviens. Mais que m’importe Ă  moi Fcstime publique & la gloire ? Est - il un plaisir accordĂ© aux vertus &J refusĂ© Ă  la puissance ? D’ailleurs, les hommes passionnĂ©s pour la gloire font rares , &C ce n’est pas une passion qui passe jusqu’à leurs successeurs. II falloit le prĂ©voir; &C sentir qu’en m’armant du pouvoir arbitraire , tu rompois le nƓud d’une mutuelle dĂ©pendance qui lie le souverain au sujet , & que tusĂ©parois- mon intĂ©rĂȘt du tien. Imprudent, qui me remets le sceptre du despotisme ; lĂąche, qui isole me Farra- cher , sois Ă  la fois puni de ton imprudence & de ta lĂąchetĂ© Sache que , st tu respires , c’est que je le permets Apprends que' chaque instant de ta vie est une esclave, tu nais, tu vis, pour mes plaisirs. CourbĂ© fous le poids de ta chaĂźne , rampe Ă  mes pieds , languis dans la misĂšre , meurs ; je te dĂ©fends jusqu’à la plainte Telle est ma volontĂ©. Ce que je dis des sultans peut, en partie , Rappliquer Ă  leurs ministres leurs lumiĂšres sont , en gĂ©nĂ©ral, proportionnĂ©es Ă  FintĂ©rĂȘt qu’ils ont d’en avoir» Dans les pays oĂŹi le cri public peut les dĂ©poser, les grands talents leur font nĂ©cef^ faires , ils en acquiĂšrent. Chez les peu- zqo De l’ E s p ft i f, pĂ­es , au contraire , oĂč le public n’a nĂź crĂ©dit ni considĂ©ration , ils se livrent Ă  Ăźa paresse, & se contentent de l’espece de mĂ©rite qui fait fortune Ă  la cour ; mĂ©rite absolument incompatible avec les grands talents , par Fopposition qui se trouve entre l’intĂ©rĂȘt. des courtisans & l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. II en est,» Ă  cet Ă©gard , des ministres comme des gens de lettres. C’est une prĂ©tention ridicule de viser Ă  la fois Ă  la gloire & aux pensions. Avant de composer , il faut presque toujours opter entre l’estime publique & celle des courtisans. II faut savoir que , dans la plupart des cours , & surtout dans celles de l’o- rient, les hommes y font dĂšs l’enfance emmaillottĂ©s Ă­k gĂȘnĂ©s dans les langes du prĂ©jugĂ© & d’une biensĂ©ance arbitraire ; que la plupart des esprits y font nouĂ©s ; qu’ils ne peuvent s’élever au grand ; que tout homme qui naĂźt & vit habituellement prĂšs des trĂŽnes despotiques ne peut Ă  cet Ă©gard , Ă©chapper Ăą la contagion gĂ©nĂ©rale, Ăšc qu’il n’a jamais que de petites idĂ©es. Aussi le vrai mĂ©rite vit-il loin des palais des rois. Il n’en approche que dans ces temps malheureux oĂč les princes font forcĂ©s de les appeller. Dans tout autre instant , le besoin seul pourroit attirer Ă  la cour les gens de mĂ©rite ; & , dans cette position, il en est peu qui conservent la Discours IV. zyl mĂȘme force, la mĂȘme Ă©lĂ©vation d’ame Sc d’esprit. Le besoin est trop prĂšs du crime. II rĂ©sulte, de ce que je viens de dire , que c’est exactement demander l’impof-' fible , que d’exiger de grands talents de ceux qui , par leur Ă©tat & leur position, ne peuvent ĂȘtre animĂ©s de paillons fortes. Mais, que de demandes pareilles ne fait- on pas tous les jours ? On crie contre la corruption des mƓurs ; il faut , dit-on, former des hommes vertueux & l'on veut, Ă  la fois, qĂșĂ« les citoyens soient Ă©chauffĂ©s de l’amour de la patrie , & voient en silence les malheurs qu’occa- lionne une mauvaise lĂ©gislation ? On ne sent pas que c’est exiger d’un avare qu’iĂ­ ne crie point au voleur , enleve fa caĂ­fette. L’on n’apperçoit pas qu’en certains pays, ce qu’on appelle les gens sages ne peuvent jamais ĂȘtre que des gens indiffĂ©rents au bien public , & par consĂ©quent des hommes fans vertus. C’est, comme je vais le prouver dans le chapitre suivant, avec une injustice pareille qu’on demande aux hommes des talents &c des qualitĂ©s que des habitudes contraires rendent , pour ainsi dire, inallia- blcs. S 9 2 De l’Espiut. W- CHAPITRE XV. D t ĂŻĂŹnjufĂŹĂŹce du public Ă  cet O N exigera qu’un Ă©cuyer, habituĂ© A diriger ia pointe du pied vers l'oreille de son cheval, toit aussi bien tournĂ© qu’un danseur de l’opĂ©ra on voudra qu’un philosophe , uniquement occupĂ© d’idĂ©es fortes & gĂ©nĂ©rales, Ă©crive comme une femme du monde, ou mĂȘme qu’il lui soit supĂ©rieur dans un genre tel, par exemple, que le genre Ă©pistolaire, oĂč, pour bien Ă©crire,, il faut dire des riens d’une maniĂ©rĂ© agrĂ©able. On ne sent pas que c’est demander la rĂ©union de talents presque exclusifs ; & qu il n est point de femme d esprit, comme 1 expĂ©rience le prouve, quin'aitĂ cet Ă©gard ne grande supĂ©rioritĂ© sur les philosophes les plus cĂ©lĂ©brĂ©s. C’eĂ­l avec la mĂȘ* me injustice qu'on exige quĂčn homme, qui n a jamais lu ni Ă©tudiĂ©, & qui a passĂ© trente ans de fa vie dans la dissipation , devienne tout-Ă -coup capable d Ă©tude &c de mĂ©ditation on devrait cependant savoir que c’est Ă  1 habitude de-la mĂ©ditation qu'on doit la capacitĂ© de mĂ©diter que cette mĂȘme capacitĂ© se perd lorsqu’on cesse d'en faire usage. En effet, qu’un homme r Discours IV. 393 quoique dans Phabitude du travail Sc de l'application, se trouve tout-Ă -coup thargĂ© d'une trop grande partie de l’administra- tion , mille objets diffĂ©rents passeront rapidement devant lui 5 il ne peut jetter fur chaque affaire qu un coup d oeil superficiel , il faut , par cette feule raison, qu’au bout d’un certain tems cet homme devienne incapable d’une longue Le forte attention. Aussi n'ess-on pas en droit d’e- xiger de l’homme en place une semblable Ce n’est point Ă  lui Ă  percer jusqu’aux premiers principes de la morale 8c de la politique; Ă  dĂ©couvrir, par exemple , jufqu’à quel degrĂ© le luxe est utile*, quels changements ce luxe doit apporter dans les moeurs Sc les Ă©tats , quelle eĂ­- pece de commerce il faut le plus encourager, par quelles loix on peut, dans la mĂȘme nation, concilier l’esprit de commerce avec f esprit militaire, Sc la rendre Ă  la fois riche au dedans Sc redoutable au dehors. Pour rĂ©soudre de pareils problĂšmes , il faut le loisir Sc Phabitude de mĂ©diter. Or comment penser beaucoup, quand il faut beaucoup exĂ©cuter ? On ne doit donc pas demander Ă  l’homme en place cet esprit d’invention qui suppose de grandes mĂ©ditations. Ce qu’on est ert droit d’exiger de lui, c’est un esprit juste* vif, pĂ©nĂ©trant, Sc qui, dans les matiĂšres. R v 394 De l’Esprit. dĂ©battues par les politiques & les philosophes , soit frappĂ© du vrai, le saisisse avec force, & soit assez fertile en expĂ©dients pour porter jusqu’à l'exĂ©eution les projets qu’il adopte. C’est par cette raison qu’il doit, Ă  cc genre d’esprit, joindre un caractĂšre ferme , une constance Ă  toute Ă©preuve. Le peuple n’ess pas toujours assez reconnoissant des biens que lui font les gens en place ingrat par ignorance , il ne fait point tout ce qu’il faut dc courage pour faire le bien & triompher des obstacles que l’intĂ©rĂȘt personnel b met ‱ b An moment qu’on venoit de nommer un ministre , un des premiers commis de Versailles , homme de beaucoup d’esprit, iui dit ,, Vousai- ,, mez le bien, vous ĂȘies maintenant Ă  portĂ©e de ,, le faire. On vous prĂ©sentera mille projets utiles ,, au public ; vous en desirerez la rĂ©ussite gardez- ,, vous cependant de rien entreprendre , avant d’e- „ xaminer si l'exĂ©eution de ces projets demande ,, peu de fonds , peu de foins & peu de probitĂ©. Si ,, l’argent qu’exige la rĂ©ussite d'un de ces projets est ,, considĂ©rable, les affaires qui vous surviendront ,, ne vous permettront pas d’y appliquer les fonds ,, nĂ©cessaires, & vous perdiez voue mise. Si le ,, succĂšs dĂ©pend de la vigilance & de la probitĂ© de ,, ceux que vous emploierez, craignez qu'on ne ,, vous force la main fur le choix des sujets son- ,, gez d’aiĂŹleurs que vous allez ĂȘtre entourĂ© de fri- ,, potis; qu’il faut un coup d’ceil bien sĂ»r pour les ,, recounoĂźtre; & que la premiers , mais enmĂȘme- ,, tems la plus difficile science d’un ministre > est „ la science des choix. " Discours I V. 395 au bonheur gĂ©nĂ©ral. Austi le courage Ă©clairĂ© par la probitĂ© est-il le principal mĂ©rite des gens en place. Vainement se flatteroit- on de trouver en eux un certain fond de connoissances ; ils ne peuvent en avoir de profondes que fur les matiĂšres qu’ils ont mĂ©ditĂ©es avant que paryenir aux grands emplois or ces matiĂšres font nĂ©cessairement en petit nombre. Qu’on suive, pour s’en convaincre, la vie de ceux qui fe destinent aux grandes places. Ils sortent Ă  seize ou diy-sept ans du college, apprennent Ă  monter Ă  cheval, Ă  faire leurs exercices ; ils passent deux ou trois ans tant dans les acadĂ©mies qu’aux Ă©coles de droit. Le droit fini, ils achetent une charge. Pour remplir cette charge , il n’est pas nĂ©cessaire de s’instruire du droit de nature, du droit, des gens , du droit public , mais consacrer tout son temps Ă  f examen de quelques procĂšs particuliers, ils passent de-lĂ  au gouvernement d’une province, oĂč , surchargĂ©s par le dĂ©tail journalier, & fatiguĂ©s par les audiences, ils n’ont pas le temps de mĂ©diter. Ils montent ensuite Ă  des places supĂ©rieures, & ne fe trouvent enfin, aprĂšs trente ans d’exercice, que le mĂȘme fonds d’idĂ©es qu’ils avoientĂ  vingt ou vingt-deux ans. Surquoi j’observerai que des voyages faits chez des nations voisines LĂȘ dans lesquels ils compareroienĂź Z96 De l* Esprit; les diffĂ©rences dans la forme dit gouvernement , dans la lĂ©gislation, le gĂ©nie , le commerce & les mƓurs des peuples , se-. roient peut-ĂȘtre plus propres Ă  former des hommes d’états , que l’éducation actuelle qu’on leur donne. Je ne m’étendrai pas davantage fur ce sujet. C’eĂ­t par l’article des hommes de gĂ©nie que je finirai ce chapitre ; parce que c’est principalement en eux qu’on defire des talents & des qualitĂ©s exclusives. Deux causes Ă©galement puissantes nous portent Ă  cette injustice ; l’une , comme je l’ai dit plus haut, est Pamour aveuglĂ© de notre bonheur ; & l’autre, c’est l’envie. Qui n’apas condamnĂ©, dans le cardinal de Richelieu , cet amour excessif de gloire qui le rendoit avide de toute efpece de succĂšs ? Qui ne s’est point moquĂ© de l’ar- deur avec laquelle , fi l’on en croit Du- maurier t, il desiroit la canonisation , & de Pordre donnĂ© , en consĂ©quence , Ă  ses confesseurs de publier par tout qu’il n’avoit jamais pĂ©chĂ© mortellement ? Enfin , qui n’a point ri d’apprendre que , dans ce mĂȘme instant , Ă©pris du defir d’exceller dans la poĂ©sie comme dans la politique, ce carie Voyez ses MĂ©moires pour servir Ă  l'hijloire de- Ix Hollande , Ă  l’article de. Grotius. Dis cotfRS IV. J 97 dĂźnai faisoit demander Ă  CorneilĂ­e de lui cĂ©der le cid? C’étoif cependant Ă  cet amour de la gloire, tant de fois condamnĂ© , qu’il devoit ses grands talents pour f administration. Si depuis l’on n’a point vu de ministre prĂ©tendre Ă  tant de fortes de gloire, c’est que nous n’avons encore qu’un cardinal de Richelieu. Vouloir concentrer , dans un seul deiir, Faction des passions fortes , ĂŽc s’imaginer qu'un homme vivement Ă©pris de la gloirefe contente dune feule efpece de succĂšs , lorfqu’il croit en pouvoir obtenir en plufieurs genres , c est vouloir qu’une terre excellente ne produise qu’une feule efpece de fruits. Quiconque aime fortement la gloire sent intĂ©rieurement que la rĂ©ussite des projets politiques dĂ©pend quelquefois du hasard , 6c souvent de Fineptie de ceux avec qui il traite il en veut donc une plus personnelle. Or, fans une morgue ridicule 6c stupide , il ne peut dĂ©daigner celle des lettres , Ă  laquelle ont aspirĂ© les plus grands princes & les plus grands hĂ©ros. La plupart d’entr'eux, non contents de s’immor- talĂŻfer par leurs actions ,‱ ont encore voulu, 'immortaliser par leurs Ă©crits, & du moins laisser Ă  la postĂ©ritĂ© des prĂ©ceptes fur Ăźa science guerriere ou politique dans laquelle ils ont excellĂ©. Comment ne l’eus- scirt-ils pas voulu? Ces grands hommes. Z98 De l’Esprit. aimoient la gloire ; Sc l’on n’en est point avide sans defirer de communiquer aux hommes des idĂ©es qui doivent nous rendre encore plus estimables Ă  leurs yeux. Que de preuves de cette vĂ©ritĂ© rĂ©pandues dans toutes les histoires ! Ce font XĂ©nophon, Alexandre, Annibal, Hannon, les Scipions, CĂ©sar, CicĂ©ron, Auguste, Trajan, les Antonins, Comnene, Elizabeth, Charles- quint, Richelieu, Montecuculi, du Guay- Trouin, le comte de Saxe, qui, par leurs Ă©crits, veulent Ă©clairer le monde en ombrageant leurs tĂȘtes de diffĂ©rentes especes Ăźle lauriers. Si maintenant l’on ne conçoit pas comment des hommes , chargĂ©s de l’administration du monde, trouvoient encore le temps de penser 8c d’écrire ; c’est,, rĂ©pondrai-je, que les affaires font courtes , lorsqu’on ne s’égare point dans le dĂ©tail , 8c qu’on les saisit par leurs vrais principes. Si tous les grands hommes n’ont point composĂ© , tous ont du moins protĂ©gĂ© l’homme illustre dans les lettres, 8c tous ont dĂ» nĂ©cessairement le protĂ©ger ; parce que, amoureux de la gloire , ils sa- voient que ce sont les grands Ă©crivains qui la çjonnent. Austi Charies-quint avoif-il, avant Richelieu, fondĂ© des acadĂ©mies austi vit-on le Ă­ĂŹer Attila ĂŹui-mĂȘme rassembler prĂšs de lui les savants dans tous les genres j le Khalife Aaron Al-Raschid ea Discours IV. 399 composer sa cour; &Tamcrlan Ă©tablir l’a- cadĂ©mie de Samarcande. Quel accueil Tra- jan ne faisoit-il pas au mĂ©rite ! Sous son rĂ©gnĂ© , il Ă©toiĂź permis de tout dire , de ‱ tout penser, & de tout Ă©crire ; parce quĂ© les Ă©crivains , frappĂ©s de l’éclat de ses vertus & de ses talents , ne pouvoient ĂȘtre que ses panĂ©gyristes bien diffĂ©rent, en cela, des NĂ©ron, des Caligula, des Domitien , qui, par la raison contraire , impo- soient silence aux gens Ă©clairĂ©s, qui, dans leurs Ă©crits, n’euffent transmis Ă  la postĂ©ritĂ© que la honte & les crimes de ces tyrans. J’ai fait voir, dans les exemples ci-des- sus rapportĂ©s, que le mĂȘme dĂ©sir de gloire auquel les grands hommes doivent leur supĂ©rioritĂ© , peut, en fait ff esprit, les faire quelquefois aspirer Ă  la monarchie universelle. II seroit sans doute posiĂŹble d’u- nir plus de modestie aux talents ces qualitĂ©s ne font pas exclusives par leur nature, mais elles le font dans quelques hommes. II en est de tels Ă  qui l’on ne pourroit arracher cette orgueilleuse opinion d’eux- mĂȘmes , fans Ă©touffer le germe de leur esprit. C’est un dĂ©faut ; & l’envie en profite pour dĂ©crĂ©diter le mĂ©rite elle se plaĂźt Ă  dĂ©tailler les hommes, sĂ»re d’y trouver toujours quelque cĂŽtĂ© dĂ©favorable, fous lequel elle peut les prĂ©senter au public. 400 De l’Esprit. On ne se rappelle point assez souvent qu’il en est des hommes , comme de leurs ouvrages; qu’il faut les juger fur leur ensemble ; qu’il n’est rien de parfait sur la terre; & que, st l’on dĂ©stgnoit dans chaque homme , par des rubans de deux couleurs diffĂ©rentes , les vertus & les dĂ©fauts de'son esprit & de son caractĂšre , il n’est point d’homme qui ne fĂ»t bariolĂ© de ces deux couleurs. Les grands hommes font comme ces mines riches, oĂč l’or cependant fe trouve toujours plus ou moins mĂ©langĂ© avec le plomb. II faudroit donc que í’en- vieux se dĂźt quelquefois Ă  lui-mĂȘme S'il m’étoit possible d’avilir cet or aux yeux du public, quel cas feroit-il de moi, qui ne fuis purement qu’une mine de plomb ? Mais f envieux fera toujours sourd Ă  de pareils conseils. Habile Ă  saisir Ă­es moindres dĂ©fauts des hommes de gĂ©nie , combien de fois ne les a-t-il pas accusĂ©s de n’ĂȘ- tre pas , dans leurs maniĂ©rĂ©s, ausiĂŹ agrĂ©ables que les hommes du monde ? II ne veut pas se rappeller, comme je Fai dit ci-de- vant, que , semblables Ăą ces animaux qui fe retirent dans les dĂ©serts, la plupart des gens de gĂ©nie vivent dans le recueillement; & que c’est dans le silence de la solitude que les vĂ©ritĂ©s se dĂ©voilent Ă  leurs yeux. Or tout homme dont le genre de vie le jette dans un enchaĂźnement particulier de Discours IV. 401 circonstances, & qui contemple les objets fous une face nouvelle, ne peut avoir dans Pefprit ni les qualitĂ©s ni les dĂ©fauts coiflmuns aux hommes ordinaires. Pour- quoi le François ressemble-t-il plus au François qu’à PAllemand , & beaucoup plus Ă  PAllemand qu’au Chinois ? C est que ces deux nations , par PĂ©ducation qu’on leur donne , & la ressemblance des objets qu’on leur prĂ©sente , ont entr’elles infiniment plus de rapport qu’elles n’en ont avec les Chinois. Nous sommes uniquement ce que nous font les objets qui nous environnent. Vouloir qu’un homme, qui voit d’autres objets & mene une vie diffĂ©rente de la mienne, ait les mĂȘmes idĂ©es que moi, c’est exiger les contradictoires,, c’est demander qu un bĂąton n’ait pas deux bouts. Que d’injustices de cette efpece ne saison pas aux hommes de gĂ©nie ! Combien, de fois ne les a-t-on pas accusĂ©s de sottise , dans le temps mĂȘme qu’ils faifoient preuve de la plus haute sagesse f Ce n’est pas que les gens de gĂ©nie , comme le dit Aristote, n’aient souvent un coin de folie. Ils sont, par exemple, sujets Ă  mettre trop d’im- porĂ­ance / Ă  Part qu’ils cultivent. D'ail- d Souvent ils ont pour eux une estime exclu, sive. Parmi ceux-lĂ  mĂȘme qui ne se distinguent que '4oĂź De l’Esprit. leurs , les grandes gaffions que suppose íç gĂ©nie peuvent quelquefois les Ă©garer dans leur conduite. Mais ce germe de leurs erreurs Test auffi de leurs lumiĂšres. Les hommes froids , fans passions 6c fans talents, ne tombent pas dans les Ă©carts de l’homme passionnĂ©. Mais il ne faut pas s’imĂąginer, comme leur vanitĂ© le veut persuader, qu’a- vant de prendre un parti ils en calculent, les jetons en main, les avantages 6c les inconvĂ©nients il faudroit, pour cet effet, que les hommes ne fussent dĂ©terminĂ©s, dans leur conduite , que par la rĂ©flexion ; 6c l’expĂ©rience nous apprend qu’ils le font toujours par le sentiment-, 6c qu’à cet Ă©gard les gens froids font des hommes. Pour s’en convaincre, que l’on suppose dans les arts les plus frivoles , 11 en est qui pensent qu’en leurs pays il n ’y a rien de bien fait que ce qu’ils y font. Je ne puis m’empĂȘch-er de rapporter , Ă  ce Ă­ujet un mot aĂ­ĂŹez plaisant, attribue Ă  Marcel. Un danseur Angloi* fort cĂ©lĂ©brĂ© arrive Ă  Paris, descend chez Marcel Je viens , lui dit-il, vous rendre un hommage que vous doivent tous les gens de notre art ; jĂČuffreq. que je danse devant vous , 6- que je profite de vos conseils .... Volontiers , lui dit Marcel. AussitĂŽt l’Angiois exĂ©cute des pas trĂšs- difficiles & fait mille entrechats. Marcel le regarde, & s Ă©crie tout-Ă -coup Monsieur, ton faute dans les autres pays , & ton ne danse qu Ă  Paris ; mais hĂ©las l l’on n y fait que cela dc bien. Pauvre royaumel DĂ­scoĂșrs IV. 403 qĂč’un d’eux soit mordu d’un chien enragĂ© on l’envoie Ă  la mer ; il se met dans une barque, on va le plonger. II ne court aucun risque , il en est sĂ»r ; il fait que, dans ce cas , la peur est tout-Ă -fait dĂ©raisonnable ; il se le dit. On le plonge. La rĂ©flexion n’agit plus fur lui ; le sentiment de la crainte s’cmpare de son artie; Ăšc c’est Ă  cette crainte ridicule qu’il doit sa guĂ©rison. La rĂ©flexion est donc , dans les gens froids comme dans les autres hommes, soumise au sentiment. Si les gens froids ne font pas sujets Ă  des Ă©carts auflĂŹ frĂ©quents qĂșe l'homme passionnĂ© , c’est qu’iis ont en eux moins de principes de mouvement ce n’est , en effet, qu’à la foibleffe de leurs passions qu’ils doivent leur quelle haute est- sime n’en conçoivent-ils pas d’eUx-mĂȘmes! 1 Quel respect ne croierit-ils pas inspirer au public qui ne les laisse jouir , dans leur petite sociĂ©tĂ©, du titre d’hommes senscs, & ne les cite point comme foux , que parce qu’il ne les nomme jamais. Comment peuvent- ils, fans honte , passer ainsi leur vie Ă  l’af- fut des ridicules d’autrui ? S’ils en dĂ©couvrent dans l’homme de gĂ©nie , & que cet homme commette la faute la plus lĂ©gere , fut-ce de mettre, par exemple , Ă  trop haut prix les faveurs d’une femme , quel triomphe pour eux ! Ils en prennent droit de le mĂ©priser. Cependant si, dans les bois, 4Q'4 0e £’ Esprit. les solitudes & les dangers, la crainte a’ souvent, Ă  leurs propres yeux, exagĂ©rĂ©' la grandeur du pĂ©ril, pourquoi l’amour ne s’exagĂ©reroit-il pas les plaisirs, comme la' frayeur s’exagere les dangers ? Ignorent-ilsi qu’il n’y a proprement que foi de juste ap^ prĂ©dateur de son plaisir ; que les hommes Ă©tant animĂ©s de pallions diffĂ©rentes, les mĂȘmes objets ne peuvent conserver lĂ© mĂȘme prix Ă  desyeux diffĂ©rents ; que c’est au sentiment seul Ă  juger le sentiment; & que le vouloir toujours citer au tribunal d’une raison froide, c’est assembler la diĂšte de l’Empire pour y connoĂźtre des cas dĂ© conscience ? lis devroient sentir qu’avant de prononcer sur les actions de fhomme de gĂ©nie , il faudroit, du moins , savoir quels font les motifs qui le dĂ©terminent, c’est-Ă -dire , la force par laquelle il est entraĂźnĂ© mais, pĂ»ur cet effet, il faudroit connoĂźtre , & la puissance des paissons , & le degrĂ© de courage nĂ©cessaire pour y rĂ©sister. Or, tout homme qui s’arrĂȘte Ă  cet examen s’apperçoit bientĂŽt que les passions seules peuvent combattre contre les passions ; & que ces gens raisonnables, qui s’en- disent vainqueurs , donnent Ă  des goĂ»ts trĂšs-foibles le nem de pallions, pour fe mĂ©nager les honneurs du triomphe. Dans le fait, ils ne rĂ©sistent point aux passions; mais ils leur Ă©chapent. La sagesse Discours 4 V. 405 -Ă­i’est point en eux l’effet de la lumiĂšre, mais d’une indiffĂ©rence comparable Ă  des dĂ©serts Ă©galement stĂ©riles en plaisirs comme en peines. Auffi ne font- ils point heureux. L’absence du malheur est la seule fĂ©licitĂ© dont ils jouissent ; & l’espece de raison qui les guide , sur la mer de la vie humaine , ne leur en fait Ă©viter les Ă©cueils qu’en les Ă©cartant sans cesse de l’iste fortunĂ©e du plaisir. Le ciel n’arme les hommes froids que d’un bouclier pour parer , &c non d’une Ă©pĂ©e pour conquĂ©rir. Que la raison nous dirige dans les actions importantes de la vie , je ie veux mais quon en abandonne les dĂ©tails Ă  ses goĂ»ts &c Ă  ses passons. Qui consiilteroit, fur tout, la raison , seroit sans cesse occupĂ© Ă  calculer ce qu’il doit faire , & ne fe- roit jamais rien ; il auroit toujours fous les yeux la possibilitĂ© de tous les malheurs qui P environnent. La peine & l’ennui journalier d’un pareil calcul feroient peut-ĂȘtre plus Ă  redouter que les maux auxqiiels il peut nous soustraire. Au reste , quelques reproches qu’on fasse aux gens d’esprit, quelque attentive que soit l’envie Ă  dĂ©primer les gens de gĂ©nie , Ă  dĂ©couvrir en eux de ces dĂ©fauts personnels & peu importants que devroit absorber PĂ©clat de leur gloire, ils doivent ihre insensibles Ă  ste pareille? attaques, 406 De l’ sentir que ce sont souvent des piĂšges que í’etivic leur tend pour les dĂ©tourner de l’étude. Qu’importe qu’on leur fasse fans cesse un crime de leurs inattentions ? Ils doivent savoir que la plupart de ces petites attentions, tant recommandĂ©e , ont Ă©tĂ© inventĂ©es par les dĂ©soeuvrĂ©s pour en faire le travail & l’occupation de leur ennui & de leur oisivetĂ© ; qu’il n’est point d’homme douĂ© d’une attention suffisante pour s’illustrer dans les arts & les sciences , s’il la partage en une infinitĂ© de petites attentions particuliĂšres; que d’ailleurs cette politesse, Ă  laquelle on donne le nom d’attention , ne procurant aucun avantage aux nations, il est de l’intĂ©rĂȘt public qu’un savant fasse une dĂ©couverte de plus & cinquante visites de moins. Je ne puis -m’empĂȘcher de rapporter Ă  ce sujet un fait assez plaisant, arrivĂ© , dit-on, Ă  Paris. Un homme de lettres avoit pour voisin un de ces dĂ©soeuvrĂ©s , si importuns dans la sociĂ©tĂ©. Ce dernier , excĂ©dĂ© de lui - mĂȘme , monte un jour chez l’homme de lettres. ‱ Celui - ci le reçoit Ă  merveilles , s’ennuie avec lui de la maniĂ©rĂ© la plus humaine , jusqu’au moment oh, las de bĂąiller dans le mĂȘme lieu, notre dĂ©soeuvrĂ© court ailleurs promener son ennui. II part l’homme de lettres se remet au travail, oublie l’ennuyĂ©. Quelques jours aprĂšs , il est ac- Discours IV. 407 . cl c n’avoir point rendu la visite qu’il a reçue, il est taxĂ© d’impolitesse ; il le sait il monte Ă  son tour chez son ennuyĂ©, Mon- jitur , lui dit il , Rapprends que vous vous plaigne ÂŁ de nioi cependant , vous le fave ÂŁ , ctjĂŹ l*ennui de vous-mĂȘme qui vous a conduit chez. moi. Je vous y ai reçu de mon mieux , moi qui ne m'ennuyois pasj c’ùfi donc vous qui ni ĂȘtes obligĂ© , & ce fi moi qu! on taxe d! impolitesse. Soyt ÂŁ vous-mĂȘme juge de mes procĂ©dĂ©s , & voyezfi vous deve^ mettre fin Ă  des plaintes qui ne prouvent rien finon que je n ai pas comme vous le besoin des vifites , ^inhumanitĂ© d'ennuyer mon prochain , & Cinjufiice d!’en mĂ©dire aprĂšs l’tifrir. ennuyĂ©. Que de gens auxquels on peut appliquer la mĂȘme rĂ©ponse ! Que de dĂ©soeuvrĂ©s exigent , dans les hommes de mĂ©rite , des attentions & des talents incompatibles avec leurs occupations , & sc surprennent Ă  demander les contradictoires 1 Un homme a passĂ© fa vie dans les nĂ©gociations ; les affaires dont il s’est occupĂ© l’ont rendu circonspect que cet homme aille dans le monde , on veut qu’il y porte cet air de libertĂ© que la contrainte de son Ă©tat lui a fait perdre. Un autre homme est d’un caractĂšre ouvert ; c’est par sa franchise qu’il nous a plu on exige, que changeant tout-Ă -c-oup de caractĂšre , il devienne circonspect au. moment prĂ©cis qu’on le 4c$ De ì’Esp r i t. dĂ©sirĂ©. On veut toujours l’impoĂ­sible.. II cil fans doute un seul neutre qui amalgame quelquefois , dans les mĂȘmes hommes , du moins toutes les qualitĂ©s qui ne font pas absolument contradictoires ; je fais qu’un concours singulier de circonstances peut nous plier Ă  des habitudes opposĂ©es mais c’est un miracle , & l’on ne doit pas compter furies miracles. En gĂ©nĂ©ral, on peut assurer que tout se tient dans le caractĂšre des hommes ; que les qualitĂ©s y sont liĂ©es aux dĂ©fauts ; Sc qu’il est mĂȘme certains vices de l’esprit attachĂ©s Ă  certains Ă©tats. Qu’un homme occupe un poste important, qu’il ait pm jour cent juger, sises jugements sont fans appel, s’il n’est jamais contredit, il faut qu’au bout d’un certain temps l’orgueil pĂ©nĂ©tre dans son ame , Sc qu’il ait la plus grande confiance en ses lumiĂšres. Iln’en fera pas ainsi, ou d’un homme dont les avis seront, par ses Ă©gaux , dĂ©battus -Sc contredits dans un conseil, ou d’un savant qui, s’étant quelquefois trompĂ© sor les matiĂšres qu’il a mĂ»rement examinĂ©es , aura nĂ©cessairement contractĂ© l’habitude de la suspension d’esprit e e Ii seroit peut-ĂȘtre Ă  deĂ­irer qu’avant que de monter aux grandes places , les hommes destinĂ©s Ă  Ăźes remplir compoĂ­auent quelque ouvrage ; ils en Ă­Ăšntiroient mieux la difficultĂ© de bien faire ; ils sospeil- Discours IV. 409 suspension qui, fondĂ©e sur une salutaire mĂ©fiance de nos lumiĂšres, nous fait percer jusqu’à ces vĂ©ritĂ©s cachĂ©es que le coup d’Ɠil superficiel de l’orgueil apperçoit rarement. II semble que la connoissance de la vĂ©ritĂ© soit le prix de cette sage mĂ©fiance de soi - mĂȘme. L’homme qui se refuse au doute est sujet Ă  mille erreurs il a lui- mĂȘme posĂ© la borne de son esprit. On de- mandoit un jour Ă  l’un des plus savants hommes de la Perse , comment il avoit acquis tant de connoistances En demandant sans peint , rĂ©pondit-il, ce que je ne savols pas. » Interrogeant un jour un philosophe, » dit le poĂšte Saadi, jeleprestois de me dire » de qui il avoit tant appris Des aveugles , »> me rĂ©pondit - il, qui ne levtntpoint le pied » fans avoir auparavant fondĂ© avec leur bĂąton » le terrein fur lequel ils vont 1 appuyer. » Ce que j’ai dit fur les qualitĂ©s exclusives , ou par leur nature , ou par des habitudes contraires , suffit Ă  l’objet que je me propose. II s’agit maintenant de montrer de quelle utilitĂ© peut ĂȘtre cette connois- fance. La principale , c’est d’apprendre Ă  tirer le meilleur parti possible de son esprit & c’est la question que je vais traiter dans le chapitre suivant. apprendroientĂ  se mĂ©fier de leurs lumiĂšres & , faisant aux affaires I application de cette mĂ©fiance, í»s les examineroient avec plus d’attention. Tom, IL S 4io De l’ Esprit. CHAPITRE XVI. MĂ©thode pour dĂ©couvrir 1e genre ct Ă©tude au - quel Con ejl le plus propre. P OUR connoĂźtre son talent, il faut examiner & de quelle espece d’objets le hazard 8c PĂ©ducation ont principalement chargĂ© notre mĂ©moire , 8c quel degrĂ© de paillon l’on a pour la gloire. C’est fur cette double combinaison qu’on peut dĂ©terminer le genre d’étude auquel on doit s’attacher. II n’est point d’homme entiĂšrement dĂ©pourvu de connoissances. Selon qu’on aura dans la mĂ©moire plus de faits de physique ou d’histoire, plus d’images ou de sentiments , on aura donc plus ou moins d’aptitude Ă  la physique , Ă  la politique ou Ă  la poĂ©sie. Est-ce Ă  ce dernier art qu’un homme s’applique ? II pourra devenir d’autant plus grand peintre en un genre que le magazin de fa mĂ©moire fera mieux fourni des objets qui entrent dans la composition d’une certaine espece de tableaux. Un poĂšte naĂźt dans ces Ăąpres climats du nord , que d’une aĂźle rapide traversent lans cesse les noirs ouragans son Ɠil ne s’égare point dans des vallĂ©es riantes ; il ne connoĂźt que l’éternel Hyver qui, les Discours IV. 411 cheveux blanchis par les frimats , rĂ©gnĂ© fur dgs dĂ©serts arides ; les Ă©chos ne lui rĂ©pĂštent que les hurlements des ours ; il ne volt que des neiges, des glaces amoncelĂ©es , & des sapins, auĂ­Ăźi vieux que la terre , couvrir de leurs branchages morts les lacs qui baignent leurs racines. Un autre poĂšte naĂźt, au contraire , fous le climat fortunĂ© de l’Italie ; Pair y est pur ; la terre est jonchĂ©e de fleurs ; les zĂ©phirs agitent doucement de leur souffle la cime des forĂȘts odorantes ; il voit les ruisseaux, par mille arcs argentĂ©s , couper la verdure trop uniforme des prairies , les arts & la nature s’unir pour dĂ©corer les villes & les campagnes tout y semble fait pour le plaisir des yeux & l’ivresse des sens. Peut-on douter que , de ces deux poĂštes , le dernier ne trace des tableaux plus agrĂ©ables, & le premier des tableaux plus fiers ÔC plus effrayants ? Cependant ni l’un ni l’au- tre de ces poĂštes nc composeront de ces tableaux, s’ils ne font animĂ©s d’unepaĂ­Ăźion forte pour la gloire. Les objets que le hazard & l’éducation placent dans notre mĂ©moire font Ă  la vĂ©ritĂ© la matiĂšre premiere de l’efprit ; mais cette matiĂšre y reste piorte & fans action, jusqu’au moment oĂč les passions la mettent en fermentation. C’est alors qu’elle produit un assemblage nouveau d’idĂ©es , ,4-ĂŻi De l’Esprit. cl'images 0T1 de sentiments , auxquels on donne le nom de gĂ©nie , çl’eĂ­prit ou de talent. AprĂšs avoir reconnu quel est le nombre & quelle est l’espcce des objets qu’on a dĂ©posĂ©s dans le magazin de fa mĂ©moire , avant que de se dĂ©terminer pour aucun genre d’étude , il faut ensuite constater jusqu’à quel degrĂ© l’on est sensible Ă  la gloire. On est sujet Ă  se mĂ©prendre sur ce point, & l’on donne volontiers le nom de pasiion Ă  de simples goĂ»ts rien cependant , comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, de plus facile Ă  distinguer. On est passionnĂ© , lors- qu’on est animĂ© d’un seul dĂ©sir , & que toutes nos pensĂ©es He nos actions font subordonnĂ©es Ă  ce dĂ©sir. L’on n’a que des goĂ»ts , lorsque notre ame est partagĂ©e en une infinitĂ© de dĂ©sirs Ă  peu prĂšs Ă©gaux. Plus ces dĂ©sirs font nombreux , plus nos goĂ»ts font modĂ©rĂ©s ; au contraire , moins les dĂ©sirs font multipliĂ©s , plus jls se rapprochent de l’unitĂ© , Sc plus nos goĂ»ts font vifs , & prĂȘts Ă  se changer en passions, C’est donc l’unitĂ© , ou du moins la prĂ©Ă©minence d’un dĂ©sir fur tous les autres , cjĂŹii constate la passion. La passion constatĂ©e , il faut en connoĂźtre la force , & pour cet effet examiner le degrĂ© d’enthousiafime qu’on a pour les grands hommes. C’est , dans la premiere jeunesse, une mesure Discours IV. 413 ĂĄssez exacte de notre amour pour la gloire. Je dis , dans jeunesse ; parcs qu’alors plus susceptible de passons, on se livre plus volontiers Ă  fort enthousiasme. D’ailleurs ,, l’on n’a point alors de motifs pour avilir le mĂ©rite & les talents ; on peut encore espĂ©rer de voir un jour estimer en soi ce qu’on estime dans les autres il n’en est pas ainsi des hommes faits. Quiconque atteint un certain Ăąge fans avoir aucun mĂ©rite , affiche toujours le mĂ©pris des talents,* pour fe consoler de n’en point avoir. Pour ĂȘtre juge du mĂ©rite , il faut le juger sans intĂ©rĂȘt, &c par consĂ©quent n’avoir point encore Ă©prouvĂ© le sentiment de l’envie. L’on en est peu susceptible dans la premiĂšre jeunesse auffi les jeunes gens- voient-ils les grands hommes Ă  peu prĂšs du mĂȘme Ɠil dont la postĂ©ritĂ© les verra. Auffi faut- il, en gĂ©nĂ©ral, renoncer Ă  l’estime des hommes de son Ăąge , & ne s’attendre qu’à celle des jeunes e;ens. C’est fur leur Ă©loge qu’on peut apprĂ©cier Ă  peu prĂšs son mĂ©rite ; & sur l’éloge qu’ils font des grands hommes, qu’on peut apprĂ©cier le leur. Si l’on n’estime jamais dans les autres que des idĂ©es analogues aux siennes , le respect qu’on a pour l’esprit est toujours proportionnĂ© Ă  l’esprit qu’on a. L’on ne cĂ©lĂ©brĂ© les grands hommes que lorsqu’on est soi-mĂȘme fait pour l’ĂȘtre, Pourquoi CĂ©sar 414 O e l’Esprit. pleuroĂźt - il en s’arrĂȘtant devant le buste d’Alexandre ? c’est qu’il Ă©tĂŽit CĂ©sar. Pourquoi ne pleure-t - on plus Ă  l’aspect de ce mĂȘme buste ? c’est qu’il n’est plus de CĂ©sar. On peut donc , sur le degrĂ© d’estime conçu pour les grands Hommes , mesurer le degrĂ© de passion qu’on a pour la gloire, & se dĂ©terminer, en consĂ©quence , sur le choix de ses Ă©tudes. Le choix est toujours bon, lorsqu’en quelque genre que ce soit, la force des passions est proportionnĂ©e Ă  la difficultĂ© de rĂ©ussir or il est d’autant plus difficile de rĂ©ussir en un genre , que plus d’hommes se sont exercĂ©s dans ce mĂȘme genre , & l’ont portĂ© plus prĂšs de la perfection. Rien de plus hardi que d’en- trer dans la carriĂšre oĂč sc sont illustrĂ©s les Corneille , les Racine, les Voltaire & les CrĂ©billon. Pour s’y distinguer , il faut ĂȘtre capable des plus grands efforts d’esprit, & , par consĂ©quent , ĂȘtre animĂ© de la plus forte passion pour la gloire. Qui n’est pas susceptible de cet extrĂȘme degrĂ© de passion ne doit point concourir avec de tels rivaux, mais s’attacher Ă  des genres d’étude dans lesquels il soit plus facile de rĂ©ussir. Il en est de cette espece dans la physique , par exemple , il est des terreins incultes , & des matiĂšres fur lesquelles les grands gĂ©nies , occupĂ©s d’abord d’objets plus intĂ©ressants , n’ont, pour ainsi dire , Discours IV. 415 jetĂ© qu’un coup d’oeil superficiel. Dans ce genre, & dans tous les genres pareils , les dĂ©couvertes & les succĂšs font Ă  la portĂ©e de presque tous les esprits ; & ce font les seuls auxquels puissent prĂ©tendre les passions foibles. Qui n’est point ivre d’amour pour la gloire doit la chercher dans les sentiers dĂ©tournĂ©s, & surtout Ă©viter les routes battues par des gens Ă©clairĂ©s. Son mĂ©rite, comparĂ© Ă  celui de ces grands hommes , s’anĂ©antiroit devant le leur ; & le public prĂ©venu lui rpfuseroit mĂȘme s estime qu il mĂ©rite. La rĂ©putation d’un homme foiblement passionnĂ© dĂ©pend donc de l’adresse avec laquelle il Ă©vite qu’on le compare Ă  ceux qui, bridant d’une plus forte passion pour la gloire, ont fait de plus grands efforts d’esprit. Par cette adresse, l’homme qui, foiblement passionnĂ© , a cependant contractĂ© dans fa jeunesse quelque habitude du travail & de la mĂ©ditation , peut quelquefois , avec trĂšs-peu d’esprit, obtenir une assez grande rĂ©putation. Il paroĂźt donc que, pour tirer le meilleur parti possible de son esprit, la principale attention qu’on doive avoir , c’est de comparer le degrĂ© de passion dont on est animĂ© au degrĂ©s de passion que suppose le genre d’étude auquel on s’attache. Quiconque est, Ă  cet Ă©gard, exact observateur de lui- '4Ăźn oublie immĂ©dia- Discours IV. 4 . 1s tement aprĂšs la sortie des classes ; parce qu’elle n’est, dans le cours de la vie , de presque aucun usage ? En vain dira-t-ost que, sx l'on retient si longtemps les jeunes gens dans les collĂšges, c’est moins pour qu’ils y apprennent le Latin , que pour leur y faire contracter l'habitude du travail Sc de l'application. Mais, pour les plier Ă  cette habitude , ne pourroit-on pas leur proposer une Ă©tude moins ingrate , moins rebutante ? Ne craint-on pas d’é- teindre ou d’émousser en eux cette curiositĂ© naturelle qui, dans la premiere jeunesse , nous Ă©chauffe du dĂ©sir d’apprendre } ComBien ce dĂ©sir ne se fortifierait-il pas , fi , dans T Ăąge oĂč l’on n’est point encore distrait par de grandes passions , l’on substituent, Ă  l’insipide Ă©tude des mots , celle de la physique , de l’histoire, des mathĂ©matiques, de la morale, de la poĂ©sie, &c? L’étude des langues mortes , repli— quera-t-Ăłn, remplit en partie cet objet. Elle assujettit Ă  la nĂ©cessitĂ© de traduire &C d’expliquer les auteurs ; elle meuble , par consĂ©quent, la tĂȘte des jeunes gens de toutes les idĂ©es contenues dans les meilleurs ouvrages de l’àntiquitĂ©. Mais , rĂ©pondraĂŹ- je, est-il rien de plus ridicule que de consacrer plusieurs annĂ©es Ă  placer dans la mĂ©moire quelques faits ou quelques idĂ©es qu’on peut, avec le secours des traduo 42,6 De l’Êsprit. tions, y graver en deux ou trois mois ? L’unique avantage qu’on puisse retirer de huit ou dix ans ssĂ©tude, c’est donc la con- noissance fort incertaine de ces finesses de l’expreision Latine, qui fe perdent dans une traduction. Je dis fort incertaine ; car enfin, quelque Ă©tude qu’un homme fasse de la langue Latine , il ne la connoĂźtra jamais aum parfaitement qu il connoĂźt fa propre langue. Or fi , parmi nos savants , il en est trĂšs-peu de sensibles Ă  la beautĂ© , Ă  la force, Ă  la finesse de b expression Françoise , peut - on imaginer qu’ils soient plus heureux, lorsqu’il s’agit d’une expression Latine ? Ne peut-on pas soupçonner que leur science, Ă  cet Ă©gard, n’cst fondĂ©e que fur notre ignorance, notre crĂ©dulitĂ© &c leur hardiesse ; & que , si l’on pouvoit Ă©voquer les manĂšs d’Horace , de Virgile & de CicĂ©ron, les plus beaux discours de nos rhĂ©teurs ne leur parussent Ă©crits dans un jargon presque inintelligible ? Je ne m’arrĂȘterai cependant pas Ă  ce soupçon ; & je conviendrai, si on le veut, qu’au sortir de ses classes , un jeune homme est fort instruit des finesses de l’expreĂ­sion Latine mais , dans cette supposition mĂȘme , je demanderai si l’on doit payer cette con- noissance du prix de huit ou dix ans de travail ; & si , dans la premiere jeunesse , dans l’ñge oĂč la curiositĂ© n’est combattue .Discours IV. 417 par aucune passion, oĂč l’on est par consĂ©quent plus capable ^'application, ces huit ou dix annĂ©es consommĂ©es dans l’étude des mots ne seroient pas mieux employĂ©es Ă  l’étude des choses, & surtout des choses analogues au poste qu’on doit vraisemblablement remplir ? Non que j’adopte les 1 maximes trop austĂšres de ceux qui croient ' qu’un jeune homme doit se borner uniquement aux Ă©tudes convenables Ă  son Ă©tat. L’éducation d'un jeune homme doit se\ prĂȘter aux diffĂ©rents partis qu’il peut pren -1 dre le gĂ©nie veut ĂȘtre libre. II est mĂȘme ' des connoissances que tout citoyen doit avoir telle est la connoissance nC des principes de la morale & des loix de son pays. Tout ce que je demanderois , c’est qu’011’ chargeĂąt principalement la mĂ©moire d un jeune homme des idĂ©es & des objets relatifs au parti qu’il doit vraisemblablement embrasser. Quoi de plus absurde que de donner exactement la mĂȘme Ă©ducation Ă  trois hommes , dont l’un doit remplir les petits emplois de la finance , & les deux autres les premieres places de farinĂ©e , de la magistrature , ou de l’adminiĂ­lration ? Peut-on , fans Ă©tonnement, les voir s’oe- cuper des mĂȘmes Ă©tudes jusqu’à seize ou dix-sept ans; c’est-Ă -dire , jusqu’au moment qu’ils entrent dans le monde , & que , distraits par les plaisirs , ils devien- 42& De l’Esprit., nent souvent incapables d’application ? Quiconque examine les idĂ©es dont on charge la mĂ©moire des jeunes gens ; & compare leur Ă©ducation avec l’état qu’ils doivent remplir , la trouve auĂ­ĂŻi folle que l’eĂ»t Ă©tĂ© celle des Grecs , s’ils n’euĂ­Tent donnĂ© qu’un maĂźtre de flĂ»te Ă  ceux cpi’ils envoyoient aux jeux olympiques y disputer le prix de la lutte ou de la course. Mais , dira-t-on , Ă­i l’on peut faire un bien meilleur emploi dit tems consacrĂ© Ă  PĂ©ducation , que n’essaie-t-on de le faire ? A quelle cause attribuer l’indissĂ©rence oĂč l’on reste Ă  cet Ă©gard? Pourquoi met-on, dĂšs l’enfance , le crayon dans les mains du dessinateur? Pourquoi place-t-on , Ă  cet Ăąge, les doigts du musicien sur le manche de son violon ? Pourquoi Pun & l’autre de ces artistes reçoivent-ils une Ă©ducation st convenable Ă  l’art qu’ils doivent professer ? & nĂ©glige-t-on si fort PĂ©ducation des princes , des grands , & gĂ©nĂ©ralement de tous ceux que leur naissance appelle aux grandes places ? Ignore -1 - on ce que les vertus, & surtout les lumiĂšres des grands, ont d’influence fur le bonheur ou fur le malheur des nations ? Pourquoi donc abandonner au hazard une partie si essentielle Ă  l’administration ? Ce n’est pas , rĂ©pondrai-je , qu’on ne trouve dans les collĂšges une infinitĂ© de gens Ă©clairĂ©s, qui connoiĂ­- Discours IV. 429 sent Ă©galement 6 c les vices del’éducation, 6 c les remedes qn’on y peut apporter mais, que peuvent-ils faire 4 'ans f aide du gouvernement ? Or , les gouvernements doivent peu s’occjiper du loin de i’édu- cation publique. II ne faut pas, Ă  cet Ă©gard, comparer les grands empires aux petites rĂ©publiques. Dans les grands empires , on lent rarement ie besoin pressant d’un grand homme les grands Ă©tats fe soutiennent par leur propre masse. 11 ssen est pas ainsi d’une rĂ©publique telle, par exemple, que celle de LacĂ©dĂ©mone. Elle avoit, avec une poignĂ©e de citoyens, Ă  soutenir le poids Ă©norme des armĂ©es de l’Asie. Sparte ne devoir fa conservation qu’aux grands hommes qui naissoient successivement pour la dĂ©fendre. Aussi, toujours occupĂ©e du foin d’en former de nouveaux , c’étoit fur l’é- ducation publique que devoir fe porter la principale .attention du gouvernement. Dans les grands Ă©tats, 011 est plus rarement exposĂ© Ă  de pareils dangers, 6 c l’on ne prend point les mĂȘmes prĂ©cautions peur s’en garantir. Le besoin plus ou moins urgent d’une chose est , en chaque genre , i’exacte mesure des efforts d’esprit qu’on fait pour se la procurer. Mais, dira-t-on , il n’est point ’d’état, parmi les plus puissants , qui n’éprcuve quelquefois le besoin des grands hommes. Oui, fans 43° D L l’ Esprit. doute mais ce besoin n’étant point habituel , on n’a pas foin de le prĂ©venir. La prĂ©voyance n’est point la vertu des grands Ă©tats. Les gens en place y font chargĂ©s de trop d’aĂ­faires , pour veiller Ă  l’éducation publique ; & FĂ©ducatiort doit ĂȘtre nĂ©gligĂ©e. D’ailleurs, que d’obllacles l’intĂ©rĂȘt personnel ne met-il pas, dans les grands empires , Ă  la production des gens de gĂ©nie ? On y peut, fans doute , former des hommes instruits ; rien n’empĂȘche de profiter du premier Ăąge , pour charger la mĂ©moire des jeunes gens des idĂ©es &c des objets relatifs aux places qu’ils peuvent occuper mais jamais on n*y formera d’hommes de gĂ©nie , parce que ces idĂ©es & ces objets lont stĂ©riles, fi Famour de la gloire ne les fĂ©conde. Pour que cet amour s’allume en nous , il faut que la gloire soit, comme Fargent , FĂ©change d’unc infinitĂ© de plaisirs, ĂȘe que les honneurs soient le prix du mĂ©rite. Or l’intĂ©rĂȘt des puissants ne leur permet pas d’en faire une aufli juste distribution ils ne veulent pas accoutumer le citoyen Ă  considĂ©rer les grĂąces comme une dette dont ils s’acquittent envers le talent. En consĂ©quence , ils en accordent rarement au mĂ©rite ils sentent qu’ils obtiendront d’autant plus de recon- noissance de leurs obligĂ©s , que ces obligĂ©s seront moins dignes de leurs bienfaits. Discours IV. 431 L’injustice doit donc souvent prĂ©sider Ă  la distribution des grĂąces, & l’ajnour de la gloire s’éteindre dans tous les cƓurs. T elles font, dans les grands empires , les principales causes , &c de la disette des grands hommes , &Ă­ de l’indiffĂ©rence avec laquelle on les regarde, & du peu de foin enfin qu’on y prend de l’éducation publique. Quelque grands cependant que soient les obstacles qui, dans ces pays, s’opposent Ă  la rĂ©forme de l’éducation publique ; dans les Ă©tats monarchiques, tels que la plupart des Ă©tats de l’Europe, ces obstacles ne font pas insurmontables mais ils le deviennent dans les gouvernements absolument despotiques , tels que les gouvernements Orientaux. Quel moyen, en ces pays , de perfectionner l’éducation? Il n’est point d’éducation fans objet; & l’u- nique qu’on puisse se proposer, c’est, comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, de rendre les citoyens plus forts , plus Ă©clairĂ©s , plus vertueux, , & enfin plus propres Ă  contribuer au bonheur de la sociĂ©tĂ© dans laquelle ils vivent. Or , dans les gouvernements arbitraires, l’opposition que les despotes croient ap- percevoir entre leur intĂ©rĂȘt & l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, ne leur permet pas d’adopter un systĂšme si conforme Ă  futilitĂ© publique. Dans ces pays , il n’est donc point d’objet d’éducation, ni par consĂ©quent d’édu- 431 De l’ E s p r i t. cation. En vain la rĂ©duiroit-on aux seuls moyens de *plaire au souverain quelle Ă©ducation que celle dont le plan seroit tracĂ© d’aprĂšs la connoiffance toujours imparfaite des mƓurs d’un prince , qui peut ou mourir ou changer de caractĂšre avant la fin d’une Ă©ducation. Ce n’est, en ces pays , qu’aprĂšs avoir perfectionnĂ© l’édu- cation des souverains , ^jqu’on pourroit utilement travailler Ă  la reforme de l’édu- caticn publique. Mais un traitĂ© fur cette matiĂšre devroit, fans doute ; ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ© d’un ouvrage , encore plus difficile Ă  faire, dans lequel on examineroit s’il est possible de lever les puissants obstacles que des intĂ©rĂȘts personnels mettront toujours Ă  la bonne Ă©ducation des rois. C’est un problĂšme moral qui, dans les gouvernements arbitraires , tels que ceux de 1 Orient, est, je crois , un problĂšme insoluble. Trop jaloux de regner sous le nom de leur maĂźtre , c’est dans une ignorance honteuse 8c presque invincible que les vizirs retiendront toujours les sultans ils Ă©carteront toujours loin d’eux l’homme qui pourroit les Ă©clairer. Or , l’éducation des princes ainsi abandonnĂ©e au hazard , quel foin peut-on prendre de l’éducation des particuliers ? Un pere dĂ©sirĂ© l’élĂ©vation de ses fils, il fait que ni les connoissances , ni les talents , ni les vertus , ne leur ouvriront jamais Discours IV. 43$ jamais le chemin de la fortune; que les princes ne croient jamais avoir besoin d’hommes Ă©clairĂ©s & savants il ne demandera donc Ă  ses 61s ni connoissances , ni talents ; il sentira mĂȘme confusĂ©ment que, dans de pareils gouvernements , on ne peut ĂȘtre impunĂ©ment vertueux. Tous les prĂ©ceptes de fa morale se rĂ©duiront donc Ă  quelques maximes vagues, & qui, peu liĂ©es entr’elles , ne peuvent donner Ă  tes 61s des idĂ©es nettes de la vertu il crain- droit, en ce genre , les prĂ©ceptes trop sĂ©vĂšres & trop prĂ©cis. II entrevoir qu’une vertu rigide nuiroit Ă  leur fortune; & que, 6 deux choses , comme le dit Pythagore, rendent un homme semblable aux dieux , l’une de faire le bien public, l’autre de dire la vĂ©ritĂ© , celui qui se modĂ©leroit sur les dieux seroit, Ă  coup sur, maltraitĂ© par les hommes. VoilĂ  la source de la contradiction qui se trouve entre les prĂ©ceptes moraux que, mĂȘme dans les pays soumis au despotisme, Ton est forcĂ© , par Fustige , de donner Ă  ses enfants , & la conduite qu’on leur prĂ©tĂ©rit. Un pere leur dit, en gĂ©nĂ©ral & en maxime Soyeç vertueux. Mais il leur dit, en dĂ©tail &c fans le savoir N'ajou - te\ nulle foi Ă  ces maximes ,jbye^ un coquin timide & prudent ; & rĂ­ eye{ ÂŁ honnĂȘtetĂ© , comme le dit MoliĂšre , que çe qu il en faut Tome II. T 414 De ĂŻ?Esprit. pour ri ĂȘtre. pas pendu. Or , dans un. pareil gouvernement, comment perfectionne- Toit-on cette partie mĂȘme de rĂ©ducation qui consiste Ă  rendre les hommes plus fortement vertueux ? 11 n’est point de pere qui, fans tomber en contradiction avec lui-mĂȘme , pĂ»t rĂ©pondre aux arguments pressants qu’un fils vertueux pourroit lui faire Ă  ce sujet. Pour Ă©claircir cette vĂ©ritĂ© par un exemple , je suppose que, fous le titre de hacha , un pere , destine son fils au gouvernement d’une province ; que, prĂȘt Ă  prendre possession de cette place , son fils lui dise Mon pere, les principes de vertu acquis dans mon enfance ont germĂ© dans mon ame. Je pars pour gouverner des hommes c’est de leur bonheur que je ferai mon unique occupation. Je ne prĂȘterai point au riche une oreille plus favorable qu’au pauvre sourd aux menaces du puissant oppresseur., j’écouterai toujours la plainte du foible opprimĂ© ; &c la justice prĂ©sidera Ă  tous mes jugements. O mon fils ! que l'enthoufiafme de la vertu sied bien Ă  la jeunesse ! mais sage & la prudence vous apprendront Ă  le modĂ©rer. II faut, fans doute , ĂȘtre juste cependant Ă  quelles ridicules demandes n’allez- vous pas ĂȘtre exposĂ© ! Ă  combien de petites injustices .ne faudra-t-il pas vous prĂȘter ! Discours IV. 435 Si vous ĂȘtes quelquefois forcĂ© de refuser les grands , que de grĂąces, mon fils, doivent accompagner vos refus! Quelqu’é- levĂ© que vous soyez, un mot du sultan vous fait rentrer dans le nĂ©ant, & vous .confond dans la foule des plus vils esclaves la haine d’un eunuque ou d’un ico- glan peut vous perdre ; songez Ă  les mĂ©nager. .. . Moi ! je mĂ©nagerois l’injustiee ? Non, mon per-fe. La sublime porte exige souvent des peuples un tribut trop onĂ©reux ; je ne me prĂȘterai point Ă  ses vues. Je fais qu’un homme ne doit Ă  l’état que proportionnĂ©ment Ă  l’intĂ©rĂȘt qu’il doit prendre Ă  fa conservation ; que l’infor- tune ne doit rien ; & que l’aisance mĂȘme, qui supporte les impĂŽts , doit ce qu’exige la sage Ă©conomie,, &c non la prodigalitĂ© j’éclairerai fur'ce point le divan... Abandonnez ce projet, mon fils vos reprĂ©sentations feroient vaines ; il faudroit toujours obĂ©ir.. ObĂ©ir ! non ; mais plutĂŽt remettre au sultan la place dont il m’ho- nore... O , mon fils ! un fol enthousiasme de vertu vous Ă©gare vous vous perdriez , & les peuples ne feroient point soulagĂ©s ; le divan nommeroit Ă  votre place un homme qui, moins humain, Texerceroit avec plus de duretĂ©,.. Oui, fans doute , l’injustice se commettroit ; mais je n’en ferois pas l’inĂ­lrument. L’hom- 4 3 , \ \ TABLE SOMMAIRE. TOME SECOND. DISCOURS III- Si Fesprit doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un don de la nature , ou comme un effet de VĂ©ducation. P O u r rĂ©soudre ce problĂšme , on recherche , dans ce discours , Ă­i la nature a douĂ© les hommes d’une Ă©gale aptitude Ă  [esprit , ou Ă­ĂŹ elle a plus favorisĂ© les uns que les autres ; & l’on examine fi tous les hommes , communĂ©ment bien organisĂ©s , n’auroient pas en eux la puijsance phyjique de s’élevqr aux plus hautes idĂ©es , lorsqu’ils ont des motifs suffisants pour surmonter la peine de Y application. C h a pitre IX. De torigine des paffons s Page i L’objet de ce chapitre est de faire voir que toutes nos passions prennent leur source dans l’amour du plaisir, ou dans la crainte de la douleur , &, par consĂ©quent, dans la fensi- T v 44* TABLE SOMMAIRE. bilitĂ© physique. On choisit, pour exemple en ce genre , les passions qui paroissent les plus indĂ©pendantes de cette sensibilitĂ© ; c’est-Ă - dire , l’avarice , l’ambition, l’orgueil 8c l’a- mitiĂ©. Ch. X. De Vavarice s j On prouve que cette passion est sondĂ©e sur l’amour du plaisir & la crainte de la douleur ; & l’on fait voir comment, en allumant en nous la soif des plaisirs, l’avarice peut toujours nous en priver. Ch. XI. De r ambition , i z Application des mĂȘmes principes, qui prouvent que les mĂȘmes motifs qui nous font desirer' les richesses, nous font rechercher les grandeurs. Ch* XII. Sis dans la poursuite des' grandeurs , Von ne cherche qu un moyen de se soustraire Ă  lĂąt douleur ou de jouir de s plaisirs physiques , pourquoi le plaisir Ă©chap - pe-t-il si souvent Ă  V ambitieux ? 2 2 On rĂ©pond Ă  cette objection , & l'on prouve qu’à cet Ă©gard il en est de l’ambition comme de l’avarice. Ch. XIII. De Vorgueil, H I L’objet de ce chapitre est de montrer qu’on ne dĂ©sirĂ© d’ĂȘtre' estimable que pour ĂȘtre estimĂ© ; & qu’on ne dĂ©sirĂ© d’ĂȘtre estimĂ© que pour jouir des avantages que l'sstim» TABLE SOMMAIRE. 44J procure avantages qui se rĂ©duisent toujours Ă  des plaisirs physiques. Ch. XIV. De VamitiĂ© , 39 Autre application des mĂȘmes principes. Ch. XV. Que la crainte des peines ou le dejir des plaiffrs physiques peuvent allumer en nous toutes sortes de passions , 55 AprĂšs avoir prouvĂ©, dans les chapitres prĂ©cĂ©dents , que toutes nos passions tirent leur origine de la sensibilitĂ© physique ; pour confirmer cette vĂ©ritĂ©, on prouve , dans ce chapitre , que, par le secours des plaisirs physiques , les lĂ©gislateurs ' peuvent allumer dans les coeurs toutes fortes de passions. Mais , en convenant que tous les hommes sont susceptibles de passions, comrtĂŻe on pour- roit supposer qu'ils ne sont pas du moins susceptibles du degrĂ© de passion nĂ©cessaire pour les Ă©lever aux plus hautes idĂ©es, Sc qu’on pourroit apporter en exemple de cette opinion l’insensibilitĂ© de certaines nations aux passions de la gloire & de la vertu , on prouve que l’indiffĂ©rence de certaines nations,, a cet Ă©gard , ne tient qu’à des causes accidentelles , telles que la forme diffĂ©rente des gouvernements. Ch. XVI. A quelle cause on doit at~ tribuer VindiffĂ©rence de certains peuples pour la vertu , 64. Pour rĂ©soudre cette question, on examine, dans chaque homme , le mĂ©lange de ses vices & de ses vertus, le jeu de ses paf- T vj 444 TABLE SOMMAIRE. fions , l’idĂ©e qu’on doit attacher au mot vertueux , & l’on dĂ©couvre que ce n’est point Ă  la nature , mais Ă  la lĂ©gislation particuliĂšre de quelques empires, qu’on doit attribuer l’indĂ­ffĂ©rence de certains peuples pour la vertu. C’est pour jetter plus de jour fur cette matiĂšre , que l’on considĂ©rĂ©, en particulier , & les gouvernements despotiques Si les Ă©tats libres, &. enfin les diffĂ©rents effets que doit produire la forme diffĂ©rente de ces gouvernements. L’on commence par le despotisme ; Lc, pour en mieux connoitre la nature , on examine quel motif allume dans l’homme le dĂ©sir effrĂ©nĂ© du pouvoir arbitraire. Ch. XVII. Du dĂ©sir que tous les hommes ont cCĂȘtre despotes ; des moyens qu!ils emploient pour y parvenir & du danger auquel le despotisme expose les rois , 8 o Ch. XVIII. Principaux effets du despotisme j 50 On prouve , dans ce chapitre , que les vizirs n’ont aucun intĂ©rĂȘt de s’instruire , ni d'e supporter la censure ; que ces vizirs , tirĂ©s du corps des citoyens , n’ont, en entrant en place , aucuns principes de justice & d’ad- ministration ; & qu’ils ne peuvent fe former de» idĂ©es’nettes de la vertu. Ch. XIX. Le mĂ©pris & Vavilissement oĂč sont les peuples entretient Vignorance des vvsirs s second effet du despotisme , 5-5- TABLE SOMMAIRE. 445 Ch. XX. Du mĂ©pris de la vertu , & de la fauffe ejlime qu on affecle pour elle ; troijleme effet du despotisme , 105 On prouve que , dans les empires despotiques , on n’a rĂ©ellement que du mĂ©pris pour la vertu , & qu’on n’en honore que le nom. Ch. XXI. Du renversement des empires soumis au pouvoir arbitraire ; quatriĂšme effet du despc- tijme , 1 1 3 AprĂšs avoir montrĂ©, dans rabrutissement & ia bassesse de. la plupart des peuples iourois au pouvoir arbitraire , la cause du renversement clĂ©s empires despotiques , l'on conclut , de ce qu’on a dit fur cette matiĂšre , que c’est uniquement de la forme particuliĂšre des gouvernements que dĂ©pend 1 indiffĂ©rence de certains peuples pour la vertu & , pour ne laisser rien Ă  desirer fur ce sujet, l’on examine , dans les chapitres suivants , la cause des effets contraires. Ch. XXII. De Vamour de certains . peuples pour la gloire & pour la venu i iç On fait voir , dans ce chapitre , que cet amour pour la gloire & pour la vertu dĂ©pend, dans chaque empire , de l'adresse avec laquelle le lĂ©gislateur y unit l’intcrĂ©'t particulier Ă  l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ; union plus façiie Ă  faire dans certains pays que dans d’autres. 446 TABLE SOMMAIRE. Ch.. XXIII. Que les nations pauvres ont toujours Ă©tĂ© & plus avides de gloire , & plus fĂ©condes en grands hommes que les nations opulentes 3 116 On prouve , dans ce chapitre , que la production des grands hommes est, dans tout pays , l’esset nĂ©cessaire des rĂ©compenses qu’on y asiĂŹgne aux grands talents & aux grandes vertus ; & que les talents & les vertus ne sont, nulle part , auffi rĂ©compensĂ©s que dans les rĂ©publiques pauvres & guerriĂšres. Ch. XXIV» Preuve de cette vĂ©ritĂ© t iZr Ce chapitre ne contient que la preuve de la proposition Ă©noncĂ©e dans le chapitre prĂ©cĂ©dent. On en tire cette conclusion c’est qu’on peut appliquer Ă  toute espece de passions ce qu’on dit, dans ce mĂȘme chapitre , de l’a- mour ou de l’indiffĂ©rence de certains peuples pour la gloire & pour la vertu d’oĂč l’on conclut que ce n’est point Ă  la nature qu’on doit attribuer ce degrĂ© inĂ©gal de passions , dont certains peuples paroissent susceptibles. On confirme, cette vĂ©ritĂ© en prouvant , dans les chapitres suivants , que la force des passons des hommes est toujours proportionnĂ©e Ă  la force des moyens employĂ©s pour les exciter. Ch. XXV. D u rapport exacl entre la force des pajjĂŹons & la gran~ TABLE SOMMAIRE. 447 deur des rĂ©compenses qu on leur propose pour objet , 138 AprĂšs avoir fait voir Fexactitude de ce rapport, on examine Ă  quel dĂ©gre de vivacitĂ© on peut porter Fenthousiasme des passions. Ch. XXVI. De quel degrĂ© de passion les hommes font susceptibles , 15° On prouve, dans ce chapitre , que les passions peuvent s’exalter en nous juiqu’à l’incroya- ble ; & que tous les hommes, par consĂ©quent, sont susceptibles d’un degrĂ© de passion plus que suffisant pour les taire triompher de leur paresse , & les douer de la continuitĂ© d’attention Ă  laquelle est attachĂ©e la supĂ©rioritĂ© d’esprit qifainsi la grande inĂ©galitĂ© d’esprit qu’on apperçoit entre les hommes dĂ©pend & de la diffĂ©rente Ă©ducation qu’ils reçoivent & de l’enchaĂźnement inconnu des diverses circonstances dans lesquelles ils se trouvent placĂ©s. Dans les chapitres suivants , on examine si les faits se rapportent aux principes. Ch. XXVII. jD u rapport des faits avec les principes ci-dessus Ă©tablis , j j p Le premier objet de ce chapitre est de montrer que les nombreuses circonstances , dont le concours est absolument nĂ©cessaire pour former des hommes illustres , se trouvent si rarement rĂ©unies , qu’en supposant, dans tous les hommes d’cgales dispositions Ă  Fesprit , ies gĂ©nies du premier ordre seroient encore 448 TABLE aussi rares qu’ils le sont- On prouve de plus , dans ce mĂȘme chapitre , que c’est uniquement dans le moral qu’on doit chercher la vĂ©ritable cause de l’inĂ©galitĂ© des esprits ; qu’en vain on voudroit l’attribuer Ă  la diffĂ©rente tempĂ©rature des climats ; & qu’en vain l’on essaieroit d’ex- pliquer par Je physique une infinitĂ© de phĂ©no- mes politiques qui s'expliquent trĂ©s - naturellement par les causes morales. Telles Ă­ont les conquĂȘtes des peuples du nord , l’esclavage des orientaux , le gĂ©nie allĂ©gorique de ces mĂȘmes peuples; & enfin la supĂ©rioritĂ© de certaines nations dans certains genres de sciences ou d’arts, Ch. XXVIII. Des conquĂȘtes des peuples du nord , 1 6 j II s’agit , dans ce chapitre , de faire voir que c’aĂ­t uniquement aux causes morales qu’on doit attribuer les conquĂȘtes des septentrionaux. Ch. XXIX. De Vesclavage 3 & du gĂ©nie allĂ©gorique des orientaux , 175? Application des mĂȘmes principes. Ch. XXX. De la supĂ©rioritĂ© que certains peuples ont eu dans les divers genres de sciences ou d’ans , 1 9 1 Les peuples qui se font les plus illustrĂ©s par les arts St les sciences, font les peuples chez lesquels ces mĂȘmes arts & ces mĂȘmes sciences ont Ă©tĂ© le plus honorĂ©s ce n’est donc point dans la diffĂ©rents tempĂ©rature des climats , mais TABLE SOMMAIRE. 449 mais dans les causes morales , qu’on doi t chercher la cause de l’mĂ©gaĂŹitĂ© des esprits. L A conclusion gĂ©nĂ©rale dc ce discours * c’eĂ­l que tous les hommes , communĂ©ment bien organisĂ©s , ont en eux la puissance physique de s Ă©lever aiĂźx plus hautes^ idĂ©es ; & que la diffĂ©rence d'esprit qu’oiĂ­ remarque entr’eux dĂ©pend des diverses circonstances dans lesquelles ils se trouvent placĂ©s , & de Y Ă©ducation dlffĂ©rih'fe qti’ils reçoivent. Cette conclusion fait sentir toute l’importance de VĂ©ducation. DISCOURS IV. Des diffĂ©rents noms donnĂ©s-Ă  VEsprit. o u r donner une connoiĂ­Tance exacte X de Y esprit & d q sa nature , on se propose , dans ce discours , d’artacher des idĂ©es nettes aux divers noms donnĂ©s Ăą Y esprit. Chapitre premier , Du gĂ©nie, pag. z 09 Ch. II. De s imagination & du sentiment , 213 sentiment , Ch. III. De Vesp. Tome 11. V 45° TABLÉ SOMMAIRE. Ch. IV. De r esprit firt , & de r esprit fort } 15 2 Ch. V. De F esprit de lumiĂšre, de Vesprit Ă©tendu S de Vesprit pĂ©nĂ©trant a & du goĂ»t y i ~]3 Ch. VI. Du bel esprit S 28 j Ch. VII .De Vesprit dufiecle } 19 j Ch. VIII. De t esprit jufie 305 On prouve , dans ce chapitre, crue, dans les questions compliquĂ©es , il ne suffit pas , pour bien voir , d’avoir l’esprit juste ; qu'il faudroit encore l’avoir Ă©tendu qu’en gĂ©nĂ©ral les hommes font sujets Ă  s’énorgueii'ir dĂ© la justesse de leur esprit, Ă  donner a cette justesse la prĂ©fĂ©rence sur le gĂ©nie qu’en consĂ©quence , ils se disent supĂ©rieurs aux gens Ă  talents ; croient , dans cet aveu , simplement se rendre justice j & ne s’apperçoivent point qu’ils font entraĂźnĂ©s Ă  cette erreur par une mĂ©prise de sentiment commune Ă  presque tous les hommes mĂ©prise dont il est sans doute utile de faire appercevoĂ­r les causes. Ch. IX. MĂ©prise de sentiment, 321 Ce chapitre n’esl proprement que l’exposition des deux chapitres suivants. On y montre seulement combien il est difficile de se con» noĂźtre soi-mĂȘme. Ch. X. Combien Von efi sujet Ă  se mĂ©prendre sur les motifs qui nous dĂ©terminent , 3 1 h DĂ©veloppement d» chapitre prĂ©cĂ©dents TABLE SOMMAIRE. 45* Ch. XI. Des conseils } 339 II s’agit d’examiner , dans ce chapitre , pourquoi l’on est si prodigue de conseils , si aveugle fur les motifs qui nous dĂ©terminent Ă  les donner ; & dans quelles erreurs enfin l’ignorance oĂč jtous sommes de nous-mĂȘmes Ă  cet Ă©gard peut quelquefois prĂ©cipiter les autres. On indique Ă  la fin de ce chapitre , quelques-uns des moyens propres Ă  nous faciliter la eĂłnnoissance de nous - mĂȘmes. Ch. XII. Du bon sens , 35 z. Ch. XIII .Esprit de conduite , 355? Ch. XIV. Des qualitĂ©s exclusves de F esprit & de V aifte 374 AprĂšs aVoir essayĂ©, dans les chapitres prĂ©cĂ©dents, d’attacher des idĂ©es nettes Ă  la plupart des noms donnĂ©s Ă  1 esprit; il est utile dĂš connoĂź- tre quels font & les talents de l'esprit qui, de leur nature, doivent rĂ©ciproquement s’exclurre , & les talents que des habitudes contraires rendent pour ainsi dire malliables. 7est l'objet qu’on fe propose d’examiner dans ce chapitre & dans le chapitre suivant oĂč l’on Rapplique plus particuliĂšrement Ă  faire sentir toute l'injustice dont le public use, Ă  cet Ă©gard , envers les hommes de gĂ©nie. Ch. XV. De Vinjuslice du public Ă  cet Ă©gard 3 3^1 On ne s’arrĂȘte, dans ce chapitre, Ă  considĂ©rer les qualitĂ©s qui doivent s’exclurre rĂ©ciproquement,’ Î ue pour Ă©clairer les hommes fur les moyens s tirer le meilleur parti poĂ­Eble de leur efprttz table sommaire. Ch. XVI. MĂ©thode pour dĂ©couvrir - le genre d.’étude auquel l’on ejl propre , 41 o Cette mĂ©thode indiquĂ©e , il semble que le plan d’une excellente Ă©ducation devroit ĂȘtre la conclusion nĂ©cessaire de cet ouvrage mais ce plan d’éducation , peut-ĂȘtre facile Ă  tracer , seroit, comme on le verra dans le chapitre suivant, d’une exĂ©cution trĂšs difficile. Ch. XVII. De VĂ©ducation , 413 On prouve , dans ce chapitre , qu’il seroit sans doute trĂšs - utile de perfectionner {'Ă©ducation publique ; mais qu’il n’est rien de plus difficile ; que nos mƓurs actuelles s’opposent, en ce genre , Ă  toute espece de rĂ©forme ; que , dans les empires vastes & puissants, on n’a pas toujours un besoin urgent de grands hommes ; qu'en consĂ©quence , le gouvernement ne peut arrĂȘter long-temps ses regards fur cette partie de l’ad- ministration. On observe cependant, Ă  cet Ă©gard , que dans les Ă©tats monarchiques , tels que le nĂŽtre , il ne seroit pas impossible de donner le plan d’une excellente Ă©ducation ; mais que cette entreprise seroit absolument vaine dans des empires soumis au despotisme , tels que ceux de l'orient. ii-i iMÉinf**' h J MĂą HWM MRĂȘ >-L» !\ - ĂŹ' r* s' - 1 *' 1 ;’S*%, * rĂ -^N WrM ùàù Á&i/'*'/* ’ï'Ă­ HEM W^NtzW ,V.> ✓f»*; WWEMKMM^ ‱‱ - -y*- - . ' '' p - , '\ . ‱ ->i''vfti' y 4*v- ;' a - P? k'/; E MMWM ĂŻvw 'WMU - V ' , >*’ fĂ­jĂ­J^V *S* ĂźrDM

AprĂšsavoir trouvĂ© votre maison idĂ©ale, la prochaine Ă©tape consiste Ă  trouver des fonds nĂ©cessaires pour financer ce projet. Trouver une offre de prĂȘt immobilier n’est pas une tĂąche facile Ă  rĂ©aliser et c’est pour cela que vous devez bien vous renseigner Ă  ce sujet avant de vous engager. Si vous soumettez plus tĂŽt votre dossier, vous pourrez acquĂ©rir assez
Pour des murs entiers, plĂątre sur plaque de plĂątre volontĂ© assez sec rapidement et toi devrait attendre environ 10-14 jours avant d'appliquer une couche de brume. Pour un mur Ă  deux ou trois couches de plĂątre souvent appelĂ© support plĂątre, toi devrait attendre environ 14-21 jours. Les gens demandent aussi, que se passe-t-il si vous peignez du plĂątre trop tĂŽt ?Peinture plĂątre avant qu'il ne soit complĂštement sec pouvez causer le Peinture Ă©plucher, donner toi problĂšmes sans fin, mais certains nus peintures en plĂątre permettre le plĂątre continuer Ă  respirer et Ă  sĂ©cher aprĂšs le des peintures appliquĂ©. Parfois, des patchs de nouveau plĂątre ne sĂšche pas Ă  cause de l'humiditĂ©. La cause de l'humiditĂ© doit Ă©galement ĂȘtre ailleurs, quelle peinture utiliser aprĂšs le plĂątrage ? Frais plĂątre doit pouvoir respirer sous le Peinture pour permettre Ă  l'humiditĂ© de s'Ă©chapper, alors assurez-vous de utiliser un non vinylique Ă  base d'eau Peinture. Astuce si vous avez beaucoup de piĂšces Ă  Peintureun gros lot d'Ă©mulsion commerciale blanche vous fera traverser plusieurs piĂšces d'une couche de brouillard. De mĂȘme, les gens demandent, puis-je peindre directement sur du nouveau plĂątre ? Des peintures conçu pour ĂȘtre appliquĂ© directement supporter plĂątre sont disponibles dans les magasins de bricolage. L'Ă©mulsion diluĂ©e produit un bord "doux" sur nouveau plĂątrealors que nu peintures en plĂątre produisent souvent un bord "plus dur" qui pouvez nuire Ă  la finition, il est donc conseillĂ© de diluer la premiĂšre couche, si vous pouvez faire face au savoir si le plĂątre est sec ?Tu peux dire quand la le plĂątre est sec en regardant le changement de couleur. Lorsque la plĂątre a un teint rose pĂąle uniforme alors vous pouvez dire fermement que c'est sĂ©chĂ©. Le plĂątre peut-il rester non peint ? LaissĂ© non peintcomme l'argile plĂątreil absorbe l'humiditĂ© et la libĂšre - et contrairement Ă  l'argile bidon de plĂątre ĂȘtre utilisĂ© dans les cuisines et les salles de bains mais ne doit pas ĂȘtre exposĂ© directement Ă  l'eau. Si dĂ©sirĂ©, une couche protectrice de cire d'abeille ou de savon de Marseille pouvez ĂȘtre ajoutĂ©. Quelle peinture pouvez-vous utiliser sur du plĂątre humide? Il existe un certain nombre de variantes de la technique, mais la fresque buon ou la vraie fresque se rĂ©fĂšre Ă  l'application Peinture pour plĂątre humide prĂ©cisĂ©ment, par opposition Ă  plĂątre qui a complĂštement sĂ©chĂ©. L'avantage de cette technique sur La peinture sur sec plĂątre est-ce le Peinture ne s'Ă©caille pas. De quelle couleur est le plĂątre lorsqu'il est sec ? rose Comment peindre aprĂšs le plĂątrage ?Laissez sĂ©cher le plĂątre. La toute premiĂšre chose que vous devez faire lorsque vous peignez un nouveau plĂątre est de le laisser une couche de brume. Une couche de brouillard est faite de peinture en Ă©mulsion diluĂ©e et agit comme un la couche de brume et laissez sĂ©cher. Il existe deux maniĂšres diffĂ©rentes d'appliquer la couche de la couche de finition. Combien de couches de brumisation devez-vous appliquer ? deux manteaux Quel est le meilleur papier de verre pour le plĂątre ? Grossier papier de verrele grain 80-100 peut ĂȘtre utilisĂ© pour ponçage cloisons sĂšches, et plĂątre murs et plafonds en moins de bien Ă©tat. Voici quelques exemples Les gros poils de rouleau ou les marques de pinceau peuvent ĂȘtre minimisĂ©s grĂące Ă  un ponçage. Les grandes coulures de peinture et les affaissements peuvent ĂȘtre poncĂ©s en douceur. Combien de temps faut-il pour qu'une couche de brume sĂšche? 24 heures Devriez-vous enduire de PVA avant de peindre? L'application d'une couche de brume scellera suffisamment votre nouveau plĂątre aprĂšs qu'il ait sĂ©chĂ©. De nombreux peintres professionnels fais dĂ©conseille d'utiliser APV colle pour sceller votre plĂątrecar cela peut causer des problĂšmes plus tard. Peindre commence rapidement Ă  se dĂ©coller et Ă  s'Ă©cailler si plĂątre a Ă©tĂ© traitĂ© avec APV avant application. Avez-vous besoin de poncer aprĂšs le plĂątrage? C'est seulement nĂ©cessaire de poncer les murs si la finition de la plĂątre n'est pas parfait. Toi peut ensuite appliquer une Ă©mulsion contractĂ©e » au pinceau et au rouleau cette premiĂšre couche une fois sĂšche fera apparaĂźtre les Ă©ventuelles imperfections du plĂątre lequel toi peut ensuite traiter avant d'appliquer les couches de finition. Combien diluer la peinture pour un nouveau plĂątre? Utilisez un ratio 50/50 de Peinture et l'eau. Toi veux le Peinture apparaĂźtre liquide et liquide. Avoir un ratio 50/50 volontĂ© assurer la la peinture est suffisamment humide pour ĂȘtre absorbĂ© par le plĂątre et scellez-le. La deuxiĂšme couche utilise-t-elle moins de peinture ? La deuxiĂšme couche fait ne pas utiliser autant Peinture comme premier parce qu'il n'en faut pas autant. 1 Obtenez de meilleurs clients. 2 GĂ©nĂ©ralement un deuxiĂšme couche prendra moins matĂ©riau pour la mĂȘme couverture. C'est assez bien scellĂ©, vous avez la couleur de base en bas, etc. Une couche de brume suffit-elle? 1er et avant tout lors de l'application un manteau de brume ne pas utiliser une peinture qui dit "vinyle" ou qui a du vinyle dans le nom de la peinture, car cela provoquera un pelage, utilisez uniquement une Ă©mulsion Ă  base d'eau. Sur les murs fraĂźchement enduits, prĂ©paration, puis rapport eau-peinture 60/40, seulement une couchepuis 2 manteaux de haut manteau. À quoi sert l'apprĂȘt pour plĂątre? Plascon PlĂątre ApprĂȘt Il agit comme une bonne barriĂšre entre les nouveaux alcalins plĂątre et les couches de finition peintes. Il peut Ă©galement ĂȘtre utilisĂ© comme liant pour les peaux trop molles ou trop poudreuses. plĂątreainsi qu'une scellant sur des surfaces incroyablement poreuses. Protection des couches suivantes peintures alkydes contre la saponification. Combien coĂ»te la peinture d'un plafond au Royaume-Uni ? En moyenne, vous devrez garder Ă  l'esprit que peinture au plafond volontĂ© CoĂ»t 220-1520 GBP. Un certain nombre de facteurs influencent la le prix, comme Le taux horaire du peintre. La zone qui doit ĂȘtre peint. Comment nettoyez-vous les nouveaux murs en plĂątre? Mouiller une Ă©ponge de cellulose. Une Ă©ponge est la moins abrasive nettoyeur que vous pouvez utiliser. Plongez l'Ă©ponge dans l'eau. Pressez-le pour Ă©liminer l'excĂšs d'humiditĂ©. Une serviette douce peut Ă©galement fonctionner si vous n'avez pas d'Ă©ponge Ă  disposition. Peut-on peindre des plaques de plĂątre sans Ă©cumer ? Alternatives Ă  PlĂątre Il s'agit gĂ©nĂ©ralement de murs intĂ©rieurs ou de murs Ă  montants, mais parfois les faces intĂ©rieures des murs extĂ©rieurs sont Ă©galement simplement doublĂ©es de plaque de plĂątre avant d'ĂȘtre peint ou tapissĂ© — non enduit de plĂątre manteau. Bien sĂ»r, la raison principale en est le coĂ»t, il n'y a donc pas besoin d'un plĂątrier. De combien de couches de peinture ai-je besoin ? Peindre une nouvelle couleur sur un mur intĂ©rieur. Peindre une couverture sombre ou audacieuse sur une couleur plus claire ne nĂ©cessitera probablement que deux manteaux. Peindre la lumiĂšre sur l'obscuritĂ© est une autre histoire. L'obtention d'une couleur lisse et uniforme dans ce scĂ©nario peut nĂ©cessiter jusqu'Ă  six couches de peinture.
Lesniveaux d\’humiditĂ© Ă©levĂ©s et les tempĂ©ratures chaudes augmentent toutefois les temps de sĂ©chage. Cliquez pour voir la rĂ©ponse complĂšte. Garder ceci en vue, pouvez-vous peindre sur la boue de cloison sĂšche? AprĂšs vous \’rĂ©apprencĂ© la suspension la touche sĂšche et toutes les coutures sont collĂ©es et finies, vous besoin de deux couches de peinture donner au
Les marqueurs Ă  rouleaux sont souvent le rĂ©sultat d’un outil qui n’a pas assez peint. De plus, le rythme auquel le rĂŽle peut jouer a un impact. Pour gagner du temps, on a tendance Ă  rouler les murs rapidement. C’est une erreur Ă  Ă©viter, mĂȘme si vous pensez ĂȘtre efficace. Sommaire1 Quel rouleau pour peindre un mur intĂ©rieur ?2 Comment Ă©viter les traces de rouleau sur un meuble ?3 Comment Ă©viter les bavures de peinture ?4 VidĂ©o Conseils pratiques pour peindre facilement un mur interieur au rouleau5 Comment prĂ©parer son rouleau avant de peindre ?6 Comment bien appliquer de la peinture au rouleau ?7 Comment avoir une peinture lisse au rouleau ? Quel rouleau pour peindre un mur intĂ©rieur ? © Pour une peinture murale acrylique intĂ©rieure, vous devriez plutĂŽt choisir un rouleau de chute, mĂȘme s’il y a un rouleau qui travaille ici. Lire aussi Les 3 meilleures façons de peindre un mur vite et bien. La longueur des fibres est idĂ©alement de 12 millimĂštres pour ce type de support. Comment peindre un mur avec un rouleau ? Ne le surchargez pas de peinture, votre rouleau ne doit pas tomber. Pour une application uniforme et rĂ©ussie, travaillez dans des petits espaces avec une moyenne de 1 m sur 1 m. Elle part toujours du haut du mur, en tombant, et idĂ©alement dans le sens de la lumiĂšre, c’est-Ă -dire en partant de la fenĂȘtre. Quel rĂŽle dois-je jouer pour peindre un mur sans laisser de traces ? Prenez un rouleau spĂ©cial anti-goutte sur le toit ou un rouleau avec des fibres de 12 mm minimum. Pour un dĂ©capage important et moins de risque de marques, il est recommandĂ© d’utiliser des rouleaux en polyamide texturĂ© de 14 mm rouleau utilisĂ© par les professionnels en gĂ©nĂ©ral. Comment puis-je ne pas voir les marques de rouleau? Sachez toutefois que le rouleau a tendance Ă  laisser des traces. Pour Ă©viter cela autant que possible, nous vous recommandons de ne pas appuyer trop fort sur le mur ou le plafond lors de la peinture. Tenez-vous-en Ă  des mouvements de roulement lĂ©gers et rĂ©guliers, d’avant en arriĂšre et de croisement. Articles populaires comment nettoyer carrelage poreux Quel prix pour un carrelage de qualitĂ© ? Les 5 meilleures astuces pour poser beton cire sur carrelage comment retirer carrelage mural Les meilleurs moyens de poser carrelage opus romain © 1 – Commencez par essuyer avec un chiffon humide pour enlever toute poussiĂšre sur le meuble. 2 – Versez la peinture dans la partie rĂ©servoir du tableau de peinture. A voir aussi quelle cheville pour carrelage sur placo. 3 – ImprĂ©gner le rouleau et le faire 2-3 fois sur la partie rayĂ©e. Cela uniformise la peinture sur le rouleau et enlĂšve l’excĂ©dent. Pourquoi mon pinceau a laissĂ© des traces ? En gĂ©nĂ©ral, les marques de pinceau sont dues au fait que la peinture est trop Ă©paisse et mĂȘme les poils du pinceau. Alors, pour Ă©viter cela, vous pouvez utiliser un pinceau trĂšs fin dit laque » c’est celui que vous utilisez pour Ă©claircir la peinture mais, surtout, diluez bien votre peinture. Comment Ă©viter les traces de pinceau sur les meubles ? Entre chaque couche, vous pouvez poncer finement toute la surface pour enlever les traces de pinceau. Utilisez du papier abrasif de grain 400 et allez-y doucement. Si vous enlevez trop de peinture, pas de problĂšme, rĂ©appliquez simplement ! © RĂ©ponse utilisez du ruban adhĂ©sif, essuyez-le avant de le sĂ©cher avec un sĂšche-cheveux pour Ă©viter les bavures. Voir l'article Quel sens poser le carrelage ? Comment rĂ©parer les gouttes de peinture ? Comment rĂ©parer une peinture qui fuit Si vous avez la chance de constater les dĂ©gĂąts au fil du temps, retirez la peinture fraĂźche dĂšs que possible, puis prĂ©parez votre surface et Ă©paississez la peinture si nĂ©cessaire. Si les mĂšches sont sĂšches, une bonne dose de graisse du cou doit ĂȘtre ressentie. Comment enlever la peinture qui a dĂ©bordĂ© ? PrĂ©parez un mĂ©lange Ă  parts Ă©gales de vinaigre blanc et de white spirit. Plongez-y un chiffon propre et sec et tamponnez la tache de peinture jusqu’à ce qu’elle soit bien immergĂ©e dans le produit. Laisser agir 30 minutes, puis rincer Ă  l’eau froide. RĂ©pĂ©tez l’opĂ©ration si la tache est trop incrustĂ©e, jusqu’à ce qu’elle disparaisse complĂštement. © A l’état neuf, le manchon perdra les peluches et enlĂšvera votre peinture fine, il est prĂ©fĂ©rable de le porter un peu avant utilisation mouillez le manchon et roulez-le dans tous les sens sur une planche pour retirer les fibres en suspension. Ceci pourrait vous intĂ©resser Comment percer du carrelage tres dur. SĂ©chez sur des chiffons et le tour est jouĂ© ! Mouillez-vous votre rouleau avant de peindre ? 3 Avant d’utiliser le rouleau Ă  peinture Lorsqu’il est neuf, le manchon perdra des peluches et enlĂšvera votre peinture fine, il est prĂ©fĂ©rable de le porter lĂ©gĂšrement avant utilisation mouillez le manchon et roulez-le dans tous les sens sur une planche Ă  chasser. fibre en suspension. Pourquoi mon rouleau Ă  peinture n’adhĂšre-t-il pas ? La cause la plus frĂ©quente de ce problĂšme est que la premiĂšre couche n’était pas complĂštement sĂšche avant d’appliquer la deuxiĂšme couche. Poncez la zone affectĂ©e et appliquez une couche d’apprĂȘt appropriĂ©e avant de repeindre avec une peinture de haute qualitĂ©. Pour ce faire, trempez le rouleau dans la peinture puis roulez-le pour l’enduire lĂ©gĂšrement. Ensuite, dĂ©placez-le d’avant en arriĂšre sur la pente de la table afin que la peinture pĂ©nĂštre uniformĂ©ment sans gouttes. Lire aussi Les 3 meilleures astuces pour faire du beton cire soit meme. Vous pouvez Ă©galement utiliser un seau et une essoreuse pour cette opĂ©ration. Comment peindre au rouleau sans laisser de trace ? Conseils & avertissements Evitez de rouler plusieurs fois sur la peinture pour Ă©viter les traces
. Appliquez la peinture Peinture de surface en carrĂ©s de 1 m2. Appliquer au rouleau de haut en bas. Croisez de droite Ă  gauche pour compenser les espaces. Lisser de haut en bas pour une finition parfaite. Comment avoir un rouleau de peinture lisse ? Cependant, il existe une astuce pour obtenir une finition trĂšs lisse. Il suffit d’appliquer une premiĂšre couche de peinture sur tout le support. Ensuite, la peinture doit ĂȘtre complĂštement sĂšche. Ensuite, il peut ĂȘtre retirĂ© sans difficultĂ© lorsqu’il est trĂšs dur. Comment capturez-vous les roll shots ? Comment capturer les traces de retouches et de peinture au rouleau ? Pour rĂ©duire les traces de reprise, il est nĂ©cessaire de poncer la surface, Ă  l’aide d’une spatule pour les petites traces ou de papier lisse pour les plus gros dĂ©fauts. Attention Ă  bien choisir le grain en fonction du dĂ©faut Ă  corriger. Cependant, il existe une astuce pour obtenir une finition trĂšs lisse. Il suffit d’appliquer une premiĂšre couche de peinture sur tout le support. Voir l'article Comment poser la mosaĂŻque dans une piscine ? Ensuite, la peinture doit ĂȘtre complĂštement sĂšche. Ensuite, il peut ĂȘtre retirĂ© sans difficultĂ© lorsqu’il est trĂšs dur. Comment peindre un mur qui n’est pas lisse ? La peinture pour murs endommagĂ©s est une peinture de revĂȘtement trĂšs Ă©paisse, capable de recouvrir les trous de surface et les microfissures, Ă©vitant ainsi le revĂȘtement et le sablage au prĂ©alable. Le support doit prĂ©senter des dĂ©fauts mineurs et superficiels pour que la peinture de renouvellement cache les dĂ©fauts et offre un rĂ©sultat optimal. Quel rouleau pour une finition lisse ? c Dans le cas d’une peinture trĂšs lisse, il est prĂ©fĂ©rable d’utiliser un poil court ou de la mousse pour obtenir une couverture uniforme et lisse. Les rouleaux longs > 15 mm sont recommandĂ©s pour les surfaces rugueuses. Les poils moyens 10 Ă  15 mm sont idĂ©aux pour les surfaces semi-rugueuses.
\n combien de temps pour peindre un mur

Commentenduire un mur ? Rebouchage, lissage, ponçage. Il n’est pas de belle peinture sans une prĂ©paration soignĂ©e des fonds. Et pour obtenir un support propre et lisse, il est essentiel d’uniformiser, rĂ©guler et aplanir le support avec un enduit de lissage. Bien enduire un mur n’est pas difficile.

Ce sujet comporte 16 messages et a Ă©tĂ© affichĂ© fois Le 14/06/2008 Ă  11h29 Env. 400 message Indre Et Loire Bonjour tout le monde, SVP savez-vous combien de temps il faut attendre avant de passer la sous-couche sur du plĂątre ? J'ai pas trouvĂ© rĂ©ponse Ă  ma question sur le forum... En fait, nos plafonds au rez-de-chaussĂ©e ont Ă©tĂ© plĂątrĂ©s il y a deux mois. Ca paraĂźt bien sec en surface. Et comme la chape vient d'ĂȘtre coulĂ©e, on ventile tous les jours. On aimerait attaquer le ponçage des bandes. Et ensuite la sous-couche partout... Qu'en pensez-vous ? C'est pas trop tĂŽt ? J'ai prĂ©vu d'acheter de la sous-couche Julien J6 pour toute la maison tous les murs et cloisons sont en placo - sauf un mur de refend ; et 2/3 des plafonds de la maison sont en placo, le reste en plĂątre C'est bien aussi la Julien J6 pour le plĂątre ? ou vaut mieux la sous-couche Julien spĂ©ciale plĂątre ? Tous les conseils seront les bienvenus Bon week-end Ă  tous les forumeux et forumeuses annlau 0 Messages Env. 400 Dept Indre Et Loire AnciennetĂ© + de 15 ans Par message Ne vous prenez pas la tĂȘte pour vos travaux de peinture...Allez dans la section devis peinture du site, remplissez le formulaire et vous recevrez jusqu'Ă  5 devis comparatifs de peintres de votre rĂ©gion. Comme ça vous ne courrez plus aprĂšs les peintres, c'est eux qui viennent Ă  vous C'est ici Le 14/06/2008 Ă  11h37 Super bloggeur Env. 2000 message Neoules 83 un platrier sĂ©rieux dira 1 an... aprĂšs ca depend de la ventilation de l'Ă©paisseur et de la tempĂ©rature... 6 mois me semble un minimum mĂȘme si ca me gonfle d'avance de penser Ă  mes 6 mois d'attente .. 0 Super bloggeur Messages Env. 2000 De Neoules 83 AnciennetĂ© + de 15 ans Le 14/06/2008 Ă  11h42 Env. 400 message Indre Et Loire zeoc a Ă©critun platrier sĂ©rieux dira 1 an... aprĂšs ca depend de la ventilation de l'Ă©paisseur et de la tempĂ©rature... 6 mois me semble un minimum mĂȘme si ca me gonfle d'avance de penser Ă  mes 6 mois d'attente .. Bonjour Zeoc, Et merci pour ta rĂ©ponse Par contre, je suis un peu déçue, ça paraĂźt super long 6 mois... Mais je suppose que si j'attends pas assez, ça risque de faire Ă©cailler la peinture, bref ça risque un dĂ©sastre ? Et pour la sous-couche, tu utilises quoi ? une spĂ©ciale plĂątre ? Bon week-end annlau 0 Messages Env. 400 Dept Indre Et Loire AnciennetĂ© + de 15 ans Le 14/06/2008 Ă  12h02 Super bloggeur Env. 2000 message Neoules 83 annlau a Ă©crit Par contre, je suis un peu déçue, ça paraĂźt super long 6 mois... oui c'est long...trop long... annlau a Ă©crit Mais je suppose que si j'attends pas assez, ça risque de faire Ă©cailler la peinture, bref ça risque un dĂ©sastre ? Oui aussi d'aprĂšs mon peintre... annlau a Ă©crit Et pour la sous-couche, tu utilises quoi ? une spĂ©ciale plĂątre ? c'est mon peintre qui fait...je lui demanderai Ă  l'occase, mais il travaille avec des peintures pro... 0 Super bloggeur Messages Env. 2000 De Neoules 83 AnciennetĂ© + de 15 ans Le 14/06/2008 Ă  12h57 Membre utile Env. 7000 message Le Littoral Sud 83 On m'a parlĂ© d'un an aussi. 0 Membre utile Messages Env. 7000 De Le Littoral Sud 83 AnciennetĂ© + de 14 ans Le 23/06/2008 Ă  10h33 Super bloggeur Env. 900 message Finistere pareil mon platrier m'a dit au moins 1 an 0 Super bloggeur Messages Env. 900 Dept Finistere AnciennetĂ© + de 14 ans Le 23/06/2008 Ă  12h17 Env. 200 message Nord De Rennes 35 Il faut aimer le blanc, quand on emmĂ©nage je vais devoir calmer les ardeurs de ma miss une fois qu'on sera dedans! 0 Messages Env. 200 De Nord De Rennes 35 AnciennetĂ© + de 14 ans Le 23/06/2008 Ă  13h10 Membre utile Env. 7000 message Le Littoral Sud 83 Membre utile Messages Env. 7000 De Le Littoral Sud 83 AnciennetĂ© + de 14 ans Le 05/07/2008 Ă  10h21 Env. 20 message effectivement les dĂ©lais peuvent aller jusqu'a 1 an, toutefois de plus en plus de platrier applique du "platre machine", celui ci peut secher en 6 Ă  8 semaines en Ă©tĂ© avec une bonne aĂ©ration de la maison. 0 Messages Env. 20 AnciennetĂ© + de 15 ans Le 07/07/2008 Ă  09h48 Env. 200 message Ille Et Vilaine Nous on a attendu 2 mois pour la sous-couche et pas de problĂšme, mais ouverture continuelle pour ventilation ! 0 Messages Env. 200 Dept Ille Et Vilaine AnciennetĂ© + de 15 ans Le 11/07/2008 Ă  08h02 Env. 400 message Indre Et Loire Salut Ă  tous, Et merci pour vos rĂ©ponses Linssen, je comprends mieux maintenant pourquoi l'entreprise de plĂątre /placo nous a proposĂ© un devis de blanchiment. Ca devait ĂȘtre du "plĂątre machine" car ils pouvaient commencer rapidement aprĂšs les travaux. Notre Ă©lectricien qui a fait plusieurs trous dans le plĂątre nous a confirmĂ© que c'est archi-sec Du coup, on a bien dĂ©marrĂ© la peinture ! J'ai peint tous les plafonds du rez-de-chaussĂ©e sauf 1 reste 10 mÂČ Ă  faire. Et tous les murs sont blanchis, reste Ă  passer une deuxiĂšme couche... Bon maintenant faut "attaquer l'Ă©tage" Bon week-end Ă  tous ! annlau 0 Messages Env. 400 Dept Indre Et Loire AnciennetĂ© + de 15 ans Le 11/07/2008 Ă  08h27 Env. 700 message Ardennes bonjour c'est mon pĂšre qui nous a fait le plĂątre je me plais Ă  croire qu'il est trĂ©s bon dans son boulot en dĂ©cembre/janvier nous avons ensuite aĂ©rĂ©s le plus possible la maison et j'ai eu le feu vert pour peindre au moi de mai, pour la quasi totalitĂ© des piĂšces refus du chef pour les WC Ă  cĂŽtĂ© de la salle de bain car ils sĂ©chaient moins bien. O mon pays, ĂŽ mon Ardenne, Ton nom est gravĂ© dans mon cƓur. Je veux qu'un jour des voix apprennent A te chanter avec ardeur. 0 Messages Env. 700 Dept Ardennes AnciennetĂ© + de 16 ans Le 11/07/2008 Ă  10h32 Env. 400 message Indre Et Loire Bonjour Gdiancourt Ca fait Ă  peu prĂšs 4 mois pour toi, en hiver. Finalement ça a vite sĂ©chĂ© ! je ne sais pas dans quelle rĂ©gion tu es Nous le plĂątre a Ă©tĂ© fait fin avril sur les plafonds du rez-de-chaussĂ©e et un mur de refend partout ailleurs c'est du placo... et on a peint fin juin. On a Ă©galement aĂ©rĂ© "en grand" tous les jours grandes baies vitrĂ©es ouvertes partout pour faire courant d'air. De plus, il a fait trĂšs trĂšs chaud et beaucoup de vent... De quoi accĂ©lĂ©rer les choses Pourtant, au dĂ©but, on avait trĂšs peur de se lancer dans la peinture, de peur que ça ne soit pas bien sec. La chape liquide ayant Ă©tĂ© coulĂ©e dĂ©but juin, on avait peur avec l'humiditĂ©... Du coup, j'ai Ă©tĂ© deux fois par jour sur place une fois pour tout ouvrir, et le soir pour tout fermer Bref, les kilomĂštres se sont rĂ©vĂ©lĂ©s efficaces ! Bon week-end annlau 0 Messages Env. 400 Dept Indre Et Loire AnciennetĂ© + de 15 ans Le 11/07/2008 Ă  14h33 Env. 70 message PoullaouĂ«n 29 chez moi aussi on s'y est tous mis pour appliquer 1 sous couche de blanc sur le platre quel boulot !... mais tout de mĂȘme plus simple tant que c'est pas meublĂ©; le tout c'est d'avoir de la main d'oeuvre ça a sechĂ© pendant quasi 4 mois en aĂ©rant bien tous les jours donc aprĂšs avoir eu le feu vert du platrier on s'y est mis 0 Messages Env. 70 De PoullaouĂ«n 29 AnciennetĂ© + de 15 ans Le 11/07/2008 Ă  15h19 Env. 400 message Pertuis 84 Bonjour, dĂšs que tu as des toiles d'arraignĂ© dans la maison, c'est que tes platres sont sec, donc tu peur peindre. Rigolez pas c'est vrai platrier A+ Terrain achetĂ© le 19 dĂ©cembre 2005. Permis accordĂ© le 11 mars DĂ©but de la construction le 30 aoĂ»t Fin de la construction 8 juin 2007 Piscine 0 Messages Env. 400 De Pertuis 84 AnciennetĂ© + de 17 ans En cache depuis le lundi 15 aout 2022 Ă  19h45 Ce sujet vous a-t-il aidĂ© ? Combiende temps pour peindre un mur - Meilleures rĂ©ponses; Salon 28m2 - Meilleures rĂ©ponses; Comment peindre un mur facilement et sans trace ? - Guide ; Combien de temps pour peindre une maison au pistolet - Guide ; Combien de temps pour se dĂ©barrasser des mites alimentaires - Guide ; Peindre une chambre - Guide ; Combien de temps pour meubler un appartement - Guide

RĂ©ponse exacte au moins 30 minutes Un apprĂȘt est une substance qui aide votre projet de peinture Ă  avoir une finition finale lisse et uniforme. Il s'agit essentiellement d'une sous-couche qui prĂ©pare les surfaces Ă  peindre et les rend aptes Ă  une couche de finition. Il existe deux types d'apprĂȘts, notamment les apprĂȘts de scellement de la porositĂ© et les apprĂȘts favorisant l'adhĂ©rence. Ces deux types d'amorces ont des fonctions diffĂ©rentes. Les apprĂȘts anti-porositĂ© scellent essentiellement les surfaces poreuses telles que le bois, le bĂ©ton ou les cloisons sĂšches, empĂȘchant les bulles de peinture et une finition inĂ©gale. Les apprĂȘts favorisant l'adhĂ©rence permettent une adhĂ©rence efficace de la couche de finition Ă  la surface du projet. Les primaires d'accrochage, ou communĂ©ment appelĂ©s primaires automordançants, relĂšvent de la branche des primaires promoteurs d'adhĂ©rence. Ils utilisent le procĂ©dĂ© de gravure en surface, pour favoriser l'adhĂ©rence de la future couche. Les apprĂȘts automordançants sont gĂ©nĂ©ralement utilisĂ©s sur des surfaces telles que le mĂ©tal ferreux ou non ferreux, la fibre de verre, etc. Temps de durcissement avant peintureApprĂȘt auto-mordançant30 minutesApprĂȘt Ă©poxyHeures environ 72 Les apprĂȘts auto-mordançants sont gĂ©nĂ©ralement utilisĂ©s sur des surfaces mĂ©talliques nues, en fibre de verre et en aluminium. Ce qui les distingue des apprĂȘts ordinaires est leur capacitĂ© unique Ă  graver sur la surface sur laquelle ils sont appliquĂ©s. En effet, le composĂ© d'apprĂȘt possĂšde un produit chimique responsable de la liaison et de la gravure sur le mĂ©tal. Les amorces auto-mordançantes contiennent une petite concentration d'acide phosphorique, qui brĂ»le chimiquement dans le mĂ©tal. Cela crĂ©e une forte adhĂ©rence entre la future couche de finition de peinture et la surface existante. Étant donnĂ© que les apprĂȘts auto-mordançants sont concoctĂ©s avec des solides Ă  faible volume, ils entraĂźnent une faible formation de film, en raison de leurs couches minces. MĂȘme s'ils ne nĂ©cessitent qu'une fine couche, ils font le travail efficacement en maximisant l'adhĂ©rence. De plus, ces amorces ne nĂ©cessitent pas de prĂ©paration approfondie. Comme ils contiennent des pigments de phosphate de zinc qui assurent l'Ă©tanchĂ©itĂ©, les primaires automordançants offrent Ă©galement une bonne protection contre la corrosion. Notez que les apprĂȘts de gravure ont Ă©galement un temps de durcissement trĂšs court, par rapport Ă  d'autres apprĂȘts tels que les apprĂȘts au latex et Ă  l'Ă©poxy. La surface mĂ©tallique doit ĂȘtre soigneusement nettoyĂ©e au prĂ©alable avec de l'essence minĂ©rale. Ensuite, vous pouvez choisir de poncer la surface pour la rendre lisse, en utilisant du papier de verre humide ou sec. Le mouillage du papier de verre offre une finition meilleure et plus lisse. AprĂšs avoir nettoyĂ© le matĂ©riau poncĂ©, vous pouvez ensuite pulvĂ©riser l'apprĂȘt auto-mordançant lentement et rĂ©guliĂšrement, et Ă  distance de la surface. Deux ou trois couches plus fines avec deux minutes de sĂ©chage entre elles peuvent entraĂźner une meilleure adhĂ©rence et un aspect plus lisse. Vous pouvez Ă©galement choisir d'attendre 3 Ă  4 heures pour poncer Ă  nouveau la surface apprĂȘtĂ©e. Si vous souhaitez faire mal aprĂšs l'amorçage, n'oubliez pas qu'il sĂšchera en 30 minutes et sera prĂȘt pour la couche de finition. Pourquoi faut-il autant de temps pour peindre aprĂšs Etch Primer ? Le temps de sĂ©chage et de durcissement dĂ©pend fortement de la tempĂ©rature et de l'humiditĂ© ambiantes. Le niveau de tempĂ©rature appropriĂ© est d'environ 70 °F °C. De plus, le taux d'humiditĂ© recommandĂ© est de 50 %. Moins il y a d'humiditĂ© dans l'atmosphĂšre, plus le primaire automordançant sĂšche rapidement. En effet, dans un environnement Ă  faible humiditĂ©, il existe une forte concentration d'eau sous forme de molĂ©cules en suspension dans l'atmosphĂšre. La rĂšgle gĂ©nĂ©rale est qu'une journĂ©e froide et sĂšche est mieux adaptĂ©e Ă  un temps de sĂ©chage plus court pour l'apprĂȘt par rapport Ă  une journĂ©e chaude et humide, car la tempĂ©rature et l'humiditĂ© sont interconnectĂ©es. Si vous peignez trop tĂŽt l'apprĂȘt auto-mordançant, cela peut donner un aspect de finition dĂ©sagrĂ©able. L'aspect final de la surface peut ĂȘtre irrĂ©gulier, prĂ©senter des bulles et des stries. De plus, la peinture prĂ©sente un risque Ă©levĂ© de se dĂ©coller ou de se rayer plus facilement qu'auparavant. Vous devez permettre Ă  l'apprĂȘt de fonctionner efficacement, permettant ainsi Ă  l'acide phosphorique de brĂ»ler dans la surface mĂ©tallique nue et de se lier avec elle, crĂ©ant ainsi une surface rugueuse Ă  laquelle la peinture peut se fixer efficacement. Si la peinture est appliquĂ©e avant que l'apprĂȘt ne puisse commencer Ă  fonctionner, il ne pourra pas adhĂ©rer complĂštement Ă  la surface, ce qui la rendra faible, peu importe le nombre de couches que vous appliquez. Cela annule toute la fonction de l'amorce, la rendant inutile dans cette situation. MĂȘme aprĂšs sĂ©chage, la peinture risque de se dĂ©coller ou de se rayer. Conclusion Pour conclure, les apprĂȘts auto-mordançants sont incroyablement utiles car ils servent de sous-couche qui favorise une adhĂ©rence maximale de la couche de finition Ă  la surface, en utilisant leurs produits chimiques acides. Ils sont particuliĂšrement nĂ©cessaires lorsque vous travaillez avec des surfaces mĂ©talliques nues. Contrairement Ă  la plupart des apprĂȘts ordinaires, ils n'ont besoin que d'une fine couche pour fonctionner efficacement. Cependant, comme il doit ĂȘtre appliquĂ© en couches minces, il est dĂ©conseillĂ© de l'utiliser pour les mĂ©taux dans des environnements avec des niveaux de corrosivitĂ© rĂ©duits. De plus, il ne s'applique pas aux couches de finition Ă  haute Ă©paisseur de film et Ă  celles qui semblent trĂšs rĂ©sistantes. Mais, la fine couche d'apprĂȘt auto-mordançant sĂšche relativement plus rapidement que les autres apprĂȘts, et ainsi la couche de finition de peinture peut ĂȘtre appliquĂ©e aprĂšs au moins 30 minutes d'application de l'apprĂȘt de mordançage. RĂ©fĂ©rences

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Leruban de masquage, ou ruban à masquer, sert principalement pour aider lors des travaux de peinture, lors de la décoration. Pour décorer, on va peindre un mur en deux tons, ajouter une ligne de couleur sur une surface, ou autres découpages de couleurs différentes. L'avantage d'utiliser du ruban à masquer, c'est qu'ensuite on perd

Peindre les meubles de votre cuisine rustique est une excellente idĂ©e qui lui donnera immĂ©diatement un aspect plus moderne et lumineux. Pour cela, optez pour des couleurs claires blanc ou crĂšme et ne multipliez pas les couleurs et les nuances mieux vaut choisir la mĂȘme couleur pour tous les meubles. De quelle couleur peindre une cuisine rustique ? Pour ce faire, vous pouvez opter pour un rose doux et poussiĂ©reux, un bleu clair, un vert amande ou un vert aqua et mĂȘme un jaune trĂšs clair. Sur le mĂȘme sujet Comment renover son permis de conduire. Ce sont des teintes qui s’harmonisent parfaitement avec les bois lĂ©gĂšrement foncĂ©s et adoucissent un peu l’atmosphĂšre, qui peut devenir lourde, voire oppressante. Comment moderniser une cuisine rustique sans la peindre ? 7 Ă©tapes pour un relooking express de cuisine rustique Sur le mĂȘme sujet Comment bien renover sa maison. Nettoyer les meubles utiliser un mĂ©lange avec un peu de dĂ©tergent et d’eau tiĂšde pour nettoyer les armoires et les les meubles retirer les tiroirs, les portes et les poignĂ©es des le meuble et le dĂ©poussiĂ©rer. Comment relooker une cuisine en chĂȘne ? Pour rafraĂźchir vos meubles en chĂȘne, la peinture est la solution la plus Ă©vidente. Peindre les portes est une opĂ©ration simple et Ă©conomique. Dans la cuisine, pour plus de commoditĂ©, les meubles doivent ĂȘtre lavables. Pour cela, une peinture en finition satinĂ©e ou brillante est idĂ©ale. Comment rĂ©nover une cuisine en chĂȘne massif ? Pour rafraĂźchir vos meubles en chĂȘne, la peinture est la solution la plus Ă©vidente. Peindre les portes est une opĂ©ration simple et Ă©conomique. Dans la cuisine, pour plus de commoditĂ©, les meubles doivent ĂȘtre lavables. Pour cela, une peinture en finition satinĂ©e ou brillante est idĂ©ale. Comment repeindre une cuisine en bois massif ? Peindre la cuisine en bois massif A l’aide d’un disque abrasif, harmoniser toute la surface du meuble en Ă©liminant les surĂ©paisseurs. Appliquez ensuite une deuxiĂšme couche. N’oubliez pas que mieux la base est appliquĂ©e, plus l’application de la peinture sera facile et plus le rĂ©sultat sera impeccable. Quelle couleur pour repeindre une cuisine en chĂȘne ? Le noir, le gris foncĂ© ou encore le vert sapin ou le bleu canard rehausseront Ă  merveille le bois de vos armoires de cuisine et lui donneront un style industriel. Si vous craignez d’alourdir la piĂšce et de perdre sa lumiĂšre, appliquez la couleur foncĂ©e de votre choix sur un seul pan de mur. Ceci pourrez vous intĂ©resser Rincez les armoires de cuisine Ă  l’eau claire et laissez-les sĂ©cher. Une fois le meuble sec, poncez-le avec du papier de verre. Remplissez les imperfections avec du mastic. Pensez Ă  protĂ©ger les meubles et les bords de la zone Ă  peindre avec du masking tape. Quelle peinture pour repeindre vos meubles de cuisine en mĂ©laminĂ© ? Pour la rĂ©novation de vos meubles en mĂ©laminĂ©, prĂ©fĂ©rez la peinture acrylique ou glycĂ©ro. Si vous repeignez des armoires de cuisine ou des armoires de salle de bain, assurez-vous d’opter pour une peinture impermĂ©able. Quelle couleur pour peindre les meubles de cuisine ? 20 couleurs pour peindre vos meubles de cuisine bleu classiqueMenthe gris anthracite. Quelle peinture pour repeindre des meubles de cuisine en bois ? Les armoires de cuisine en bois peuvent ĂȘtre peintes avec une rĂ©sine Ă©poxy colorĂ©e. Avant et aprĂšs l’application de la peinture, il y a des Ă©tapes Ă  suivre pour une bonne durabilitĂ© contre le nettoyage et le temps. Quelle est la meilleure couleur pour une cuisine ? Pour un style convivial, dynamique et chaleureux, choisissez des couleurs chaudes, comme le rouge, l’orange, le jaune, voire le rose. Si vous prĂ©fĂ©rez les ambiances calmes, reposantes et douces, optez pour des couleurs dĂ©licates comme le gris perle, le taupe, le vert d’eau. Quelle peinture pour repeindre des meubles de cuisine en bois ? Les armoires de cuisine en bois peuvent ĂȘtre peintes avec une rĂ©sine Ă©poxy colorĂ©e. Avant et aprĂšs l’application de la peinture, il y a des Ă©tapes Ă  suivre pour une bonne durabilitĂ© contre le nettoyage et le temps. Comment repeindre des Ă©lĂ©ments de cuisine en bois ? Pour peindre des meubles en bois dans la cuisine, dĂ©graisser. Utilisez du vinaigre blanc et du bicarbonate de soude pour cela. Une fois propre et sec, poncez avec du papier de verre pour rendre la surface rugueuse. Secouez la poussiĂšre avant de peindre. Quelle est la meilleure peinture pour peindre des meubles de cuisine ? Pour Ă©viter les travaux rĂ©currents, vous devriez vous demander quelle est la meilleure peinture pour armoires de cuisine sur le marchĂ©. En rĂ©ponse, vous pouvez opter pour Deco Lab de V33, une marque dont la rĂ©putation de peintures multi-vertus reste bien connue. Quelle est la meilleure peinture pour repeindre des meubles de cuisine ? Pour Ă©viter les travaux rĂ©currents, vous devriez vous demander quelle est la meilleure peinture pour armoires de cuisine sur le marchĂ©. En rĂ©ponse, vous pouvez opter pour Deco Lab de V33, une marque dont la rĂ©putation de peintures multi-vertus reste bien connue. Quelle peinture utiliser pour repeindre des meubles de cuisine en bois ? Pour repeindre vos armoires de cuisine, mieux vaut opter pour une peinture spĂ©ciale rĂ©novation ». Les peintures multisupports ne fonctionnent pas toujours assez bien dans les piĂšces humides. Quelle est la meilleure peinture pour une cuisine ? Les experts recommandent souvent la peinture acrylique pour les piĂšces humides comme la cuisine. En effet, elle prĂ©sente les avantages d’ĂȘtre lavable Ă  l’eau, peu odorante et moins toxique que la peinture glycĂ©ro blanche. A voir aussi Comment nettoyer la terre ? PrĂ©fĂ©rez les produits d’entretien traditionnels et naturels
 VĂ©rifier l’aspect des façades Pour cela, deux solutions repeindre ou changer. En effet, si vos façades portes, tiroirs sont en bon Ă©tat, il est fort possible que vous les repeigniez dans une couleur moderne et sobre blanc, gris, etc. qui viendra unifier l’ensemble. Changement garanti. Comment changer la couleur de la façade de la cuisine ? Comment peindre les armoires de cuisine guide Ă©tape par Ă©tape DĂ©monter les armoires de cuisine. 
Sable. 
Couvrir les Ă©lĂ©ments qui ne vont pas ĂȘtre peints. 
Appliquer la couche d’apprĂȘt. 
La premiĂšre couche de couleur. 
La deuxiĂšme couche de couleur. 
Appliquez du vernis. 
Remontez. Comment refaire sa cuisine sans changer les meubles ? Peindre les façades des meubles pour rĂ©veiller sa cuisine La bonne astuce pour tout revoir sans changer ni le meuble ni le banc est de le repeindre. Car dans la cuisine ce sont les façades des nombreux placards qui donnent le ton. Comment rajeunir une vieille cuisine ? Utilisez une peinture spĂ©ciale pour armoires de cuisine pour peindre le bois et gommer l’effet rustique. Peignez tous les meubles de la mĂȘme couleur pour qu’ils soient beaux. Peignez Ă©galement la table et les chaises en chĂȘne et le reste du mobilier rustique de la piĂšce. Comment recouvrir les portes de cuisine ? Autre solution peu onĂ©reuse des stickers adhĂ©sifs Ă  dĂ©couper pour recouvrir les portes. LĂ  encore, toutes les couleurs et tous les effets de matiĂšre sont disponibles, du faux bois Ă  l’adhĂ©sif mĂ©tallique. Comment recouvrir façade de cuisine ? Aussi, peindre des armoires de cuisine pour leur donner une seconde vie n’est pas compliquĂ© avec du papier de verre, commencez par poncer les Ă©lĂ©ments que vous souhaitez repeindre, jusqu’à ce que la surface soit Ă  nu. Pour une finition brillante, appliquez deux couches de peinture glycĂ©ro effet laque. Comment habiller des portes de cuisine ? Repeindre les façades Pour donner un nouvel air Ă  votre cuisine, la premiĂšre option est le coup de pinceau. En effet, la peinture permet de mettre Ă  jour les goĂ»ts des armoires. Il existe des peintures et des rĂ©sines adaptĂ©es qui rĂ©sistent Ă  l’humiditĂ© et empĂȘchent la graisse de se dĂ©poser. Quelle matiĂšre pour façade cuisine ? Le stratifiĂ© et la mĂ©lamine sont toujours les matĂ©riaux les plus utilisĂ©s pour les façades de meubles de cuisine. Ils sont apprĂ©ciĂ©s pour leur prix, leur facilitĂ© d’entretien mais aussi parce qu’ils prennent une multitude d’aspects allant du noir, Ă  la couleur d’une finition chĂȘne ou marbre, par exemple. Comment moderniser des portes de cuisine ? Repeindre les façades Pour donner un nouvel air Ă  votre cuisine, la premiĂšre option est le coup de pinceau. En effet, la peinture permet de mettre Ă  jour les goĂ»ts des armoires. Il existe des peintures et des rĂ©sines adaptĂ©es qui rĂ©sistent Ă  l’humiditĂ© et empĂȘchent la graisse de se dĂ©poser. Comment recouvrir des portes de placard de cuisine ? Autre solution peu onĂ©reuse des stickers adhĂ©sifs Ă  dĂ©couper pour recouvrir les portes. LĂ  encore, toutes les couleurs et tous les effets de matiĂšre sont disponibles, du faux bois Ă  l’adhĂ©sif mĂ©tallique. Comment relooker les portes d’une cuisine ? Remplacer les portes des armoires de cuisine Pour Ă©conomiser de l’argent, vous pouvez Ă©galement coller avec de la colle Ă  bois une fine planche de bois sur votre porte actuelle et la repeindre. De cette façon, vous obtiendrez une porte lisse et minimaliste prĂȘte Ă  s’intĂ©grer dans n’importe quel environnement. Qui peut renover ma cuisine ? Vous pouvez par exemple faire appel Ă  un architecte d’intĂ©rieur ou un dĂ©corateur pour vous aider Ă  choisir le style, les matĂ©riaux, les couleurs et l’agencement de votre nouvelle cuisine. Comment rĂ©former sa cuisine sans changer les meubles ? Peindre les façades des meubles pour rĂ©veiller sa cuisine La bonne astuce pour tout revoir sans changer ni le meuble ni le banc est de le repeindre. Car dans la cuisine ce sont les façades des nombreux placards qui donnent le ton. Quel artisan pour refaire une cuisine ? Pour une rĂ©novation complĂšte de qualitĂ©, vous devrez nĂ©cessairement recourir Ă  plusieurs professionnels de la rĂ©novation complĂšte de cuisine plombier, Ă©lectricien, cuisiniste, peintre
 A moins de passer par un spĂ©cialiste des rĂ©novations ou un architecte qui coordonne tous les corps de mĂ©tiers. Quel budget pour rĂ©novation cuisine ? En gĂ©nĂ©ral, le coĂ»t de rĂ©novation d’une cuisine est estimĂ© Ă  environ 650 euros/mÂČ. Si le prix d’une rĂ©forme lĂ©gĂšre peut avoisiner les 250 €/mÂČ, une rĂ©forme complĂšte peut augmenter le prix entre 500 € et plus de 950 € le mÂČ, selon la qualitĂ© des matĂ©riaux et des Ă©quipements. Qui peut installer une cuisine ? Faire appel Ă  un cuisiniste indĂ©pendant peut ĂȘtre une bonne solution, car il adaptera son travail aux particularitĂ©s de l’amĂ©nagement de votre cuisine. Quel est le meilleur mois pour acheter une cuisine ? Pendant les soldes, des prix trĂšs attractifs pour vos cuisines. Incontestablement, les soldes organisĂ©es en janvier restent un moment fort pour que le consommateur obtienne des remises. Les configurations ouvertes avec un Ăźlot central et un maximum de rangement sont Ă  la mode. Quelle est la cuisine avec le meilleur rapport qualitĂ©-prix ? Quelle est la meilleure marque de cuisine ? Pour les petits budgets, vous pouvez choisir des marques abordables comme IKEA, Leroy Merlin ou Lapeyre. Pour des services plus exclusifs, Arthur Bonnet, Schmidt ou Perene seraient de bonnes options. Quel est le meilleur cuisiniste en 2021 ? Qui est le meilleur cuisiniste de 2022 ? Pour la cinquiĂšme annĂ©e consĂ©cutive, la marque But a remportĂ© le prix du meilleur cuisiniste 2021, en attendant les rĂ©sultats de 2022. Qui est le meilleur cuisiniste en France ? Boffi, des cuisines d’avant-garde au design optimisĂ© Boffi est un cuisiniste italien spĂ©cialisĂ© dans la conception de cuisines innovantes sur mesure. Cette marque propose des modĂšles Ă  l’esthĂ©tique ultra-contemporaine, le tout dans un design minimaliste teintĂ© d’une puretĂ© et d’une sobriĂ©tĂ© absolues. Quelle marge de nĂ©gociation pour une cuisine ? Si vous optez pour une cuisine partiellement Ă©quipĂ©e, vous pouvez nĂ©gocier les prix des meubles et des Ă©lectromĂ©nagers. Les cuisinistes ont tout intĂ©rĂȘt Ă  ce que vous achetiez votre cuisine complĂšte incluant les Ă©lectromĂ©nagers, vous pouvez obtenir jusqu’à 20% de remise chez eux ! Comment nĂ©gocier le prix d’une cuisine ? Commencez Ă  nĂ©gocier le prix de votre cuisine La premiĂšre Ă©tape consiste Ă  vous rendre chez au moins 3 cuisinistes pour demander un devis et comparer leurs offres. Il ne faut jamais conclure de cette premiĂšre rencontre, elle sert surtout Ă  crĂ©er un contact et avoir un maximum d’informations. Quel est la marge d’un vendeur de cuisine ? Cela signifie que pour obtenir sa marge, le cuisiniste gonfle ses prix. Cependant, une remise de 10 Ă  15% me semble un maximum. Dans une cuisine qui vaut 15 000 ou 20 000 euros, cela reprĂ©sente quand mĂȘme une remise de 1 500 Ă  3 000 euros.
Maisil est vrai qu’un plancher chauffant peut ĂȘtre long Ă  chauffer sur toute sa superficie surtout lors de la premiĂšre mise en route et donc de circulation des tuyaux mais pour un logement d’environ 100 Ă  120mÂČ dont le plancher est conçu par un dallage en bĂ©ton, il faut compter environ 48 heures voir plus dans d’autres cas pour
Application de peinture sur mur extĂ©rieur trouver un pro dans ma ville Vous dĂ©sirez peindre l’extĂ©rieur de votre maison ? Évidemment, l’esthĂ©tique de votre façade est trĂšs importante Ă©tant donnĂ© que c’est le premier aperçu que l’on a de votre habitation. Qu’il s’agisse simplement de rendre Ă  vos murs leur apparence initiale ou encore de changer complĂštement de design, voici un article complet qui vous expliquera comment peindre vos murs extĂ©rieurs comme un pro. Choix de couleur de mur extĂ©rieur Le matĂ©riel nĂ©cessaire pour repeindre un mur extĂ©rieur Avant de dĂ©buter un chantier de ce type, il est primordial de bien prĂ©parer les travaux. Il s’agit d’abord de rĂ©unir le matĂ©riel nĂ©cessaire puis d’acquĂ©rir la peinture et enfin de prĂ©parer son chantier. Si vous ĂȘtes bricoleur dans l’ñme, il se peut que vous possĂ©diez dĂ©jĂ  une bonne partie du matĂ©riel listĂ© ci-dessous. Dans le cas contraire, sachez que vous pouvez le trouver en grande surface spĂ©cialisĂ©e. Les outils pour peindre un mur extĂ©rieur Pour peindre votre mur, vous aurez besoin de plusieurs outils. En voici la liste pinceaux, rouleaux, brosses ; une Ă©chelle si la surface Ă  peindre est trĂšs grande prĂ©fĂ©rez l’échafaudage ; un grattoir ; un malaxeur une perceuse peut trĂšs bien faire l’affaire ; un jet d’eau Ă  haute pression ; une bĂąche plastifiĂ©e ; un traitement antifongique ; un nettoyant de façade ; un fixateur de fond / une sous-couche adaptĂ©e ; une combinaison ; des gants. Il est Ă©galement possible que vous ayez besoin d’un enduit de rĂ©paration selon l’état de votre mur ce n’est pas nĂ©cessaire si celui-ci est en bois. Certains Ă©quipements peuvent ĂȘtre relativement coĂ»teux, donc pensez Ă  les emprunter ou les louer. Quel type de peinture pour un mur extĂ©rieur ? Demandez un devis prĂšs de chez vous et choisissez nos meilleurs artisans Selon votre zone gĂ©ographique et vos envies, il existe plusieurs types de peintures extĂ©rieures. Certaines seront plus adaptĂ©es aux bords de mers et d’autres aux imperfections de votre mur. Faisons le point ensemble. La peinture Acrylique La peinture Acrylique s’adapte facilement Ă  tous types de murs et s’applique trĂšs facilement. Cependant, c’est Ă©galement le type de peinture qui rĂ©siste le moins bien aux Ă©preuves du temps. Avec son coĂ»t de revient d’environ 3,50€/litre et un rendement de 8mÂČ/litre, c’est la peinture la moins chĂšre du marchĂ©. Elle s’adaptera parfaitement aux petits budgets. Avantages InconvĂ©nients La moins chĂšre du marchĂ© Facile Ă  appliquer S’adapte Ă  tous les murs Le type de peinture qui vieillit le moins bien La peinture Pliolite La peinture Pliolite contient des solvants et, de ce fait, a une odeur trĂšs forte. Elle est trĂšs fluide et est donc utilisĂ©e sur les murs ne comportant que trĂšs peu d’imperfections. La peinture Pliolite coĂ»te aux alentours de 5€/litre pour un rendement d’environ 7mÂČ/litre. Avantages InconvĂ©nients Prix Facile Ă  appliquer Ne s’applique que sur des murs n’ayant que peu ou pas du tout d’imperfections La peinture Siloxane La peinture Siloxane est le type de peinture le plus utilisĂ©e en bords de mers et dans les milieux agressifs. Elle rĂ©siste parfaitement au sel et aux fortes tempĂȘtes neige, pluie, etc. en plus d’ĂȘtre hydrofuge. De ce fait, elle traite Ă©galement votre mur contre l’humiditĂ©. C’est le type de peinture qui tient le plus longtemps. Cependant, avec son prix d’environ 7€/litre et un rendement de 8mÂČ/litre, c’est Ă©galement la peinture la plus chĂšre du marchĂ©. Avantages InconvĂ©nients Traite la façade contre l’humiditĂ© IdĂ©ale en bords de mers ou en milieux agressifs RĂ©siste dans la durĂ©e Le prix La mĂ©thode pour repeindre un mur extĂ©rieur Voici la mĂ©thode de A Ă  Z pour peindre son mur extĂ©rieur comme un professionnel. Suivez les Ă©tapes minutieusement et le rĂ©sultat sera garanti Poser l’échafaudage / l’échelle Si vous avez l’intention d’installer un Ă©chafaudage, ce qui est Ă©galement la mĂ©thode la plus sĂ»re et la plus pratique, il faut Monter les parties ensembles et les attacher Ă  votre façade pour que l’échafaudage soit stable et bien maintenu. Il est possible que vous n’utilisiez qu’une Ă©chelle pour des travaux de petite envergure mur infĂ©rieur Ă  3 mĂštres. Cependant, ce travail sera plus long et bien plus contraignant. PrĂ©paration du mur Avant de dĂ©buter les travaux de peinture, il est primordial de nettoyer son mur. Pour cela il vous faudra un jet d’eau Ă  haute pression, un grattoir, un nettoyant de façade, du traitement antifongique et un enduit de rĂ©paration suivant l’état de votre mur dĂ©gagez les plus grosses imperfections avec le grattoir ; appliquer le nettoyant de façade avec un pinceau ou un jet d’eau, puis laissez sĂ©cher ; passez le jet d’eau Ă  haute pression pour rincer, puis laissez sĂ©cher attention aux murs friables ; appliquez le traitement antifongique et laissez sĂ©cher ne pas rincer ; enfin, si besoin est, rebouchez les fissures avec l’enduit de rĂ©paration. Veillez Ă  protĂ©ger votre espace de travail Lorsqu’on peint un mur extĂ©rieur, comme pour tous les travaux de peinture, il faut protĂ©ger ce qui ne doit pas ĂȘtre peint. Étendez votre bĂąche et posez la sur tout ce qui ne doit pas ĂȘtre touchĂ© par la peinture. Utilisez l’adhĂ©sif pour faire le tour des fenĂȘtres et fixer la bĂąche. Commencer par la sous-couche Pour la plupart des peintures intĂ©rieures actuelles, il n’est plus nĂ©cessaire d’appliquer une sous-couche. Pourtant, afin de garantir un bonne fixation, la peinture extĂ©rieure en nĂ©cessite une quant Ă  elle. Étant donnĂ© que vos murs extĂ©rieurs sont soumis aux intempĂ©ries, aux changements climatiques et Ă  des tempĂ©ratures extrĂȘmes. Pour cela il vous faudra le fixateur de fond ou la sous-couche adaptĂ©e que vous aurez achetĂ©. Étalez grossiĂšrement le produit Ă  l’aide d’un rouleau sur le mur et pour les coins et les fenĂȘtres vous prendrez un pinceau. Pose de peinture sur un mur extĂ©rieur À savoir lorsque vous Ă©talez la sous-couche au rouleau, il faut impĂ©rativement croiser les passes et ne surtout pas peindre dans le mĂȘme sens alterner entre une passe horizontale et une passe verticale. Ceci vaut Ă©galement pour la peinture. Appliquer la peinture Une fois que votre sous-couche / fixateur de fond a bien sĂ©chĂ©, il est temps de passer Ă  la peinture. Pour une peinture rĂ©ussie, il est important de travailler par petites zones environ 60 centimĂštres. De plus, pour que votre mur soit impeccable, il vaut mieux toujours le peindre en une seule fois, c’est-Ă -dire Ă©viter de commencer l’aprĂšs-midi et reprendre le lendemain. Pour que votre peinture soit bien homogĂšne, veillez Ă  la mĂ©langer Ă  l’aide de votre malaxeur. Enfin, il faut toujours appliquer au minimum deux couches de peinture. Selon votre type de peinture, une troisiĂšme peut ĂȘtre exigĂ©e. Passer par une entreprise pour peindre un mur extĂ©rieur Il arrive gĂ©nĂ©ralement que les amateurs de bricolage peignent eux-mĂȘmes leurs murs intĂ©rieurs comme extĂ©rieur. En effet, ce type de travaux semble faire partie des opĂ©ration simples. Mise en peinture d’une façade par un artisan trouver un expert dans ma ville Cependant, il faut savoir qu’un rĂ©sultat gĂąchĂ© est beaucoup plus difficile Ă  rattraper. De plus, faire appel Ă  une entreprise de peinture promet un travail bien fait et garanti. Enfin, un professionnel pourra Ă©galement vous conseiller sur les diffĂ©rents types de peinture qui seront plus ou moins adaptĂ©es Ă  vos murs et Ă  l’état de ceux-ci. Astuce de notre expertAfin de bĂ©nĂ©ficier des meilleures prestations, il est important de demander plusieurs devis. Contactez-nous et vous serez mis en relation avec plusieurs artisans qualifiĂ©s et certifiĂ©s de votre rĂ©gion. Vous n’aurez plus qu’à choisir sur devis. Notre conseil de pro ce qu’il faut savoir avant de repeindre sa façade Avant d’entreprendre des travaux de peinture en extĂ©rieur, il est important de prendre ses prĂ©cautions. Consultez le PLU Le PLU ou Plan Local d’Urbanisme est le document mis au point par votre mairie afin de rĂ©glementer certains travaux comme la peinture extĂ©rieure. Certaines communes ne vous autorisent pas n’importe quelle peinture. Prenez soin de vĂ©rifier ces points avant de dĂ©buter les travaux. Dans la mesure du possible, travaillez Ă  plusieurs Effectuer ce type de travaux Ă  plusieurs prĂ©sente beaucoup d’avantages le travail sera fait plus rapidement ; Ă©tant donnĂ© que vous montez sur un Ă©chafaudage ou une Ă©chelle, il existe toujours un risque de chute. Avoir quelqu’un avec soit pour alerter les secours n’est pas nĂ©gligeable. Lisez attentivement la notice des produits Avant d’acheter un produit ou de l’appliquer sur votre mur, prenez soin de bien lire les notices d’utilisation le temps de sĂ©chage ; les conditions d’application ; la dangerositĂ© du produit ; la prĂ©sence de solvants ; les matĂ©riaux adaptĂ©s pour son application. Faites attention aux intempĂ©ries Avant de peindre un mur extĂ©rieur, il est important de se renseigner sur la mĂ©tĂ©o prĂ©vue avant de dĂ©marrer. Les conditions climatiques idĂ©ales seraient un temps sec ; lĂ©gĂšrement ensoleillĂ© ; une tempĂ©rature situĂ©e entre 10°C et 20°C. Il faut Ă  tout prix Ă©viter de se retrouver sous la pluie ou des tempĂ©ratures extrĂȘmes chaudes ou froides. Renseignez-vous sur votre mur Enfin, sachez que tous les types de peinture ne s’adaptent pas forcĂ©ment Ă  n’importe quel mur. Une façade poreuse ne nĂ©cessitera pas la mĂȘme peinture qu’un mur en bois. De plus, si votre mur est endommagĂ©, Ă©vitez Ă©galement d’utiliser le jet d’eau Ă  haute pression sous peine de le voir se dĂ©grader encore plus. RhR2UQ5.
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